chapitre quatre

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PIERRE MACKAY
JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL
édition 2006-2007
Chapitre 4
CHAPITRE 4
La rule of law : la primauté du droit ou principe de légalité
TABLE DES MATIÈRES
Introduction ..................................................................................................................................... 80
4.1
L'ÉNONCÉ DE LA THÉORIE SELON DICEY. .................................................................................. 80
4.1.1
Primauté absolue du droit ordinaire sur l'arbitraire individuel................................................. 80
4.1.2
Égalité de tous devant la loi et les tribunaux de droit commun............................................... 80
4.1.3
Le droit constitutionnel est la résultante, non la source, de la protection jurisprudentielle des
droits individuels ........................................................................................................................... 81
4.2
EXEMPLES DE LA RECONNAISSANCE DU PRINCIPE DANS CERTAINES CONSTITUTIONS .................. 81
4.2.1
États-Unis ....................................................................................................................... 81
4.2.2
Japon ............................................................................................................................. 81
4.2.3
Surinam ......................................................................................................................... 81
4.2.4
Soudan........................................................................................................................... 81
4.2.5
Afrique du Sud ................................................................................................................ 82
4.2.6
France ............................................................................................................................ 82
4.3
LA PORTÉE DU PRINCIPE EN DROIT CANADIEN .......................................................................... 82
4.3.1
La réception législative et constitutionnelle du principe ......................................................... 82
4.3.2
Les conséquences du principe selon la doctrine canadienne ................................................... 83
4.3.3
4.4
La portée du principe selon les tribunaux canadiens. ............................................................ 86
1)
La Reine c. Drybones [1970] RCS 28 .......................................................................... 86
2)
P.G. Canada c. Lavell [1974] RCS 1349...................................................................... 86
3)
Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba [1985] 1 RCS 721............................. 87
CRITIQUE DE LA THÉORIE DE LA PRIMAUTÉ DU DROIT SELON DICEY............................................... 88
4.4.1
L'existence de nombreux pouvoirs discrétionnaires, voire arbitraires. ..................................... 88
4.4.2
La non réalisation des conditions d'existence d'un système fondé sur le Rule of Law................. 88
4.4.3
Les conditions d'existence d'un système fondé sur une véritable primauté du droit. ................. 88
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
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Chapitre 4
Introduction
Notre système juridique, issu du système juridique britannique, repose sur le principe fondamental de la primauté
du droit. Selon ce principe, les règles de droit ont priorité sur toutes les autres normes ou règles de conduite. Plus
particulièrement, cela veut dire que le droit prime sur la volonté ou l'arbitraire d'un individu -- monarque, ministre,
fonctionnaire, parti politique ... -- ou sur la volonté ou l'arbitraire de tout autre corps social, religieux ou moral -armée, église, ethnie, minorité, ...--.
On peut dire que le principe de la primauté du droit est un corollaire du principe de la souveraineté
parlementaire, car si les assemblées parlementaires sont réellement souveraines les normes édictées par ces
assemblées doivent l'emporter, en cas de conflit, sur toute autre autorité dans la société.
Le terme primauté du droit n'est pas très heureux. Jean Beetz, avant d'être juge à la Cour suprême, avait utilisé
le terme prééminence du droit, qui est déjà meilleur. La Déclaration canadienne des droits de 1960 parle du
règne du droit. La traductrice de John Rawls parle de l'autorité de la loi. En philosophie du droit, on parlera de
principe de légalité : c'est d'ailleurs le terme employé par MM. Chevrette et Marx.
Une traduction rigoureuse étant impossible faute de contexte, le principe de légalité est, à notre sens, l'expression
la plus exacte en français. Nous devons toutefois désormais nous contenter de l'expression primauté du droit.
4.1
L'ÉNONCÉ DE LA THÉORIE SELON DICEY.
Le principe de la primauté du droit a été énoncé par Dicey dans l'ouvrage : Introduction to the Study of the Law of
the Constitution, 1885.
