Les bases d`une croissance inclusive dans les villes européennes

Les bases d’une croissance
inclusive dans les villes
européennes
Paul Soto
Responsable de pôle thématique
Urbact
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Parmi les trois objectifs de la stratégie de l’Union européenne pour la décennie à venir figure celui de
« croissance inclusive ». Or, ces trois dernières années, les villes européennes ont dû faire face à un
revirement violent de l’économie, passant d’un contexte de croissance à la récession, de la mise en
œuvre de dispositifs de relance à une phase d’austérité et de rigueur. Trois ans, c’est également la
durée d’un projet Urbact. Dans ce chapitre, nous nous intéressons à quatre d’entre eux (OPEN Cities,
FIN-URB-ACT, Urban NOSE et WEED) qui se sont penchés sur différents moyens de faire émerger un
mode de développement urbain plus inclusif. Nous ferons part des principaux enseignements issus de
ces projets, en présentant des exemples d’actions concrètes pouvant être mises en œuvre par les villes
dans l’optique de se rapprocher d’une croissance inclusive.
Ce texte est la traduction de l’article « Laying the foundations for inclusive growth in European cities » publié dans la brochure
Urbact results de décembre 2011.
La croissance inclusive, c’est quoi ?
Diverses interprétations existent, et l’importance
accordée à tel ou tel élément peut changer
subrepticement au fil du temps, avec des
conséquences importantes sur les politiques
mises en œuvre et les conditions de vie des
populations. La politique économique actuelle de
l’UE définit ce que constitue la croissance
inclusive en affirmant que « les Etats membres
devraient garantir à tous les citoyens l’égalité
d’accès à l’économie. La croissance inclusive
devrait par conséquent contribuer à la
création d’une société où tous les citoyens
ont accès au marché du travail et bénéficient
des retombées de la croissance
économique ». L’importance de l’accès à
l’économie et au marché du travail est clairement
énoncée. Dans cet article, nous nous
concentrons sur les projets Urbact qui se sont
concentrés sur cette question, tout en
reconnaissant que cet angle exclut la question de
la pauvreté et des inégalités dont souffrent les
populations qui, pour diverses raisons, n’ont pas
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la possibilité d’être présentes sur le marché du
travail ou souffrent d’autres formes de
discrimination.
Même en se limitant à la problématique précise
de l’égalité de l’accès au marché du travail, la
possibilité d’atteindre une croissance inclusive
dans nos villes s’est sérieusement détériorée ces
trois dernières années. D’après Eurostat, le
nombre de demandeurs d’emploi a augmenté
d’1,6 millions de personnes en 2010, atteignant
22,9 millions de personnes, soit 9,6% de la
population active. Depuis le début de la crise, ce
sont plus de 6,5 millions de personnes qui sont
devenus chômeurs. On compte 11 chercheurs
d’emploi pour chaque offre disponible, et plus de
40% des chercheurs d’emploi le sont depuis plus
d’un an.
La dure réalité est qu’il n’y a simplement pas
suffisamment d’emplois pour l’ensemble de la
population active, et tel un jeu de chaises
musicales, la baisse du chômage pour une
catégorie de la population (par exemple les
seniors) se traduit par une hausse pour d’autres
(par exemple les jeunes, les migrants, les
femmes). Dans ce cadre, l’accessibilité au
marché du travail se teinte d’inégalités
grandissantes. Les jeunes et les ressortissants
de pays extérieurs à l’UE sont sujets à des taux
de chômage qui atteignent le double de la
moyenne communautaire, avec parfois des taux
scandaleux comme celui de 2 jeunes chercheurs
d’emploi sur 5 en Espagne. Si le chômage des
femmes a tendance à être légèrement inférieur à
celui des hommes, c’est seulement parce qu’un
grand nombre d’entre elles ne sont pas sur le
marché du travail. Quand elles le sont, elles
continuent à faire face à des inégalités
significatives de salaires et à des dynamiques de
ségrégation.
