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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 1 - janvier-février 2005
Depuis une quinzaine d’années, les mentalités évoluent toutefois,
sous l’influence notamment des malades, qui ont pris la parole et
ont su témoigner de la réalité de leur maladie. Leurs revendica-
tions, concernant l’information autour de la maladie, une plus
grande transparence, une meilleure écoute de leurs attentes, un
véritable échange avec les médecins, ont considérablement modi-
fié l’approche de la maladie.
Médecins et malades s’accordent pour déclarer que l’information
fait partie intégrante du soin que l’on doit au malade
;
elle constitue
le moyen le plus sûr de tordre le cou aux idées reçues et au mythe
“cancer”, de dédramatiser et de permettre au malade de devenir
acteur de sa maladie et de son traitement, un partenaire de soins,
à la condition que cette information éclairée “colle” à la demande
du malade, à ses ressources, à ce qu’il est prêt à entendre.
Les soignants, convaincus de la nécessité d’éclairer le malade sur
la maladie dont il souffre, ne peuvent se limiter à ce constat. Entre
le “taire” et le “tout dire”, des nuances s’imposent, qui dépendent
de chaque patient. Au devoir d’informer du médecin s’oppose
parfois le droit d’ignorer du malade.
Informer est un acte actif de construction avec le malade et non un
“lâcher” de données “objectives” susceptible de blesser le psychisme
du malade aussi sûrement qu’un coup de scalpel. Il ne s’agit pas pour
le médecin de se décharger du fardeau de l’annonce diagnostique,
pour des raisons légales ou personnelles, mais d’entendre la demande
du patient, qu’il faut savoir débusquer au fil des échanges, des propos
et des attitudes, des silences, des affirmations, des contradictions, des
non-dits, et de comprendre ce qui lui est fondamentalement nécessaire
pour intégrer la nouvelle, y faire face, y répondre et se reconstruire.
On n’en a jamais fini avec le processus d’annonce de la maladie.
Elle exige du temps, pour informer pas à pas, peu à peu, répéter
et reprendre sans cesse.
Comment, pour le médecin, trouver les mots, communiquer avec
la parole, les gestes et le regard sa présence à l’autre, dans l’ins-
tant et jusqu’au bout de l’histoire de la maladie, comment aider
le malade à traverser l’épreuve ?
Comment, pour le malade, surmonter l’annonce, s’adapter, se
reconstruire, donner un sens à ce qu’il vit, à ce qu’il ressent, sans
culpabilité ni honte, penser un autre avenir, un autre projet de vie ?
“J’ai un cancer.”
La peur de mourir entraîne une profonde détresse émotionnelle
et une remise en question de la relation à la vie et au monde.
Le malade doit réaliser un deuil. Il en sera ainsi à chacune des
grandes étapes d’un cancer : le diagnostic, la chirurgie, la perte
des cheveux, l’interruption de la vie professionnelle, la rémission,
la récidive, la guérison, etc.
Pour 70 % des patients, la première phase d’adaptation à
l’annonce d’un cancer dure en moyenne trois mois, comme dans
toutes les maladies chroniques.
Après cette période, le malade mobilise différemment son énergie
psychique, et ses craintes se déplacent au fil de l’histoire de la mala-
die : le malade n’a plus peur de la mort mais de la chirurgie, de la
chimiothérapie, de la chute de ses cheveux, du handicap, etc.
L’intensité de la détresse du malade dépend aussi de la période
de vie qu’il traverse au moment du diagnostic et de la stabilité
de sa vie affective et sociale.
Ainsi, des études ont montré que la vulnérabilité psychique d’une
femme atteinte d’un cancer du sein était d’autant plus importante
que la personne était jeune et que des événements stressants
avaient précédé le diagnostic (2).
La prévalence de la dépression ne doit pas être sous-estimée. Elle
est importante au moment du diagnostic ainsi qu’à l’annonce
d’une récidive.
L’ANNONCE D’UN CANCER EN PRATIQUE
Les règles d'or de l'annonce
✓Une information progressive, pas à pas
✓Une information cohérente
✓Une information adaptée à chaque patient, à sa demande,
à ses ressources
✓Une information continue à reprendre sans cesse
✓Dans le respect des mécanismes de défense du patient
Les préliminaires
L’annonce d’un cancer se prépare. La période d’investigation doit
permettre d’instaurer un lien avec le malade et d’apprécier avec
lui ce qu’il souhaite savoir du diagnostic quand celui-ci pourra être
posé. Le médecin doit garder à l’esprit que la volonté du malade
est rarement claire et définitive. Son sentiment par rapport à l’envie
de “savoir” est forcément ambivalent et fluctuant.
Quand cela est possible, on demande au patient s’il souhaite la pré-
sence d’un proche à ses côtés, en tant que soutien affectif mais aussi
parce que celui-ci pourra relayer l’information auprès du malade
et reprendre plus tard les paroles du médecin et ses explications.
Lors de l’annonce d’un cancer, le malade, souvent “saisi” par la
nouvelle, n’entend plus les mots du médecin, les explications, les
commentaires. L’émotion envahit tout. Il est sidéré.
Le médecin choisit un lieu et un moment adaptés pour annoncer
le diagnostic, afin de ne pas être dérangé. Il évite les veilles de week-
end et les fins de journée, toujours plus anxiogènes pour le malade.
Quel que soit le contexte, le médecin s’assied pour parler (3), en
essayant de se situer au même niveau que le malade (niveau du
regard) et de supprimer les objets qui pourraient créer une bar-
rière entre lui et le malade (éviter d’être séparé par le bureau). Il
est préférable d’éteindre la télévision ou la radio (à l’hôpital) et
le téléphone portable. Ces préliminaires servent à démontrer la
disponibilité du médecin pour son patient.
Des études montrent que le patient a l’impression d’être mieux
écouté et entendu et que l’entretien dure plus longtemps lorsque
le médecin est assis. Certains médecins prendront l’initiative d’un
contact physique (serrer la main ou toucher une épaule) pour signi-
fier leur empathie, leur engagement auprès du malade.
Écouter le malade : le questionnement
–Que sait déjà le malade ?
Que connaît-il de sa maladie, de son évolution possible ? Com-
ment s’exprime-t-il, avec quelles émotions (celles exprimées par