Dicey part de l'admiration que les étrangers, comme Voltaire ou De Lolme, éprouvent
pour le régime britannique tout entier gouverné par le droit. Il cite ainsi Alexis de
Tocqueville qui, en 1836, compare les situations politiques de Suisse (premier
gouvernement républicain) et d'Angleterre (gouvernement monarchique) et constate
qu'en Suisse, contrairement à l'Angleterre :
Alexis de Tocqueville dont les
écrits ont inspiré Dicey
•
•
La liberté de presse n'est qu'une réalité récente dans la plupart des cantons.
•
•
•
Les tribunaux ne jouissent que de peu d'indépendance.
La liberté individuelle n'est pas garantie et les personnes peuvent être arrêtées et
détenues administrativement sans grandes formalités.
Le procès par jury est inconnu.
Dans plusieurs cantons, aucune liberté n'est garantie aux citoyens.
Pour Dicey, ce principe veut dire trois choses :
4.1.1 Primauté absolue du droit ordinaire sur l'arbitraire individuel
It means, in the first place, the absolute supremacy or predominance of regular law as opposed to
the influence of arbitrary power, and excludes the existence of arbitrariness, of prerogative, or even of
wide discretionary authority on the part of the government. Englishmen are ruled by the law, and by the
law alone; a man may with us be punished for a breach of law, but he can be punished for nothing else.
(Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 202)
4.1.2 Égalité de tous devant la loi et les tribunaux de droit commun
It means, again, equality before the law, or the equal subjection of all classes to the ordinary law of the
land administered by the ordinary law courts; the "rule of law" in this sense excludes the idea of any
exemption of officials or others from the duty of obedience to the law which governs other citizens or from
the jurisdiction of the ordinary tribunals. (Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution,
202-203)
Les membres du gouvernement sont soumis aux mêmes lois et aux mêmes tribunaux que tous les autres
citoyens.
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
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4.1.3 Le droit constitutionnel est la résultante, non la source, de la protection
jurisprudentielle des droits individuels
The "rule of law", lastly, may be used as a formula for
expressing the fact that with us the law of the constitution, the
rules which in foreign countries naturally form part of a
constitutional code, are not the source but the consequence of
the rights of individuals, as defined and enforced by the courts;
that, in short, the principles of private law have with us been
by the action of the courts and Parliament so extended as to
determine the position of the Crown and of its servants; thus
the constitution is the result of the law of the land.
(Dicey, Introduction to the Study of the Law of the
Constitution, 203)
A.V. Dicey, photo tirée de Introduction to the Study
of the Law of the Constitution, 8th ed., Indianapolis,
Liberty Fund Ed., 1982,
Selon Dicey, en Angleterre, la constitution est dérivée de la common
law et non l'inverse : c'est la common law qui détermine la position de
la couronne et des fonctionnaires. Pour Dicey, cela est très important.
Car, selon lui, lorsque la Constitution belge "garantit" le droit à la
liberté, celle-ci est considérée comme un privilège spécial protégé par
une autorité supérieure au droit ordinaire. Alors qu'en Angleterre, la
protection de la liberté résulte de l'application des règles ordinaires du
droit.
Cette conception de la nature et du rôle particulier de la common law anglaise, sorte de droit d’une catégorie
supérieure sur celui des autres pays « obligés » de se doter d’une constitution écrite, ne fait pas partie de la
théorie de la suprématie du droit reçue par nos tribunaux.
4.2
EXEMPLES DE LA
CONSTITUTIONS
RECONNAISSANCE
DU
PRINCIPE
DANS
CERTAINES
De nombreux pays ont reconnu dans leur constitution le principe de la Primauté du droit.
On dit d’un pays qui reconnaît et qui applique ce principe que c’est un État de droit.
Les exemples qui suivent sont donnés à titre illustratif et ne sont pas du tout exhaustifs.
Pour
plus
de
détails,
on
consultera
le
site
« Constitution
Finder »
http://confinder.richmond.edu/ qui donne la référence ou le texte de tous les pays
membres des Nations-Unies.
