62
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2-3, vol. II - septembre 2002
existence des troubles mictionnels
psychogènes est bien connue des pra-
ticiens (ne serait-ce que sous la forme des “cys-
tites à urines claires”). Chacun est conscient
qu’ils témoignent ou sont associés à une souf-
france psychique et/ou des troubles sexuels,
mais les liens entre fonctionnements psychique
et sphinctérien échappent habituellement au
médecin et le passage de l’exploration et du dia-
gnostic à la thérapeutique reste problématique.
H
ISTORIQUE
Les troubles mictionnels psychogènes ont été
connus de tout temps. Born avait pu écrire en
1886 : “La vessie est le miroir de l’âme”, souli-
gnant ainsi les liens normaux entre le psy-
chisme et cet organe au fonctionnement réputé
automatique.
Comme l’ensemble de la médecine, la connais-
sance de la physiologie vésicale a fait un bond
dans la seconde moitié du XIXesiècle, après les
travaux de Claude Bernard (Introduction à la
médecine expérimentale, 1862). De cette
époque datent l’étude anatomophysiologique
des centres médullaires des sphincters vési-
caux et urétraux par Kupressov (1871) et Budge
(1872) et l’étude de la physiologie vésicale au
moyen de la cystométrie par Dubois (1876),
Mosso et Pellacani (1882), Duchastelet (1886)
et Genouville (1894). Les descriptions des sen-
sations vésicales au cours du remplissage, puis
les variations de pression au cours de la mic-
tion sont alors étudiées chez le sujet normal,
au cours des maladies organiques urologiques,
neurologiques et dans les troubles psycho-
gènes de la miction (Genouville - 1894).
C’est de la même époque que datent les tra-
vaux de Guyon, titulaire de la chaire d’Urologie
(1881), qui décrit dans ses célèbres leçons cli-
niques sur les “maladies des voies urinaires”
une catégorie de malades, les “faux urinaires”,
chez qui la symptomatologie fonctionnelle uri-
naire s’accompagne toujours d’une intégrité de
l’appareil urinaire. Dans le même temps,
Charcot, titulaire de la chaire de Neurologie,
(1882) et son élève Duchenne de Boulogne s’at-
tachent à différencier les affections neurolo-
giques de l’hystérie. Les leçons cliniques de
Charcot, auxquelles assistaient Freud (futur
inventeur de la psychanalyse) et Pierre Janet
(qui créera bientôt un laboratoire de psycholo-
gie expérimentale), ont, à l’instar de celles de
Guyon, un très grand succès. Charcot et Guyon
susciteront plus de 120 travaux et écrits sur les
troubles mictionnels psychogènes. Leurs
élèves seront nombreux.
Geffrier (1884) relève dans sa thèse 2 cas de
troubles neuropathiques sur 95 observations de
troubles de la miction dans les maladies du sys-
tème nerveux. Genouville (1894), dans sa thèse
sur la contractilité du muscle vésical, réunit 83
observations cliniques et cystométriques, dont
40 cas de troubles psychogènes. Jules Janet
(1890), frère de Pierre Janet, étudie avec une
grande minutie clinique 37 malades ayant des
troubles psychotiques de la miction, chez les-
quels il a vérifié personnellement l’intégrité du
bas appareil urinaire par une endoscopie. Corby
(1895) étudie 28 observations de pollakiurie psy-
chopathiques. Tuffier (1899) synthétise, dans un
excellent chapitre du Traité de chirurgie de
Duplay et Reclus, les données de l’époque sur
les troubles neuropathiques de la vessie.
Par ailleurs, de très nombreux travaux cliniques
européens ont été consacrés à divers symp-
tômes urinaires des maladies psychiatriques.
