Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico
Le De nostri temporis studiorum ratione (1708) : 6- Le vraisemblable et le sens commun
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fictive ou fausse, puisqu’il pouvait
rivaliser avec Dieu lui-même, qui se
montrait dans sa création soumis aux
exigences du vrai !
Certes, tous n’étaient pas de cet
avis. D’autres voulaient que l’œuvre
soit au moins assujettie aux conve-
nances du « croyable » topique,
même quand elles étaient logique-
ment impossibles. Aristote leur of-
frait encore une formule suggestive :
l’« impossible croyable »
. Rendre
croyable l’absurde ! N’était-ce pas
faire du poète et de l’artiste un dé-
miurge capable de créer des êtres
« merveilleux et sublimes » ?
Mais pourquoi – insistaient en
retour les autres – s’arrêter aux li-
« Il vaut mieux faire choix de l’impossible
vraisemblable (adunata eikota) que du
possible incroyable (adunata apitana) »,
Aristote, Poétique, XXV, 7.
Aristote a voulu définir la relation du
poétique au logique et au topique. L’œu-
vre d’art peut se rapporter à une repré-
sentation possible logiquement, mais tel-
lement extraordinaire qu’elle demeure in-
croyable. Il est alors préférable de produi-
re une œuvre impossible au niveau logi-
que, mais croyable. À partir de ce passage,
les rhétoriciens et les esthètes baroques
ont développé une théorie esthétique qui
pourrait s’appeler « du merveilleux »,
cherchant à conduire la poésie au-delà
même de ces limites, jusqu’à l’impossible
croyable.
Patrizi parle ainsi de l’activité du poète :
« Il fingere cose impossibili e incredibili
erano poetiche e per conséguente erano
offici e mestiere del poeta » (Patrizi, Della
poetica, Instituto del Rinascimento, Firen-
ze, 1969, Vol III, Della poetica admirabile,
p. 299).
mites du « croyable » ? Il fallait
créer des idoles tout à fait libres des
conditions imposées non seulement
par la logique, mais aussi par la topi-
que. On parviendrait alors à rendre
possible l’incroyable au même titre
que l’absurde. Ainsi la poésie et l’art
deviendraient-ils créateurs de l’objet
et de son espace, qui surgiraient de
la dimension négative de l’absurde et
de l’incroyable. Le problème du vrai
et du faux poétiques se situait au-
dessus du vrai et du faux, du cro-
yable ou de l’incroyable, rejoignant
le sublime. Il n’était définissable que
par rapport à lui-même.
Ces problèmes avaient été égale-
ment soulevés par Vico, que nous
retrouverons plus tard parmi les
défenseurs de l’incroyable possible.
Dans cette page du De ratione, il a
abordé le problème du vraisemblable
à un niveau plus fondamental, dans
le cadre des considérations sur les
langues française et italienne. Si la
première est déterminée par la re-
lation à la pensée, ou « vérité », et
l’autre par la forme ne se rapportant
qu’au vraisemblable, qu’est-ce que
le vraisemblable ? Nous retrouvons
au niveau philosophique le problème
que nous avons déjà examiné au
niveau de la critique du style. Rame-
nant la querelle à son véritable pro-
blème de fond, Vico a voulu indi-
quer le point de départ d’une critique
en profondeur des deux méthodes.