Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute Ennio Floris La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute 71- Vico interprète de Descartes ico avait tenté, dans les Discours, d’esquisser une synthèse de l’humanisme et du cartésianisme. Il n’avait vu en eux que des mouvements complémentaires qui, en s’inspirant de l’oracle de Delphes, conduisaient à la conscience de soi, le premier par la philologie, le second par la philosophie. Son souci Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 1 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute étant culturel, Vico s’était alors contenté de souligner leur complémentarité sans chercher à mettre en évidence leurs oppositions1. Aussi n’avait-il pas cherché à savoir si le système cartésien pouvait supporter un tel voisinage. Ses paroles avaient été plus pédagogiques que théoriques, et il n’avait pas cherché à en connaître l’efficacité auprès de ses élèves. Les mots-clés de ses exhortations oratoires, « vérité » et « dignité », montraient qu’il entendait orienter les jeunes vers l’humanisme et vers la critique cartésienne. Mais les jeunes, comme nous l’avons constaté, ne semblaient pas répondre à son appel. Aussi, à partir du De ratione, Vico prit conscience qu’un affrontement entre les deux courants était nécessaire s’il voulait que l’un ne fit pas obstacle à l’autre. Dans cette œuvre apparurent les tensions qu’il avait prudemment contenues, et l’accord qui semblait acquis devint l’objet d’une recherche laborieuse et passionnante ; car même si Vico n’entendait pas remettre en question la critique cartésienne en la confrontant à l’humanisme, il a été amené à la limiter dans ses prétentions méthodologiques. 1 Première partie, chapitre 1. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 2 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute À ce propos, on peut se demander comment Vico a pu donner du cartésianisme une interprétation lui permettant de le critiquer sans le renier. Or le De ratione ne contient pas de texte concernant directement le cogito. Cependant cette assimilation personnelle du cartésianisme reste sous-jacente à l’œuvre, et il serait fâcheux de ne pas chercher à la faire ressortir. Parmi les textes vichiens concernant le cogito, l’un d’entre eux semble refléter une telle approche : celui d’une annotation que l’auteur avait ajoutée à la dernière édition de la Science nouvelle et qui remonte – fait curieux à première vue – à 1731. Quoi qu’écrite à une époque tardive, cette glose contient la démarche personnelle critique à laquelle Vico est toujours resté fidèle. Il convient de rappeler qu’à la suite de Platon et d’Aristote, les philosophes de la Renaissance, tels Ficino et Campanella, avaient employé le doute dans leur recherche épistémologique. Vico n’a jamais considéré l’approche critique par le doute comme la propriété exclusive de Descartes. Selon la tradition philosophique, il a recherché son propre itinéraire critique, par lequel il a osé se mesurer avec le grand philosophe français. Ce texte nous permet donc de connaître le fondement de l’attitude critique de Vico et les limites de Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 3 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute son adhésion au cartésianisme, à la lumière de sa propre compréhension philosophique du problème de la certitude. Il se trouve, en effet, d’accord avec la démarche cartésienne, mais il en dénonce aussitôt les déviations, prenant son processus pour modèle. Sa critique de Descartes a donc été modérée et éloignée de la contestation radicale du De antiquissima italorum sapientia. J’ai pensé étudier ce texte à partir de la tension à l’égard du cogito cartésien, pour mieux comprendre à la fois les raisons profondes qui justifiaient la rupture cartésienne et les fondements philosophiques qui autorisaient Vico à entreprendre son œuvre de conciliation. « Ainsi, les philosophes ne doivent reconnaître en métaphysique aucun vrai qui ne relève de l’être véritable, qui est Dieu. René Descartes l’aurait sans doute reconnu s’il avait prêté attention au doute porté sur son propre être. Car si je doute d’être ou non, je doute sur mon être véritable, que je ne pourrais pas rechercher si le véritable être n’existait pas. Il est, en effet, impossible de rechercher une chose dont on n’a aucune idée. Or, puisque je doute de mon être, et non de l’être véritable, Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 4 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute l’être véritable est réellement distinct de mon être. En effet, mon être est limité par l’espace et le temps qui le déterminent. C’est pourquoi l’être véritable est incorporel, au-delà de l’espace et du temps, qui est mesure de l’espace selon la succession du mouvement. En conséquence de ce que nous venons de dire, l’être véritable est éternel, infini et libre. S’il avait agi en bon philosophe, René Descartes serait parti d’une idée très simple qui exclut toute composition, telle que celle de l’être. C’est pourquoi Platon, mesurant le sens des mots, avait appelé la métaphysique ontologie, c’est à dire la science de l’être. Méconnaissant l’être, Descartes veut connaître les choses à partir de la substance qui est un mot impliquant une relation entre un "dessous" et un "dessus", dont l’un supporte et l’autre est supporté. »2 2 J.-B. Vico, La scienza nuova, R. 33, pp. 595-596. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 5 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute 72- Le doute dialectique des Anciens et le doute cartésien u chapitre précédent, j’ai décrit le doute cartésien comme une opération rhétorique par laquelle le sujet se persuade que les connaissances acquises sont fausses. Le sujet ne se trouve en face de sa réalité pensante qu’à la fin du doute, après avoir été libéré de l’illusion émanant du vraisemblable. Ainsi le doute aurait-il un caractère méthodologique et libérateur, par lequel il se distinguerait du doute sceptique et dialectique des écoles anciennes. Le premier doute avait été affirmé par l’impossibilité de retrouver les fondements de la certitude des sciences. En effet on avait constaté que, même dans les affirmations les plus certaines, la raison se fondait sur des principes qu’elle ne pouvait pas prouver apodictiquement. De plus, il lui était impossible de savoir si ces affirmations étaient conformes aux choses. Bref, la raison prétendait énoncer des propositions vraies sans posséder de certitude à l’égard des principes ou de leur valeur objective. Le doute sceptique présentait donc un caractère critique, puisqu’il tendait à fonder la Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 6 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute prétention de l’homme sur la vérité. Il indiquait une prise de conscience bouleversante, tragique, qui pourrait être appelée, en termes modernes, la « mort de la science ». Le mouvement sophiste était issu de cette mort. Puisqu’il était impossible de retrouver le sens du discours humain en se rapportant aux choses, il ne restait qu’à le comprendre par rapport aux hommes. La parole cessait d’être signifiante pour n’être qu’acte de communication, véhicule des relations entre les hommes. Elle n’énonçait pas le vrai et le faux, mais elle excitait, modifiait, émouvait l’âme par la persuasion. Puisqu’il n’y avait plus de vérité, il n’y avait plus de philosophie, qui était supplantée par la dialectique. Le réel, l’être, n’était que l’apparaître d’un devenir que personne ne pouvait toucher du doigt. Aussi, de contemplateur de l’être et de chercheur de la vérité, l’homme devenait questionneur et faiseur de vraisemblable. Socrate, et après lui Platon et Aristote, se dressèrent contre les sophistes en utilisant le doute comme instrument de combat. En effet, comment auraient-ils pu argumenter en faveur de la vérité, si les sophistes l’avaient reniée ? Il ne leur restait Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 7 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute qu’à assumer le doute pour le retourner contre eux, afin de les persuader que leur affirmation était fausse. Ainsi au doute sceptique s’est opposé le doute dialectique, qui fut une argumentation tendant à conduire l’adversaire à douter de ses propres opinions, dans l’espoir que la prise de conscience de ses contradictions suffirait à le contraindre à reconnaître la vérité. À ce point, les méthodes platonicienne et aristotélicienne se révélaient particulièrement faibles. En effet, pour renverser la situation sceptique, il ne suffisait pas de persuader, il fallait encore convaincre que la vérité était possible. Les sceptiques pouvaient bien reconnaître leurs contradictions, et cependant demeurer convaincus qu’elles étaient inhérentes à la pensée, puisque le réel était fuyant et insaisissable. Les philosophes grecs n’avaient pas compris, pratiquement au moins, que la persuasion n’engendre que l’opinion, et que, chez les sceptiques, une opinion pouvait bien s’opposer à d’autres sans les renier pour autant. Il importe, à cet égard, de souligner la différence entre Platon et Aristote, qui ne cherchait qu’à réduire le sceptique au silence, tandis que Platon faisait coïncider le moment de la persuasion avec Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 8 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute celui de la manifestation de l’idée. La résistance des premiers principes à la négation du doute sceptique était considérée par Platon comme le signe de leur transcendance3. Mais comment les distinguer des premiers principes de l’opinion qui apparaissaient tout aussi universels ? Aristote l’avait bien compris, qui par le doute dialectique ne cherchait qu’à faire taire son adversaire4. Mais pouvait-il l’espérer ? En fait, muets sur la fonction signifiante du discours, les sophistes parlaient davantage par la fonction de communication. Descartes a affronté le problème du doute dans une situation analogue à celle de Platon, réagissant à une culture baroque qui, comme celle des sophistes, était essentiellement rhétorique5. En lui, le Afin d’atteindre la manifestation objective de la vérité dans l’esprit, l’interrogation socratique visait à reproduire dans l’adversaire la même situation d’ignorance présumée chez l’enquêteur. Ainsi l’interrogation devenait pure, impliquant l’effacement du sujet, en vue de l’affirmation de l’objet dans sa propre évidence. Voir, à ce propos, Aristote, Les réfutations sophistes, Edit. Tricot, Vrin, Paris, 1939, 183 b 5. 4 Aristote fonde la logique de la réfutation sur l’emploi de l’argumentation dialectique et critique, dont l’une conclut à partir des prémisses probables, l’autres des prémisses qui apparaissent vraies à l’adversaire. Aristote, Les réfutations sophistes, Op. cit. 165 b 5. 5 Il importe de souligner que le doute des Discours concerne le vraisemblable, tandis que celui de la première Méditation touche aux connaissances acquises, considérées comme des peintures imaginaires dont le sujet est feint et faux. Ce parallèle, situé au cœur de la première Méditation, confirme l’hypothèse que le 3 Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 9 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute baroque a trouvé son propre Platon. Avec le philosophe grec, Descartes partageait l’attrait des altitudes sans en éprouver le vertige, l’exigence d’un a priori métaphysique, et la conviction que la vérité est intuitive. Il avait compris que la prise de conscience de la non-contradiction des premiers principes ne suffisait pas à en fonder la certitude. Il fallait trouver un critère objectif et subjectif, capable d’offrir la note distinctive de la manifestation de la vérité dans l’esprit. Son intention de rechercher une méthode nouvelle relevait de cette conviction : Platon et Aristote avaient échoué pour avoir cru au rôle de la persuasion dans la recherche de la vérité. Apte à mettre les sceptiques en contradiction, la persuasion était impuissante à les faire parvenir à la vérité : elle restait prisonnière du vraisemblable. Pour vaincre le scepticisme, il convenait de changer de stratégie. Au lieu de chercher à persuader les sceptiques de leurs contradictions, il fallait ôter de leur esprit l’illusion qui les avait engendrées ; or cette illusion était le vraisemblable6. doute était mis en relation avec la tendance imaginaire et fictive de la culture baroque. 