Stratégie d`utilisation des antiarythmiques en phase préhospitalière

Mise au point
Stratégie dutilisation des antiarythmiques
en phase préhospitalière et aux urgences
Emergency prehospital and inhospital
management of antiarrhythmic agents
M. Vergne
a,
*, E. Querellou
a
, E. Lacotte-Marly
a
, P. Castellan
b
, M. Jaffrelot
a
,
J. Mansourati
b
,D.LAzou
a
, J. Couvreur
a
a
Samu 29CHU La Cavale-Blanche, 29609 Brest cedex, France
b
Département de cardiologie, CHU La Cavale-Blanche, 29609 Brest cedex, France
Résumé
Les antiarythmiques ont une efficacité et des effets secondaires qui varient selon les molécules et la classe pharmacologique à laquelle ils
appartiennent. Leur utilisation en médecine durgence préhospitalière et hospitalière repose sur des règles précises, et ce dautant plus que leur
marge thérapeutique est étroite. Parmi ces règles, les principales sont lappréciation rapide du retentissement hémodynamique, lidentification
précise du trouble du rythme, la recherche du facteur déclenchant et/ou favorisant, la connaissance de la pharmacocinétique de la molécule
utilisée et le respect de leurs associations. Parmi les molécules injectables, ladénosine triphosphate (Striadyne
®
) garde une place de choix
dans le traitement des tachycardies jonctionnelles, le sotalol et lamiodarone dans le traitement des tachycardies ventriculaires (en respectant
rigoureusement les précautions dinjections). Les associations dantiarythmiques sont à proscrire dans lurgence. La cardioversion par choc élec-
trique externe est réservée aux états de choc et/ou aux échecs du traitement médicamenteux. Le respect des règles de prescription permet, dans
une situation précaire aux urgences ou en préhospitalier, de passer un cap avant de confier le patient au cardiologue pour la suite de lexploration
et du traitement de fond de ce trouble du rythme.
© 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Antiarrhythmic agents (AAA) efficacy and side effects are not similar between molecules and pharmalogical classes. Prehospital and in
hospital prescription of AAA should be very cautious as benefice/risk ratio of these molecules is low. The use of AAA in urgent situations
should respond to the following priorities: evaluate the hemodynamic status of the patient, diagnose arrhythmia and underlying factors, respect
AAA contraindications. Adenosine triphosphate is one of the most efficient treatment of nodo-ventricular re-entrant tachycardia; sotalol and
amiodarone are efficient to treat ventricular tachycardia. The association of AAA is dangerous and should be avoided. Cardioversion is used
in unstable hemodynamic status or failure of intraveinous drugs. During a prehospital and in hospital unstable arrhythmia, respecting AAA
prescription rules prevents harmful side effects and helps to overcome critical situations in order to transfer the patient to a Cardiology Care
Unit for further investigations and adequate long term treatment.
© 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Antiarythmique ; Arythmie ; Urgence ; Préhospitalier ; Thérapeutique
Keywords: Antiarrhythmic; Arrhythmia; Emergencies; Prehospital; Therapeutic
http://france.elsevier.com/direct/REAURG/
Réanimation 14 (2005) 700706
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (M. Vergne).
1624-0693 /$ - see front matter © 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.reaurg.2005.09.021
1. Introduction
Les troubles du rythme sont une pathologie fréquemment
rencontrée en médecine durgence préhospitalière et intrahospi-
talière. Leur traitement doit répondre à une stratégie réfléchie.
Dans un premier temps, la tolérance clinique va conditionner la
conduite thérapeutique immédiate. Parallèlement, il est fonda-
mental dobtenir un enregistrement de lélectrocardiogramme
(ECG) per critique de bonne qualité. Une fois le diagnostic
rythmologique fait, la stratégie thérapeutique est établie en
fonction de la tolérance clinique, des antécédents du patient,
de léventualité dune pathologie cardiaque ou extracardiaque
sous-jacente. Elle doit aussi tenir compte du risque potentiel
des complications occasionnées par les troubles du rythme et
de leffet bénéficerisque de lutilisation des antiarythmiques
en urgence malgré le respect des règles de prescription de cette
classe thérapeutique.
Il est important de préciser quaucun antiarythmique nest
spécifique dune arythmie donnée. Certains sont efficaces à
tous les étages (atrial, jonctionnel et ventriculaire). Dautres
sont contre-indiqués dans des situations particulières quil est
important de connaître (Wolf-Parkinson-White, antécédent de
QT long).
