PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 4
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
- 79 -
CHAPITRE 4
La rule of law : la primauté du droit ou principe de légalité
TABLE DES MATIÈRES
Introduction ..................................................................................................................................... 80
4.1 L'ÉNONCÉ DE LA THÉORIE SELON DICEY. .................................................................................. 80
4.1.1 Primauté absolue du droit ordinaire sur l'arbitraire individuel................................................. 80
4.1.2 Égalité de tous devant la loi et les tribunaux de droit commun............................................... 80
4.1.3 Le droit constitutionnel est la résultante, non la source, de la protection jurisprudentielle des
droits individuels ........................................................................................................................... 81
4.2 EXEMPLES DE LA RECONNAISSANCE DU PRINCIPE DANS CERTAINES CONSTITUTIONS .................. 81
4.2.1 États-Unis ....................................................................................................................... 81
4.2.2 Japon ............................................................................................................................. 81
4.2.3 Surinam .........................................................................................................................81
4.2.4 Soudan........................................................................................................................... 81
4.2.5 Afrique du Sud ................................................................................................................ 82
4.2.6 France............................................................................................................................ 82
4.3 LA PORTÉE DU PRINCIPE EN DROIT CANADIEN .......................................................................... 82
4.3.1 La réception législative et constitutionnelle du principe ......................................................... 82
4.3.2 Les conséquences du principe selon la doctrine canadienne................................................... 83
4.3.3 La portée du principe selon les tribunaux canadiens. ............................................................ 86
1) La Reine c. Drybones [1970] RCS 28.......................................................................... 86
2) P.G. Canada c. Lavell [1974] RCS 1349...................................................................... 86
3) Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba [1985] 1 RCS 721............................. 87
4.4 CRITIQUE DE LA THÉORIE DE LA PRIMAUTÉ DU DROIT SELON DICEY............................................... 88
4.4.1 L'existence de nombreux pouvoirs discrétionnaires, voire arbitraires. ..................................... 88
4.4.2 La non réalisation des conditions d'existence d'un système fondé sur le Rule of Law................. 88
4.4.3 Les conditions d'existence d'un système fondé sur une véritable primauté du droit. ................. 88
PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 4
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
- 80 -
Introduction
Notre système juridique, issu du système juridique britannique, repose sur le principe fondamental de la primauté
du droit. Selon ce principe, les règles de droit ont priorité sur toutes les autres normes ou règles de conduite. Plus
particulièrement, cela veut dire que le droit prime sur la volonté ou l'arbitraire d'un individu -- monarque, ministre,
fonctionnaire, parti politique ... -- ou sur la volonté ou l'arbitraire de tout autre corps social, religieux ou moral --
armée, église, ethnie, minorité, ...--.
On peut dire que le principe de la primauté du droit est un corollaire du principe de la souveraineté
parlementaire, car si les assemblées parlementaires sont réellement souveraines les normes édictées par ces
assemblées doivent l'emporter, en cas de conflit, sur toute autre autorité dans la société.
Le terme primauté du droit n'est pas très heureux. Jean Beetz, avant d'être juge à la Cour suprême, avait utilisé
le terme prééminence du droit, qui est déjà meilleur. La Déclaration canadienne des droits de 1960 parle du
règne du droit. La traductrice de John Rawls parle de l'autorité de la loi. En philosophie du droit, on parlera de
principe de légalité : c'est d'ailleurs le terme employé par MM. Chevrette et Marx.
Une traduction rigoureuse étant impossible faute de contexte, le principe de légalité est, à notre sens, l'expression
la plus exacte en français. Nous devons toutefois désormais nous contenter de l'expression primauté du droit.
4.1 L'ÉNONCÉ DE LA THÉORIE SELON DICEY.
Le principe de la primauté du droit a été énoncé par Dicey dans l'ouvrage : Introduction to the Study of the Law of
the Constitution, 1885.
Alexis de Tocqueville dont les
écrits ont inspiré Dicey
Dicey part de l'admiration que les étrangers, comme Voltaire ou De Lolme, éprouvent
pour le régime britannique tout entier gouverné par le droit. Il cite ainsi Alexis de
Tocqueville qui, en 1836, compare les situations politiques de Suisse (premier
gouvernement républicain) et d'Angleterre (gouvernement monarchique) et constate
qu'en Suisse, contrairement à l'Angleterre :
La liberté de presse n'est qu'une réalité récente dans la plupart des cantons.
