Ces ambiguïtés et ces confusions sont d’ailleurs reflétées par notre langage
habituel, qui utilise indifféremment les termes « douleur » et « souffrance » pour
signifier le physique ou le psychique, et confond le plus souvent la souffrance
psychique et la souffrance morale. On se sert aussi d’autres termes, comme, par
exemple, la « peine », envisagée tantôt sur le mode de la tristesse et tantôt sur celui de
l’effort pénible qui met en œuvre des douleurs physiques accompagnées de fatigue,
pouvant avoir des conséquences psychiques et morales. Ce second sens de la peine
recèle un rapport originaire avec le travail pénible, notamment le labourage, qui est
inscrit métaphoriquement dans tout effort « laborieux ». Or, nous utilisons le terme
indifféremment pour la douleur et pour la souffrance, ce qui me dispense de l’utiliser
pour éviter des confusions supplémentaires. Qu’il me suffise de rappeler que la notion
de peine est ambiguë quand elle est liée à un effort, et c’est pourquoi elle prend aussi
le sens de sanction appliquée comme punition, c’est-à-dire comme un effort qui doit
être ressenti comme pénible pour réparer ou compenser un préjudice qui constitue
ainsi une pénalité ou un châtiment. D’où la force du droit pénal.
La douleur physique et polymorphe a été étudiée d’une façon détaillée, et nous
possédons de nombreuses études qui développent non seulement les mécanismes mais
également les moyens de la contrôler. Ceux-ci ne sont plus limités aux techniques et à
la pharmacologie, mais sont prolongés dans d’autres domaines, notamment celui de la
nutrition. Il ne faut pas oublier que le fonctionnement de notre organisme n’est pas
seulement d’ordre mécanique et biologique, mais, plus profondément,s il met en
œuvre de la chimie, comme le confirment les études pharmacologiques.
À ce sujet, on peut se référer au livre du docteur Frédéric Louis, Vaincre la
douleur autrement. Approche nutritionnelle et fonctionnelle (Testez Éditions,
Embourg, Belgique, 2010), qui expose les mécanismes générateurs de la douleur
physique et quelques méthodes thérapeutiques. Le but de son étude est de mettre en
évidence le rôle ambivalent de l’alimentation, laquelle peut être cause des douleurs
mais aussi un moyen de s’en libérer. Quant à la douleur comme objet des approches
scientifiques et philosophiques, je conseille le livre de Jean Claude Fondras, La
douleur. Expérience et médicalisation (Les Belles Lettres, Paris, 2009) qui présente
une vision d’ensemble éclairante, et me dispense d’entrer dans des détails, afin de
m’engager dans une analyse plus propice de la souffrance, de ses causes et de ses
conséquences. Dans ces livres, on peut trouver une bibliographie circonstanciée.
Pour ma part, je porte l’attention surtout au domaine qui excède la douleur
uniquement physique, c’est-à-dire le domaine des souffrances psychiques et morales,
que j’ai déjà ébauchée dans mon livre La proximité et la question de la souffrance
humaine (Ousia, Bruxelles, 2005)1. Malheureusement, ce livre est épuisé. Aussi, dans
mon exposé, je rappellerai, lorsqu’il le faut, des points importants, dont certains sont
repris et prolongés dans mon livre La philosophie face à la question de la complexité,
1 La proximité et la question de la souffrance humaine. En quête de nouveaux rapports de l’homme
avec soi-même, les autres, les choses et le monde, Ousia, Bruxelles, 759 p.