2. Les moyens médicamenteux
Larsenal thérapeutique dispose de plusieurs familles dan-
tiarythmiques. Ils agissent en modifiant les cinétiques membra-
naires, soit directement (inhibiteur du canal sodique ou cal-
cique, modification de la repolarisation), soit indirectement
par lintermédiaire du système nerveux autonome. Il existe plu-
sieurs classifications, mais la plus connue et la plus utilisée
aujourdhui est celle de Vaughan-Williams. Cette classification,
établie en 1970, critiquée, complétée et réévaluée depuis, est
fondée sur les propriétés électrophysiologiques in vitro de ces
médicaments [1].
Les différentes substances sont réparties en quatre classes. Il
convient dajouter à cette classification des médicaments qui
sont hors classification :
la classe 1 comprend les substances qui ralentissent de façon
prédominante la vitesse de conduction de linflux électrique
(Fig. 1);
la classe 2 comprend les bêtabloqueurs dont les effets antia-
rythmiques sont obtenus grâce à leur action anticatéchola-
minergique ;
la classe 3 comprend les substances qui allongent la repola-
risation ventriculaire ;
la classe 4 est composée des inhibiteurs calciques, qui dimi-
nuent le courant entrant calcique. Les principales caractéris-
tiques des différentes classes sont résumées dans le Ta-
bleau 1 ;
dautres antiarythmiques ne sont pas recensés dans cette
classification. Il sagit notamment des digitaliques, de ladé-
nosine triphosphate, de ladénosine (qui a obtenu une auto-
risation de mise sur le marché en France) et du sulfate de
magnésium [2].
Les digitaliques sont des médicaments utilisés depuis plus
de deux siècles (Whitering 1785), dont laction cardiotonique
est bien connue mais de maniement délicat. Ce sont des gluco-
sides à effet inotrope négatif par augmentation indirecte du cal-
cium intracellulaire, lié à linhibition de la pompe à sodium
potassium ATPase dépendante, qui augmente la concentration
intracellulaire en sodium et, secondairement, par échange cal-
ciumsodium, celle du calcium intracellulaire. Ils ralentissent
la fréquence cardiaque et la conduction auriculoventriculaire
et augmentent lexcitabilité myocardique. La digoxine est la
seule substance de cette classe qui est utilisée par voie intravei-
neuse. Sa demi-vie de distribution après administration intra-
veineuse est de 30 minutes. Son métabolisme est hépatique et
son élimination est principalement rénale.
Fig. 1. Effets des antiarythmiques de la classe I sur le potentiel daction
cardiaque.
Tableau 1
Mécanismes daction des anti-arythmiques selon la classification de Vaughan-
Williams (1)
Classe Principaux
médicaments
Mécanisme daction
1A Quinidine Ralentit la pente de la phase 0 du potentiel
daction, prolonge le PR, le QRS et la
repolarisation cinétique intermédiaire
1B Lidocaïne Raccourcit la repolarisation cinétique rapide
1C Flécaïnide
Propafénone
Cibenzoline
Ralentit la pente de la phase 0 du potentiel
daction, prolongation de PR et du QRS
cinétique lente
2 Bêtabloqueur Diminue la pente de la phase 4 et la fréquence
cardiaque.
Antagonisme bêta-adrénergique
3 Amiodarone
Sotalol
Augmentation de la durée du potentiel
daction par action sur les courants sodique,
calcique et potassique
4 Vérapamil
Diltiazem
Diminue la pente de la phase 4 du potentiel
daction par blocage du courant entrant
calcique lent
M. Vergne et al. / Réanimation 14 (2005) 700706 701
Ladénosine triphosphate agit par un effet cholinergique di-
rect puissant, elle entraîne un ralentissement de la conduction
auriculoventriculaire. Cest le médicament de référence pour
interrompre les tachycardies supraventriculaires par réentrée in-
tranodale ou utilisant une voie accessoire (tachycardies récipro-
ques orthodromiques) [2].