Fabre (1845) traite de la Névralgie de l’urètre,
dans le cadre de l’hypochondrie urinaire,
Bourguignon (1860) de la Névralgie de la ves-
sie, ouvrage dans lequel il décrit les caractères
moraux de l’hypochondrie urinaire ; Miot
(thèse, 1866) s’intéresse à la Cystalgie idiopa-
thique ; Lebreton (thèse, 1868) signale, sur
17 observations d’hystérie, 5 cas d’anesthésie
vésicale sans anesthésie urétrale, les différen-
ciant ainsi de ceux du tabès. Citons encore,
pour la France, Guinon (1889) De l’incontinence
Abord psychopathologique des
troubles mictionnels
!
!
M. Perrigot*, G. Robain*, C. Morin*,
H. Nguyen Kim*, J.F. Allilaire*
L’
* Service de rééducation neurologique,
groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83,
bd de l’Hôpital, 75013 Paris.
Mots-clés :
Troubles mictionnels,
incontinence urinaire,
dysurie, rétention, pollakiurie,
troubles psychiatriques,
troubles psychogènes,
troubles psychosomatiques,
troubles fonctionnels
urinaires,
instabilité vésicale,
instabilité urétrale.
congrès
63
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2-3, vol. II - septembre 2002
urinaire des enfants, et Mollière (1890) De la
dysurie sénile ; à Londres, Gant (1872) Irritable
bladder, et, à Vienne, Ultzmann (1883) Névrose
des organes génito-urinaires de l’homme ;
Thompson (1889) à Londres Traité des maladies
des voies urinaires.
Au cours du XXesiècle, la façon de considérer
les troubles psychogènes de la miction évo-
luera très notablement : si leur description ana-
lytique varie peu, on les retrouve sous l’éti-
quette de “troubles fonctionnels” ; leurs
causes sont dénommées psychosociales et non
plus seulement psychiatriques. De nouveaux
syndromes sont isolés, en particulier l’associa-
tion du dysfonctionnement de la vessie à celui
d’autres organes contrôlés par le système ner-
veux autonome (troubles intestinaux ou génito-
sexuels, algies pelviennes). Enfin, l’apparition
des psychotropes fait émerger une pathologie
iatrogène sphinctérienne des pathologies psy-
chiatriques.
Dans tous ces travaux, la démarche étiopatho-
génique se borne en général à la constatation de
la coexistence de troubles mictionnels et psy-
chiques, à la recherche de corrélations statis-
tiques entre diagnostic psychiatrique et dia-
gnostic urologique (Stone et Meyer, 1985), ou de
troubles du métabolisme des neurotransmet-
teurs communs à certaines pathologies psychia-
trique et sphinctérienne (Steers et Lee, 2001).
Il faut observer que la psychanalyse lie explicite-
ment les sphincters, la sexualité et le psychisme
humains, qu’il s’agisse des “zones érogènes” de
Freud, de l’objet de Lacan, objet appartenant au
corps et séparé de ce corps en des lieux corpo-
rels spécifiques, au nombre desquels les sphinc-
ters, ou du rôle des castrations anale et urétrale
dans la constitution de l’image inconsciente du
corps chez Dolto. Paradoxalement, il n’y a pas
dans la littérature de travaux psychanalytiques
articulés spécifiquement consacrés aux troubles
sphinctériens psychogènes.
A
NALYSE DE LA LITTÉRATURE
L’analyse de la littérature, résumée sur les dif-
férents tableaux, a été menée à partir de
73 revues et 205 articles regroupant 2 837 obser-
vations cliniques analysables (2 280 femmes,
557 hommes). Une étude personnelle de 253
observations (173 femmes, 80 hommes) du
service de rééducation neurologique de 1986 à
2001, comportant un bilan clinique et urodyna-
mique, a également été utilisée. Dans ce cor-
pus, les pathologies psychiques causales
apparaissent sous différentes rubriques, dont,
à l’évidence, certaines se recoupent, dépen-
dant en partie des diverses théories de la vie
psychique auxquelles se réfèrent les auteurs.