4.2.1 États-Unis
XIVe amendement à la Constitution des États-Unis :
"The state shall not deprive any person of life, liberty, or property without due process of
law, nor deny to any person within its jurisdiction the equal protection of law"
La constitution des Etats-Unis
date de 1787
4.2.2 Japon
art.14 de la Constitution de 1946 :
"Toutes les personnes sont égales devant la loi et il n'y aura pas de discrimination aux plans politique,
économique ou social en raison de la race, des croyances, du sexe, et de l'origine sociale ou familiale"
4.2.3 Surinam
Préambule de la constitution de 1975 :
"Considérant l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de race, sexe, religion, convictions
personnelles ou politiques"
4.2.4 Soudan
art. 59 de la constitution de 1973 :
"L'État est assujetti à la primauté du droit et la suprématie des règles de droit sera le fondement du
gouvernement"
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
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4.2.5 Afrique du Sud
L'art. 59 de l'ancienne Constitution, celle du régime d'apartheid :
"(1) Le Parlement détient l'autorité législative souveraine et aura les pleins pouvoirs pour adopter des lois
relatives à la paix, l'ordre et le bon gouvernement de la République.
(2) Aucun tribunal ne sera compétent pour se prononcer sur la validité des lois du Parlement ..."
On remarquera, dans ce dernier cas, l'absence complète de référence à la primauté du droit!
La constitution de 1994, prévoit maintenant des dispositions expresses en matière d'égalité devant la loi et nondiscrimination:
Section 8 Equality
(1) Every person shall have the right to equality before the law and to equal protection of the law.
(2) No person shall be unfairly discriminated against, directly or indirectly, and, without derogating from the
generality of this provision, on one or more of the following grounds in particular: race, gender, sex, ethnic or
social origin, colour, sexual orientation, age, disability, religion, conscience, belief, culture or language.
4.2.6 France
La Constitution française du 4 octobre 1958 ne comporte aucune mention
précise du principe de légalité. Mais on retrouve des éléments de ce principe
dans diverses dispositions :
La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 juillet 1789 :
"Art. 1. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la
société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché,
et nul ne peut être contraint de faire ce qu'elle n'ordonne pas.
Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les
cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux
qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres
arbitraires doivent être punis; [...]
Art. 8. [...] nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et
promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée."
La constitution de la Vème république du 4 octobre 1958
"Art. 2. La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion. [...]"
Mais tout cela ne suffit pas à constituer le principe de la prééminence du droit. L'égalité devant la loi n'est qu'une
des facettes du principe qui en comprend d'autres. Comme nous le verrons dans l'affaire des droits linguistiques au
Manitoba.
4.3
LA PORTÉE DU PRINCIPE EN DROIT CANADIEN
Le principe de la primauté du droit a été reçu historiquement en droit constitutionnel canadien avant d'y être inscrit
textuellement.
4.3.1 La réception législative et constitutionnelle du principe
a)
La reconnaissance de ce principe dans la constitution canadienne.
•
Le préambule de la LC 1867 : "[...] une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du
Royaume-Uni [...]". D'où l'importance de Dicey.
•
Le préambule de la CCDL en partie I de la LC 1982 : "Attendu que le Canada est fondé sur des principes
qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit [...]"
La question de la portée du principe au Canada a été étudiée de façon détaillée dans l'arrêt:
Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba [1985] 1 RCS 721, à 750-751
"Le statut constitutionnel de la primauté du droit est incontestable. Le préambule de la Loi
constitutionnelle de 1982 [le] déclare [...]. Il y a là reconnaissance explicite que "la primauté du droit [est]
un des postulat fondamentaux de notre structure constitutionnelle" (le juge Rand, Roncarelli c. Duplessis
[...]). La primauté du droit a toujours été considérée comme le fondement même de la Constitution
anglaise qui caractérise les institutions politiques d'Angleterre depuis l'époque de la conquête normande
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
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Chapitre 4
[...]. Elle devient un postulat de notre propre structure constitutionnelle en raison du préambule de la Loi
constitutionnelle de 1982 et de son inclusion implicite dans le préambule de la Loi constitutionnelle de
1867, en vertu des mots "avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du RoyaumeUni".
