Chapitre 4 – Qu`est-ce qu`un système financier ?

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Chapitre 4 – Qu’est-ce qu’un système financier ?
Plan :
I. Quelle est l’histoire des systèmes financiers ?
A. L'émergence des systèmes financiers de l’Antiquité au début XIXème siècle
1) La naissance des instruments financiers : le rôle essentiel de la rente et de la lettre de
change dans le développement des marchés financiers
2) Le développement du commerce : un préalable au développement des marchés financiers
3) La création de lieux d’échange et de places boursières
B. L’essor des marchés financiers privés jusqu’à la première guerre mondiale
1) La constitution des marchés financiers privés
2) L’expansion du système bancaire accompagne le développement des marchés financiers
partir du milieu du XIXème siècle
C. De la première guerre mondiale au début des années 1980 : « D’un Etat banquier à une
économie d’endettement »
1. Années 1920 et 1930 : Le recul des marchés financiers
2. Les années 1950 : la naissance d’un « Etat banquier »
3. Des années 1960 aux années 1980 : Le désengagement de l’Etat au profit des banques dans
le cadre d’une économie d’endettement
D) Après les années 1980 : recul accru de l’Etat et développement d’une économie de marchés
financiers
1. Le désengagement de l’Etat du financement de l’économie
2. La constitution d’une économie de marchés financiers libéralisée
3. Une diversification des marchés de capitaux
II. Quels sont les liens entre système financier et croissance économique ?
A. Le développement de la finance est-elle une source de croissance économique ?
B. Quel système financier est le plus favorable à la croissance économique ?
C. Les marchés financiers : allocation optimale des ressources ou risques accrus ?
Mots-clés : système financier, marchés financiers, marché boursier, manché monétaire, rente, lettre de
change, système bancaire, autofinancement, financement externe, spécialisation bancaire, banque
universelle, merchants bank, commercial banks, banque d’affaires, banque de dépôt, Etat banquier,
économie d’endettement, économie de marchés financiers, stagflation, déréglementation,
désintermédiation, décloisonnement, taux d’intermédiation financière, marché interbancaire, marché
des TCN (ou marché monétaire élargi), action, obligation, premier marché, second marché, nouveau
marché, marché hors cote, marché des produits dérivés (MATIF et MONEP), capital-risque, théorie
de l’efficience informationnelle des marchés, conventions
Auteurs :
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HAUCOEUR Pierre-Cyrille, « Marchés financiers et développement économique : une
approche historique », in Regards croisés sur l'économie, 2008/1 (n° 3), p. 159-172.
DAUMAS Jean-Claude. « Le financement d'une entreprise textile familiale : des logiques
entrecroisées », in Histoire, économie et société, 2002, 21ᵉ année, n°3. pp. 377-394;
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FAMA E.F. (1970), « Efficient capital markets : a review of theory and emprical work », The
Journal of Finance, vol. 25, n° 2, p. 383-417
FAMA E.F. (1991), « Efficient capital markets : II », Journal of Finance, vol. 46, n° 5,
p. 1575-1617.
ORLEAN André, « La notion de valeur fondamentale est-elle indispensable à la théorie
financière ? », Regards croisés sur l'économie 1/2008 (n° 3), p. 120-128
I. Quelle est l’histoire des systèmes financiers ?
Nous allons identifier rapidement les principales étapes du développement des systèmes
financiers en France et, dans une moindre mesure, en Allemagne et en Angleterre. Cette brève
présentation de l’histoire des systèmes financiers permettra de revenir notamment sur le rôle
de l’Etat dans l’encadrement et la libéralisation des marchés financiers.
A. L'émergence des systèmes financiers de l’Antiquité au début XIXème siècle
L’émergence des systèmes financiers s’est appuyée historiquement sur la naissance
d’instruments financiers, le développement du commerce et la création de lieux d’échange.
1) La naissance des instruments financiers : le rôle essentiel de la rente et de la lettre de
change dans le développement des marchés financiers 1
Rappel n°1. Système financier, marché financier, marché de capitaux…kesako ?
Pour Jean-Paul Pollin, un système financier se définit par l'ensemble des règles, des pratiques et des
institutions (Bourses de valeurs, banques, etc.) qui permettent de mobiliser des capitaux pour les mettre à
disposition d'agents à besoins de financement.
Ce système financier peut alors prendre des formes différentes. Parmi ces formes, il y a les marchés de
capitaux, soit les marchés sur lesquels les agents à besoin de financement pourront rencontrer les agents
à capacité de financement. On distingue alors
-
les marchés des capitaux à court terme : marchés monétaires;
-
les marchés des capitaux à moyen et long terme : marchés financiers ou boursiers
Ici, la notion de « marchés financiers » est entendue au sens étroit, c’est-à-dire qu’elle ne concerne que les
marchés de capitaux à moyen et long terme. Mais il est possible de l’entendre au sens large et dans ce cas,
cette notion concerne les marchés de capitaux à moyen et long terme, mais aussi à court terme. Ainsi, au sens
large, la notion de « marchés financiers » est équivalente à celle « marchés de capitaux ».
Pour éviter les confusions, nous parlerons de « marchés financiers », il s’agira des marchés financiers
au sens large, donc de l’ensemble des marchés de capitaux. Nous parlerons de « marchés boursiers »
lorsqu’il s’agira des marchés financiers au sens étroit.
Nous verrons plus en détail ces différents marchés de capitaux dans la suite du chapitre.
Depuis l’Antiquité, il y a eu en Europe des prémices à la constitution des systèmes
financiers. Des négociants se réunissent pour pratiquer les échanges de monnaies, qu’il
s’agisse des courtiers d’Athènes (les « trapézistes » car ils travaillent sur une trapeza [table])
ou des changeurs de Rome. Dans cette ville existe déjà une Bourse de valeurs où se négocient
les titres des sociétés mises en place par les publicains afin d’exploiter les monopoles dont ils
bénéficient (fournitures aux armées, collecte des impôts).
1 Cette partie s’inspire largement de Pierre-Cyrille Hautcoeur, « Marchés financiers et développement
économique : une approche historique », in Regards croisés sur l'économie, 2008/1 (n° 3), p. 159-172.
Mais la constitution des marchés financiers a été ralentie pour au moins deux raisons :
l’interdiction de l’usure et la non négociabilité des créances.
L’existence de marchés financiers suppose en premier lieu la légalité du crédit. L’interdit
religieux envers l’usure (c’est-à-dire les intérêts) présentait, dans l’Occident médiéval
comme dans certains pays islamiques aujourd’hui un obstacle important qui n’a été levé
que lentement. Depuis les textes bibliques, il existe une longue tradition chrétienne de
condamnation de l'usure. Par exemple, dès le Haut-Moyen Âge, l'Église catholique
romaine reprend la distinction que fait le Droit romain pour le prêt de biens mobiliers : celui
des choses qui se consument par l'usage et celui des choses qui ne se consument pas, appelé
commodatum. Exiger un paiement pour le commodat est contraire à la charité, et l'argent est
un bien qui ne se consume pas. Dès cette époque, on voit le prêt à intérêt condamné par
le Concile de Nicée en 325 sur le fondement de l'Ancien et du Nouveau Testament, puis par le
capitulaire de Nimègue de Charlemagne en 806 et le capitulaire d'Olonne de Lothaire en 825.
Plus tard, au XIIème siècle, l'Église continue à interdire la pratique de l'usure, toujours en
s'appuyant sur les Saintes-Écritures, mais en prenant aussi appui sur la critique de
la chrématistique par Aristote, c'est-à-dire la critique du prêt à intérêt comme un moyen
injuste, déshonorant et contre nature de s'attribuer le bien d'autrui. Thomas
d'Aquin condamne le prêt à intérêt : « Recevoir un intérêt pour l’usage de l’argent prêté est
en soi injuste, car c’est faire payer ce qui n’existe pas ; ce qui constitue évidemment une
inégalité contraire à la justice... c’est en quoi consiste l’usure. Et comme l’on est tenu de
restituer les biens acquis injustement, de même l’on est tenu de restituer l’argent reçu à titre
d’intérêt ».
Néanmoins, le crédit à court terme s’est épanoui grâce l’invention de la lettre de change
qui, en fournissant des services de change et de déplacement géographique des paiements,
masquait l’élément de crédit qui lui était pourtant consubstantiel. Le crédit à long terme a
trouvé deux voies de développement :
-
La participation à l’entreprise, la commenda italienne (qui a donné la commandite
française, toujours en usage), par laquelle un capitaliste apporte des capitaux à un
entrepreneur en assumant une partie des risques et en échange d’une partie des bénéfices ;
Le contrat de rente, qui n’est – spécialement grâce à une déclaration papale de 1251 – pas
considéré comme un crédit (qui serait usuraire) mais comme l’échange d’un versement
immédiat contre un flux de revenus, soit pour la durée de vie du bénéficiaire (rente
viagère), soit perpétuellement (rente perpétuelle).
Les rentes et la lettre de change commencent à jouer un rôle financier important au
XIIIème siècle. Ils doivent pour cela surmonter un deuxième obstacle, le caractère non
négociable des créances (le fait que leurs détenteurs ne peuvent pas les céder à des tiers, ou
seulement avec l’accord du débiteur ou du prêteur initial). Contrats entre deux parties, les
lettres de change (Celles-ci sont des reconnaissances de dettes permettant de payer
ultérieurement dans une autre ville et dans une autre monnaie) comme les rentes ne sont pas
spontanément négociables, de même qu’un crédit bancaire ne l’est pas automatiquement
aujourd’hui. Or cette négociabilité est essentielle à la constitution de marchés financiers. En
effet, les lettres de change et les contrats de rente doivent pouvoir être achetées et vendues
pour que les marchés financiers s’étendent.
Pour les lettres de change, elles circulent entre les grandes foires du Moyen Âge : « foires
de Champagne » aux XIIe et XIIIe siècles (Lagny, Provins, Troyes, Bar-sur-Aube), où les
Italiens échangent des soieries et des épices rapportées d’Orient contre les produits lainiers
des Flamands, foires de Bruges, de Chalon-sur-Saône, d’Anvers, de Francfort-sur-le-Main
(XIVe et XVe siècles). Les tribunaux ne les reconnaissent cependant qu’à partir de 1436 en
Angleterre, et un peu plus tard sur le continent. Au XVIe siècle, les lettres de change se
transforment en un support efficace de crédit en devenant endossables (le bénéficiaire peut,
par une signature au dos du document, le transmettre à son propre créancier pour honorer à
son tour ses engagements).
Ce sont, dès le XIIIe siècle, des collectivités publiques qui développent le rôle des rentes
dans le marché financier. Les pionnières sont des villes libres du Nord de la France. Les
siècles suivants voient l’extension de l’usage des rentes à des entités politiques plus
importantes. On l’observe ainsi dans les Etats de Hollande en 1485, en 1542 en France dans
les émissions de l’Hôtel de Paris. Il y a même des marchés qui s’organisent dans des villes
comme à Bruges (1409), Lyon (1462), Anvers au XVIème siècle et Amsterdam jusqu’en
1792 jouent un rôle de marché financier européen. Au XIXème siècle, se constitue un
véritable marché de la dette publique centralisé, unifié et donc très liquide. Au XIXème
siècle, cette diffusion est l’un des moyens principaux de l’intégration financière
internationale : les dettes publiques du monde entier sont cotées sur les grandes Bourses
européennes, Londres et Paris en premier lieu, et deviennent les instruments privilégiés des
paiements ou des crédits internationaux. Cela commence par les emprunts émis par les
nouveaux Etats latino-américains dès leur indépendance dans les années 1820, et finit à la
veille de 1914 par les emprunts russes ou ottomans. Jusqu’à la seconde moitié du XIXème
siècle, le marché bousier est accaparé par les titres de la dette publique. Ainsi, la cote
officielle, publiée pour la première fois en 1795 à la Bourse de Paris, ne comporte
pratiquement que des rentes d’Etat.
2) Le développement du commerce : un préalable au développement des marchés financiers
Par ailleurs, la constitution de marchés financiers est indissociable du développement du
commerce. On peut citer de ce point de vue le rôle des marchands-banquiers toscans.
Durant les XIIIe et XIVe siècles, les Toscans (Florentins, Siennois, Lucquois) dominent la
finance européenne, en particulier en France et en Angleterre (les Médicis, les Frescobaldi, les
Bardi, les Peruzzi). Ils deviennent les intermédiaires de l’Église romaine (centralisation des
impôts, règlement de certaines dépenses, avances de trésorerie, frappe des monnaies). Grâce
au commerce de marchandises sur toutes les places d’Europe, ils procèdent à des virements
entre les comptes qu’ils tiennent au nom de leurs clients et fournisseurs en évitant ainsi tout
transport d’espèces. Durant la seconde moitié du XVIe siècle, l’influence des Toscans décline
dans toute l’Europe au bénéfice des Génois (les Grimaldi, les Spinola, les Cattaneo). Au
XVIIe siècle, ceux-ci seront relayés par les banquiers protestants, parmi lesquels les «
Genevois » qui occuperont une place déterminante au XVIIIe.
3) La création de lieux d’échange et de places boursières
À partir de la fin du XVe siècle, les affaires se concentrent sur quelques villes
européennes. Lyon s’affirme la première comme lieu de foires commerciales trimestrielles et
place financière. Les rois de France encouragent cette activité car ils y voient un gisement de
crédits à court terme à leur profit. Au XVIe siècle, les emprunts de Charles Quint et Philippe
II auprès des marchands florentins (qui reçoivent des dépôts rémunérés du public) font
d’Anvers une grande place financière permanente. Mais, à la fin du siècle, la restructuration
des échanges commerciaux fait reculer Anvers au profit des « foires de Besançon ». Créées
par Charles Quint et tenues à intervalles réguliers par les Génois dans la cité francomtoise et
diverses villes suisses et d’Italie du Nord, elles contribuent à faire de Gênes le nouveau pôle
dominant de la finance.
Au XVIe siècle, les pouvoirs publics commencent à instituer, officiellement et sous leur
contrôle, les premières véritables Bourses de valeurs modernes : Anvers (1531), Lyon
(1540), Londres (1571) sont les plus anciennes. La Bourse de Paris naît en septembre 1724 à
l’Hôtel Mazarin, rue Vivienne. Au XVIIe siècle, la Bourse d’Amsterdam deviendra la plus
importante par son volume d’échanges avant d’être supplantée par Londres au siècle suivant.
Le nom de ces temples du commerce de l’argent provient du patronyme et du blason (trois
bourses sur un écu) de la famille Van der Burse de Bruges, chez qui les commerçantsbanquiers avaient l’habitude de se réunir à l’occasion des foires pour négocier les lettres de
change.
B. L’essor des marchés financiers privés jusqu’à la première guerre mondiale
Au XIXème siècle, les marchés financiers privés connaissent un véritable développement.
Celui-ci se poursuit jusqu’à la première guerre mondiale et s’accompagne de l’expansion du
système bancaire. Les banques occupent effectivement une position de plus en plus
importante dans le financement de l’économie qui passe notamment par les marchés
financiers.
1) La constitution des marchés financiers privés
Au XIXème, on assiste à une consolidation des marchés financiers et surtout à l’émergence
de marchés financiers privés. En effet, dans la seconde moitié du XIXème siècle de
nombreuses entreprises privées émettent des actions et obligations alors que le marché
bousier était jusqu’à présent principalement concerné par l’émission de titres de la dette
publique. On peut distinguer trois raisons à ce changement :
-
-
Les interdits pesant sur les intérêts tombent, ce qui entraine une grande liberté
d’innovations financières et par l’émergence des actions et obligations modernes ainsi
que par la légalisation d’instruments plus sophistiqués.
La libéralisation des sociétés anonymes (entre 1850 et 1880 dans toute l’Europe) rend
aisé le recours à des actionnaires extérieurs non responsables des dettes des entreprises,
encore limité dans les commandites (qui requièrent au moins un commandité. responsable
et lui assurent la gérance)
L’émergence de secteurs dans lesquels la taille des entreprises les besoins de capitaux
sont tels que le recours au marché financier s’avère nécessaire, d’autant plus que l’Etat,
lourdement endetté par les guerres passées, ne veut en général pas s’y engager.
Dans ce dernier cas, on peut citer le rôle des compagnies de chemin de fer. A partir de 1840,
pendant plusieurs décennies, des compagnies se créent et doivent construire des réseaux très
coûteux. L’autofinancement est alors insuffisant. Pour obtenir des financements externes,
elles émettent des actions, puis des obligations. Les émissions totalisent environ 10% de
l’investissement national, soit 1% du PIB, chaque année pendant plusieurs décennies. Les
compagnies de chemin de fer exercent un effet d’entrainement : sidérurgie et industries
métallurgiques se concentrent et se développent, en recourant également aux marchés
financiers.
A la veille de 1914, la capitalisation des titres cotés à la Bourse de Paris représente
environ trois fois le PIB (même si les titres étrangers, soit la moitié de l’ensemble, ne sont
sans doute pas tous détenus en France) et, selon les estimations de l’époque, environ la moitié
de la fortune nationale.
2) L’expansion du système bancaire accompagne le développement des marchés financiers
partir du milieu du XIXème siècle
A partir du milieu du XIXème siècle, le système bancaire est en plein essor. L’expansion
du système bancaire accompagne alors le développement des marchés financiers privés
car les banques y jouent un rôle croissant.
Auparavant, son rôle économique et financier était relativement restreint :
-
-
L’activité bancaire était fortement centrée sur quelques activités. En France, c’est le
cas essentiellement pour le commerce international, qui permet aux banques de réaliser
de rentables opérations de négoces de produits coloniaux (coton, tabac…), et le
financement des gouvernements, notamment à travers les fournitures aux armées.
L’autofinancement domine : En France comme en Angleterre, il y a un grand nombre
d’entreprises familiales où le financement interne est suffisant. On peut citer l’exemple de
la firme lainière elbeuvienne Blin et Blin, fondée en 1827 par Aron Blin à Bischwiller
dont l’autofinancement a dominé entre 1827 et 18712 . Il y a également une faible
concentration d’entreprises, les besoins de financement sont donc d’autant plus réduits.
Le système bancaire demeure donc jusqu’au milieu du 19ème siècle archaïque et mal adapté à
la croissance industrielle. Cependant, la révolution ferroviaire marque un tournant décisif. En
en 1830, une première ligne commerciale est ouverte entre Manchester et Liverpool. Il y a 10
500 kms de rails en Angleterre. Le réseau se densifie un peu plus tard en Europe. La longueur
des réseaux de chemins de fer passe de 175 km en 1830 à 104 900 kms en 1870 et 362 700
kms en 1913. Le développement des chemins de fer constitue un moteur de la croissance
industrielle et se traduit par une demande de capitaux très forte en France et en Angleterre.
Dans ce contexte, le système bancaire croît très fortement en participant au financement
des multiples investissements liés à l’expansion du rail. Ainsi, dès 1837, les banques
Rotschild et Pereire émettent des actions pour le financement de la ligne Paris- St Germain ;
en 1845 est créée la Compagnie des chemins de fers du Nord. Cet exemple permet de
constater l’interconnexion entre l’essor des marchés financiers privés et le développement
d’un système bancaire moderne : les banques s’insèrent sur les marchés financiers en
émettant/achetant des actions qui participent au financement du rail.