Sont ainsi incriminés : syndrome dépressif,
névrose, hystérie, affection psychogène, trouble
psychocomportemental, affection psychoso-
matique, schizophrénie, psychose... quand on
ne parle pas modestement de symptômes fonc-
tionnels urinaires d’origine psychogène. Les
différents tableaux résument la répartition des
symptômes cliniques et urodynamiques rangés
sous ces différentes étiquettes.
Nb cas Signes fonctionnels urinaires Données urodynamiques
IU IUE PK DYS RET ENUR ACT. DET PU
NAugm. Dim. N Augm. Dim.
Littérature 317 297 20
Étude perso. 63 32 16 19 9 4 5 44 6 5 9 7 2
IU : incontinence urinaire ; IUE : incontinence urinaire d’effort ; DYS : dysurie ; PK : pollakiurie ; ENUR : énurésie ;
RET: rétention ; PU : pression urétrale ; ACT.DET : activité du détrusor.
Syndromes dépressifs (310 femmes et 70 hommes).
L
ES GRANDS SYNDROMES OU PATHOLOGIES PSYCHIATRIQUES
64
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2-3, vol. II - septembre 2002
Nb cas
Signes fonctionnels urinaires Données urodynamiques
IU IUE PK DYS RET ENUR ACT. DET PU
NAugm. Dim. N Augm. Dim.
Littérature 169 138 19 8 3 1 27 30 32
Étude Salpêtrière 8 1 1 4 2 1 1 6 1 2 3
IU : incontinence urinaire ; IUE : incontinence urinaire d’effort ; DYS : dysurie ; PK : pollakiurie ; ENUR : énurésie ;
RET: rétention ; PU : pression urétrale ; ACT.DET : activité du détrusor.
Névroses d’angoisse, névroses obsessionnelles (169 femmes et 8 hommes).
Nb cas
Signes fonctionnels urinaires Données urodynamiques
IU IUE PK DYS RET ENUR ACT. DET PU
NAugm. Dim. N Augm. Dim.
Littérature 36 12 2 1 2 19 3
Étude Salpêtrière 10 5 3 2 5 4 2 2 2 1 3 1
IU : incontinence urinaire ; IUE : incontinence urinaire d’effort ; DYS : dysurie ; PK : pollakiurie ; ENUR : énurésie ;
RET: rétention ; PU : pression urétrale ; ACT.DET : activité du détrusor.
Hystérie (44 femmes et 2 hommes).
Nb cas
Signes fonctionnels urinaires Données urodynamiques
IU IUE PK DYS RET ENUR ACT. DET PU
NAugm. Dim. N Augm. Dim.
Littérature 197 46 191 29 29 3 15 53
Étude Salpêtrière 74 17 7 20 16 18 6 36 11 9 14 7 5
IU : incontinence urinaire ; IUE : incontinence urinaire d’effort ; DYS : dysurie ; PK : pollakiurie ; ENUR : énurésie ;
RET: rétention ; PU : pression urétrale ; ACT.DET : activité du détrusor.
Affections psychogènes (204 femmes et 67 hommes).
congrès
65
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2-3, vol. II - septembre 2002
Nb cas
Signes fonctionnels urinaires Données urodynamiques
IU IUE PK DYS RET ENUR ACT. DET PU
NAugm. Dim. N Augm. Dim.
Littérature 249 106 106 143
Étude Salpêtrière
IU : incontinence urinaire ; IUE : incontinence urinaire d’effort ; DYS : dysurie ; PK : pollakiurie ; ENUR : énurésie ;
RET: rétention ; PU : pression urétrale ; ACT.DET : activité du détrusor.
Troubles psychocomportementaux.
Nb cas
Signes fonctionnels urinaires Données urodynamiques
IU IUE PK DYS RET ENUR ACT. DET PU
NAugm. Dim. N Augm. Dim.
Littérature 525 110 88 209 64 36 18 51 187 5 18 35 17
Étude Salpêtrière
IU : incontinence urinaire ; IUE : incontinence urinaire d’effort ; DYS : dysurie ; PK : pollakiurie ; ENUR : énurésie ;
RET: rétention ; PU : pression urétrale ; ACT.DET : activité du détrusor.