En plus de l'inclusion de la primauté du droit dans le préambule des Lois constitutionnelles de 1867 et de
1982, le principe est nettement implicite de par la nature même d'une constitution. La Constitution, en
tant que loi suprême, doit être interprétée comme un aménagement fonctionnel des relations sociales qui
sert de fondement à l'existence d'un ordre réel de droit positif. Les fondateurs de notre pays ont
certainement voulu, entre autres principes fondamentaux d'édification nationale, que le Canada soit une
société où règne l'ordre juridique et dotée d'une structure normative : une société soumis à la primauté
du droit. [...]
Cette Cour ne peut interpréter la Constitution de façon étroite et littérale, la jurisprudence de la Cour
démontre sa volonté de compléter l'analyse textuelle par une interprétation de l'historique, du contexte et
de l'objet de notre Constitution dans le but de déterminer l'intention de ses auteurs."
b)
Les chartes et déclarations législatives.
Le préambule de la déclaration canadienne des droits de 1960 :
"Le Parlement du Canada proclame que la nation canadienne repose sur des principes qui reconnaissent la
suprématie de Dieu, la dignité et la valeur de la personne humaine ainsi que le rôle de la famille dans une
société d'hommes libres et d'institutions libres;
Il proclame en outre que les hommes et les institutions ne demeurent libres que dans la mesure où la
liberté s'inspire du respect des valeurs morales et spirituelles et du règne du droit; [...]"
4.3.2
Les conséquences du principe selon la doctrine canadienne
Voir à ce sujet : Chevrette, François et Marx, Herbert, Droit constitutionnel, PUM 1982, 33-35; Dussault, René,
Traité de droit administratif, PUL 2e éd; Ouellette, Yves et Pépin, Gilles Principes de droit administratif, Thémis
1983, 124 ss.
A) LES CONSÉQUENCES "THÉORIQUES".
Analysons ce que François Chevrette a appelé les conséquences « théoriques », c’est à dire celles qui découlent
logiquement du principe lui-même.
1) L'individu a toutes libertés à l'exception de ce qui lui est interdit par la loi.
•
"A man may [...] be punished for a breach of the law but he can be punished for nothing else." (Dicey)
•
Nulla crimen sine lege / Nulla poena sine lege
•
Frey c. Fedoruk [1950] RCS 517
•
Art. 9 C. crim :
Nonobstant toute autre disposition de la présente loi ou de quelque autre loi, nul ne peut être déclaré coupable
ou absous en vertu de l'article 730 des infractions suivantes :
une infraction en common law;
une infraction tombant sous le coup d'une loi du Parlement d'Angleterre ou de Grande-Bretagne, ou du
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande;
une infraction visée par une loi ou ordonnance en vigueur dans une province, un territoire ou un endroit, avant
que cette province, ce territoire ou cet endroit ne devînt une province du Canada.
•
En contre partie, "Nul n'est censé ignorer la loi" :
Art. 19 C.Crim : L'ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n'excuse pas la
perpétration de l'infraction.
2) La puissance publique n'a que les pouvoirs qui lui sont attribués par la loi.
Les pouvoirs peuvent être attribués de deux façons :
a)
Attribution expresse
Pour agir légalement, les fonctionnaires, les agences gouvernementales, les ministres ou tout autre détenteur de
l'autorité publique doivent trouver dans la common law ou le droit statutaire le pouvoir d'agir. Ils ne possèdent que
le pouvoir qui leur est accordé par la loi et aucun autre.
b)
Attribution implicite
L'attribution d'un pouvoir exprès implique que le législateur a voulu confier à son agent les pouvoirs ancillaires
(auxiliaires) nécessaires à l'accomplissement de sa fonction.
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c)
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Chapitre 4
Le cas de délégation de vastes pouvoirs discrétionnaires
Qu'advient-il lorsque le législateur adopte une loi qui délègue des pouvoirs discrétionnaires formulés en des
termes vastes et généraux? Par exemple : "Art. n. Le gouvernement a le droit d'adopter tous les règlements qu'il
jugera nécessaires à l'application de la présente loi."