6 Arnauld décrit la situation du sceptique de la pensée en jumelant le doute des Académiciens avec celui des Pyrroniens : « les uns se sont contentés de nier la certitude en admettant la vraisemblance, et ce sont les nouveaux Académiciens ; ; les autres qui sont les Pyrroniens ont même nié cette vraisemblance et Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 10 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute Descartes semble saisir le sceptique au moment où il ne doute plus, et où il devient sophiste et rhétoricien, faiseur de vraisemblable. Ainsi la situation se trouvait-elle renversée : alors que Platon et Aristote reprochaient aux sceptiques d’avoir employé le doute, Descartes les invitait à l’assumer pour l’amener à son accomplissement, et ainsi à son épuisement. Descartes ne s’adressait pas, comme les philosophes grecs, de manière polémique à un adversaire extérieur, mais intérieur – le doute de soi, l’enfant qui vit d’imagination et de mémoire7. Ainsi la dialectique s’intériorisait, changeant profondément de valeur et d’efficacité. Elle n’était plus une dispute, mais une activité du pensant visant sa propre libération, au sens que par son détachement il permettait à son double d’entreprendre une action d’autodestruction, le contraignant à se persuader que tout ce qu’il croyait vrai était faux8. Livré à lui-même, l’enfant producteur ont prétendu que toutes les choses étaient également obscures et incertaines », La logique de Port-Royal, P.U.F. Paris, 1945, p. 292. 7 Rappelons que le doute se pose au moment de la prise de conscience de la maturité spirituelle de Descartes, à l’encontre des connaissances acquises à partir de l’enfance. Méditations, A.T. IX 13. 8 « C’est pourquoi, je pense que j’en userai plus prudemment si, prenant une partie contraire, j’emploie tous mes soins à me tromper moi-même, feignant que toutes ces pensées sont fausses et imaginaires, jusqu’à ce qu’ayant tellement balancé mes préjugés qu’ils ne puissent faire pencher mon avis plus d’un Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 11 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute d’image tombe en situation de folie ; supporté jadis par la fureur de l’imagination créatrice, il est maintenant attiré par une folie néantisante, voulant démasquer le vide du vraisemblable. Nous avons déjà décrit cet aspect du doute, mais il importe d’en approfondir le moment conclusif. Selon l’ancienne méthode dialectique, le doute devait conduire l’adversaire à se persuader qu’en reniant la vérité, il l’impliquait. Nous avons souligné l’inefficacité de cette persuasion, dans la mesure où, ne produisant qu’une opinion, elle ne pouvait franchir les limites du vraisemblable. Descartes a évité cet écueil en ramenant la fonction de l’imagination à son niveau zéro, la vidant entièrement du vraisemblable, qui n’est plus, alors que le « je pense » existe hors de toute apparence. côté que de l’autre, mon jugement ne soit plus désormais maîtrisé par des connaissances de la vérité », R. Descartes, Méditations, I A.T. IX.17). Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 12 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute 73- Le doute gnoséologique de Vico ’esquisse du cogito que je viens de tracer suit l’itinéraire des Méditations. Tandis que, dans les Discours, Descartes est passé du cogito au esse avec la préoccupation d’en souligner l’enchaînement « cogito, ergo sum », dans les Méditations il a abandonné ce souci, en laissant apparaître le « j’existe » en opposition dialectique avec le doute. Nous noterons aussi que l’équation « doute – pensée » demeure en arrière-plan. Dans ce texte, Vico semble s’être inspiré des Méditations, puisqu’il interprète le cogito cartésien comme un processus de doute (dubitazione), ce qui était compréhensible puisqu’il suivait la philosophie traditionnelle qui s’appuyait moins sur le cogito que sur le doute. Les Méditations lui ont donné cependant l’assurance de se trouver dans sa démarche en accord avec Descartes. Cependant une différence apparaît quant à l’objet du doute, qui ne concernerait chez Vico que l’existence du sujet. Mais cette restriction n’est qu’apparente, le doute sur l’être véritable du sujet impliquant aussi la remise en question de toutes les Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 13 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute autres connaissances. Loin de le restreindre, Vico a montré, au contraire, le souci de l’étendre à tous les faits de conscience, y compris à l’existence du sujet. Il est possible qu’il soit resté perplexe devant le texte cartésien qui semble donner à penser que l’existence du sujet n’ait pas été remise en doute. Nous reviendrons sur ce passage. Dans cette hypothèse, Vico aurait appliqué le doute à l’existence du sujet, pour bien montrer que même l’existence du sujet ne lui a pas échappée. Cette universalité du doute est requise par l’écart gnoséologique qui est à sa base : rappelons que, chez Descartes, le doute est fondé sur la double marge de possibilité offerte par la logique des propositions probables. Tout ce qui est probable ou vraisemblable peut apparaître aussi bien vrai que faux. Le doute exploite cette dernière alternative9. Chez Vico, il surgit de l’écart entre la conscience de fait et la connaissance. Chez Descartes, le sujet doutant n’est que l’ego imaginatif qui agit sur le vraisemblable pour le « ... tant que le considérerai telles qu’elles sont en effet, c’est à savoir en quelque façon douteuses, comme je viens de montrer, et toutefois fort probables, en sorte que l’on a beaucoup plus de raison de les croire que de les nier » (R. Descartes, Méditations I, A.T. IX,17). 9 Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 14 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute vider de toute apparence de vrai. Cependant que le « je » pensant s’entoure du silence de l’attente, prêt à apparaître à la mort du vraisemblable : chez Vico le doute, fonction du sujet pensant, ne recherche pas la persuasion, mais l’enquête et l’interrogation sur les connaissances de fait de la conscience. Le sujet, percevant alors sans le savoir son existence, s’interroge sur lui-même : suis-je ? interrogation qui n’apparaît pas au cours du doute cartésien. Certes, chez Descartes, le sujet, producteur d’images, s’interroge sur son être au monde, il doute s’il est en état de veille ou de rêve, mais il remet ainsi en question des situations et non des faits d’existence. Quant au sujet pensant pur, il ne s’interroge pas, sûr de posséder la vérité qui lui demeure cachée jusqu’à son dévoilement. Le sujet pensant vichien revendique le doute pour lui-même, car il est ce doute. Loin de s’enfermer dans l’attente de sa propre manifestation, il va à la rencontre de tous les faits de conscience, non pour les anéantir mais pour les assumer. Il doute parce qu’il ne sait pas, mais aussi parce qu’il doit savoir. Il ne vient pas du monde, et cependant il appartient au monde. Le doute surgit d’un être qui est problème. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 15 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute Descartes avait intériorisé le doute dialectique, Vico le doute sceptique. Les sceptiques auraient pu dire « je doute, donc je ne sais pas si j’existe, précisément parce que je ne pense pas ». Vico a arrêté l’argumentation du sceptique au moment où le sujet pensant se perd dans le doute, subissant ainsi une influence décisive de la part de Descartes. Pour Vico, le sceptique aurait pu dire « je ne pense pas vrai », mais il n’aurait pu permettre que le « je » pensant se noie dans le doute, parce qu’il doute. S’il doute, il existe comme doutant, et il se pose en situation de droit à l’égard des faits de conscience. Il est curieux de remarquer que Vico ait pu accuser Descartes de scepticisme, alors qu’il est le véritable héritier du doute sceptique. Continuateur du doute sceptique comme Descartes du doute dialectique, il s’oppose cependant au scepticisme, tout autant que l’autre à la dialectique. Il est possible que le mépris manifesté par Descartes à l’égard de la dialectique jaillisse d’un penchant dialectique refoulé, de même que l’aversion de Vico à l’égard du scepticisme ne soit que la projection d’une exigence sceptique, fondamentale à sa pensée. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 16 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute 74- La « res cogitans » appelons les paroles par lesquelles Descartes a décrit dans la seconde Méditation le passage du doute au « j’existe » : « Je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucun esprit, ni aucun corps : ne me suis-je donc pas persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je ne me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose... De sorte qu’après y avoir bien pensé et avoir examiné toute chose, enfin il faut conclure et tenir pour constant que cette proposition : je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois dans mon esprit. »10 Il faut distinguer deux moments dans le processus méthodologique cartésien : celui du doute et celui de la persuasion. En effet, puisque le doute est dialectique, il a pour tâche d’éloigner le sujet de toute adhésion au vraisemblable et de le persuader que le contraire du vraisemblable, c’est à dire le faux-semblable, est vrai. Descartes a affirmé expli10 R. Descartes, Méditations I, A.T. IX, 19. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 17 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute citement qu’il était convaincu de la non-existence du monde. Concernant la non-existence du sujet lui-même, il a posé une interrogation qui pourrait être interprétée autant de façon négative que positive : « ne me suis-je donc pas persuadé que je n’étais point ? » Dans l’hypothèse où il ne s’était pas persuadé, le processus critique devrait être interprété de la manière suivante : ayant douté qu’il n’existait pas, le sujet doutant s’aperçoit qu’il lui est impossible de s’en persuader, car l’affirmation qu’il n’existe pas impliquerait la négation de lui-même, comme sujet de cette affirmation. Il existe donc par l’impossibilité de se persuader qu’il n’existe pas. Cette interprétation ne serait pas cependant tout à fait en accord avec la logique du doute. Car comment le sujet doutant pourrait-il s’arrêter dans son processus de persuasion, s’il n’est que fantastique, abandonné sans merci au jeu de l’imagination ? Que lui importerait d’être mis en contradiction avec lui-même, s’il n’est pas réglé par les premiers principes puisqu’il est convaincu qu’ils sont faux ? Si le « j’existe » n’est pas renié comme toutes les autres connaissances, il se posera de façon acritique. Il surgira par surprise, non de la dialectique du Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 18 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute doute, mais parce qu’il aura su échapper par une ruse méthodologique à sa négation. Ainsi le processus critique du doute aboutira à une farce où le vraisemblable, pourchassé partout, réapparaît sous le masque du « j’existe ». Dans la seconde hypothèse, il convient de considérer l’interrogation prononcée par le « je » pensant pur qui sort de sa parenthèse pour tirer les conséquences du doute, confiée à la fonction imaginative de l’ego. Le processus du doute passe du niveau dialectique à celui de la réflexion critique. Le « je » constate qu’il s’était bien persuadé que le monde n’existait pas. Il s’interroge sous une forme ambiguë, à la fois douteuse et affirmative : « ne me suis-je donc pas persuadé que je n’étais point ? » Il s’agit maintenant de confirmer pour lui la validité de l’œuvre accomplie par le « je » doutant, et de passer de la persuasion à la conviction. De même qu’il s’était persuadé qu’il n’existait pas, peut-il maintenant s’en convaincre ? Non, il existe, parce que, réfléchissant sur le doute, il pense au moment même où il croyait ne pas exister. Ainsi la rhétorique se trouvait-elle confondue au seuil de la pensée critique. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 19 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute Cette interprétation nous offre la possibilité de replacer le cogito dans sa logique, et d’y découvrir une tension correspondant à la crise de conscience manifestée à la fin du XVI° siècle. Je reviens une fois encore aux origines du Quattrocento, pour souligner l’accent mis par les humanistes, détournés de la métaphysique, sur le pouvoir créateur de l’homme. L’ouverture à l’histoire s’était substituée à l’attente eschatologique, la vertu avait été supplantée par la bravoure, la philosophie par l’art, la recherche de l’être par celle du verbe (philologie). Ainsi l’homme avait été défini comme existence, dont l’être était son propre accomplissement par les œuvres. La crise fut ressentie par tous ceux qui recherchèrent l’être au-delà de l’existence. Elle fut, avant tout, accusée par les théologiens dans les disputes avec les premiers humanistes, comme Dominici, mais d’une façon bouleversante pour toute l’histoire future par Luther et les Réformateurs qui virent dans cette exaltation de l’œuvre la déification de l’homme à l’encontre du Christ. En se confiant dans les œuvres, l’homme se détachait de son salut qui est Grâce. Encore que cette crise fut enquête, pénétration Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 20 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute intérieure et drame spirituel chez Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, qui virent dans l’aboutissement des œuvres l’absence de Dieu. Ils ont voulu refaire, à partir des œuvres, le chemin allant vers Dieu à travers le néant. Nada ! C’était plus que l’enfer de Dante, mais le moment où toute activité de l’homme s’arrête et où les idées s’évanouissent, en même temps que les images ; l’homme ne perçoit que le dévoilement du non-être, l’heure zéro du temps de l’homme, la nuit obscure qui appelle la lumière par la totalité des ténèbres, le jugement de l’homme faiseur d’idoles par l’absence de Dieu. Mais du sein de cette nuit et par la négation de son être au monde et de sa propre créativité, l’homme se découvre existant par la foi. L’expérience cartésienne semble, dans la recherche de la certitude, retracer au niveau philosophique l’itinéraire mystique de Jean de la Croix. Au départ, on retrouve chez l’un et chez l’autre la conviction que l’œuvre de l’homme n’est que du vraisemblable, ainsi que la volonté de pénétrer dans l’univers d’apparence afin d’en dévoiler le non-être total, l’absence de toute activité humaine en face de l’être. Dans cette négation, nous retrouvons l’affirmation de l’existence sous l’apparence, l’une par la foi, l’autre par l’évidence. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 21 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute Ce parallèle pourrait être poursuivi avec d’autres expériences de cette crise, surtout avec celle que Cervantes projette et dramatise dans Don Quichotte. Sous la devise du chevalier, son héros est la personnification de l’homme idéal propre à la Renaissance qui, selon la description de Machiavel, s’oppose au destin et aux hasards de la nature par son art et ses exploits. Autour de cet homme, Cervantes n’a aperçu que le néant. Il a cherché à représenter dans les exploits de son héros le tragique de cette relation de l’homme au néant pour le conduire à la redécouverte de lui-même par la destruction de son masque de chevalier. Ainsi don Quichotte affronte ses ennemis, donne l’assaut à ses châteaux, conquiert sa Dame, cherche par les armes et la bravoure à réaliser la justice parmi les hommes. Mais il ne combat que ses propres images, qui le détournent de la réalité. Il ne s’aperçoit pas que sa réalité est vide. Ainsi l’homme de la Renaissance, qui avait cherché à exister selon le dignité et son pouvoir créateur, est dévoilé dans sa réalité. Il était un aliéné, il était don Quichotte de la Manche poursuivant des rêves et des fantasmes de grandeur ; il ne pourra Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 22 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute recouvrer ses sens que lorsque toutes ces images auront été anéanties, c’est à dire lorsqu’il aura renié les œuvres sur lesquelles il avait fondé son être propre pour surgir dans la nouvelle existence d’un homme, et non d’un chevalier ou d’un magicien. En me référant à la fonction pensante du cogito, j’avais déjà relevé son caractère faustien. Je viens de mettre en parallèle le cogito et l’expérience mystique, en considérant le doute comme la purification du cogito. Ce nouveau parallèle se justifie si l’on considère le processus de doute lui-même, où l’homme est abandonné à la logique de son imagination, ne poursuivant que des images, cependant symboles des œuvres que l’homme a pensées et faites. Comme don Quichotte, l’ego cartésien découvre sa véritable existence à partir de la folie qui anéantit en lui toute foi dans les œuvres. Descartes a intériorisé en lui-même la folie de don Quichotte pour découvrir sa véritable existence. Ces considérations manifestent dans le cogito l’expérience d’un drame intérieur qui, propre à Descartes, a correspondu cependant à une crise de culture et à la dialectique de l’esprit humain. Elles Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 23 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute impliquent au préalable, entre le doute et la pensée pensante, une tension profonde que Descartes a semblé méconnaître. Dans le Discours, Descartes a affirmé la parfaite adéquation du cogito et du doute, car dans la séquence « cogito, ergo sum », le cogito n’est que le sujet doutant : cogito parce que je doute. Dans les Méditations, le doute et le cogito manifestent un certain écart. Il semblerait aussi que le processus critique passe du doute à l’existence sans que le cogito apparaisse. À une étude plus attentive, le « j’existe » s’appuie sur le « je pense », mais l’identité entre le « je doute » et le « je pense » peut-elle expliquer leur tension ? Rappelons que, dans la Règle XII, Descartes a inclus dans le « je pense » à la fois la mémoire, l’imagination, l’ingenium et la pensée pure11. Le cogito est ainsi le sujet pensant, présent en différentes fonctions de l’esprit. La dialectique du doute est rendue possible par le rapport entre l’unité de la conscience et ses différentes fonctions. Dicté par le « je pense » comme exigence de 11 R. Descartes, Regulae XII, A.T. X, 415-416. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 24 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute vérité, le doute s’exerce au niveau de la fonction imaginative, productrice de vraisemblable. La conscience se livre ainsi à un exploit de pure imagination, ravivant en elle-même non seulement l’enfance vécue, mais aussi celle qui aurait pu vivre. L’aboutissement négatif de cet exploit l’a conduite à son échec. Elle résiste au doute se situant au-delà de la fonction productrice d’images. Au moment où elle se persuade que rien n’existe, elle se convainc qu’elle existe en tant que pensante. À ce point, il convient d’approfondir la relation entre le « je pense » et le « j’existe ». Il est possible de concevoir le doute à travers les étapes suivantes : je doute, j’existe, je pense. Je doute sur toutes les connaissances acquises concernant les choses, aussi bien que sur l’existence du sujet lui-même. Mais au moment où le doute s’accomplit dans la persuasion que je n’existe pas, je me découvre existant dans l’acte de l’affirmation que je n’existe pas. Nié dans l’instance de la proposition comme objet, je suis existant en acte comme sujet. Cependant la conscience de cette existence serait soumise au doute, si elle restait du domaine de la persuasion. Il convient donc qu’elle soit assumée Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 25 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute par le « je » pensant pur. Ainsi j’existe dans la mesure où, me persuadant que je n’existe pas, je pense. En pensant, dans la tentative d’inscrire la persuasion dans l’acte de la conviction, je me découvre existant. Le véritable processus du doute deviendrait ainsi : je doute, je pense, j’existe. Descartes a affirmé que le « j’existe » est vrai, non seulement au niveau de l’expérience, mais aussi de celui de l’énoncé. Il faut cependant que la proposition « j’existe » ne soit pas considérée en soi, mais en relation avec la pensée pensante ; elle est donc vraie dans l’acte où elle est pensée ou dite. Coupée de l’acte en acte de la pensée, elle deviendrait douteuse, signifiant davantage que la réalité à laquelle elle se réfère. Au cours des Méditations, le « j’existe » a été exprimé de manière différente par les expressions « je suis une chose qui pense » ou par « substance pensante », sans que Descartes ait accusé un changement de sens12. Cette dernière expression du cogito constitue le point de désaccord dénoncé par Vico. Il faut reconnaître que les mots « res » et « substance » n’étaient pas inclus dans la première 12 R. Descartes, Méditations II, A.T. IX, 21-22. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 26 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute expression : ils avaient été trop employés dans la philosophie des écoles pour ne pas être piégés. On serait tenté d’expliquer la res cogitans comme une vérité simple, déduite de la proposition « je pense ». Il s’agirait alors du renversement du cogito sum en sum cogitans, dans la mesure où le sum et le cogito se compénètrent dans le même acte. Mais cette explication impliquerait un paralogisme grossier, car le mot sum, employé une fois pour l’existence, une autre comme copule prédicative, serait équivoque. On passerait alors d’une proposition d’existence à une proposition d’essence, ce qui est impossible puisque le sujet, en se percevant existant, ne sait pas encore ce qu’il est. Faut-il l’expliquer comme étant une expression symbolique se rapportant directement à l’expérience du cogito ? Les mots « res » ou « substance » ne désignent pas la notion de res ou substance de la philosophie, mais le « je suis » de l’expérience. Ainsi le cogitans n’est pas à proprement parler un attribut, mais le symbole du « je suis ». L’énoncé « res cogitans », chose ou substance pensante, ne serait que l’expression symbolique du rapport entre la pensée et l’existence de l’expérience critique. La pensée existante est res, subsSite de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 27 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute tance en ce qu’elle s’affirme en opposition à l’apparence du vraisemblable. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 28 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute 75- Je doute : l’être est e caractère gnoséologique du doute vichien implique de considérer le vraisemblable en opposition au cogito cartésien. Tandis que, pour Descartes, le vrai-semblable était illusoire, pour Vico il était un fait revendiqué par la conscience pour sa propre existence. Pour l’un, le doute se fondait sur le vraisemblable comme un ennemi, pour l’autre il ne cherchait pas « à abolir, mais à parfaire ». Le « je » cartésien considérait le doute comme un service que l’imagination devait lui rendre pour la manifestation de sa vérité. Le « je pensant » n’était pas à proprement parler à la recherche de la vérité, mais d’une situation de liberté et de pureté, lui permettant de s’en approcher. Chez Vico, le « je pensant » est celui du doute. Mais douter représentait déjà une activité nouvelle par rapport à celle qu’il avait des choses et de son être. En doutant, il se plaçait en situation de droit, en face de ses connaissances qui n’étaient faites que de conscience. Il s’interrogeait pour savoir si ces faits étaient vrais, mais il lui aurait été impossible de s’interroger s’il n’avait pas porté en luimême le « vrai », c’est à dire une unité de mesure Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 29 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute lui permettant d’aller au-delà des faits. Ainsi, en doutant sur les faits de sa propre existence, il se posait en existant de droit. Vico, comme Descartes, a posé des équations à clarifier, en premier lieu celle du vrai et celle de l’être. Rappelons que l’interrogation avait été posée en ces termes : « si je suis ou ne suis pas ». Il s’agissait de savoir si l’être dont nous prenons conscience est véritablement être, ou illusion. Les mots « être » et « vrai » jouaient ainsi un rôle, pour l’un matériel, pour l’autre formel. Ainsi la recherche formelle du « vrai » et du « faux » coïncidait avec celle, matérielle, de l’« être » et du « nonêtre » L’affirmation de l’existence du vrai dans le sujet impliquait l’existence en lui de l’être. Puisque l’être existe dans le sujet, il est idée. Cette seconde équation indiquait déjà que le cogito vichien était un horizon sans étoiles, puisqu’il ne possédait pas de vérité toute faite : on n’y trouve que la lumière. L’idée de l’être n’était pas l’idée de quelque chose, ni même de la chose, mais chose comme idée, c’est à dire « choséité », ou raison objective transcendantale des choses. Il a affirmé aussi que cette idée est Dieu. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 30 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute Il m’est impossible d’approfondir ici cette affirmation, que je me propose d’analyser ultérieurement. Je voudrais seulement préciser qu’il ne s’agissait pas de Dieu comme « substance », mais en tant qu’objectivité transcendantale métaphysique, qui s’inscrivait à la fois dans le cadre des recherches gnoséologiques de Ficino et de Malebranche et dans celles de Bruno. Vico n’a pas aperçu au niveau transcendantal la distinction entre logique et métaphysique, ouvrant le chemin à la philosophie de Rosmini et de Gioberti. Ainsi les caractères qu’il découvrait dans l’être – éternité, infinitude et liberté – étaient des propriétés à la fois logiques et métaphysiques. Au terme de ce processus se pose une interrogation sur le cogito. Vico s’est-il désintéressé de l’existence du cogitans ? Son souci avait sans doute été de relever l’existence du vrai et de l’être ; mais la reconnaissance de l’existence du vrai entraînait inéluctablement celle du sujet doutant comme sujet pensant. Ainsi le processus critique de Vico n’aurait été qu’un cercle gnoséologique : je doute – le vrai est – je pense, qui se serait séparé du cogito cartésien sur deux points, l’un concernant la relation du cogito au esse, l’autre du « je suis » au « il Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 31 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute est ». Pour Descartes, le passage du doute au « j’existe » avait exigé la présence du « je pense », puisque le doute n’était pas de la pensée à proprement parler, mais de la persuasion rhétorique. Chez Vico le sujet du doute était, au contraire, le pensant lui-même, non encore parvenu à la complète conscience de soi. Ainsi le « je doute » de Vico était le « cogito » de Descartes. Quant au second rapport, il convient de préciser que l’expression « le vrai est » n’affirmait pas l’être subsistant, mais l’être comme idée de sujet, en tant qu’objectivement transcendantale, dévoilant le sujet doutant comme sujet pensant. En effet l’action du doute est pensée, dans la mesure où il n’est pas imagination, mais interrogation et enquête sur l’être du vraisemblable. Ainsi, la critique vichienne aboutissait à la position critique du « je pense », quant à son existence et à son essence d’être pensant, alors que le doute cartésien conduisait à l’affirmation de l’existence du « je pense » sans le dévoiler dans l’être pensant13. Il convient de dire, en ce cas, soit que la nature du « je pense » restait inconnue au cogito, 13 R. Descartes, Méditations II, A.T. IX, 19. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 32 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute soit qu’elle était connue d’avance de façon acritique et dogmatique. Cet aspect critique des deux doutes fera l’objet d’une étude au paragraphe suivant. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 33 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute 76- Valeur critique et autocritique du doute arvenu à ce point de la recherche, il convient de réfléchir à la valeur critique des deux doutes. Descartes a explicitement avoué à plusieurs reprises que l’intention du doute est la recherche de la vérité14. Toutefois, lorsque le doute intervient, cette intention demeure en suspens. Avec raison, d’ailleurs, puisque le doute doit se poursuivre comme une action de persuasion en deçà du domaine de la vérité. Évitant l’impasse de Platon, pour qui la vérité était certifiée par sa propre évidence, Descartes avait soumis au doute l’évidence elle-même, afin que le vrai puisse s’affirmer en opposition au doute, persuadeur de faux-semblable. Il convient toutefois de reconnaître que le « je pense » n’avait qu’une valeur critique relative, puisqu’en ne s’identifiant pas avec le doute, il puisait sa certitude dans une fonction qui lui était étrangère et qui ne jouait qu’un rôle de signe. Il suffit de souligner le propos qui ouvre la première Méditation : « ... il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j’avais reçues jusqu’alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences » (R. Descartes, Méditations I, A.T. IX, 13). 14 Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 34 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute Ainsi, l’idée de son être était vraie, non parce qu’il en saisissait la conformité à son être réel, mais parce qu’il en trouvait l’indice dans la résistance qu’elle opposait au doute persuasif. S’il faisait abstraction de ce signe, il demeurait en lui-même tout à fait acritique, parce qu’il lui manquait l’expérience que l’idée de son être pensant était conforme à la réalité. Authentifié par un signe extérieur, il restait exposé au doute à l’intérieur de luimême. Ce doute était différent du premier, qui s’était déroulé en marge du « je pense », ayant pour tâche d’ôter les préjugés et les illusions par la persuasion. Au contraire, le nouveau doute atteignait le « je pensant » dans sa fonction de pensée, et il possédait un caractère métaphysique. En effet, comment pouvait-il s’assurer de la valeur objective de l’idée de soi, s’il ne la maîtrisait que par l’idée ? Il fallait trouver une idée qui impliquât nécessairement l’existence de la chose exprimée. Or Descartes l’a trouvée dans l’idée de Dieu15 qui, à la différence des autres, exigeait a posteriori comme a priori l’existence de son objet. Mais si l’idée de Dieu était vraie, devait l’être aussi celle 15 R. Descartes, Méditations IV. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 35 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute du « j’existe » qui en était le support. Ainsi le cogito parvenait-il à sa parfaite certitude critique, non seulement par un signe, mais intérieurement par l’expérience que l’idée du « je pensant » était objectivement vraie. Pour que les preuves de l’existence de Dieu aient leur valeur critique il faut, pour notre part, renoncer à les comprendre par un procédé déductif à partir du cogito. S’il en était ainsi, elles seraient conditionnées au cogito qui en serait le principe, et elles ne pourraient pas apporter de surplus de valeur critique. La recherche de l’existence de Dieu s’expliquait au contraire par une rupture que le doute métaphysique opérait dans le premier processus critique, car ce qui devenait objet de doute n’était plus le vraisemblable, mais le cogito qui avait surgi du premier doute. Un vide s’ouvrait au sein du « je pense », l’ego qui apparaissait si sûr, si éclairé, doutait à nouveau et s’aliénait. Il s’agissait, cette fois, de sa folie qui l’affectait comme pensant, parce qu’il s’abandonnait à l’hypothèse que Dieu, en le trompant, lui aurait donné des idées sans correspondance avec la réalité. Il ne restait à Descartes d’autre issue que celle qu’il avait adoptée lors de la première crise : assumer ce nouveau doute pour l’opposer à cette Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 36 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute hypothèse folle, comme auparavant il l’avait dressé contre le vraisemblable. Si l’hypothèse du Dieu trompeur était vraie, toutes les idées, y compris celle de Dieu, devenaient vides. Ainsi, il devait être possible de considérer l’idée de Dieu sans y trouver un lien avec la réalité. Or l’analyse de l’idée de Dieu résistait au doute, comme le « j’existe » avait échappé au doute topique. Si Dieu existe dans sa propre réalité, l’idée de Dieu est vraie, celle aussi du « j’existe », donc j’existe vraiment. Une différence profonde sépare l’affirmation du premier « j’existe » de celle qui suit l’existence de Dieu : la première, fondée sur un signe extérieur, est hétéro critique, la seconde, fondée sur l’activité du « je pensant », est autocritique. Vico a parcouru en une seule étape les deux moments de l’itinéraire de Descartes. Un parallèle entre les deux doutes devient à ce moment-là plus pertinent, dans la mesure où il se déroule au sein du « je pensant ». Nous avons souligné que chez Descartes le doute marquait, même à ce niveau, une certaine aliénation : le « je pensant » était supporté par une hypothèse, fruit d’une imagination dont il n’avait pas encore réussi à se libérer. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 37 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute Le doute métaphysique poursuit le fantasme du « je pensant ». Au contraire, chez Vico, le doute n’a pas aliéné le « je pensant », parce qu’il constituait la démarche même de son existence. Quant à l’aboutissement final du doute, l’accord entre les deux philosophes semble parfait, car tous deux sont parvenus à affirmer l’existence du « je pense » par la prise de conscience du « il est » de Dieu. Mais alors que Descartes en est sorti entièrement rassuré et contemplateur de la vérité, Vico n’en a été que l’enquêteur. En effet, le « je suis » ou le « j’existe » cartésiens sont davantage que l’affirmation de l’existence du sujet, ils sont aussi une proposition objectivement vraie que Vico a appelée, à juste titre, primum verum. Chez Descartes, le processus critique a prétendu répondre exhaustivement aux exigences du problème épistémologique de la certitude, de l’objectivité et de la valeur argumentative de la connaissance. Au contraire, Vico n’a reconnu dans le sujet que le droit à une vérité qu’il fallait rechercher et établir. En bref, le « je pensant » cartésien est existence des choses, tandis que le « je » vichien n’est qu’existence pensante. Chez Descartes, le pensant est, chez Vico il devient. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 38 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute Cette démarche critique nous permet de porter notre attention sur le principe aristotélico-thomiste « intellectus fit omnia » que Vico a posé comme principe de la connaissance, de sorte que si la métaphysique établit que « homo intelligendo fit omnia », la métaphysique poétique démontre que « homo non intelligendo fit omnia ». Peut-être même cette seconde affirmation est-elle plus fondée, car si par son intelligence l’homme déploie ses facultés et parvient à comprendre, lorsqu’il est privé de cette intelligence, il fait de lui-même ces choses, et en se transformant en elles, devient ces choses mêmes16. Il serait possible de chercher à comprendre la première et la dernière démarche de la pensée de Vico dans le cadre de ce principe. Dans le De ratione, Vico a manifesté une certaine assurance cartésienne. Bien que sachant que le « je pensant » ne contenait pas de vérités toute faites, Vico a eu conscience qu’il pouvait les posséder par l’exercice de la connaissance « cognoscendo fit omnia ». S’il n’a pas eu la certitude de connaître les choses, il a eu celle de pouvoir les connaître. Au contraire, dans la Science nouvelle, il a mesuré l’écart séparant la connaissance de droit de celle 16 J.-B. Vico, La science nouvelle, Trad. Doubine, Nagel, Paris, 1953, n. 405. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 39 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute de fait. Il a réfléchi que l’enfance précède l’âge adulte, et qu’elle ne peut que s’opposer à la raison. À son doute gnoséologique s’est ajouté celui de caractère cartésien qui posait le sujet pensant en face du vraisemblable. Alors le « je pensant » de Vico tombait aussi dans une situation de folie, plus radicale et plus antinomique que celle de Descartes, pour qui l’enfance n’obscurcissait pas la connaissance évidente des choses, mais le pouvoir de les connaître. La conscience de soi n’avait plus alors qu’à assumer ce doute et à s’acheminer vers la recherche des vérités, persuadée de ne pas pouvoir les connaître. Jadis le « je pensant » devenait les choses « cognoscendo », maintenant il les devient « non cognoscendo ». C’est la folie du poète. Ne pouvant se confier à la raison, le sujet se livrait à l’imagination qui l’obligeait à l’effort suprême pour atteindre l’être par le dépassement du vraisemblable. C’est l’imagination créatrice, au-delà du possible et du croyable. Ainsi Vico parfaisait-il son anti cartésianisme au moment où il assumait le doute cartésien : en doutant, il parvenait à affirmer l’existence du sujet pensant au-dedans de l’activité créatrice de l’imaSite de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 40 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute gination. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 41