Affections psychosomatiques (385 femmes et 140 hommes).
Nb cas
Signes fonctionnels urinaires Données urodynamiques
IU IUE PK DYS RET ENUR ACT. DET PU
NAugm. Dim. N Augm. Dim.
Littérature 212 127 14 2 19 50 9 20 3 3 4
Étude Salpêtrière 14 2 1 5 6 7 2 1 1 1
IU : incontinence urinaire ; IUE : incontinence urinaire d’effort ; DYS : dysurie ; PK : pollakiurie ; ENUR : énurésie ;
RET: rétention ; PU : pression urétrale ; ACT.DET : activité du détrusor.
Schizophrénie (104 femmes et 122 hommes).
Dans cette rubrique, on trouve dans la littérature 79 observations de syndrome urétral.
Dans cette rubrique, on trouve dans la littérature une série de troubles mictionnels révélateurs
d’abus sexuels.
Dans cette rubrique, on trouve également des troubles mictionnels appelés ailleurs “fonctionnels”
et certaines affections dites “apparentées”.
66
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2-3, vol. II - septembre 2002
Nb cas
Signes fonctionnels urinaires Données urodynamiques
IU IUE PK DYS RET ENUR ACT. DET PU
NAugm. Dim. N Augm. Dim.
Littérature 39 2 2 5 5 2
Étude Salpêtrière 21 12 4 7 7 6 9 7 4 6 8 2
IU : incontinence urinaire ; IUE : incontinence urinaire d’effort ; DYS : dysurie ; PK : pollakiurie ; ENUR : énurésie ;
RET: rétention ; PU : pression urétrale ; ACT.DET : activité du détrusor.
Psychoses de types divers (9 femmes et 12 hommes).
Nb cas
Signes fonctionnels urinaires Données urodynamiques
IU IUE PK DYS RET ENUR ACT. DET PU
NAugm. Dim. N Augm. Dim.
Littérature 347 98 55 23 150 10 13 27 10 9 4 4
Étude Salpêtrière 17 10 2 7 1 3 2 10 2 4 4 4 1
IU : incontinence urinaire ; IUE : incontinence urinaire d’effort ; DYS : dysurie ; PK : pollakiurie ; ENUR : énurésie ;
RET: rétention ; PU : pression urétrale ; ACT.DET : activité du détrusor.
Affections psychiatriques diverses (264 femmes et 90 hommes).
L
ES SYMPTÔMES FONCTIONNELS URINAIRES
D
ORIGINE PSYCHOGÈNE
Nous avons recensé dans la littérature
1924 observations dans lesquelles chaque
symptôme fonctionnel urinaire isolé a été étu-
dié spécifiquement lorsqu’il était diagnostiqué
d’origine psychogène sans qu’il ait été pour
autant rattaché à une affection psychiatrique
clairement définie, mis à part ce qu’il est
convenu d’appeler “l’énurésie psychogène”,
qui sera envisagée dans l’étude de la popula-
tion particulière constituée par les enfants. Les
symptômes urinaires se répartissent en polla-
kiurie (787 cas), dysurie (199 cas), rétention
d’urine (491 cas) et énurésie (447 cas).
L’incontinence urinaire est rarement étiquetée
d’emblée psychogène alors qu’elle est relative-
ment fréquente, comme énuméré ci-dessus.
L
ES SYNDROMES APPARENTÉS
Les troubles mictionnels psychogènes sont
régulièrement associés de façon caractéris-
tique pour le diagnostic à d’autres symptômes
généraux, digestifs, génitosexuels et doulou-
reux de types divers. Ces symptômes sont
régulièrement au second plan, au moins en
première analyse car, de temps à autre, il
s’avère qu’il s’agit en réalité du symptôme pré-
dominant mais masqué. Les symptômes
congrès
1 / 7 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !