La Raison et les passions sont des concepts que nous dissocions instinctivement. Nos
sens tendent à suggérer que notre corps est sujet aux désirs, aux appétits, aux humeurs
animales, et que notre esprit œuvre dans une dimension plus métaphysique. Ainsi, la
Raison est le plus souvent glorifiée, ou du moins on lui accorde une importance
supérieure à celle du corps. Ce dualisme entre le corps et l’esprit occupe une place
majeure dans la philosophie, que ce soit chez les Grecs anciens ou chez Descartes. Les
désirs ne sont toutefois pas condamnés d’emblée : Descartes écrit lui-même, au sujet des
passions, « qu’elles sont toutes bonnes de leur nature, et que nous n’avons rien à éviter
que leurs mauvais usages ou leurs excès1 ». Plusieurs philosophes nous enjoignent tout de
même à faire preuve de réserve dans la gestion de nos pulsions. Ces préceptes de
parcimonie tiennent à une volonté de rendre les hommes meilleurs, ou la société
meilleure pour chacun d’entre eux. Cette optique est largement acceptée et les humains
répriment chaque jour plusieurs pulsions, se font violence pour suivre la voie tracée par
leur Raison, leur tête, et non pas leur cœur. Mais quel genre d’existence résulterait du
rejet de cette répression journalière? Quelle est la place du désir dans nos vies, et quel
chemin celui-ci trace-t-il? Il sera défendu ici que les désirs sont à la base de ce qui
façonne le caractère, la personnalité propre de l’Homme : ainsi, dans une optique
individualiste d’épanouissement identitaire et de dépassement de soi, nos désirs doivent
être reconnus et assumés.
Le désir comme trame de l’existence
Le désir de vivre est lui-même sous-jacent en chaque organisme. Cette volonté
particulière est nommée « conatus » par Baruch Spinoza, et consiste à persévérer dans
1 René DESCARTES. Les passions de l’âme, p.151
2