2Daumas Jean-Claude. « Le financement d'une entreprise textile familiale : des logiques entrecroisées », in
Histoire, économie et société, 2002, 21ᵉ année, n°3. pp. 377-394;
La France a opté dans un premier temps pour le modèle allemand, puis a évolué vers
une spécialisation des activités bancaires à partir des années 1860. On peut citer comme
banque universelle la banque Lafitte créée en 1837 qui à la fois une banque de dépôts et une
banque par actions. Ces banques universelles développent principalement des opérations de
financement à long terme dans les chemins de fer. Néanmoins, lors de la crise de 1846-1848,
ces banques connaissent de lourdes difficultés financières et certaines font faillite comme la
banque Laffitte, ce qui conduit à l’évolution vers une spécialisation bancaire à l’anglaise. On
distingue deux types de banque :
-
-
La banque d’affaires, spécialisée dans le financement de long terme les opérations
ferroviaires, industrielles et immobilières. C’est le domaine de la haute finance illustré
par les créations de nouvelles banques comme le crédit mobilier des frères Pereire en
1852, La Banque de Paris en 1869 ;
La banque de dépôts, qui cherche à capter l’épargne publique, traditionnellement forte
en France et encore fortement thésaurisée (en 1860, les 3/4 des Français ne utilise pas le
système bancaire), et qui se spécialise dans le crédit à court terme et l’escompte. Ce sont
des banques de réseaux, multipliant les guichets comme le Crédit Lyonnais en 1863 ou la
Société Générale en 1864.
L’activité bancaire et financière connait en France en développement considérable sous
le second empire pour au moins deux raisons :
-
la loi sur les sociétés anonymes 1867 permet aux banques de se constituer en société
financière : la concentration et les regroupements sont désormais possible. Le crédit
devient moins coûteux et plus facile d’accès ;
La baisse de la thésaurisation au profit de l’épargne : il faut attendre les années 1870 pour
que le public ait confiance dans les banques de dépôts et laissent leur épargne. Jusqu’alors,
il y avait la peur que ces banques fassent faillite et que les épargnants soient ruinés. C’est
ainsi qu’ont pu se développer les billets de banque, le règlement par chèque. Le
développement de la monnaie scripturale accompagne le développement économique. De
même, la part des titres dans le patrimoine des ménages augmente. Les placements dans
l’immobilier et les investissements à l’étranger (emprunts russes) remportent un grand
succès.
Les marchés financiers continuent à se développer jusqu’aux années 1920 dans beaucoup de
pays riches. Les marchés boursiers sont ouverts à un plus grand nombre d’entreprises, d’où
une hausse des cours et d’importantes émissions liées à la vive croissance de secteurs comme
l’électricité mais aussi l’automobile et la chimie.
C. De la première guerre mondiale au début des années 1980 : « D’un Etat
banquier à une économie d’endettement »3
Face au développement des marchés financiers privés, le rôle de l’Etat évolue
considérablement entre la première guerre mondiale et le début des années 1980.
Jusqu’aux années 1960, l’Etat occupe une place grandissante dans le financement de
l’économie. Il prend le contrôle d’une partie importante du système financier ; Marie Deplace
3MarieDeplace,«L'évolutiondufinancementdel'économieenFrancedepuis1945»,RevueIdées(?)
http://www.educ-revues.fr/ID/AffichageDocument.aspx?iddoc=35533#N1
parle d’un « Etat banquier » pour qualifier son rôle dans années 1950. A partir des années
1960, son activité recule au profit des banques qui jouent le rôle d’intermédiaire financier
dans le cadre d’une économie d’endettement.
1. Années 1920 et 1930 : Le recul des marchés financiers
Plusieurs facteurs entraînent un recul des marchés financiers :
-
-
La première guerre mondiale entraîne une inflation très forte dans plusieurs pays
européens qui ruine les détenteurs d’obligations et réduit la valeur des actions. De plus, la
guerre conduit l’Europe à développer l’intervention de l’État dans l’économie, ce qui se
traduit par une fiscalité très fortement accrue sur les revenus du capital dans les années 20
et donc à une baisse de l’épargne.
La crise de 1929 est considérée à l’époque comme le résultat des spéculations
effrénées, ce qui conduit à une méfiance très forte envers les marchés financiers. Ainsi
aux Etats-Unis, les activités bancaires et financières sont strictement séparées par le Glass
Steagall Act en 1933. Partout l’activité boursière recule durablement.
Plusieurs pays européens (France, UK, Italie) procèdent à des nationalisations de pans
entiers de l’industrie et des services (chemins de fer, électricité, charbonnages, banques),
réduisant ainsi la valeur de capitalisation boursière. Par exemple, le Front
populaire nationalise les usines d'armement (11 août 1936) et les Chemins de fer en créant
la SNCF (31 août 1937). Le secteur de la construction aérienne est également nationalisé en
août 1936 et début 1937.
2. Les années 1950 : la naissance d’un « Etat banquier »
3. Des années 1960 aux années 1980 : Le désengagement de l’Etat au profit des banques dans
le cadre d’une économie d’endettement
A la fin des années 1950, le budget français tend à devenir déficitaire. Le déficit
budgétaire représente 5,1% du PIB en 1956. L’Etat français cherche alors à réduire ses
dépenses. C’est le sens du plan de stabilisation mené entre 1963 et 1965 par Valérie Giscard
d’Estaing, alors Ministre de l’économie et des finances, suite à la dévaluation du franc en
1962.
C’est dans ce contexte que l’Etat se désengage du financement de l’économie. Pour ce faire
le Trésor et les institutions financières qu’il contrôle se désengagent de la distribution des
crédits, y compris ceux à long terme. De plus, l’Etat encourage l’expansion du modèle de
la banque universelle, c'est-à-dire une banque qui assume l'ensemble des fonctions des
banques (collecte de dépôts à court, moyen et long terme ; prêts à toutes échéances ; prise de
participation dans les entreprises...). Cette évolution est permise par la grande réforme
bancaire de 1966-1967 (décrets « Debré-Haberer ») qui remet en cause la loi du 2 décembre
1945 sur la spécialisation bancaire. Désormais, les banques de dépôts et les banques
d’affaires ont la possibilité de recevoir des dépôts à vue ou à court terme. Cette réforme
bancaire prévoit également une stimulation de la concurrence entre les banques grâce à la
liberté d’ouverture de guichets. Cette déspécialisation des banques stimule la concentration
bancaire et favorise l'émergence de grands groupes bancaires susceptibles de
concurrencer les groupes étrangers qui s'implantent massivement en France. Ces grands
groupes bancaires se développent de façon importante. Suite à la suppression de la nécessité
d'obtenir une autorisation d'ouverture de guichets, le nombre des guichets double quasiment
(4 849 en 1967 et 9 291 en 1974). Les crédits distribués par les banques augmentent de façon
considérable, passant de 88 milliards de francs en 1962 à 258 milliards en 1969 et 451
milliards en 1973.
Le retour à un modèle de banque universelle et la progression très rapide et forte du
crédit, qu’il permet, signe le développement d’une « économie d’endettement ». Par ce
terme, on rend compte d'un système financier ou les entreprises se financent essentiellement
par crédit bancaire : il s'agit de finance indirecte, dont le mécanisme fondamental est celui de
la transformation bancaire, c'est-à-dire le financement d’investissements à long terme (publics
et privés) par des ressources à court terme, l’épargne longue étant à cette époque très limitée.
Durant les années 1970, en moyenne, les deux tiers des flux de financements externes sont
obtenus par crédit auprès des institutions financières. Au cours des années 1980, et toujours
orchestré par l'État, le financement de l'économie se modifie à nouveau. En France,
l'intermédiation financière a ainsi constitué la modalité de financement la plus courante
jusqu'au début des années 1980.
Même si l’État se désengage davantage du financement de l’économie française, il en garde
toutefois le contrôle par des mécanismes d’encadrement du crédit, de fixation du coût du
refinancement des banques commerciales auprès de la Banque de France. Mais l’Etat français
conserve donc le pilotage de l’ensemble du système financier dans une perspective du haut
vers le bas avec en haut du système la Banque de France (cf schéma ci-dessous).
Graphique n°1. Schéma d’une économie d’endettement
D) Après les années 1980 : recul accru de l’Etat et développement d’une
économie de marchés financiers
Rappel n°2. Economie d’endettement et économie des marchés financiers
1. Le désengagement de l’Etat du financement de l’économie
Le désengagement de l’Etat se poursuit avec La loi du 2 juillet 1986 complétée par celle du 6
août sur la privatisation les banques qui avaient été nationalisées en 1945 puis en 1982.
Sont privatisées notamment Paribas, Suez, la Société Générale et le Crédit Commercial de
France. Ces privatisations, qui seront suspendues en 1988 suite au krach boursier d'octobre
1987, reprendront à partir de 1993. Avec la privatisation de la BNP et du Crédit Local de
France.
L'État poursuit son désengagement du financement de l'économie dans le cadre de la
construction européenne. En application du traité de Maastricht, la Banque de France
devient indépendante à partir de 1994. La politique monétaire n'est plus un outil au
service de la politique économique et n'a plus d'autre objectif que la stabilité des prix.
En 1999, avec le passage à la monnaie unique, c'est la Banque centrale européenne qui définit,
de façon totalement autonome, la politique monétaire dans la zone euro avec toujours le
même unique objectif de stabilité des prix. L'État ne peut donc plus influer sur les taux
pratiqués par les institutions financières ou les marchés. Par ailleurs, le Pacte de stabilité et de
croissance (1997) contraint les actions dans le cadre de la politique budgétaire.
Le désengagement de l’Etat se manifeste aussi par la suppression de l'encadrement du
crédit à partir de 1986. L’encadrement du crédit est une politique monétaire directe qui
permet de limiter la création monétaire en en déterminant autoritairement la croissance de
l’encours de crédit que chaque banque peut accorder. L’encadrement du crédit s’était
auparavant assoupli. Il était devenu sélectif.
Enfin, on peut citer le choix de la France de lever le contrôle des changes dès le 1 janvier
1990 pour favoriser la libre circulation des capitaux. Rappelons que le contrôle des changes
correspond à l’ensemble des mesures prises par un gouvernement pour réglementer l'achat et
la vente de monnaies étrangères par ses ressortissants.
