Le «jeu» entre le local et le global: dualité et dialectique de la

Socio-anthropologie
16 | 2005
Ville-Monde
Le « jeu » entre le local et le global : dualité et
dialectique de la globalisation
Anna Dimitrova
Édition électronique
URL : http://socio-
anthropologie.revues.org/440
ISSN : 1773-018X
Éditeur
Publications de la Sorbonne
Édition imprimée
Date de publication : 15 août 2005
ISSN : 1276-8707
Référence électronique
Anna Dimitrova, « Le « jeu » entre le local et le global : dualité et dialectique de la globalisation », Socio-
anthropologie [En ligne], 16 | 2005, mis en ligne le 24 novembre 2006, consulté le 30 septembre 2016.
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Le « jeu » entre le local et le global :
dualité et dialectique de la globalisation
Anna Dimitrova
« Nous n’appartenons plus qu´à un seul monde.
Nous expérimentons des versions locales du monde et,
en le faisant, nous devons nous localiser
dans le contexte le plus large du global »1
1 Une petite nouvelle dans le domaine de la culture, annoncée au cours d’une émission du
matin d’une des chaînes de télévision bulgares à la fin du mois de mars 2004, a attiré mon
attention. Il s’agissait de la parution du premier numéro, traduit en bulgare, du fameux
magazine américain Cosmopolitan. En lui faisant de la publicité dans un style pompeux, on
disait que le public bulgare savourerait enfin le plaisir d’avoir accès à ce magazine,
largement répandu, connu et appréc partout dans le monde, indispensable et unique
par sa nature parce qu’il serait capable de s’adapter avec aisance à chaque type de public
et de jouer avec brio les rôles, à la fois de connaisseur, de conseiller et de guide pour nous
conduire dans le vaste océan tourbillonnant de la vie. Maintenant disponible aussi en
Bulgarie, il permettrait au public bulgare de s’intégrer à la communauté globale de ses
admirateurs, en partageant le délice de surfer sur ses pages2.
2 Cette publicité dont le langage métaphorique a pour but, d’un de personnifier et
me de fétichiser un produit global afin de démontrer « sa sensibilipénétrante » aux
demandes des consommateurs, et d’un autre côté, de le présenter comme quelque chose
de commun, suscite des interrogations. La question principale est celle du rapport entre
le local et le global, plus précisément : comment un produit global, dont la globalité est
suggérée déjà par son titre, Cosmopolitan, ou le cosmopolis, qui n’appartient à nulle part car
il se sent chez lui partout dans le monde, sera accommodé à un contexte local ? En
d’autres termes, comment traduire son contenu pour préserver, d’une part sa conception
originale, c’est-à-dire d’être accessible et compréhensible par chacun, et d’autre part,
d’être adapté à un contexte local qui n’est pas le sien ?
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3 Pourquoi utilise-t-on en français deux termes, celui de « globalisation » et celui de
« mondialisation », pour désigner le même phénomène ?
4 Les différences sémantiques entre les deux vocables, celui de « globalis/z/ation » et celui
de « mondialisation », sont au ur d’un grand débat théorique dans le domaine des
sciences humaines et sociales en France l’on postule que les deux mots ne sont pas
synonymes, comme cela est souvent considéré à tort, et qu’il faut opérer obligatoirement
une distinction dans leur usage.
5 Il convient tout d’abord de rappeler qu’il n’existe pas de différence de sens entre ces deux
mots lorsqu’ils apparaissent en 1960, ainsi que l’enregistre le Dictionnaire Le Robert. On y
trouve que « mondialisation » ou « globalisation » désignent seulement « le fait de
devenir mondial, de se répandre dans le monde entier », ce qui paraît une définition très
neutre dans la mesure elle ne possède que des implications spatiales en renvoyant à
l’idée d’extension et d’expansion géographiques des phénomènes à une échelle de plus en
plus élargie et grande. En revanche, le vocable anglais de « globalisation », a reçu une
finition plus concrète dans les années 1980, la « globalisation » désigne, dans le
domaine de l’économie, d’un côté, la convergence des marchés dans le monde entier, et
de l’autre côté, l’augmentation et l’accélération des flux de capitaux qui bordent les
frontières nationales et échappent au contrôle de l’État. C’est dans ce sens économique et
financier de régulation, de libéralisation, de déterritorialisation des marchés et des
capitaux, incarné dans l’idéologie néolibérale, que le vocable de « globalisation » a été
introduit dans le contexte français.