Dans des cas semblables, les tribunaux ont interprété l'intention du législateur : certains pouvoirs ne peuvent être
confiés par une telle clause générale. Les tribunaux ont exigé une délégation spécifique de pouvoir, par exemple
dans les cas suivants :
- l'imposition d'une taxe
Shannon c. Lower Mainland Dairy [1938] A.C. 708
- la création d'infractions et l'imposition de pénalités
Mackay c. R. [1965] R.C.S. 798
- le refus d'accès aux cours de justice
Re Bachand et Dupuis [1946] 1 W.W.R. 545
- la contestation d'un conseil d'arbitrage
Re Steve Dart and D J Auer Co.[1974] 46 D.L.R. (3d) 745
- la restriction des droits et libertés individuels
R. c. Halliday [1917] A.C. 260
Utah construction v. Pataky [1966] A.C. 629
d)
L'obéissance à l'ordre d'un supérieur hiérarchique
Un policier ou un fonctionnaire qui agit sur l'ordre d'un supérieur hiérarchique ne peut pas se servir de cette excuse
si l'ordre était contraire à la loi.
Chaput c. Romain [1955] RCS 834
À retenir :
•
Liberté de religion et de conscience : pas de religion d'État.
•
L'obéissance à un ordre supérieur ne dispense pas de l'accomplissement des devoirs publics.
e)
La responsabilité personnelle des agents de l'État
Roncarelli c. Duplessis [1959] RCS 121
À retenir :
L'arrêt RONCARELLI
Dans cette affaire, Frank
Roncarelli, un restaurateur
montréalais qui aidait les
témoins de Jéhovah, avait
vu son permis d'alcool
révoqué à la suite d'une
intervention personnelle du
premier ministre Maurice
Duplessis. Ce ne sont pas
tant
ses
qualités
de
restaurateur qui avaient
été remises en question
que son refus d'adhérer à
l'idéologie
duplessiste.
Après tout, la sympathie
dont il faisait preuve à l'endroit des témoins de
Jéhovah constituait peut-être, comme le prétendait
Duplessis, une provocation de l'autorité ainsi qu'une
menace à l'ordre public et à la saine administration de
la justice. Victime d'ostracisme, Roncarelli se sera
battu pendant treize ans avant que la Cour suprême ne
lui donne raison et réaffirme ce principe judiciaire
fondamental selon lequel tous les individus sont égaux
devant la loi.
•
Aucun pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé
de façon arbitraire.
•
Responsabilité personnelle de tout agent de l'État
qui agit manifestement hors de ses fonctions.
•
Notion de bonne foi : connaître les limites du
mandat qui est confié et respecter les fins et buts
de la loi.
On refuse le permis d'alcool à Roncarelli en 1956 sur le
critère de la "haute moralité" et Roncarelli s'installe aux
USA. Le juge Archambault devient juge en chef de la
Cour des sessions de la paix. Le sergent Benoît,
condamné le même jour par la Cour suprême à des
dommages-intérêts en faveur d'une Témoin de Jéhovah
illégalement arrêtée (Lamb c. Benoît, [1959] RCS 321),
devient directeur général de la Police provinciale, puis
sous-ministre associé de la Province.
3) Pour écarter ces principes, le législateur doit le faire expressément.
En vertu de la souveraineté parlementaire, il peut changer ces règles. Mais, compte tenu de leur importance, les
tribunaux n'admettront de dérogations qu'expresses.
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B) LES CONSÉQUENCES "PRATIQUES".
Analysons ce que Chevrette a appelé les conséquences « théoriques » , c’est à dire celles qui découlent de
l’application du principe.
1) Les lois doivent être publiques, claires et fondées sur des critères objectifs
La publicité des lois et des règlements est assurée par diverses mesures législatives et diverses politiques
administratives
ƒ
Au Québec Loi sur les règlements, S.C.1970-71-72 c. 38
ƒ
Les lois du Québec et les lois fédérales sont maintenant disponibles gratuitement sur Internet
ƒ
La clarté : les lois devraient être claires
ƒ
Les critères objectifs : les règles énoncées dans les lois devraient être fondées sur des critères objectifs
La publicité des décisions judiciaires est assurée par plusieurs moyens.
ƒ
De façon générale, toutes les décisions des tribunaux peuvent être consultées par quiconque au greffe du
tribunal, car elles sont publiques.
ƒ
Une copie des décisions des tribunaux est également déposée à la salle de presse des Palais de Justice où les
journalistes peuvent en prendre copie pour en faire le compte-rendu.