S’ajoutant à la pénurie d’emplois et à leur
distribution inégale, la tendance actuelle est à la
polarisation du marché du travail. Aux Etats-Unis
et en Europe, la combinaison de nouvelles
technologies, des délocalisations et de la
concurrence mondiale semble mener à la
disparition de nombreux emplois manuels ou non
manuels moyennement qualifiés. Simultanément,
on assiste d’un côté à la multiplication des
emplois très bien payés occupés par une main-
d’œuvre qualifiées et de l’autre au
développement d’emplois précaires mal payés
mais non délocalisables, notamment dans
l’industrie du service à la personne. D’après le
Centre européen pour le développement de la
formation professionnelle (Cedefop), « les
changements, structurels et autres, auxquels
nous assistons sont en passe de créer de
nombreux emplois hautement qualifiés et un
nombre encore plus important d’emplois à l’autre
extrémité du spectre, mal payés et précaires.
Cela posera des problèmes majeurs pour les
décideurs qui se préoccupent des questions
d’équité et de cohésion sociale ».
Ces changements dans la structure du marché
du travail se combinent à une autre tendance.
D’après le dernier rapport de la Commission
européenne sur l’emploi en Europei , « les
réformes du droit du travail réalisées au cours de
la dernière décennie ont souvent été partielles ou
à deux vitesses… Elles ont d’abord permis la
multiplication d’emplois de courte durée. Ensuite,
ces réformes ont engendré l’émergence de deux
marchés du travail distincts, l’un pour les
employés permanents qui occupent des postes
stables et ont des perspectives d’évolution de
carrière et de rémunérations (les insiders du
marché du travail) et l’autre pour les employés en
contrats à durée déterminée, qui se retrouvent
souvent contraints à occuper des postes
temporaires dans des conditions précaires (les
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outsiders du marché du travail)». Les emplois à
durée déterminée représentent désormais 40%
des emplois occupés par les jeunes dans l’UE.
Pour les villes européennes qui veulent
promouvoir des modes de croissance inclusifs,
se dessine ainsi en toile de fonds une pénurie
d’emplois, une distribution inégale de ces
emplois et une polarisation grandissante entre
les ‘insiders’ et les ‘outsiders’ du marché du
travail. De surcroît, le contexte
macroéconomique est devenu moins favorable.
Seulement six mois avant la rédaction de cet
article, le programme Urbact a publié un rapport
sur l’impact de la crise sur les villes européennes
et les réponses qu’elles peuvent tenter
d’apporterii. De nombreux exemples présentés
dans ce rapport s’inscrivaient dans le cadre de
dispositifs de relance destinés à éviter la crise.
Depuis, la pression exercée par les dettes
souveraines a modifié les priorités des
gouvernements, passant de la lutte contre le
chômage à la consolidation des dettes, ce qui a
ouvert la voie à un certain nombre de politiques
créant des contraintes et des risques majeurs
pour les villes en termes de croissance inclusive :
De nombreux rapports pointent vers l’impact
négatif des mesures d’austérité mises en
œuvre dans des pays comme la Grèce,
l’Espagne, l’Irlande et le Royaume-Uni d’une
part sur les services publics essentiels et les
dispositifs d’aide et d’allocations, et d’autre
part sur l’augmentation du coût de la vie pour
les populations locales (loyers, énergie,
transport…). Des effets sur le marché du
travail sont également observés : disparition
de nombreux emplois dans le secteur public,
diminution des salaires et réduction des
investissements publics. Tout cela a pour
conséquence de déprimer encore davantage
la consommation domestique et de réduire le
marché pour les entreprises locales. En
théorie, ces mesures d’austérité doivent
permettre de restaurer la confiance et de
créer des conditions favorables pour que le
secteur privé remplace le secteur public sur
un certain nombre d’activités, mais même les
prévisions les plus optimistes ne s’attendent
pas à ce que cela arrive dans les deux ou
trois prochaines années.
Etant donné l’état actuel du marché intérieur,
une grande importance est accordée à la
concurrence avec les économies émergentes
sur le marché mondial (on dit souvent qu’il
s’agit de protéger le modèle social
européen). Cependant, cette priorité donnée
au marché mondial met en péril l’objectif de
croissance inclusive pour les villes. Dans un
premier temps, cela crée une tendance à la
concentration des investissements et des
ressources dans les secteurs, emplois et
territoires les plus productifs, puisqu’ils sont
le plus susceptible d’être compétitifs sur le
marché mondial, avec les effets néfastes de
polarisation sociale et territoriale que cela
pourrait engendrer. Dans un second temps,
cette priorité donnée au marché mondial
incite à ne pas augmenter les salaires, pour
tous les travailleurs mais en particulier pour
les plus mal payés.