Le sulfate de magnésium fait partie de larsenal thérapeu-
tique curatif des torsades de pointe. Le magnésium est un ca-
tion principalement intracellulaire. Il diminue lexcitabilité neu-
ronale et la transmission neuromusculaire. Il intervient aussi
dans de nombreuses réactions enzymatiques. Lexcrétion du
sulfate de magnésium est essentiellement urinaire. Son admi-
nistration dans la situation de la torsade de pointe seffectue par
voie veineuse. Rappelons quil existe des interactions avec les
quinidiniques. Lalcalinisation des urines liée à lexcrétion uri-
naire du sulfate de magnésium saccompagne dune diminution
de lexcrétion par la même voie de la quinidine et donc dun
risque délévation du taux sérique de cette molécule voire dun
surdosage. Notons également quil existe une prolongation des
effets du curare (blocage neuromusculaire) lors de ladministra-
tion de sulfate de magnésium. La vitesse dinjection doit être
inférieure à 150 mg/minute (risque dhypermagnésémie poten-
tiellement létale en cas dinjection trop rapide). La surveillance
tensionnelle doit être attentive. Il a été mis en évidence que
linjection de 3 g de sulfate de magnésium par voie intravei-
neuse lente (sur une minute), chez des patients coronariens,
navait que de faibles et transitoires répercussions hémodyna-
miques [3].
3. Traitement non médicamenteux
3.1. Les manœuvres vagales
Ce sont des stimulations directes ou indirectes du nerf pneu-
mogastrique destinées à ralentir la conduction auriculoventricu-
laire démasquant ainsi lactivité atriale sous-jacente (tachycar-
die, fibrillation ou flutter) et interrompre certaines tachycardies
paroxystiques, en particulier les tachycardies jonctionnelles [4].
Parmi ces manœuvres, la compression oculaire douloureuse
doit être évitée. Le massage sinocarotidien unilatéral est un
moyen à utiliser en labsence de souffle carotidien et en ex-
cluant les patients aux antécédents daccident vasculaire céré-
bral ou dathérome carotidien connu. Enfin, On peut également
demander au sujet de réaliser une manœuvre de Valsalva (ex-
piration glotte fermée) [5].
3.2. Cardioversion ou choc électrique externe
Une forte décharge électrique appliquée sur le thorax dépo-
larise simultanément lensemble du cœur et permet ainsi théo-
riquement une resynchronisation pilotée par le nœud sinusal.
Les deux palettes reliées à un scope défibrillateur sont appli-
quées sous la clavicule droite et sur la ligne médioaxillaire gau-
che. Les palettes peuvent être aussi placées en antéropostérieur
notamment en cas de pacemaker. Le choc est délivré après sê-
tre assuré quaucune personne nest en contact avec le patient.
Lors dune fibrillation ou dune tachycardie ventriculaire mal
tolérée avec patient inconscient, la cardioversion doit être réa-
lisée en extrême urgence, sans prémédication. Il faut souligner
que lindication et la réalisation du choc peuvent également
être faite par une personne non-médecin, à condition quelle
ait reçu une formation pour utiliser un défibrillateur semi-auto-
matique (DSA), appareil qui enregistre, analyse le tracé ECG et
après analyse autorise ou non la délivrance du choc. Lorsque le
patient est conscient, on se trouve dans le cas dun choc pro-
grammé qui est réalisé sous anesthésie générale.
3.3. Les autres traitements antiarythmiques
non médicamenteux
Les autres traitements antiarythmiques non médicamenteux,
comme lablation par radiofréquence, ou la pose dun défibril-
lateur implantable nont pas leur place en « gestion durgence
préhospitalière ou hospitalière » et sont du ressort du « cardio-
rythmologue ».
4. Règles générales de prescription
Lutilisation des antiarythmiques repose sur le respect de
quelques grandes règles générales. En fonction de ses proprié-
tés électrophysiologiques, chaque médicament a des indica-
tions privilégiées. Le choix doit donc sappuyer sur le diagnos-
tic précis de larythmie et son mécanisme préjugé.
4.1. Identification précise de larythmie
Le diagnostic rythmologique précis dépend directement de
la qualité de lECG per critique [6]. Il faut mettre le malade en
confiance, positionner de façon rigoureuse les électrodes et un
filtre secteur pour un tracé optimal avec une ligne de base
stable et sans artefacts. Avec les appareils informatisés, il est
préférable déviter de se servir de lenregistrement automatisé
qui ne donne que deux QRS par dérivations, mais passer en
mode manuel en enregistrant de longues bandes dans chaque
série de trois ou six dérivations standard puis précordiales. Il
faut aussi enregistrer un tracé après réduction de la crise si elle
a été obtenue.
Lanalyse rigoureuse de lECG dans lidentification dun
trouble du rythme permet de répondre à plusieurs questions
essentielles sur la morphologie, le rythme et la fréquence des
QRS, laspect des ondes p, la durée, la régularité de lespace
PR et le couplage des auriculogrammes et des ventriculogram-
mes.
Ce mode de raisonnement permet de caractériser les tachy-
cardies. Les tachycardies naissant au-dessus de la bifurcation
du faisceau de His, sont théoriquement caractérisées par des
QRS fins car lactivation ventriculaire reste normale [7].Il
existe le plus souvent une liaison constante entre auriculo-
gramme et ventriculogramme, le nombre dactivités atriales
étant supérieur ou égal au nombre dactivités ventriculaires.
Les arythmies ventriculaires sont caractérisées au contraire
par lexistence de complexes élargis et déformés, lactivation
M. Vergne et al. / Réanimation 14 (2005) 700706702
naissant en un point quelconque du myocarde ventriculaire,
entraînant de ce fait une activation anormale de la masse ven-
triculaire [8]. La durée du QRS est supérieure à 120 ms, avec
aspect de bloc de branche. Lactivation naissant au niveau des
ventricules, il nexiste pas le plus souvent de lien chronolo-
gique constant entre activité auriculaire et ventriculaire, le
nombre des ventriculogrammes étant supérieur à celui des au-
riculogrammes.
Toutefois, dans certains cas, cette différentiation entre aryth-
mie supraventriculaire ou ventriculaire peut être beaucoup plus
difficile. Cest le cas des arythmies supraventriculaires asso-
ciées à un bloc de branche préexistant ou fonctionnel (cest-à-
dire induit par la tachycardie ou par une aberration de conduc-
tion), les ventriculogrammes étant alors élargis et « mimant »
ainsi une arythmie ventriculaire [9].LECG apporte aussi des
informations sur les éventuelles cardiopathies sous-jacentes.
En cas de difficulté diagnostique, on peut saider de ma-
nœuvres complémentaires. En cas de tachycardie, les manœu-
vres vagales peuvent aider à identifier la tachycardie. Le mas-
sage sinocarotidien unilatéral peut permettre, en ralentissant la
cadence ventriculaire, de mieux visualiser les auriculogrammes
dune tachycardie auriculaire. Linjection intraveineuse dadé-
nosine peut savérer aussi utile. En bloquant le nœud auriculo-
ventriculaire, elle permet de réduire une tachycardie jonction-
nelle ou démasquer une activité auriculaire ectopique lors de la
pause ventriculaire [10]. Certains auteurs insistent sur la limi-
tation de ces tests en présence de tachycardie à complexes lar-
ges dorigine indéterminée [11]. Les explorations endocavitai-
res ou œsophagiennes nont pas leur place en urgence en
dehors dun service spécialisé.
4.2. Évaluation du retentissement hémodynamique
Lurgence des décisions thérapeutiques dépend en premier
lieu du retentissement hémodynamique du trouble du rythme
qui résulte autant de la fréquence cardiaque (ventriculaire)
que de la cardiopathie responsable.
Un arrêt circulatoire, un collapsus avec trouble de cons-
cience, un état de choc imposent un rétablissement rapide
du rythme sinusal. Une cardioversion externe est nécessaire
et immédiate, quel que soit le trouble du rythme [12] ;
un trouble du rythme entraînant une dyspnée avec ortho-
pnée, un œdème pulmonaire, une insuffisance cardiaque
globale nécessite un ralentissement rapide de la fréquence
cardiaque, voire la réduction du trouble du rythme ;
une bonne tolérance avec une hémodynamique conservée,
sans insuffisance cardiaque ni hypoperfusion périphérique
laisse le temps de bien identifier le trouble du rythme et
dattendre un avis spécialisé.
4.3. Recherche dun facteur favorisant et/ou déclenchant
Tout trouble du rythme doit faire rechercher, même sur un
patient jeune et a priori sans antécédent, un facteur déclenchant
favorisant. Si létat hémodynamique du patient le permet, un
bilan biologique à la recherche dun désordre métabolique doit
être effectué. Une hypokaliémie, une hypocalcémie ou une hy-
pomagnésémie entraîne des troubles du rythme [13] qui vont se
corriger en même temps que lon corrige le trouble ionique.
Une intoxication, volontaire ou non (surdosage en digitalique,
imprégnation en médicaments antiarythmiques de classe 1 ou 3
responsables deffets proarythmogènes) doit aussi être envisa-
gée [14]. La recherche dune insuffisance cardiaque, dune
ischémie myocardique ou dune cardiopathie sous-jacente est
impérative dans le choix du traitement. Un mécanisme septique
par le biais dune hypovolémie doit également être recherché.
