La rupture cartésienne et la naissance d`une philosophie de la

Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico
Les Discours (1689-1717) : 2- La connaissance de soi et la divinité de l’homme
Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr
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Ennio Floris
La rupture cartésienne et la naissance
d’une philosophie de la culture
dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico
Les Discours (1689-1717) :
Vérité et dignité
2- La connaissance de soi
et la divinité de l’homme
La connaissance de soi est l’aiguillon
le plus efficace pour nous conduire
rapidement à l’univers du savoir.
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21- L’oracle du dieu Apollon
’ouverture de ce premier discours est
solennelle, presque sacrée. Elle rappelle
le gnôtis eauton, nous invitant à le lire
tel qu’il a été gravé dans le temple de
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J.-B. Vico, Orazioni inaugurali, Op. cit., pp. 5614.
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Les Discours (1689-1717) : 2- La connaissance de soi et la divinité de l’homme
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Delphes. Cependant l’intention du jeune orateur
n’était pas religieuse, puisqu’il voyait dans l’oracle
la révélation authentique de la divinité de l’hom-
me, tandis que la tradition grecque y lisait la norme
suprême de l’éthique du reniement. Vico l’inter-
prète à la lumière du De hominis dignitate.
Pourquoi cet appel ? Les réformes successives
avaient placé l’Université de Naples au même
niveau que les autres universités européennes,
l’ouvrant aux courants de la pensée moderne, mais
l’ayant coupée de la tradition humaniste
2
. Le
rappel de l’oracle semble donc avoir deux buts :
l’un, de faire redécouvrir l’idéal humaniste dans les
exigences les plus profondes de la conscience ;
l’autre, d’offrir un principe de compréhension
universel permettant la rencontre des deux cultures
ancienne et moderne.
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Je traduis quelques lignes de l’Autobiographie : « La métaphysique qui, au XVI°
siècle, avait plaau plus haut degré de la littérature Marcilo Ficino, Pic de la
Mirandole, les deux Agostini, Nifo et Steucchio, G. Mazzoni, A. Piccolomini...
après avoir élevé la poésie, l’histoire et l’éloquence à un point tel qu’il apparais-
sait qu’en Italie la Grèce entière était revenue au temps de sa splendeur, était
jugée digne d’être enfermée seulement dans des cloîtres » (p. 23).
« Avec le départ du Duc Vice-Roy, il y eut un renversement de situation... ces
mêmes érudits qui, deux ou trois ans auparavant, voulaient que la méta-
physique fût enfermée dans les cloîtres, commencèrent à la cultiver, non sur
Platon, Plotin ou Ficino... mais sur les Méditations de Descartes » (p. 59).
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Sur le moment, Vico s’abstient d’insister sur les
raisons objectives de rupture pour attirer l’attention
sur les relations d’analogie existant entre ces deux
cultures. me lorsqu’elles s’opposent, il convient
de les comprendre historiquement pour mieux les
définir philosophiquement. Or le « connais-toi toi-
même » représente l’instance suprême de cette
approche ; il nous rapporte à l’unide conscience
qui demeure valable autant pour les humanistes
que pour les cartésiens. C’est la première approche
philosophique le niveau épistémologique se
confond avec l’existentiel. On atteint le réel par la
connaissance de soi (conscientia sui) par laquelle
nous existons en tant qu’homme.
S’agissant de conscience, la « connaissance de
nous-mêmes » implique l’effort (conatus) d’une
reconversion de l’esprit à lui-même, à partir des
sens il était dispersé. « Revocare mentem a
sensibus et a consuetudine cogitationem ab-
ducere ». L’esprit est un processus de pensée. J’ai
estimé utile de transcrire cette expression en latin,
afin de mieux en faire apparaître l’origine et les
affinités. Issue du platonisme, elle a été reprise par
l’Académie florentine et appropriée enfin par
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Descartes
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. Vico lutilise sciemment dans son
ambiguïté, afin de dialoguer simultanément avec
les deux écoles.
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Chez Ficino, nous trouvons plusieurs variations de la même expression : a
sensibus removere, avocare ; a corpore abstraere, recedere, sol-vere, digredi ;
ab alienis revocare. Le sens est cependant le même, voulant désigner l’iti-
néraire de la mens qui part des sens vers l’in-tériorité de soi-même, pour
s’élever directe-ment aux idées. M. Ficino, Théologie plato-nicienne, Belles
lettres, Paris, 1964, XIII, 2.
Pour Descartes : Méditations : « Ita in his diebus assuefeci in mente a sensibus
abducenda » (IV, 52) - « Vovabo omnes sensus » (III, 34) - Discours IV, 37. Lire
aussi Gouhier, La pensée métaphysique de Descartes, Vrin, Paris, 1962, pp. 51-
57.
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22- Le simulacrum dei
’entendement perce toute chose de son
regard, mais il s’obscurcit lorsqu’il se
porte sur lui-même »
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.
Soulignons tout d'abord le caractère
imagé, presque sacré, de l’affirmation. Un voile
d’obscurcissement s’interpose entre notre pensée et
nous-mêmes, comme si elle se trouvait en face de
Dieu. C’est la divinité de l’homme, telle que Pic de
la Mirandole l’avait proclamée.
En effet, l’homme ne possède pas de nature : son
être n’est pas conditionné à une loi de nécessité,
mais il se rapporte au rôle que l’homme doit jouer
dans l’univers, c’est à dire d’agir en dieu. « L’es-
prit est dans le corps, comme Dieu est dans le
monde ». Il existe donc dans son univers, parce
qu’il est présent partout sans être attaché nulle part,
« possédant tout sans être possédé », toujours
« agissant », comme Dieu est toujours « actant ».
Il est le simulacre de Dieu.
Deux moments caractérisent la prise de conscience
de lui-même : d’une part, il se saisit dans le vis-à-
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« At mentis acies, quae omnia invisit, se ipsam intuens hebescit » Oratio, I, p.
8.
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