2. La constitution d’une économie de marchés financiers libéralisée
Ce désengagement accru de l’Etat tend vers un objectif qui est la constitution d’une
économie de marchés financiers.
La mutation du système financier français vers une économie de marché a été préparée par la
loi bancaire du 24 janvier 1984, qui met fin au vieux principe de la spécialisation bancaire.
Pierre Bérégovoy, alors Ministre de l’Economie et de Finances, propose un Livre Blanc sur la
réforme du financement de l’économie. Trois mesures essentielles apparaissent :
-
La mise en place d’un marché de capitaux unifié, du très court terme au long terme,
accessible à tous les agents économiques, sur lequel sont émis de nouveaux instruments
financiers permettant un financement sur mesure des agents économiques.
Un renforcement de la concurrence entre les institutions financières
Le démantèlement du contrôle des changes entre 1985 et 1990 pour favoriser l’intégration
du marché financier français dans le marché européen et mondial.
Depuis l’ouvrage d’Henri Bourguinat en 1987 sur la Finance Internationale, on a coutume de
présenter la globalisation financière par la règle des trois « D ». Comme la globalisation
financière se traduit majoritairement depuis les années 1980 par l’expansion de marchés
financiers, on peut illustrer cette expansion par cette règle.
Il y a d’une part le décloisonnement. Le décloisonnement consiste à créer un grand marché
unique de capitaux, allant du court terme au long terme, et ouvert à l’ensemble des
opérateurs (financiers, non financiers, nationaux et étrangers). En créant un marché unifié
des capitaux à toutes échéances, les agents à capacité de financement ont la possibilité
d'arbitrer entre acquisition de titres à court et moyen termes sur le marché monétaire et
acquisition de titres à long terme sur le marché financier et les agents à besoin de financement
ont la possibilité de se procurer des capitaux à court et moyen termes sur ce marché. Ce
décloisonnement procède de deux formes d’intégration :
-
une intégration verticale des marchés financiers par l’abolition des frontières entre les
marchés à court terme et à long terme ainsi qu’entre marchés distincts par les produits
traités (titres, devises, produits dérivés)
une intégration horizontale par l’interconnexion entre les différentes places financières
grâce à l’informatique, les télécommunications, les transferts électroniques de fonds.
On peut citer comme exemple d’intégration verticale l'ouverture du marché monétaire aux
agents non financiers (ménages et entreprises) en 1986 avec la création du marché des titres
de créances négociables : ces titres représentent une créance pour une durée déterminée émis
au gré de l'émetteur et négociables sur un marché. Par ailleurs, en termes d’intégration
horizontale, on peut citer l’exemple d’Euronext qui regroupe les places financières de Paris,
Londres et Amsterdam et qui a fusionné en 2007 avec le New York Stock Exchange pour
former le NYSE Euronext, leader mondial actuellement de volume de transactions.
D’autre part, il y a la déréglementation qui consiste à abolir les limites à la circulation des
capitaux et à assouplir la réglementation financière. Par exemple, la levée du contrôle des
changes en France le 1er janvier 1990 a favorisé la circulation des capitaux.
Enfin, il y a la désintermédiation qui donne une place croissante aux marchés financiers
dans le financement de l’économie au détriment des banques commerciales qui
traditionnellement, en accordant des crédits aux agents non financiers, jouaient le rôle
d’intermédiaire financier dans le financement de l’économie. La désintermédiation marque
donc le passage d’une économie où les agents à besoin de financement se financent
indirectement auprès des agents à capacité de financement par le biais des banques
commerciales à économie de marchés financiers où les agents à besoin de financement
rencontrent directement sur les marchés de capitaux les agents à capacité de financement.
Cette désintermédiation est une conséquence du décloisonnement de la déréglementation du
financement de l’économie. En effet, la constitution d’un marché unique de capitaux et le
désengagement de l’Etat du financement de l’économie ont pour objectif de favoriser la
rencontre directe entre les agents à capacité et à besoin de financement. Lorsque les marchés
de capitaux étaient cloisonnés, les différents compartiments communiquaient peu entre eux et
n’étaient pas ouverts à tous les agents économiques. Cette organisation ne permettait pas une
confrontation globale entre les agents à capacité de financement et ceux à besoin de
financement.
On peut illustrer le poids de la désintermédiation financière par l’évolution du taux
d’intermédiation financière. Il mesure la part prise par les institutions financières résidentes
– IF – (banque centrale, établissements de crédit et assimilés, organismes de titrisation,
OPCVM, sociétés d’assurance et autres intermédiaires financiers, à l’exclusion des auxiliaires
financiers) dans les encours de financement dont bénéficient les agents non financiers
résidents – ANF –. Le taux d’intermédiation au sens strict correspond à la part des seuls
crédits bancaires octroyés par ces IF dans le total des financements des ANF. Le taux
d’intermédiation au sens large prend en compte, outre ces crédits, les titres émis par les ANF
et détenus par les IF.
Qu’il s’agisse du taux d’intermédiation au sens strict ou au sens large, on peut constater que
les institutions financières occupent une place de moins en moins importante dans le
financement de l’économie, signe le passage à une économie de marchés financiers.
Au sens strict, le part des crédits bancaires dans le financement de l’économie a largement
diminué depuis le début des années 1980. En 1978, les crédits bancaires représentaient 71%
du financement des ANF alors qu’en 2011, c’est environ 40%. Au sens large, la part de
l’ensemble des institutions financières a également décru depuis les années 1990. En 1992, le
taux d’intermédiation au sens large était de 76,3% contre 55% en 2011.
Graphique n°2. Evolution du taux d’intermédiation financière
entre 1996 et 2011 en France
Cette désintermédiation a obligé les banques à modifier leur rôle dans le financement de
l’économie. Pour continuer à occuper une place centrale du financement de l’économie,
les banques ont été de plus en plus présentes sur les marchés financiers. On peut dire
que leur rôle passe d’une « intermédiation de bilan » à « une intermédiation de
marché »4 : dans ce cadre, elles servent d’intermédiaires entre les agents économiques et les
marchés financiers, entre les agents économiques entre eux. Désormais tous les groupes
bancaires français ont des filiales spécialisées dans les services d’investissement (ce sont
des banques d’investissement), dans la gestion d’actifs (ce sont des sociétés de gestion), voire
4COURBIS B., FROMENT E. et KARLIN M. (1990), « Banque et finance », in GREFFE X.,MAIRESSE J. et REIFFERS J. L.
(dir.), Encyclopédie économique, Economica, Paris.
dans l’assurance. Par exemple, les banques passent des ordres de marché pour le compte de
particuliers pour trouver les placements financiers ou les couvertures les plus rentables. Ainsi,
des banques de dépôts françaises comme la Société Générale, le Crédit Agricole ou BNP ont
une fonction de banque d’investissement.
3. Une diversification des marchés de capitaux
On peut distinguer deux formes de marché de capitaux : le marché monétaire où le
financement est à court ou moyen terme et le marché financier (ou bousier) où le
financement est à long terme. C’est donc l’échéance du financement (court, moyen ou long
terme) qui permet de différencier les marchés de capitaux.
Le marché monétaire représente le marché des capitaux à court et moyen terme. Depuis
1985, le marché monétaire comprend deux compartiments :
- le marché interbancaire : ce marché est réservé aux établissements de crédit et à
quelques institutions financières agréées (banque de France, trésor public, caisse des
dépôts et consignations) qui s’échangent de la monnaie centrale pour des durées très
courtes. Sur ce marché, où la Banque Centrale peut intervenir, les taux d’intérêt (taux
du marché interbancaire EONIA et EURIBOR) se forment en fonction de l’offre et de
la demande de monnaie centrale. Dans la pratique, ces taux d’intérêt fluctuent à
l’intérieur du corridor des taux directeurs définies par la Banque Centrale dans le
cadre de sa politique monétaire (cf supra). Ce sont les taux du marché interbancaire
qui servent de référence aux taux d’émission, généralement fixes, des titres de créance
négociables (TCN).
- le marché monétaire élargi ou (marché des TCN) : il correspond au marché où
s’échangent des TCN contre des liquidités. Les premiers TCN sont apparus en 1985.
Ils ont été introduits pour élargir le financement à tous les agents économiques sur le
marché monétaire (c’est pour cela qu’on dit que le marché monétaire est « élargi »).
En effet, à la différence du marché interbancaire réservé aux institutions financières
agréées, le marché monétaire élargi est ouvert à tous les agents économiques (y
compris aux investisseurs étrangers depuis 1999) qui peuvent y trouver à financement
à court ou moyen terme. Sur ce marché, des titres de créance à court ou moyen terme
s’échangent contre des liquidités. On y rencontre une grande diversité de titres de
créance. Parmi les titres à court terme, on distingue les titres émis par l’Etat (Bons du
trésor négociables), par les entreprises (billets de trésorerie) ou par les banques
(certificats de dépôts). Parmi les titres à moyen terme, on trouve les bons à moyen
terme négociables (BTMN) émis par les entreprises ou les établissements financiers
pour une durée de 1 à 10 ans et un montant supérieur à 150 000 euros. Il y a donc sur
ce marché élargi à l’ensemble des agents économiques toute une gamme de titres qui
leur permettent de se financer du très court terme au moyen/long terme. Le long terme
est cependant plutôt réservé au marché financier.
Le marché boursier est le lieu d’émission et d’échange des valeurs mobilières, c’est-àdire les actions et obligations :
-
L’action est un titre de propriété sur une partie du capital de l’entreprise. Le
détenteur d’une action devient donc actionnaire de l’entreprise ; il participe aux
assemblées générales (une action =une voix) et élit le conseil d’administration. Si
l’entreprise réalise des bénéfices, il en reçoit une fraction appelée « dividendes ». A
l’inverse, en cas de difficulté, il perd une partie de la valeur de son titre. Toutes les
-
entreprises n’émettent pas des actions ; il s’agit seulement des sociétés anonymes. La
valeur des actions dépend de deux facteurs : l’évolution du capital de l’entreprise
puisqu’elle représente une partie de ce capital ; le montant des dividendes attendu, lié
à l’excédent brut d’exploitation et à la politique de distribution des dividendes de
l’entreprise.