L’initiative phare de l’Union européenne
«Une stratégie pour les nouvelles
compétences et les nouveaux emplois »iii met
en avant deux priorités d’intervention sur la
demande de travail pour : a) promouvoir la
création d’emploi et la demande de travail, et
b) améliorer la qualité des emplois et des
conditions de travail. Cependant, une
majorité des mesures prévues par cette
initiative phare, comme c’est le cas des
initiatives phares sur la jeunesse ou sur la
pauvretéiv, se concentrent sur des
interventions sur l’offre de travail, par le biais
de mesures visant à développer les
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compétences de la main-d’oeuvre.
Cependant, si ces mesures sur l’offre de
travail ne s’accompagnent pas de mesures
pour augmenter la demande, le résultat ne
peut être qu’un déplacement du chômage
entre diverses catégories de la population.
Dans cette optique, les mesures visant à
repousser l’âge de la retraite agissent
clairement contre les objectifs de réduction
du chômage des jeunes et d’augmentation
du taux d’activité des femmes.
La méthode privilégiée pour dynamiser le
marché du travail est de renforcer la
« flexicurité ». Dans sa version originale,
développée dans les pays nordiques, la
méthode implique de développer la flexibilité
du travail en échange d’allocations chômage
plus généreuses et de mesures de soutien à
la recherche d’emploi plus développées.
Cependant, les mesures d’austérité signifient
souvent une diminution ou un gel des
allocations chômage et des ressources
disponibles pour soutenir la recherche
d’emploi. Dans ce contexte, le risque est bien
de voir la flexicurité se transformer en simple
flexibilité, renforçant ainsi la multiplication
des emplois précaires mal rémunérés et la
polarisation du marché du travail.
Dans un contexte aussi délicat, il est évident que
les villes seules ne peuvent pas trouver des
solutions miracles. Leur marge de manœuvre est
limitée. Elles doivent souvent nager dans le sens
du courant tout en essayant d’orienter leur
développement dans la direction souhaitée. En
conséquence, les politiques et les projets
explorés par les projets des villes Urbact sont de
manière générale plutôt modestes au regard des
défis auxquels elles font face. Cependant, ils
apportent des exemples concrets d’actions que
les villes peuvent mettre en œuvre pour dépasser
les discours et mettre en œuvre des modes de
développement plus inclusif.
Sur quoi les travaux d’Urbact sur la
croissance inclusive ont-ils porté ?
Dans cet article, nous tirons les enseignements
des travaux de quatre projets Urbact centrés sur
le thème de la croissance inclusive dans les
villes. Tous ont terminés leur cycle de travail et
d’échange au cours du premier semestre 2011.
Deux des quatre projets se sont penchés sur les
étapes à franchir pour stimuler la demande de
travail. Bien que le projet FIN-URB-ACT ne se
soit pas concentré en premier lieu sur les
questions d’emploi et de marché du travail, il
formule des propositions réalistes visant à
améliorer la coordination entre les villes ou leurs
organismes et les autres niveaux de
gouvernement, dans l’optique de mieux soutenir
le développement des entreprises high-tech et
des très petites entreprises ou projets. Le projet
Urban N.O.S.E va encore plus loin en se
demandant comment les villes peuvent soutenir
les entreprises de l’économie sociale et solidaire,
qui créent des emplois pour les populations
défavorisées dans des secteurs qui répondent à
une demande sociale et environnementale.
Bien qu’ils abordent aussi la question de la
demande, deux autres projets Urbact se sont
concentrés davantage sur l’offre de travail, et
particulièrement sur les bénéfices que les villes
peuvent tirer de l’intégration sur le marché du
travail de deux catégories de la population qui
sont souvent considérés comme des populations
à problèmes. Le projet WEED a ainsi exploré les
manières de mobiliser les femmes dans les
économies locales, montrant que leur
participation à l’économie jouait un rôle majeur
pour le développement durable des villes. Le
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