6 La « globalisation » est conçue comme un processus économique et idéologique, sélectif et
exclusif par sa nature, parce qu’il impose sa logique d’hégémonie sur le marché et ne
favorise, par la suite, que des États riches et développés. Elle se pense aussi comme un
processus qui néglige les conséquences sociales dont l’aggravation est flagrante de jour en
jour. C’est en raison de ces idées sous-jacentes, qu’à partir des années 1990, les
théoriciens français se sont ingéniés à faire contrepoids au terme anglo-saxon de
« globalisation » en insistant sur le sens plus neutre du terme de « mondialisation », du
fait qu’il ne privilégiait pas la dimension économique de ce processus, mais traitait,
également, de ses aspects politiques, culturels et sociaux.
7 Il faut, cependant, noter que ce bat sémantique n’existe que dans le contexte français,
et que dans toutes les autres langues, on n’utilise qu’un seul mot pour traduire le vocable
anglo-saxon de « globalisation ».
8 Ce terme est plus restrictif en termes de significations que le terme français de
« mondialisation » parce qu’il s´applique uniquement à la sphère économique et
financière, en mettant l´accent sur la circulation des flux de capitaux et de biens. Sur la
base des principes d’ouverture et de démocratisation des marchés et des capitaux qui
stimuleraient le fonctionnement plus souple et plus efficace de l’économie, « la
globalisation » tend à présenter un processus inévitable, irréversible et nécessairement
néfique. Cependant, aux yeux d’analystes français, cette image de la globalisation
véhicule la vision d’un monde utopique « heureux » et « florissant ». Au lieu du paradis
des opportunités égales ouvrant la voie à la prospérité et au bonheur accessibles pour
chacun, on s’aperçoit que le monde est, par contraste, injuste, dirigé par une minorité,
l’élite globale, composée des pays les plus riches et les plus puissants dans le monde, eux-
mes subordonnés à la suprématie économique, géopolitique et militaire des États-Unis,
qui recueillent les fruits de la globalisation, pendant que la majori de la planète se
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trouve exclue du « partage du gâteau ». Afin d’appréhender la réalité, qui est loin d’être
un succès triomphal et omniprésent, il faut démythifier la globalisation3, à savoir,
coder son message néolibéral, édicté comme un message universaliste de libération. Ce
mythe, élaboré par la pensée néolibérale a pour objectif d’occulter le processus
d’aricanisation, qui s’impose partout aujourd’hui à travers les marchés et les
multinationales. De même, la hiérarchisation entre les acteurs sur la scène globale est
justifiée par l’a priori d’une primau économique, politique et culturelle destinée aux
États-Unis.
9 Pour échapper aux aspects négatifs du terme de « globalisation », les théoriciens français
insistent sur l’usage du terme de « mondialisation », considéré comme plus descriptif,
plus englobant, mais surtout dépourvu de la charge idéologique du terme
« globalisation ». L’une des différences principales entre les deux termes est que « la
globalisation » signe un processus unicausal se réduisant à la dimension économique,
tandis que « la mondialisation » décrit un processus multicausal et multidimen-sionnel
influençant tous les aspects de notre vie. Par conséquent, si la globalisation se présente
uniquement comme une force objective et naturelle qui transforme la réalité de telle
manière qu’il ne nous reste plus qu’à lui obéir, « la mondialisation » met l’accent sur la
subjectivité, c’est-à-dire sur la façon dont nous concevons et expérimentons ces multiples
transformations. Mais cette subjectivi n’est pas celle qui est intentionnellement
attribuée à la globalisation, pour légitimer et justifier ses controverses et inégalités. Elle
est une vraie considération des façons de percevoir, de réfléchir et de s’adapter que des
gens créent pour appréhender la nouvelle réalité. En se focalisant sur les conséquences
sociales de divers processus globaux, le terme de « mondialisation » implique ainsi la
cessité d’une régulation à laquelle ils doivent être soumis.
10 Par conséquent, dans la perspective française, le terme anglo-saxon de « globalisation »
est d’abord restrictif parce qu’il renvoie à un déterminisme économique. Il est ensuite
idéologique parce qu’il tire ses origines du contexte américain et il est destiné à établir un
modèle du management le plus profitable aux multinationales américaines, celui de la
« firme globale ». Ainsi, « la globalisation » prétend représenter un processus objectif,
mais il est en réalité intentionnel et représente la mise en œuvre des politiques
américaines homogénéisatrices. La globalisation, dans le sens anglo-saxon du mot, se
révèle alors anti-sociale, anti-humaine et uniformisatrice.
11 Pour ma part, j’utilise le terme de « globalisation » parce qu´il me semble absurde de
parler du rapport entre le « local » et le « mondial ». Ces deux termes se réfèrent à des
échelles différentes : le premier est ancré dans un espace circonscrit, et le deuxième, dans
celui de la planète, qui est multidimensionnelle et on ne peut envisager ses applications
concrètes locales.
