Informer est un acte d’élaboration qui implique médecin et
malade et non un “lâcher” de données “objectives” susceptible
de blesser le psychisme du malade aussi sûrement qu’un coup
de scalpel dans sa chair. Il ne s’agit pas, pour le médecin, de se
décharger du fardeau de l’annonce diagnostique, pour des rai-
sons légales ou personnelles, mais d’entendre la demande du
patient, qu’il faut savoir débusquer au fil des échanges, des
propos et des attitudes, des silences, des affirmations, des
contradictions, des non-dits, et comprendre ce qui lui est fon-
damentalement nécessaire pour intégrer la nouvelle, y faire
face, y répondre et se reconstruire.
On n’en a jamais fini avec le processus d’annonce de la mala-
die. Elle exige du temps, pour informer pas à pas, peu à peu,
répéter et reprendre sans cesse.
Comment, pour le médecin, trouver les mots, communiquer
avec la parole, les gestes, le regard, sa présence à l’autre, dans
l’instant et jusqu’au bout de l’histoire de la maladie, comment
aider le malade à traverser l’épreuve ?
Comment, pour le malade, surmonter l’annonce, s’adapter, se
reconstruire, donner un sens à ce qu’il vit, à ce qu’il ressent,
sans culpabilité ni honte, penser un autre avenir, un autre pro-
jet de vie ?
“J’ai un cancer”
La peur de mourir entraîne une profonde détresse émotionnelle
et une remise en questions des relations avec la vie et le
monde.
Le malade doit réaliser un deuil. Il en sera ainsi à chacune des
grandes étapes d’un cancer : le diagnostic, la chirurgie, la perte
des cheveux, l’interruption de la vie professionnelle, la rémis-
sion, la récidive, la guérison…
Pour 70 % des patients, la première phase d’adaptation à
l’annonce d’un cancer dure en moyenne 3 mois, comme dans
toutes les maladies chroniques.
Après cette période, le malade mobilise différemment son
énergie psychique, et ses craintes se déplacent au fil de l’his-
toire de la maladie : le malade n’a plus peur de la mort mais de
la chirurgie, de la chimiothérapie, de la chute de ses cheveux,
du handicap…
L’intensité de la détresse du malade dépend aussi de la période
de vie qu’il traverse au moment du diagnostic et de la stabilité
de sa vie affective et sociale.
Ainsi des études ont montré que la vulnérabilité psychique
d’une femme atteinte d’un cancer du sein était d’autant plus
importante que la personne était jeune et que des événements
stressants avaient précédé le diagnostic (Trief P.M. et al.,
1996) (2).
La prévalence de la dépression ne doit pas être sous-estimée.
Elle est importante au moment du diagnostic ainsi qu’à
l’annonce d’une récidive.
L’ANNONCE D’UN CANCER EN PRATIQUE
Les préliminaires
L’annonce d’un cancer se prépare. La période d’investigation
doit permettre d’instaurer un lien avec le malade et d’apprécier
avec lui ce qu’il souhaite savoir du diagnostic quand celui-ci
pourra être posé. Le médecin doit garder à l’esprit que la volonté
du malade est rarement claire et définitive. Son sentiment par rap-
port à l’envie de “savoir” est forcément ambivalent et fluctuant.
Quand cela est possible, on demande au patient s’il souhaite la
présence d’un proche à ses côtés, en tant que soutien affectif
mais aussi parce que celui-ci pourra relayer l’information
auprès du malade et reprendre plus tard les paroles du médecin
et les explications. Lors de l’annonce d’un cancer, le malade,
souvent “saisi” par la nouvelle, n’entend plus les mots du
médecin, les explications, les commentaires. L’émotion enva-
hit tout. Il est dans la sidération.
Le médecin choisit un lieu et un moment adaptés pour annon-
cer le diagnostic, afin de ne pas être dérangé. Il évite les veilles
de week-end et les fins de journées, toujours plus anxiogènes
pour le malade.
Quel que soit le contexte, le médecin s’assied pour parler (3),
en essayant de se situer au même niveau que le malade (niveau
du regard) et de supprimer les objets qui pourraient créer une
barrière entre lui et le malade (éviter d’être séparé par le
bureau). Il est préférable d’éteindre la télévision ou la radio (à
l’hôpital) et le téléphone portable. Ces préliminaires servent à
montrer la disponibilité du médecin pour son patient.
Des études montrent en effet que le patient a l’impression
d’être mieux écouté et entendu et que l’entretien dure plus
longtemps lorsque le médecin est assis.
Certains médecins prendront l’initiative d’un contact physique,
serrer la main ou toucher une épaule, pour signifier son empa-
thie, son engagement auprès du malade.
Écouter le malade : le questionnement
•Que sait-il déjà ? Que connaît-il de sa maladie, de son évo-
lution possible ? Comment s’exprime-t-il, avec quelles émo-
tions, celles exprimées par les mots et celles exprimées par le
corps : il se tord les mains, il est crispé ou détendu sur son
siège, pleure...
•Que veut savoir le patient ? C’est l’un des moments les plus
délicats de l’entretien. Le patient souhaite-t-il ou non connaître
la vérité ? Et à quel niveau désire-t-il obtenir l’information ?
La réponse du thérapeute ne peut que s’ajuster à la demande
du patient.
Face à un patient qui exprime le désir de ne pas être informé
sur son état de santé, on garde la possibilité de communiquer
avec lui sur les traitements envisageables et les soins dont il
peut bénéficier.
•Comment écouter le malade ? Assis et aussi détendu que
possible, pour préparer l’écoute, le médecin commence par
interroger le malade, le laisse parler sans l’interrompre,
l’encourage à continuer. Il s’agit là d’une écoute active qui
développe l’empathie avec le patient.
Pour que celui-ci comprenne qu’il a été entendu, le praticien peut
répéter ou reformuler ce que vient d’exprimer le malade. Il lui
adresse ainsi des signes de compréhension. Il le laisse formuler
sa demande, ses interrogations, ses émotions, sans jugement ni
commentaires. Parfois le respect du silence est salutaire.
Quand le médecin a perçu la demande et les besoins du
malade, il est prêt à communiquer l’information.
G
Y N É C O L O G I E E T S O C I É T É
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La Lettre du Gynécologue - n° 293 - juin 2004