Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico
Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 7- Le « cogito » cartésien et l’interprétation vichienne du doute
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Ennio Floris
La rupture cartésienne et la naissance
d’une philosophie de la culture
dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico
Le De nostri temporis
studiorum ratione
(1708)
7- Le « cogito » cartésien
et l’interprétation vichienne du doute
71- Vico interprète de Descartes
ico avait tenté, dans les Discours, d’es-
quisser une synthèse de l’humanisme et
du cartésianisme. Il n’avait vu en eux
que des mouvements complémentaires
qui, en s’inspirant de l’oracle de Delphes, condui-
saient à la conscience de soi, le premier par la
philologie, le second par la philosophie. Son souci
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étant culturel, Vico s’était alors contenté de souli-
gner leur complémentarité sans chercher à mettre
en évidence leurs oppositions
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. Aussi n’avait-il pas
cherché à savoir si le système cartésien pouvait
supporter un tel voisinage. Ses paroles avaient été
plus pédagogiques que théoriques, et il n’avait pas
cherché à en connaître l’efficacité auprès de ses
élèves. Les mots-clés de ses exhortations oratoires,
« vérité » et « digni », montraient qu’il entendait
orienter les jeunes vers l’humanisme et vers la
critique cartésienne.
Mais les jeunes, comme nous l’avons constaté, ne
semblaient pas répondre à son appel. Aussi, à partir
du De ratione, Vico prit conscience qu’un affronte-
ment entre les deux courants était nécessaire s’il
voulait que l’un ne fit pas obstacle à l’autre. Dans
cette œuvre apparurent les tensions qu’il avait
prudemment contenues, et l’accord qui semblait
acquis devint l’objet d’une recherche laborieuse et
passionnante ; car même si Vico n’entendait pas
remettre en question la critique cartésienne en la
confrontant à l’humanisme, il a été amené à la
limiter dans ses prétentions méthodologiques.
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Première partie, chapitre 1.
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À ce propos, on peut se demander comment Vico a
pu donner du cartésianisme une interprétation lui
permettant de le critiquer sans le renier. Or le De
ratione ne contient pas de texte concernant directe-
ment le cogito. Cependant cette assimilation per-
sonnelle du cartésianisme reste sous-jacente à
l’œuvre, et il serait fâcheux de ne pas chercher à la
faire ressortir. Parmi les textes vichiens concernant
le cogito, l’un d’entre eux semble refléter une telle
approche : celui d’une annotation que l’auteur
avait ajoutée à la dernière édition de la Science
nouvelle et qui remonte fait curieux à première
vue à 1731. Quoi qu’écrite à une époque tardive,
cette glose contient la marche personnelle criti-
que à laquelle Vico est toujours resté fidèle.
Il convient de rappeler qu’à la suite de Platon et
d’Aristote, les philosophes de la Renaissance, tels
Ficino et Campanella, avaient employé le doute
dans leur recherche épistémologique. Vico n’a
jamais considéré l’approche critique par le doute
comme la propriété exclusive de Descartes. Selon
la tradition philosophique, il a recherché son
propre itinéraire critique, par lequel il a osé se
mesurer avec le grand philosophe français.
Ce texte nous permet donc de connaître le fonde-
ment de l’attitude critique de Vico et les limites de
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son adhésion au cartésianisme, à la lumière de sa
propre compréhension philosophique du problème
de la certitude. Il se trouve, en effet, d’accord avec
la marche cartésienne, mais il en dénonce aus-
sitôt les déviations, prenant son processus pour
modèle. Sa critique de Descartes a donc été modé-
rée et éloignée de la contestation radicale du De
antiquissima italorum sapientia.
J’ai pensé étudier ce texte à partir de la tension à
l’égard du cogito cartésien, pour mieux compren-
dre à la fois les raisons profondes qui justifiaient la
rupture cartésienne et les fondements philosophi-
ques qui autorisaient Vico à entreprendre son
œuvre de conciliation.
« Ainsi, les philosophes ne doivent reconnaître en
métaphysique aucun vrai qui ne relève de l’être
véritable, qui est Dieu. René Descartes l’aurait
sans doute reconnu sil avait prêté attention au
doute porté sur son propre être. Car si je doute
d’être ou non, je doute sur mon être véritable, que
je ne pourrais pas rechercher si le véritable être
n’existait pas. Il est, en effet, impossible de recher-
cher une chose dont on n’a aucune idée. Or, puis-
que je doute de mon être, et non de l’être véritable,
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l’être véritable est réellement distinct de mon être.
En effet, mon être est limité par l’espace et le
temps qui le déterminent. C’est pourquoi l’être
véritable est incorporel, au-delà de l’espace et du
temps, qui est mesure de l’espace selon la succes-
sion du mouvement. En conséquence de ce que
nous venons de dire, l’être véritable est éternel,
infini et libre.
S’il avait agi en bon philosophe, René Descartes
serait parti d’une idée très simple qui exclut toute
composition, telle que celle de l’être. C’est pour-
quoi Platon, mesurant le sens des mots, avait ap-
pelé la métaphysique ontologie, c’est à dire la
science de l’être. Méconnaissant l’être, Descartes
veut connaître les choses à partir de la substance
qui est un mot impliquant une relation entre un
"dessous" et un "dessus", dont l’un supporte et
l’autre est supporté. »
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J.-B. Vico, La scienza nuova, R. 33, pp. 595-596.
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