ƒ
Une sélection des jugements est publiée par les éditeurs juridiques publics ou privés
ƒ
la jurisprudence de la Cour suprême du Canada est publiée dans les Recueils de la Cour suprême du Canada
depuis la création de cette cour. Elle est maintenant rendu disponible gratuitement sur Internet le jour même
de sa publication sur le site de la Cour suprême. Les décisions depuis 1983 y sont disponibles.
2) Le droit d'être entendu (Audi alteram partem)
3) Le droit à l'impartialité (Nemo judex in sua causa)
Les deux grandes règles de la justice naturelle, incorporées désormais dans les règles de justice fondamentale
protégées constitutionnellement. Dans la Charte canadienne des droits et libertés:
ƒ
art. 7 : pour les décisions judiciaires de l'administration.
ƒ
art. 11(d) : pour les juridictions criminelles.
ƒ
Dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne voir l'art. 23.
ƒ
La cause célèbre en matière de droit à l'impartialité est: Alliance des
professeurs catholiques de Montréal c. La Commission des relations
ouvrières du Québec [1953] 2 RCS 140
À retenir :
o
Audi alteram partem est une règle cardinale.
o
En janvier 1954, la législature du Québec amenda la Loi sur
les différends entre les services publics et leurs employés
pour faire déclarer que l'association qui encourage la grève
perd ipso facto son accréditation. Le certificat de l'Alliance
fut retiré en mai 1954, et ne lui fut réattribué qu'en
décembre 1959, trois mois après la mort de Duplessis.
Maurice Duplessis en compagnie de Mgr.
Charbonneau et de policiers provinciaux (1946,
photo Vic Davidson)
4) Le droit d'être traité avec équité par l'administration.
•
C'est le principe jurisprudentiel du duty to act fairly
•
Adopte la jurisprudence britannique (Ridge v. Baldwin, (1963) 2 All E R (HL) 66) qui, dans la distinction des
actes quasi-judiciaires et administratifs, applique aux premiers les principes de justice naturelle et aux seconds
la règle d'équité procédurale.
•
Sur les tribunaux quasi-judiciaires, voir l'art. 56 CDLPQ.
o
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Police Commissioners [1979] 1 RCS 311
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Chapitre 4
5) La non-rétroactivité des lois
6) Pas d'expropriation sans compensation
7) La primauté du droit ne s'applique pas à l'État dans ses rapports, hors du territoire, avec des noncitoyens (théorie de l'Act of state). Délivrance des visas à l'étranger.
4.3.3 La portée du principe selon les tribunaux canadiens.
Il y a trois arrêts importants dans lesquels les tribunaux canadiens ont défini leur conception de la primauté du
droit. Les deux premiers datent d’avant la CCDL et ont un intérêt historique, le troisième montre toute
l’importance de ce principe depuis la CCDL.
1) La Reine c. Drybones [1970] RCS 28
•
À retenir :
•
Double conflit touchant la Rule of law :
o
Conflit sur la Rule of law comme vecteur d'égalité devant la loi.
o
Conflit sur la Rule of law comme protecteur de l'ordre juridique.
•
L'égalité devant la loi -- élément de la Rule of law -- permet-elle à un tribunal de déclarer inopérante une loi
qui ne la respecte pas, ce qui est contraire à la préservation de l'ordre juridique fondé sur la suprématie
parlementaire également protégée par la Rule of law.
•
Conflit entre
o
une conception progressiste du droit mettant en oeuvre le principe d'égalité devant la loi -- élément
de la Rule of law -- mais s'écartant de la Rule of law traditionnelle en ce qu'un tribunal peut alors
déclarer inopérante une législation validement promulguée, ce qui est contraire à la préservation de
l'ordre juridique fondé, sauf disposition constitutionnelle, sur la suprématie parlementaire également
protégée par la Rule of law,
o
et une conception plus conservatrice mais plus respectueuse du principe fondamental de suprématie
parlementaire et de Rule of law.