12 Compte tenu du fait que la globalisation se présente comme un processus - et même une
multiplicité de processus -, omniprésent, multidimensionnel, ambigu et complexe, dont la
compréhension suscite d´innombrables définitions et théories, je me propose de le
considérer et de l´appréhender à la lumre de la définition proposée par David Harvey :
« La globalisation, c´est la compression de l´espace et du temps »4. Elle repose sur deux
catégories ontologiques : le temps et l´espace, dans le sens c´est à partir de notre
perception et compréhension du temps et de espace que nous construisons et
organisons les relations sociales, ce qui signifie que la reconsidération de nos perceptions
temporelles et spatiales provoquée par les transformations globales dans tous les
domaines de notre vie paraît un changement ontologique.
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13 En tant qu’ontologie, la globalisation se caractérise par une dualité : elle est à la fois
objective5 et subjective6. Ce n’est pas seulement la réalité qui change sous nos yeux, mais
aussi nos réflexions aux formes diverses quant à la perception et à l’appréhension du
phénomène. Cette dualité présente la globalisation comme un processus empirique et en
me temps, mental : les changements réels nous marquent, parfois même nous
bouleversent, et ils nous font reconsidérer nos conceptions traditionnelles. Cela entraîne
une interrogation sur ce qui a changé, sur ce qui est nouveau.
14 Pour reprendre la définition de Harvey et la compléter, je dirai que la globalisation,
conçue comme « la compression de l´espace et du temps » donne naissance à quatre
phénomènes relativement nouveaux et étroitement liés : instantanéité, interconnection,
interchangeabilité et interdépendance.
15 Qu’entendre par « instantanéité » ? Le fait que nous nous trouvons en mouvement
permanent par l´effet de la création médiatique et technique d´un nouveau type d´espace
et de temps dit virtuel ou cybernétique, qui ne nécessite plus une présence physique et
rend possible une présence simultanée dans plusieurs lieux. Paradoxalement nous nous
plaçons, même quand nous restons sur place. Nous n’habitons plus uniquement dans
un temps et dans un espace réels, mais dans plusieurs ; bref, dans une instantanéité
temporelle et une omniprésence spatiale. L’implication subjective de ce phénomène peut
se traduire par l’image d’un hologramme qui est une copie virtuelle de l’original. Les
techniques d’information et de communication nous permettent de nous multiplier et de
disperser nos hologrammes dans tous les coins du monde et chaque hologramme peut
être conçu comme une projection virtuelle de nos pensées qui se focalisent sur différents
sites de visites. Ainsi, nous sommes simultanément ici et là, présents et absents.
16 L´interconnection signe le processus de transgression des frontières par les flux d
´information, de gens, de capitaux et de biens et le tissage, au sens figuré du mot, d´un
réseau de relations, s´étendant à l´échelle de la planète, auquel nous sommes tous plus au
moins connectés. Les maillons de ce réseau sont cependant, flexibles et souples, d´où la
possibilité de changer ou de s´échanger. Cela éclaire le phénomène d´interchangeabilité.
La condition pour être connecté et interchangeable est celle de l’accès. Il se traduit par la
possession ou la disponibilité de quelques outils techniques : un ordinateur, un modem,
des câbles téléphoniques ou optiques, la souris électronique à l’aide de laquelle nous nous
plaçons d’un site à un autre en un clin d’œil dans des voyages virtuels.
17 Les trois processus portent sur l´émergence d´une interdépendance, de plus en plus
saillante et croissante, des relations au niveau local, ainsi qu´au niveau global, qui se
traduit par « l´effet de rides », ripple effect : on assiste aujourd´hui à un tel entrecroi-
sement des transformations locales et globales qu´aucun événement local ne peut plus
rester ancré dans son contexte local, puisqu´il suscite inévitablement des répercussions
qui enchaînent de multiples réactions et réponses.
18 Un exemple pour expliquer l’effet de rides est la crise économique asiatique de 1997. En
peu de temps, une crise locale qui a surgi dans un coin éloigné du monde, en Thaïlande,
en décembre 1997 la faillite bancaire due à une spéculation financière massive, s’est
répandue partout dans les pays de l’Asie du sud. Ensuite, les répercussions se sont
étendues jusqu’à la Russie d’où l’écho a touc le Brésil, puis il a résonné dans toute
l’Amérique Latine. Les pulsations ont notamment été enregistrées au Mexique et elles ont
logiquement atteint les États-Unis. Dans un monde-réseaux tissé par divers
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