L’obligation est un titre de créance à long terme (supérieur à 7 ans) émis par une
entreprise, une institution publique ou l’État lorsqu’ils empruntent des fonds auprès
des épargnants. ; l’obligataire ne possède pas de part dans le capital de l’entreprise,
mais il reçoit un intérêt qui ne dépend pas des résultats de l’entreprise. Le coupon
désigne les intérêts versés au détenteur de l’obligation. Ce taux est traditionnellement
fixe et défini à l’émission de l’obligation. Mais les innovations financières ont conduit
à créer d’autres coupons à taux variable ; d’autres qui ne rapportent pas de coupon
mais qui sont acquise à une valeur inférieure à la valeur faciale… on distingue
traditionnellement les titres émis par les agents privés (entreprises qui cherche à
financer des investissements par exemple) et des agents publics (l'État peut assurer un
besoin de financement long en émettant des obligations assimilables du trésor, OAT).
Le cours des obligations varie généralement de manière inverse au taux d’intérêt. En
effet, si le taux d’intérêt diminue, les obligations les plus anciennes rapportent plus
que les obligations nouvelles. Elles vont donc être plus largement demandé par les
investisseurs, faisant monter leur cours.
Les nouvelles actions et obligations sont émises sur le marché primaire, puis cotées sur le
marché secondaire (marché sur lequel s’échangent les valeurs mobilières après leur
émission). La cotation désigne la détermination, en fonction de l’offre et de la demande, du
cours boursier, c’est-à-dire du prix du titre.
La cotation en continue est réalisée en temps réel grâce aux systèmes informatiques. Un
indice boursier est un indicateur permettant de mesurer les évolutions d’un marché boursier.
Chaque marché d’actions a un ou plusieurs indices. En France le CAC 40 est le plus connu.
Les principaux indices boursiers mondiaux sont le Dow Jones (bourse de New York) et le
Nikkei (bourse de Tokyo).
Depuis 1991, le marché boursier national est unifiée est organisé en plusieurs
compartiments, donc chacun correspond à des exigences particulières pour les émissions et
l’information du public :
- Sur le premier marché, au marché officiel, les valeurs mobilières peuvent être
négociées soit au comptant (règlement immédiat), soit à terme (règlement mensuel).
Dans ce dernier cas, les conditions (type de titres, quantité est pris) sont déterminés au
jour de la négociation alors que l’exécution du contrat (livraison des titres et payement)
est reportée à une date ultérieure, appelée terme ou liquidation.
- Le second marché, créée en 1983, avec des règles simplifiées d’émission, est doté d’une
moindre ouverture au public (10 % seulement des titres de la société côté doivent être
entre les mains du public, contre 25 % pour le premier marché) et destiné à faciliter
l’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés financiers
- Le nouveau marché, ouvert en 1996 avec des règles également simplifiées est destiné à
financer les petites entreprises technologiques à fort potentiel de croissance qui s’inscrit
dans une perspective européenne
-
Marché hors cote, où se négocient les valeurs non admises sur les marchés officiels,
accueillent deux types de société : les « pépinières » pour les valeurs d’avenir, promise au
compartiment officiel et un « cimetière » pour les valeurs en difficulté ou radié de la cote.
Le marché des produits dérivés a été créé pour permettre aux opérateurs de se couvrir
contre les risques de perte en capital liés aux variations des cours des valeurs. Par
exemple, une entreprise chercher à se prémunir contre l’évolution du cours du change,
une compagnie aérienne peut souhaiter sécuriser la valeur de ses approvisionnements en
kérosène, un prêteur peut souhaiter s’assurer contre le défaut de paiement d’un
emprunteur. Dans ce dernier cas, on peut prendre l’exemple des Credit Default Swaps
(CDS) qui ont été en cause dans la faillite de Lehman Brothers en 2008 qui visaient à
protéger d’un défaut de paiement. L’acheteur de protection payait une prime et le vendeur
de protection s’engageait à compenser les pertes en cas de problème. Deux marchés ont
été ouverts sur la place financière de Paris : le MATIF et le MONEP. Le marché à terme
international de France (MATIF), créé en 1986, concerne les obligations. Ainsi, lorsqu’un
épargnant achète une obligation sur le marché au comptant, il peut la revendre sur le
MATIF au même prix ; il est alors sûr de ne réaliser ni de plus-value, ni de moins-value.
Le marché d’options négociables de Paris (MONEP) ouvert en 1987 est un marché
comme le MATIF, mais il concerne surtout les actions.
Outre le marché boursier et le marché monétaire, on trouve d’autres marchés comme le
marché des changes et le marché des matières premières.
Tableau n°1. Les principaux marchés financiers
Source : Montoussé, Chamblay, Les 100 fiches pour comprendre les sciences économique,
2005, P137.
II. Quels sont les liens entre système financier et croissance
économique ? 5
A. Le développement de la finance est-elle une source de croissance
économique ?
C’est surtout dans la seconde moitié du 20ème siècle que la littérature économique s’est
intéressée au rôle de la finance comme facteur de la croissance économique. Sans être
exhaustif, on peut citer les travaux de Gurley et Shaw6 en 1955 qui identifient une relation
significative entre les intermédiaires financiers et la croissance, Goldsmith7 en 1969 consacre
une étude importante au rôle de la structure financière dans le développement. Puis
McKinnon et Shaw 8 en 1973 soulignent l’effet négatif de la répression financière
(plafonnement des taux d’intérêt, politique d'allocation sélective du crédit, protectionnisme
financier) qui réduit la formation de capital, biaise les choix techniques au détriment des
activités intensives en main d’œuvre et conduit à des investissements intensifs en capital et de
piètre qualité.
Concentrons nous sur deux théories qui mettent en évidence différentes raisons pour
lesquelles le développement financier génère de la croissance à long terme.
5
Cette partie est inspirée de l’article « systèmes financiers et croissance » de Pierre Jacquet et Jean-Paul Pollin
en 2007 et disponible en ligne : http://www.touteconomie.org/index.php?arc=dc001l
6
GURLEY J.G. et E.S. SHAW [1955], «Financial Aspects of Economic Development», American Economic
Review 45, n° 4, pp. 515-38.
7
8
GOLDSMITH, R.W. [1969], Financial Structure and Development, Yale University Press.
MCKINNON, R.I. [1973], Money and Capital in Economic Development, Washington : The Brookings
Institution ; SHAW, E.S. [1973], Financial Deepening in Economic Development, Oxford University Press.
Graphique n°3. Effets du développement de la finance sur la croissance
économique
D’autre part, Levine9 relève cinq canaux de transmission entre le développement des
systèmes financiers et la croissance économique. Il appelle développement financier le
processus par lequel les instruments, marchés et intermédiaires financiers améliorent
le traitement de l’information, la mise en œuvre des contrats et la réalisation des
transactions, permettant ainsi au système financier de mieux exercer les cinq fonctions
suivantes :
•
•
La facilitation des échanges de biens et services : Le système financier facilite les
échanges de biens et services en réduisant les coûts de transaction et d’accès à
l’information, associés à ces échanges, notamment en facilitant les paiements et en
apportant une dimension intertemporelle par l’accès au crédit.
La mobilisation et la collecte de l’épargne : le système financier permet de mobiliser
et de collecter plus facilement l’épargne. Il permet, en effet, de constituer un stock de
9
LEVINE R. [2005], « Finance and Growth: Theory and Evidence », chapitre 12 dans AGHION P. et
DURLAUF S. (eds.),Handbook of Economic Growth, Elsevier.
•
•
•
ressources financières à partir de la contribution non coordonnée d’un grand nombre
d’épargnants, ce qui génère des coûts de transactions importants. Cette fonction est à
relier au premier canal de transmission vers la croissance noté par Pagano et affecte
directement l’accumulation du capital d’une part, mais aussi la disponibilité de
volumes importants d’épargne susceptibles de financer l’innovation ou des
investissements massifs nécessaires à l’exploitation de rendements croissants
La production d’information sur les investissements envisageables et l’allocation
de l’épargne : le système financier produit des informations essentielles sur la
profitabilité des projets d’investissement ou la capacité des agents à s’endetter. En ce
sens, il permet d’orienter l’épargne vers les utilisations les plus rentables. Les
intermédiaires financiers, par exemple, ont un rôle majeur à jouer en permettant une
meilleure analyse des projets d’investissements et des entreprises, contribuant ainsi à
l’identification des meilleurs projets, au financement des entreprises les plus
profitables, et donc à l’efficacité de l’allocation des ressources, à la productivité et à la
croissance.
La répartition, la diversification et la gestion du risque : Les systèmes financiers
facilitent également la gestion et la diversification du risque en permettant aux
épargnants de détenir des portefeuilles d’actifs diversifiés. Cela permet à des agents
averses au risque d’être prêt à investir dans des projets plus risqués, dont la rentabilité
est plus forte.
Le suivi des investissements en exécution et le contrôle de la gouvernance : le
système financier exerce également une fonction de contrôle de la gouvernance des
entreprises. En effet, par des systèmes financiers, les investisseurs, actionnaires ou
créanciers, peuvent inciter les dirigeants d’entreprise à maximiser la valeur de
l’entreprise. Ceci peut améliorer l’efficacité de l’allocation des ressources et la
disposition des épargnants à financer les entreprises et l’innovation.
Les théories sur l’influence des systèmes financiers sur la croissance économiques ont
fait l’objet d’études empiriques. La première étude important a été menée par Goldsmith10
en 1969. Elle portait sur 35 pays et établissait une corrélation positive entre le
développement financier, mesuré par la taille des intermédiaires financiers en
proportion du PIB [interprétée comme un indicateur de qualité des services financiers
fournis) et la croissance économique. Cette étude ne fournissait cependant aucune
conclusion sur les liens de causalité.