2) P.G. Canada c. Lavell [1974] RCS 1349
•
À retenir : Retour à la case départ : Pigeon ne s'y trompe pas lorsqu'il affirme que la décision concorde avec
son opinion dans Drybones. En fait les juges ont beaucoup changé d'idée dans ces deux arrêts :
•
Les deux arrêts sont à peu près inconciliables.
•
La pétition de principe sur l'absence d'inégalité de traitement.
L'articulation difficile des articles 1 et 2 DCD est résolue à la CCDL. Idem pour l'articulation difficile des deux parties
de l'article 1.
L’affaire Lavell
En 1970, Jeannette Corbière épousait David Lavell, un non-Autochtone. Peu après son
mariage, un avis du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien lui annonçait qu'elle
n'était plus considérée comme une Indienne en vertu de l'alinéa 12 (1) (b) de la Loi sur les
Indiens, selon lequel : «12 (1) Les personnes suivantes n'ont pas le droit d'être inscrites ...
(b) une femme ayant épousé une personne n'étant pas indienne, à moins que cette femme
devienne subséquemment l'épouse ou la veuve d'une personne correspondant à la description
de l'article 11.» (traduction) (Loi sur les Indiens, 1970).
Cet article avait de graves conséquences pour les femmes autochtones émancipées. Elles
perdaient leur statut d'Indienne, de même que les enfants nés de leur mariage; elles ne pouvaient plus vivre sur
leur réserve et elles perdaient le droit de posséder des terres et d'hériter des biens familiaux; elles ne pouvaient
se prévaloir d'aucun droit issu des traités ni participer aux conseils de bande et aux affaires politiques et sociales
de la communauté; elles perdaient en outre le droit d'être enterrées auprès de leurs ancêtres. D'un autre côté, les
hommes autochtones qui épousaient des femmes non-autochtones n'étaient privés d'aucun de ces droits et le
statut d'Indien était attribué à leur femme et à leurs enfants.
Jeannette Lavell a donc décidé de contester la Loi sur les Indiens en soutenant que l'alinéa 12 (1) (b) était
discriminatoire et devait être abrogé, conformément à la Déclaration des droits de 1960. C'était la première fois
que les tribunaux avaient affaire à un cas de discrimination fondée sur le sexe. En juin 1971, le juge Grossberg de
la cour de comté statuait contre Jeannette Corbiere Lavell. La Cour fédérale d'appel se prononça à l'unanimité en
faveur de Mme Lavell, cette décision fut portée en appel devant la Cour suprême du Canada.
En février 1973, les affaires Lavell et Bédard étaient entendues concurremment. Yvonne Bédard était une autre
Autochtone qui avait, elle aussi, perdu son statut d'Indienne à la suite de son mariage avec un homme nonautochtone. Le 27 août 1973, la Cour suprême décidait, par une majorité de 5 voix contre 4, que la Déclaration
des droits ne s'appliquait pas à l'article 12 de la Loi sur les Indiens.
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
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PIERRE MACKAY
JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL
édition 2006-2007
Chapitre 4
L'affaire Sandra Lovelace
L'affaire Sandra Lovelace a compté parmi les plus importantes plaintes formulées contre le Canada aux termes du
Protocole facultatif. Sandra Lovelace était une Indienne de la réserve de Tobique, au Nouveau-Brunswick; en vertu
de l'alinéa 12(10)(b) de la Loi sur les Indiens, qui stipulait que « les personnes suivantes n'ont pas le droit d'être
inscrites : une femme qui a épousé un non-Indien... », elle avait perdu son statut d'Indienne en prenant un nonIndien pour mari. Le Comité des droits de l'homme de l'ONU accepta d'entendre sa cause, même si elle n'avait pas
épuisé tous les recours canadiens (l'affaire n'avait pas été portée devant la Cour suprême du Canada). Le Comité
savait qu'en 1973, une autre femme autochtone avait saisi la Cour suprême d'une situation semblable, dans
l'affaire Lavell, et qu'elle avait perdu. Ainsi, Sandra Lovelace affirma en 1977 que le Canada avait violé plusieurs
des droits énumérés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, y compris le droit à la
protection contre la discrimination, défini dans le paragraphe 2(1) et l'article 26; le droit égal des hommes et des
femmes à jouir des droits énoncés dans le Pacte (article 3); le droit de la famille à la protection de l'État
[paragraphe 23(1)]; l'égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage [paragraphe 23(4)],
et le droit de d'avoir sa propre culture (article 27).