4.4. Respect de la cinétique des molécules
La durée daction de la molécule est un élément important à
prendre en considération : il conditionne le délai et lefficacité
par rapport à linjection, et en sens inverse le temps délimina-
tion du produit [2]. Cette durée daction peut être modifiée si
les voies métaboliques délimination habituelle (rénale ou hé-
patique) sont perturbées entraînant alors un risque daccumula-
tion [15].
4.5. Les associations dantiarythmiques
Les associations dantiarythmiques doivent être évitées [2,
4].Lutilisation de deux antiarythmiques de même classe est
illogique et généralement inefficace. Dans certains cas particu-
liers, lassociation de médicaments de classes différentes peut
se justifier, mais la plus grande prudence simpose alors. Il faut
également tenir compte des interactions médicamenteuses liées
aux voies délimination enzymatique de chaque produit [2].
4.6. La surveillance
Elle vise dune part à apprécier les effets antiarythmiques du
produit choisi et elle doit permettre aussi de dépister les éven-
tuels effets secondaires cardiaques et extracardiaques. Les ef-
fets secondaires cardiaques sont de loin les plus graves. Ils sont
dominés par le caractère inotrope négatif de pratiquement tous
les antiarythmiques [2], ce qui impose une utilisation particu-
lièrement prudente en cas de dysfonction ventriculaire gauche
(dysfonction quil faut sefforcer dévaluer même en préhospi-
talier). La plupart sont également dépresseurs de la fonction
sinusale et de la conduction. Enfin, dans certains cas, ils peu-
vent avoir un effet inverse de celui désiré, cest-à-dire un effet
proarythmogène, aggravant une arythmie préexistante ou indui-
sant un nouveau trouble du rythme. Lindex thérapeutique est
dautant plus étroit que le myocarde est plus atteint et que le
sujet est plus âgé [16].
Tous les antiarythmiques peuvent avoir des effets proaryth-
mogènes [17] et sont susceptible daggraver, dans 5 à 10 % des
cas, un trouble du rythme ou de provoquer un trouble de
conduction grave [2]. Il peut sagir deffet arythmogène auri-
culaire, plus rarement jonctionnel, et enfin ventriculaire qui
sont potentiellement les plus sévères. Tous les antiarythmiques
peuvent prédisposer à ce genre daccidents, mais on a constaté
M. Vergne et al. / Réanimation 14 (2005) 700706 703
quils étaient plus fréquents avec ceux de la classe IA, IC et III
en dehors de lamiodarone. Ces derniers sont associés à un
risque accru de torsades de pointes, en particulier lorsque lin-
tervalle QTU est allongé, chez la femme, ou en cas dassocia-
tion à des diurétiques hypokaliémiants [17]. Chez les patients
porteurs de blocs auriculoventriculaires de deuxième ou troi-
sième degré, tous les antiarythmiques, en labsence de stimula-
tion ventriculaire, sont a priori contre-indiqués. La toxicité ex-
tracardiaque est spécifique pour chacune des classes, le plus
souvent mineure (troubles digestifs) parfois sévère (hyperthy-
roïdie à lamiodarone) [18].
5. Stratégie thérapeutique
5.1. Tachyarythmies atriales
Aux urgences, la fibrillation auriculaire est le trouble du
rythme le plus fréquemment observé [19,20]. Elle touche 3 à
5 % des patients de moins de 60 ans. La prévalence double
tous les dix ans à partir de 55 ans [21]. La stratégie thérapeu-
tique est établie après lévaluation de la tolérance hémodyna-
mique, létablissement du diagnostic, la recherche dune car-
diopathie sous-jacente ou dune cause extracardiaque.
Lorsque le patient ne présente pas de signes majeurs de mau-
vaise tolérance clinique et si lancienneté de larythmie nest
pas connue, lurgence nest pas à sa réduction mais à lappré-
ciation de la tolérance de la réponse ventriculaire. Pour une
cadence ventriculaire soutenue supérieure à 120/min, le ralen-
tissement rapide devra être effectué.