King et Levine11 en 1993 ont approfondi cette étude, à la fois en élargissant le nombre de
pays à 77, en construisant de nouvelles mesures du développement financier (la taille des
intermédiaires financiers, le rôle du crédit bancaire, l’importance relative du crédit au secteur
privé, pris comme indicateur de la façon dont le système financier collecte l’information
concernant les entreprises), en étudiant leurs liens avec l’accumulation de capital et la
croissance de la productivité, et en contrôlant pour d’autres facteurs influençant la croissance
à long terme. Les auteurs trouvent une corrélation positive significative entre chacun des
indicateurs de développement financier retenus, la croissance à long terme,
l’accumulation du capital et la croissance de la productivité. Bien qu’ils ne traitent pas
de la relation de causalité, ils montrent que la taille des intermédiaires financiers en 1960
10
GOLDSMITH, R.W. [1969], Financial Structure and Development, Yale University Press.
KING R.G. et LEVINE R. [1993], «Finance and Growth: Schumpeter May Be Right», Quarterly Journal of
Economics 108, pp. 83-109
11
permet de prédire la croissance, l’accumulation de capital et les gains de productivité pour les
30 années qui ont suivi.
L’importance grandissante des marchés financiers a conduit Levine et Zervos12 en 1998 à
mesurer leur influence sur la croissance économique. Ils trouvent que le niveau initial de
liquidité du marché boursier et le niveau initial de développement des banques sont
positivement corrélés avec les taux de croissance, l’accumulation de capital et la croissance de
la productivité des 18 années suivantes, ce qui conforte la thèse que la liquidité des marchés
facilite la croissance à long terme. En revanche, la taille des marchés n’est pas corrélée de
façon positive à la croissance : c’est la possibilité d’échanger des instruments.
Pour Levine13, ces études empiriques se heurtent à une difficulté majeure : comment mesurer
l’importance des systèmes financiers ? Ce problème ressort des études de Goldmisth
(1969), King et Levine (1993) qui ne mesurent pas de la même manière le développement
financier. Les mesures sont donc tout à fait discutables. De plus, elles ne correspondent pas
aux nécessairement aux différentes fonctions mises en avant dans les travaux théoriques. Les
indicateurs utilisés restent partiels par rapport à la nature de ces fonctions. Il y a donc un
décalage entre ce qui est mesuré, dont la contribution au développement financier peut
être conceptuellement pertinente et discutée, et ce que l’on voudrait connaître pour
établir un lien satisfaisant entre la mesure, l’évaluation économétrique et l’analyse
théorique.
B. Quel système financier est le plus favorable à la croissance
économique ?
Même si elle tend à être dépassée, en reprenant la distinction établie par John Hicks14 entre
l’économie de marchés financiers et une économie d’endettement, on peut se demander
lequel de ces deux systèmes financiers est le plus favorable à la croissance économique ?
Intéressons nous tout d’abord aux avantages et aux inconvénients de l’un par rapport à l’autre.
Théoriquement, dans une économie de marchés financiers, il existe un déficit
d’information et de contrôle entre l’offreur et le demandeur de capitaux plus important
que dans le cadre d’une économie d’endettement. En effet, sur les marché finanicers,
l’information sur le demandeur de capitaux est supposée se refléter dans le prix de l’actif
financier (une action, une obligation…) de sorte qu’elle devient publique. Il en résulte un
problème de passager clandestin : les offreurs de capitaux refuseront d’investir das la
connaissance des emprunteurs en attendant que d’autres le fassent. Il en résultera un déficit
d’information. A l’inverse, dans une économie d’endettement, les offreurs de capitaux,
principalement les banques, ont tout intérêt à rechercher des informations et à contrôler
l’emprunteur car ils gardent le monopole de cet informations dans le cadre d’une relation
12
LEVINE R., S. ZERVOS [1998], «Stock Markets, Banks and Economic Growth», American Economic
Review, pp. 537-558
13
LEVINE R. [2005], «Finance and Growth: Theory and Evidence», chapitre 12 dans AGHION P. et
DURLAUF S. (eds.), Handbook of Economic Growth, Elsevier
14
John HICKS, La crise de l’économie keynésienne, Fayard, 1974
bilatérale nouée au moment où le crédit a été contracté. Les informations sur les emprunteurs
auxquelles ont accès les offreurs de capitaux sont donc censés être plus précises dans le cadre
d’une économie d’endettement que dans le cadre des marchés financiers.
D’autre part, la relation entre l’offreur et le demandeur de capitaux est supposée plus
stable, durable dans le cadre d’une économie d’endettement par rapport à une économie
de marchés financiers. En effet, les institutions financières développent des relations
particulières avec les emprunteurs dans le temps, gardant la mémoire des opérations passées.
Connaissant mieux les emprunteurs, elles peuvent ainsi privilégier le potentiel à long terme
des investissements. Par exemple, elles peuvent accorder des conditions de crédit plus
favorables à des entreprises naissantes en attendant qu’elles rentabilisent à l’avenir le manque
à gagner ou alors les aider à mieux amortir des chocs micro ou macroéconomiques. Sur les
marchés financiers, les relations entre offreurs et demanderurs de capitaux sont moins stables
dans le temps, plus ponctuelles et souvent anonymes. Comme les titres sont liquides sur les
marchés financiers, dès que l’offreur de capitaux perçoit la possibilité d’un investissement
plus rentable ailleurs, il a tendance à vendre le titre le moins rentable et à se dégager de sa
relation avec le demandeur de capitaux. Les marchés financiers favorisent l’arbitrage entre
des titres plus ou moins rentables plutôt qu’une implication dans la gestion de l’entreprise.
Les demandeurs de capitaux ont donc accès à des financements plus stables dans le cadre
d’une économie d’endettement, ce qui favorise l’élaboration de stratégies à plus long terme et
la pérennité de l’activité économique.
Ces arguments laissent supposer, théoriquement au moins, que l’économie
d’endettement propose plus d’avantages qu’une économie de marchés financiers.
Cependant, dans une économie d’endettement, les coûts de l’emprunt sont supposés être
plus élevés que dans une économie de marchés financiers. En nouant des relations de long
terme avec des emprunteurs les institutions financières acquièrent une position de monopole.
Elles réduisent ainsi la capacité de leur clientèle à faire jouer la concurrence. En effet, les
relations qu’on nouées les emprunteurs avec leur banque ont nécessité un investissement en
information important et que leur rupture est coûteuse pour l’emprunteur qui aura des
difficultés à trouver des conditions plus avantageuses, notamment parce que le changement de
banque peut être interprété négativement par les institutions concurrentes. En conséquence,
cette inertie que génère la relation d’intermédiation donne aux institutions financières la
capacité à surfacturer les financements qu’elles accordent. Dans une économie de marchés
financiers, le coût du financement est supposé moins élevé car le demandeur de capitaux a la
possibilité de faire jouer la concurrence entre les offreurs de capitaux.
Ensuite, les marchés financiers sont censés favoriser davantage la prise de risque et le
financement de nouveaux projets que l’économie d’endettement. En effet, dans une
économie d’endettement, la constitution de relations longues entre banques et entreprises
incite les premières à prolonger les relations de crédit plutôt qu’à rechercher de nouveaux
clients parce que c’est plus simple ou moins coûteux. De plus, les banques n’ont pas intérêt à
rechercher de nouveaux placements plus rentables car elles n’en tirent pas forcément plus de
profits. Le fait que certains investissement aient une très forte rentabilité ne les intéresse pas
puisqu’elles ne pourronts pas en tirer de bénéfices étant donné que la rémunération des crédits
est fixe. C’est la probabilité d’être remboursé et non à la capacité de l’emprunteur à générer
des bénéfices qui les concerne. Elles n’ont donc pas intérêt à soutenir des projets
potentiellement très rentables mais risqués. A l’inverse, de tels investissements sont possibles
dans le cadre d’une économie de marchés financiers à travers le capital risque15. Certes il
s’agit bien là d’une forme d’intermédiation, mais qui ne peut se concevoir sans l’existence de
marchés financiers pour assurer la liquidité à terme du capital investi. On peut citer l’exemple
de la nouvelle économie à la fin des années 1990 aux Etats-Unis. De nombreux sites internet
ont pu bénéficier d’une capitalisation boursière sans précédent (Yahoo, AOL...) pour se
développer. Le capital risqueur peut prendre le risque de financer ces investissements car il
diversifie son portefeuille (les risques des uns sont compensés par les bénéfices des auutres) et
que la rentabilité de son investissement dépend des bénéfices réalisés par l’entreprise
financée.
Pour trancher ce débat entre économie de marchés financiers et économie d’endettement,
plusieurs études empiriques ont été menées. Parmi celles-ci, Beck et Levine16 montrent en
utilisant différentes données et méthodologies que le développement financier au sens
large stimule la croissance. Mais il n’existe pas d’évidence prouvant que le niveau des
crédits bancaires ou au contraire le développement des marchés exercent un effet plus
important.
Au demeurant on considère aujourd’hui que ce clivage entre systèmes économie de marchés
financiers et économie d’endettement n’est plus réellement pertinent. Dans les faits les
institutions financières sont essentielles au fonctionnement des marchés, parce qu’elles
participent à l’émission et à la distribution des titres ainsi qu’à l’animation des transactions.
On parle d’ailleurs d’intermédiation de marchés pour désigner les fonctions exercées par les
banques dans les activités qui relèvent de la finance directe.