Dans sa décision de 1981, le Comité des droits de l'homme déclara que Sandra Lovelace avait perdu ses droits
avant l'entrée en vigueur du Pacte relatif aux droits civils et politiques et que son droit de jouir de sa famille
n'était en cause qu'indirectement. Cependant, il statua en sa faveur en décidant que les effets de la perte de ses
droits perduraient après l'entrée en vigueur du Pacte et qu'elle était en fait privée du droit d'avoir sa propre
culture dans sa collectivité. Après la publication de la décision du Comité des droits de l'homme, le gouvernement
canadien a accepté de modifier la Loi sur les Indiens pour l'harmoniser avec le Pacte. Il a fallu quatre ans à l'ONU
pour statuer sur la cause de Sandra Lovelace et quatre autres années pour modifier la Loi sur les Indiens; en juin
1984, le gouvernement du Canada a présenté en première lecture un projet de loi pour ce faire et pour retirer la
clause discriminatoire contenue dans la Loi. L'amendement a de nouveau été déposé devant la nouvelle législature
en 1985, et il a acquis force de loi en juin 1985, ce qui mettait fin à la discrimination sexuelle dans la Loi sur les
Indiens.
3) Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba [1985] 1 RCS 721
Cette affaire a pour toile de fond l'histoire tragique de l'effacement
d'un peuple. À retenir :
¾
Importance constitutionnelle du principe de la primauté du droit.
•
•
•
Refus du chaos et de l'anarchie.
Nécessité de l'existence d'un système juridique valide.
Utilisation des principes de la validité de facto, de la chose
jugée, de l'erreur de droit et de l'état de nécessité.
Le Manitoba en 1875, deux ans après son entrée dans la
Confédération.
¾
Rôle de la Cour suprême dans la mise en oeuvre du principe.
•
Elle décide que les lois inconstitutionnelles demeurent valides et fait donc prévaloir un principe général
figurant dans le préambule de la Constitution sur les termes clairs et précis d'un texte constitutionnel de
même valeur. Ce qui démontre le caractère fondamental du principe de la primauté du droit.
•
Par un accord entre les parties, la Cour fixe un délai de trois ans pour les lois et règlements non abrogés
et non désuets (consolidés), et un délai de cinq ans pour les autres : [1985] 2 RCS 347.
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
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PIERRE MACKAY
4.4
JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL
édition 2006-2007
Chapitre 4
CRITIQUE DE LA THÉORIE DE LA PRIMAUTÉ DU DROIT SELON DICEY
La conception dycéenne de la Primauté du droit a souvent été critiquée, principalement pour les raisons suivantes.
Voir http://www.telematica.co.uk/spr/web/consti/Spr92_010_u1_se2_ss2.html
Dicey's view of the rule of law has been extensively criticised:
•
•
•
•
•
because it is ambiguous, - for example, the uncertain meaning of
equality before the law and the point that regular law sanctioned by
Parliament can be arbitrary and discriminatory
because it is unrealistic in that discretionary powers are essential for
any system of government
because it is selective in that discretionary powers are possessed by
judges and by Parliament as well as by government ministers - Dicey
does not consider these, nor does he mention the point that in 1885 the
Crown could not be directly sued in tort
because of what is termed his complacency, i.e. his reconciliation of the
rule of law and Parliamentary sovereignty (see below)
because of his insularity - for example, his misjudgement of the French
system of droit administratif (which he later corrected).
4.4.1 L'existence de nombreux pouvoirs discrétionnaires, voire arbitraires.
4.4.2 La non réalisation des conditions d'existence d'un système fondé sur le Rule
of Law.
4.4.3 Les conditions d'existence d'un système fondé sur une véritable primauté
du droit.
Ces conditions seraient :
•
•
un contrôle sur la régularité procédurale
o
de l'adoption des lois
o
de l'adoption de la législation déléguée
o
de l'application des normes
un contrôle démocratique régulier sur le contenu normatif
SUITE au CHAPITRE 5
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
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