Les médicaments qui ralentissent la fréquence ventriculaire
sont les bêtabloqueurs, les inhibiteurs calciques, les digitali-
ques et la cordarone [22,23]. Ceux-ci sont utilisés après avoir
corrigé tous les facteurs favorisants :
les inhibiteurs calciques (diltiazem, vérapamil), sont utiles
en urgence, mais leur réponse est transitoire et ils sont ino-
tropes négatifs [24,25]. La posologie du diltiazem est la sui-
vante : 0,25 mg/kg par voie veineuse lente (en deux minu-
tes) à renouveler si besoin à la 15
e
minute (dose maximale
totale 50 mg). Pour le vérapamil, la dose est de 5 à 10 mg
en deuxtrois minutes, renouvelable une fois, 30 minutes
plus tard ;
les bêtabloqueurs trouvent leur place surtout dans les cas
dhyperadrénergie, mais comme les inhibiteurs calciques,
ils ont un effet inotrope négatif ce qui limite leur utilisation
en urgence [22,23]. Le bêtabloqueur le plus utilisé lors des
thyrotoxicoses est le propanolol à la posologie de 1 à 5 mg
par voie veineuse ;
les digitaliques restent la classe la plus utilisée aux urgences
car elle est dépourvue deffet inotrope négatif. La deslano-
side (Cédilanide
®
)nétant plus commercialisée, la digoxine
reste utilisable par voie intraveineuse à la dose de 0,25 à
0,50 mg, deux à trois fois par jour en labsence de contre-
indications formelles [26] ;
lamiodarone est recommandée lorsque les autres familles
sont inefficaces ou contre-indiquées [27]. Elle est veinoto-
xique et doit être injectée par voie centrale ou par voie pé-
riphérique après dilution. La posologie est de 5 mg/kg sur
60 minutes, deux à trois fois par jour [19] ;
il faut aussi citer le sulfate de magnésium, bien quil ne
fasse pas partie des recommandations des sociétés savantes.
Une étude prospective randomisée a montré sa supériorité
en termes defficacité par rapport au diltiazem
®
[28]. La po-
sologie est de 2 g en bolus puis 1 g/h sur six heures.
Lorsque le patient présente des signes majeurs de mauvaise
tolérance clinique (hémodynamique instable, douleur angi-
neuse, infarctus ou préexcitation patente), il sagit dune ur-
gence vitale et la sanction thérapeutique est la cardioversion
par choc électrique externe [19]. Celle-ci seffectue par courant
continu, sous anesthésie générale brève. Le choc doit être syn-
chronisé à londe R pour éviter la période vulnérable du seg-
ment ST, ce qui pourrait précipiter une fibrillation ventriculaire
[19],Lénergie nécessaire pour réduire une fibrillation auricu-
laire est comprise entre 200 et 400 Joules, mais des énergies
réduites de moitié peuvent être utilisées en cas donde bipha-
sique tronquée [22]. Il faut commencer par un choc à 200 Jou-
les, et, en cas déchec, atteindre progressivement la valeur
maximale par paliers de 100 Joules.
5.2. Trouble du rythme jonctionnel
Le principe du traitement repose sur le freinage de la
conduction auriculoventriculaire qui peut être obtenu avec les
manœuvres vagales et/ou par traitements médicamenteux :
dans un premier temps, les manœuvres vagales sont effec-
tuées [26], en respectant leurs contre-indications. Leffica-
cité de ces manœuvres est proche de 25 % [5] ;
lorsque la réduction nest pas obtenue par les manœuvres
vagales, le traitement de référence est ladénosine triphos-
phate (Striadyne
®
) contre-indiquée en cas dasthme, de
bronchopathie et dhypertension [7,12,22,29].Linjection
doit se faire dans une veine de gros calibre et terminée par
le lavage de celle-ci. La posologie initiale est de 3 à 6 mg i.
v. en flash. En cas déchec, linjection peut être renouvelée,
à plus forte dose, jusquà 12 mg en une à trois secondes en
i.v. [30] ;
pour certains auteurs, lorsquil ny a pas de cardiopathie
ischémique associée, les inhibiteurs calciques doivent être
prescrits en première intention [29]. Toutefois, le vérapamil
est moins bien toléré que le diltiazem et peut entraîner des
complications hémodynamiques, rares mais sévères si la
fonction ventriculaire gauche est altérée. En revanche, lin-
jection de diltiazem à 0,25 mg/kg (2,5 mg/min) jusquà une
dose maximum de 50 mg est efficace en quelques minutes
[31].Lefficacité des inhibiteurs calciques semble légère-
ment inférieure ou égale à celle de ladénosine qui varie
entre 78 et 100 % [30,31]. Il faut noter que les inhibiteurs
calciques sont contre-indiqués dans les tachycardies récipro-
ques antidromiques sur une voie accessoire car ils favorisent
la conduction au niveau de la voie accessoire au détriment
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