C. Les marchés financiers : allocation optimale des ressources ou
risques accrus ?17
15
Le capital-risque est un investissement, généralement sous forme d'argent, apporté au profit d'une jeune
entreprise par des investisseurs. Ce financement prend la forme d'une prise de participation au capital de ladite
entreprise. Pour les investisseurs, le capital-risque permet d'apporter du capital, un réseau et de l'expérience au
profit d'une entreprise naissante, innovante et au futur prometteur. Au moment de sa création, une entreprise a
besoin de capitaux pour financer sa phase d'amorçage (réalisation de prototype, développement d'un service,
communication, publicité...). Le capital-risque permet de faire entrer des investisseurs au capital de la société
pour augmenter les capitaux de l'entreprise. Le principal risque pour les investisseurs est de ne jamais trouver
acquéreur pour revendre leurs actions si l'entreprise ne se développe pas, ou de tout perdre si la société est
dissoute. Néanmoins, les gains dont ils peuvent bénéficier sont susceptibles de dépasser leurs espérances si
l'entreprise connaît le succès escompté. Pour les entreprises, le capital-risque leur permet de bénéficier de fonds
à un stade de développement où il est souvent difficile d'obtenir des prêts bancaires. La rémunération des
investisseurs étant essentiellement la plus-value réalisée lors de la revente de leur participation, ils souhaitent
sortir du capital en vendant leurs titres au mieux. La sortie peut se faire par la réduction ou l'amortissement du
capital, le rachat des titres par les associés initiaux à un prix convenu, la revente des titres à une autre entreprise
(fusion absorption), l'introduction en Bourse de la société.
16
BECK T., R. LEVINE [2002], «Industry Growth and Capital Allocation : Does Having a Market or Bank.
Based System Matter?», Journal of Financial Economics, pp. 147-180.
17
Pour la présentation de cette théorie, nous nous inspirons Valérie MIGNON, « Les ambiguïtés de la théorie de
l'efficience informationnelle des marchés financiers », Regards croisés sur l'économie 1/2008 (n° 3) , p. 104117 URL : www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-1-page-104.htm + https://www.canalu.tv/video/canal_aunege/les_tests_de_l_hypothese_d_efficience_informationnelle_des_marches_financiers.1945
7
On peut définir 4 conditions nécessaires à l’efficience :
-
-
-
-
Le prix observé intègre toute l’information disponible sur le titre. Cette information
inclut les conséquences des évènements passés en termes de profits et les anticipations
des agents pour les événements futurs dont dépendent les profits. L’information doit être
disponible gratuitement ;
La présence d’un grand nombre d’observateurs. Il doit donc y avoir atomicité des
agents économiques présents en grand nombre sur le marché financier de manière à ne
pas pouvoir influer sur le niveau des prix. Du fait de cette présence, les écarts du prix
observé à la valeur fondamentale vont décroitre. Un marché est d’autant plus efficient que
le nombre d’opérateurs présents sur les marchés financiers est élevé ;
Les variations de prix sont imprévisibles car tous les événements connus et anticipés
sont inclus dans le prix. Il n’est donc pas possible de prévoir les rentabilités futures à
partir des rentabilités passées. Il s’ensuit que les fluctuations de prix ne peuvent êtres
dues qu’à l’apparition d’événements imprévisibles, elles sont aléatoires
Impossibilité de réaliser des profits anormaux. Pour Jensen18« un marché est efficient
si conditionnellement à un ensemble d’information à un instant t il est impossible de
réaliser des profits économiques en spéculant sur la base de l’ensemble d’information t ».
En effet, si les prix sont toujours égaux à la valeur fondamentale, il est bien évident que
l’on ne peut espérer tirer un profit en spéculant sur une différence entre les deux.
La définition proposée par Fama en 1965, selon laquelle un marché est informationnellement
efficient si le prix observé sur le marché reflète pleinement et instantanément toute
l’information disponible, prend en compte le contexte informationnel dans son ensemble et se
révèle, de ce fait, trop générale pour permettre une quelconque vérification empirique.
C’est pourquoi, Fama19 propose trois formes d’efficience selon l’information contenue dans
cet « ensemble d’information disponible ». On distingue ainsi :
- l’efficience au sens faible : l’ensemble d’information disponible comprend uniquement
l’historique des séries de prix et de rentabilités. Les tests de la forme faible sont
essentiellement des tests de marche aléatoire et visent à déterminer si les rentabilités
futures peuvent être prévues à partir des rentabilités passées ;
- l’efficience au sens semi-fort : l’ensemble d’information contient toute l’information
publique. Cette information peut regrouper toute information concernant l’entreprise
émettrice telle que les rapports annuels, l’annonce des bénéfices, les distributions
d’actions* gratuites, l’information fournie par la presse, etc. L’objet est de tester si les
prix s’ajustent rapidement à cette information, c’est-à-dire si le marché a correctement
anticipé l’annonce ou la publication des résultats ;
- l’efficience au sens fort : l’ensemble d’information comprend, en plus de l’information
publique, toute information privée. Les tests visent à déterminer si les individus ayant un
accès monopolistique à l’information sont capables de réaliser des profits supérieurs aux
autres agents.
Plusieurs tests empiriques de ces trois formes d’efficience ont été réalisés pour vérifier
leur solidité.
18
JENSEN M.C. (1978), « Some anomalous evidence regarding market efficiency », Journal of Financial
Economics, vol. 6, p. 95-101.
19
FAMA E.F. (1970), « Efficient capital markets : a review of theory and emprical work », The Journal of
Finance, vol. 25, n° 2, p. 383-417
Pour ce qui est de l’efficience au sens faible, les études empiriques attestent de
corrélation à court terme entre les rentabilités passées et les rentabilités futures. En
revanche, à long terme, les résultats sont controversés. Pour l’efficience au sens semifort, on réalise des tests événementiels. On vérifie alors si les prix des titres intègrent
rapidement diverses informations rendues publiques (annonces des résultats annuels, émission
de nouvelles actions, distributions d’actions gratuites, etc...). Là aussi les résultats sont très
ambigus. D’un côté, Fama20 conclut que le marché est efficient au sens semi-fort car la
majorité des études événementielles menées sur données quotidiennes fait ressortir qu’en
moyenne, les prix semblent s’ajuster en un jour à l’annonce d’un événement. Toutefois, les
analyses d’autres comme Bernard et Thomas 21 montrent que le marché ne réagit pas
rapidement à l’annonce, ce qui semble contredire l’efficience au sens semi-fort. Enfin, pour
évaluer l’efficience des marchés financiers au sens fort, il faut déterminer s’il existe des
agents qui détiennent une information privée et, si c’est le cas, si cette information privée leur
permet de réaliser des profits anormaux par rapport au marché. Les économistes réalisent
donc des tests sur l’information privée. Les tests empiriques menés ne permettent pas de
trancher dans un sens favorable ou défavorable à l’efficience des marchés au sens fort car
se pose la question de la « norme » de ce que sont les profits anormaux. Selon la norme
retenue, les résultats obtenus permettront en effet de valider ou non cette théorie.
Il ressort de ces études empiriques une grande ambiguïté autour de la théorie de
l’efficience informationnelle des marchés. Les tests d’efficience peuvent en effet être
interprétés dans un sens favorable ou défavorable à cette théorie selon qu’on la défend
ou la critique. Ainsi, les partisans d’une économie de marchés financiers libéralisée auront
plutôt tendance à défendre cette théorie arguant que ces marchés sont efficients et assurent
une allocation optimale des ressources. A l’inverse, les économistes qui mettent en cause
l’autorégulation des marchés financiers mettront en avant l’absence d’efficience de ces
marchés et, de ce fait, l’allocation sous-optimale des ressources qu’ils génèrent. Si la théorie
de l’efficience informationnelle des marchés financiers est au cœur de la théorie moderne de
la finance, ce n’est pas un hasard, c’est bien parce qu’elle justifie l’existence d’une
déréglementation des marchés financiers dans un contexte politique et économique libéral.
Au-delà de ces résultats empiriques, plusieurs critiques fortes on été adressées à la théorie
de l’efficience informationnelle. On peut distinguer des critiques internes et externes à ce
modèle :
- Les critiques internes renvoient aux contradictions du modèle. On peut en relever
deux :
• L’absence d’échanges : si on poursuit la logique de ce modèle jusqu’au bout, il ne
devrait plus y avoir d’échanges sur les marchés financiers. En effet, si les prix
reflètent toute l’information disponible et si les agents agissent rationnellement il
s’ensuit une disparition des échanges et du marché puisque tous les agents vont
vouloir vendre les titres dont le prix va baisser et acheter ceux dont le prix va croître.
20
FAMA E.F. (1991), « Efficient capital markets : II », Journal of Finance, vol. 46, n° 5, p. 1575-1617.
21
BERNARD V.L. et THOMAS J.K. (1990), « Evidence that stock prices do not fully reflect the implications of
current earnings for future earnings », Journal of Accounting and Economics, vol. 13, p. 305-340.
•
-
L’absence d’information : Grossman et Stiglitz 22 ont produit dans lequel ils
montrent comment les agents économiques peuvent ne plus avoir d’accès à
l’information. Dans ce modèle, coexistent deux catégories d’agents : les agents
informés qui acquièrent une information à un certain coût et les agents non informés
qui observent uniquement les prix. S’il n’y a pas de bruit sur le marché et si les agents
deviennent de plus en plus informés, toute l’information est transmise aux agents non
informés par l’intermédiaire des prix. Sur un marché efficient, les prix reflétant toute
l’information disponible, chaque agent informé pense qu’il peut arrêter de payer
l’information et faire aussi bien qu’un agent non informé qui lui ne paie rien et
observe simplement l’information au travers des prix. Il s’ensuit un désintérêt à
investir dans l’acquisition d’information. Si tous les agents informés font de même, ils
vont tenter d’inférer l’information à partir du système de prix qui ne contiendra plus
aucune information.
