Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico
Les Discours (1689-1717) : 6- Le droit de la guerre et la sagesse du droit
Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr
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Ennio Floris
La rupture cartésienne et la naissance
d’une philosophie de la culture
dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico
Les Discours (1689-1717) :
Vérité et dignité
6- Le droit de la guerre
et la sagesse du droit
Les États sont d’autant plus glorieux militairement
et puissants politiquement
qu’ils sont florissants dans les lettres.
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61- Le problème politique de la guerre
ors de la rédaction de ce cinquième
Discours, la situation politique europé-
enne était particulièrement critique. Le
champ de bataille de la guerre de suc-
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J.-B. Vico, Orazioni inaugurali, Oratio V, pp. 47-55.
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cession s’était transporté d’Espagne en Italie du
Nord, les Français avaient céder devant les
forces de la coalition et repasser les Alpes. Les
Napolitains, qui avaient reconnu Philippe, pou-
vaient craindre le prochain déplacement des com-
bats sur leur territoire.
Malgré tout, la curiosité semblait prévaloir sur la
peur : il ne s’agissait pas d’une invasion de
barbares comme celle des Turcs, mais d’un duel de
prestige entre deux grandes puissances. Tout en
redoutant les combats, les peuples étaient attirés
par le spectacle offert par cette confrontation entre
des titans, ainsi que par l’attente d’un ordre nou-
veau.
L’événement le plus marquant, plus étonnant que
la guerre elle-même, était la disparition de l’Espa-
gne comme grande puissance. L’empire de Charles
V, dont les frontières dépassaient celles du cours
du soleil (ainsi que Vico l’avait rappelé dans son
précédent Discours), la domination invisible mais
inexorable de Philippe II s’étaient écroulés. La
nation parmi les plus grandes par l’héroïsme, le
faste et la bravoure, n’était maintenant qu’un pré-
texte de gloire pour les autres, objet de convoitise
de la part de la France et de l’Autriche.
Avec la fin de la domination espagnole, on devait
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s’attendre à la disparition de la Contre-réforme et
du baroque comme civilisation, sinon comme style,
de la suprématie de la persuasion sur la conviction.
En dépit de la prise de conscience encore confuse
de ce changement, il apparaissait à tous que la
balance allait pencher du côté Nord. La culture
européenne allait trouver ses maîtres en France et
en Allemagne, et se créer une nouvelle Welt-
anschauung par la rencontre du libre examen de
Luther et du cogito cartésien. C’était la naissance
de l’illuminisme.
Il semblerait que Vico ait eu l’intuition de cette
rencontre, car il reconnaît dans le cogito cartésien
l’affirmation implicite d’une liberté personnelle de
jugement, opposée au sensus communis propre à la
tradition
2
. Quoi qu’il en soit, la thèse qu’il place en
exergue de son Discours trahit le double aspect de
cette guerre. Elle utilise, en effet, les expressions
belli gloria et imperio potentes, qui s’accordent au
spectacle du conflit, justifié par le prestige et la
puissance des deux grandes nations ; mais elle
2
« Il senso proprio fatto regolatore del vero », J.-B. Vico, Polemiche relative al
De antiquissima, Opere I, Op. cit. p. 274.
« Si deve certemente obligazione a Renato che volle il proprio sentimento
regola del vero, perché era servitú troppo vile star tutto sopra l'autoritá... Ma
che non regni altro che il proprio giudizio... questo é pur troppo... Ormai
sarebbe tempo de questi estremi ridursi al mezzo : seguire il proprio giudizio,
ma con qualche riguardo all'autoritá ». Cf. pp. 174-175.
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oppose aussi à cette gloire des armes l’efficacité de
la culture, sur laquelle repose en dernière analyse
la force véritable d’une nation.
Il trouve également l’occasion de mieux cerner les
relations entre éthique et politique. Il avait insisté
sur la fonction politique des études libérales com-
me service offert à la société, mais il avait négligé
de parler de l’art de la guerre. La question se posait
alors de savoir comment les moyens utilisés par cet
art terrifiant pouvaient, dans une même république,
s’accorder avec les arts libéraux. En d’autres
termes, il convenait d’envisager comment concilier
l’humanitas et la force.
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62- Les lettres et les armes
’objet de cette nouvelle enquête est
l’opposition entre les lettres et la guerre,
telle qu’elle s’exprime dans l’opinion
publique. Vico cherche donc moins à
résoudre le problème qu’à dissiper des préjugés
populaires. L’antithèse communément ressentie
entre la guerre et la culture provient du fait que
l’une utilise la violence, la lutte et la cruauté, et
l’autre l’oisiveté (otium), la sagesse et la tranquil-
lité ; la première s’appuie sur la force, la seconde
s’associe à la faiblesse. Cette différence existe,
pour Vico, seulement dans le cas les armes et
les lettres sont prises en elles-mêmes, en relation à
leur objet. Au contraire, elle disparaît si elles sont
considérées comme des arts, c’est à dire par rap-
port à l’homme qui les ordonne en vue d’une uni-
que finalité civile.
L’opinion publique est davantage sensibilisée par
cette opposition, parce qu’elle possède de l’homme
une image brisée et partielle. En effet, elle conçoit
l’homme comme mens (c’est à dire « esprit ») ou
bien comme anima (c’est à dire « être animal
sensible »), négligeant de considérer lanimus, qui
est la force du vouloir. Mais on doit définir
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