Les critiques externes partent du constat que l’économie de marchés financiers
libéralisés est profondément instable. Depuis que celle-ci s’est développée, on assiste à
de multiples crises financières suite notamment à des bulles spéculatives. Sans être
exhaustif, on peut en citer quelques-unes :
o La bulle spéculative japonaise : bulle économique survenue au Japon de
1986 à 1990 qui a concerné principalement les actifs financiers mais aussi
l'immobilier. La bulle a été provoquée par un rapatriement rapide de capitaux
japonais en provenance des États-Unis, à la suite d'une dépréciation brutale
du dollar américain liée aux accords du Plaza mettant un terme au « miracle
économique japonais ». L'explosion de cette bulle a duré plus d'une décennie
avec un plus bas des indices boursiers en 2003 et une baisse des prix du foncier
jusqu'en 2005. L'explosion de la bulle d'actifs japonaise a abouti à la décennie
perdue (ère Heisei) caractérisée par une période de stagnation économique et
de déflation.
o Krach Boursier de 1987 : Après que le cour du dollar se soit envolé jusqu’en
1985, il reperd 50 % de sa valeur deux ans plus tard. La Banque centrale
américaine décide de remonter fortement les taux d’intérêt pour maintenir
l’attractivité du dollar. Au début de l’année 1987, une véritable euphorie règne.
Sur 5 ans, les actions ont cru de 190 % sur les marchés américains, 250 % en
Grande-Bretagne et 330 % à Paris. Mais ces taux d’intérêt élevés deviennent
vite incompatibles avec le marché des actions. Ce phénomène perturbe le
mouvement important de spéculation boursière, dans la mesure où les frais
financiers hypothèquent désormais gravement le rendement de ces placements
et freinent l’investissement. Le 19 octobre, ces perspectives nouvelles
provoquent un krach boursier de grande ampleur affectant toutes les autres
grandes places financières du monde. En effet, des programmes informatiques
lancent des ordres de ventes automatiques. C’est l’effet domino : la baisse d’un
grand nombre de valeurs entraîne mécaniquement et sans contrôle la chute
démultipliée sur tous les marchés financiers de l’ensemble des cotations.
Chaque trader joue également à la baisse en tentant de se débarrasser au plus
vite des titres avant qu’ils ne soient trop bas. Cette crise a montré que le
GROSSMAN S.J. et STIGLITZ J.E. (1980), « On the impossibility
markets », American Economic Review, vol. 70, n° 3, p. 393-408.
22
of
informationally
efficient
marché dérégulé et livré à lui-même constitue un risque pour sa propre
stabilité. Heureusement, ce krach fut sans lendemain et l’activité économique
va ainsi rapidement rebondir. L’année suivante, à la demande du Congrès,
seront mis en place des coupe-circuits, destinés à stopper toute négociation sur
les marchés en cas de baisse de plus de 10 %.
Face à la répétition de ces bulles spéculatives, il apparaît difficile de défendre la théorie
de l’efficience informationnelle des marchés financiers. En effet, le propre d’une bulle
spéculative, notamment lorsqu’elle dure, est de créer une déconnexion entre la valeur
financière d’un actif et sa valeur réelle, ou « fondamentale » au sens de Fama. L’existence de
ces bulles et les crises boursières et financières qu’elles occasionnent marque une absence
d’allocation optimale des ressources.
C’est sur cette base empirique que des critiques externes de la théorie de l’efficience
informationnelle des marchés ont été formulées. Par souci de simplification, nous n’en
présenterons qu’une seule, celle de l’approche conventionnaliste d’André Orléan.
Pour André Orléan 23 , la théorie financière classique, qui s’appuie principalement sur
l’efficience informationnelle des marchés financiers, fait erreur. Le prix observé d’un actif
ne peut refléter sa « valeur fondamentale » car celle-ci n’existe pas. En effet, il n’existe
pas de valeur financière objective pour un titre donné (action, obligation…) sur laquelle
tous les acteurs des marchés financiers s’accorderaient. Même si tous avaient accès aux
mêmes informations (informations passées, présentes et futures) par rapport à ce titre, ce qui
constitue une hypothèse très restrictive), il ne pourrait y avoir d’accord entre eux. Chaque
acteur financier (ou groupe d’acteurs financiers) possède, en effet, une opinion qui entraine
des divergences d’interprétation pour une même information. Par exemple, supposons qu’une
entreprise X prévoit à l’avenir de racheter une entreprise Y. Cette même information pourra
donner lieu à des interprétations différentes pour les actionnaires de l’entreprise X. Pour
certains, c’est une bonne nouvelle : ils estiment que ce rachat entrainera une hausse du chiffre
d’affaires et des dividendes versés et, ce faisant, une hausse future du cours de l’action ; ils
auront tendance à acheter de nouvelles actions de l’entreprise X. Pour d’autres, il peut s’agir
d’une mauvaise nouvelle : ils font le pari que ce rachat ne sera pas rentable, pèsera sur le
chiffre d’affaires de l’entreprise X et les dividendes versés et, ce faisant, fera baisser le cours
de l’action ; ils auront alors tendance à vendre des actions. Dans cet exemple, on peut voir
comment une même information peut faire l’objet d’opinions différentes sur la valeur future
d’une action.
Pour André Orléan, ce sont donc les opinions qui font la valeur d’un titre financier (le
cours d’une action…) et non pas sa valeur fondamentale. En ce sens, il ne peut exister de
valeur fondamentale qui se reflèterait dans la valeur financière d’une titre car celle-ci résulte
de la rencontre entre différentes opinions dont une, au bout d’un certain temps, tend à
s’imposer par rapport aux autres.
Cette opinion dominante constitue ce qu’Orléan appelle une « convention » (c’est la
raison pour laquelle on parle de théorie « conventionnaliste »). L’émergence de cette
convention suit un processus de spéculation autoréférentielle : la valeur financière de
l’action provient non pas de ce que les acteurs financiers analysent de l’évolution de
l’entreprise (rachats, chiffre d’affaires), mais de ce qu’ils anticipent comme étant l’opinion
majoritaire sur les marchés financiers sur le cours futur de l’action. Autrement dit,
l’essentiel n’est pas d’anticiper ce que vaut « réellement » un titre, mais ce que les autres
pensent qu’il vaut. Reprenons notre exemple ci-dessus pour illustrer cette réflexion. Si des
23Orléan André, « La notion de valeur fondamentale est-elle indispensable à la théorie financière ? », Regards
croisés sur l'économie 1/2008 (n° 3), p. 120-128
acteurs financiers anticipent que l’opinion majoritaire sur les marchés financiers sera
favorable au rachat de l’entreprise Y par l’entreprise X et qu’il s’en suivra une hausse du
cours de l’action de l’entreprise X, alors ces acteurs financiers achèteront plus d’actions de
l’entreprise X. Dès lors, les informations sur les fondamentaux de l’entreprise X importe
moins, que l’anticipation de l’opinion majoritaire, ce qu’André Orléan appelle une
« convention », qui règnera sur les marchés financiers. Le regard des acteurs financiers n’est
pas tourné vers l’économie réelle, mais vers les anticipations de l’opinion majoritaire, la
« convention » qu’on cherche à prévoir.
Cette perspective conventionnaliste est directement inspirée de la métaphore des
marchés financiers que fait Keynes24 avec le concours de beauté. Il compare « la technique
du placement (financier) à ces concours organisés par les journaux où les participants ont à
choisir les six plus jolis visages parmi une centaine de photographies, le prix étant attribué à
celui dont les préférences s’approchent le plus de la sélection moyenne opérée par l’ensemble
des concurrents ». Dans ce jeu, comme sur les marchés financiers, peu importe ce que pensent
les acteurs financiers comme étant véritablement la plus jolie photographie. Ce qui compte est
de déterminer l’opinion majoritaire, c’est-à-dire comment la majorité des joueurs analysent ce
problème pour se rapprocher le plus de ce qu’ils pensent. On cherche à prévoir l’opinion
collective. Cependant, si l’on suppose que les participants au jeu sont tous également
rationnels, il en découle que l’opinion des autres se détermine elle aussi à partir de l’idée
qu’eux-mêmes se font de l’opinion du groupe. Comme l’écrit Keynes, « chaque concurrent
doit donc choisir non les visages qu’il juge lui-même les plus jolis, mais ceux qu’il estime les
plus propres à obtenir le suffrage des autres concurrents, lesquels examinent tous le problème
sous le même angle ».
Selon la théorie financière conventionnaliste, directement inspirée de Keynes, ce processus
de spéculation de la part des agents financiers sur les marché peut être qualifié
d’ « autoréférentiel » au sens où chacun cherche à deviner la pensée des autres
intervenants, les autres intervenants qui eux-mêmes se livrant à la même tâche. Ainsi,
contrairement à ce que suppose la théorie financière libérale, ce n’est pas la valeur
fondamentale qui définit la valeur financière d’un actif, mais « la convention » qui
émerge d’un processus de spéculation autoréférentielle qui a lieu sur les marchés
financiers.
C’est dans cette perspective « conventionnaliste » qu’Orléan explique les phénomènes de
bulle spéculative. En effet, appliquée aux marchés financiers, l’analyse autoréférentielle
décrit une communauté active et anxieuse, interrogeant toutes les hypothèses et toutes les
rumeurs pour déterminer celles susceptibles d’obtenir de définir l’opinion majoritaire. Il en
résulte régulièrement des comportements mimétiques de la part des acteurs financiers qui,
sous l’effet d’une rumeur qui prend de l’ampleur, tendent à copier le comportement qu’ils
supposent majoritaires chez les autres acteurs financiers, sans même vérifier et analyser le
fondement de cette rumeur. Tel un jeu de dominos, de nombreux acteurs financiers adoptent
soudainement le même comportement (achat, vente d’une action…), ce qui entraine de fortes
et soudaines variations de prix d’un titre, sans rapport avec ses fondamentaux. Ces
comportements mimétiques concourent puissamment à la volatilité excessive que connaissent
les cours boursiers. Néanmoins, ce mimétisme peut se stabiliser durablement lorsqu’une
24KEYNES
J.M. (1971, 1936 pour la première édition anglaise), Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de
la monnaie, Petite Bibliothèque Payot, n° 139, Paris.
interprétation finit par recueillir l’adhésion généralisée du marché pour devenir une
« convention ». Tant que la convention est acceptée, la spéculation, et donc la bulle
spéculative, peut perdurer. La bulle spéculative éclate lorsque cette convention est
remise en cause par de nouvelles informations, rumeurs et comportements mimétiques
qui s’en suivent.
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