La liberté individuelle n'est pas garantie et les personnes peuvent être arrêtées et
détenues administrativement sans grandes formalités.
Les tribunaux ne jouissent que de peu d'indépendance.
Le procès par jury est inconnu.
Dans plusieurs cantons, aucune liberté n'est garantie aux citoyens.
Pour Dicey, ce principe veut dire trois choses :
4.1.1 Primauté absolue du droit ordinaire sur l'arbitraire individuel
It means, in the first place, the absolute supremacy or predominance of regular law as opposed to
the influence of arbitrary power, and excludes the existence of arbitrariness, of prerogative, or even of
wide discretionary authority on the part of the government. Englishmen are ruled by the law, and by the
law alone; a man may with us be punished for a breach of law, but he can be punished for nothing else.
(Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 202)
4.1.2 Égalité de tous devant la loi et les tribunaux de droit commun
It means, again, equality before the law, or the equal subjection of all classes to the ordinary law of the
land administered by the ordinary law courts; the "rule of law" in this sense excludes the idea of any
exemption of officials or others from the duty of obedience to the law which governs other citizens or from
the jurisdiction of the ordinary tribunals. (Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution,
202-203)
Les membres du gouvernement sont soumis aux mêmes lois et aux mêmes tribunaux que tous les autres
citoyens.
PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 4
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
- 81 -
4.1.3 Le droit constitutionnel est la résultante, non la source, de la protection
jurisprudentielle des droits individuels
A.V. Dicey, photo tirée de Introduction to the Study
of the Law of the Constitution, 8th ed., Indianapolis,
Liberty Fund Ed., 1982,
The "rule of law", lastly, may be used as a formula for
expressing the fact that with us the law of the constitution, the
rules which in foreign countries naturally form part of a
constitutional code, are not the source but the consequence of
the rights of individuals, as defined and enforced by the courts;
that, in short, the principles of private law have with us been
by the action of the courts and Parliament so extended as to
determine the position of the Crown and of its servants; thus
the constitution is the result of the law of the land.
(Dicey, Introduction to the Study of the Law of the
Constitution, 203)
Selon Dicey, en Angleterre, la constitution est dérivée de la common
law et non l'inverse : c'est la common law qui détermine la position de
la couronne et des fonctionnaires. Pour Dicey, cela est très important.
Car, selon lui, lorsque la Constitution belge "garantit" le droit à la
liberté, celle-ci est considérée comme un privilège spécial protégé par
une autorité supérieure au droit ordinaire. Alors qu'en Angleterre, la
protection de la liberté résulte de l'application des règles ordinaires du
droit.
Cette conception de la nature et du rôle particulier de la common law anglaise, sorte de droit d’une catégorie
supérieure sur celui des autres pays « obligés » de se doter d’une constitution écrite, ne fait pas partie de la
théorie de la suprématie du droit reçue par nos tribunaux.
4.2 EXEMPLES DE LA RECONNAISSANCE DU PRINCIPE DANS CERTAINES
CONSTITUTIONS
De nombreux pays ont reconnu dans leur constitution le principe de la Primauté du droit.
On dit d’un pays qui reconnaît et qui applique ce principe que c’est un État de droit.
Les exemples qui suivent sont donnés à titre illustratif et ne sont pas du tout exhaustifs.
Pour plus de détails, on consultera le site « Constitution Finder »
http://confinder.richmond.edu/ qui donne la référence ou le texte de tous les pays
membres des Nations-Unies.
4.2.1 États-Unis
XIVe amendement à la Constitution des États-Unis :
"The state shall not deprive any person of life, liberty, or property without due process of
law, nor deny to any person within its jurisdiction the equal protection of law"
La constitution des Etats-Unis
date de 1787
4.2.2 Japon
art.14 de la Constitution de 1946 :
"Toutes les personnes sont égales devant la loi et il n'y aura pas de discrimination aux plans politique,
économique ou social en raison de la race, des croyances, du sexe, et de l'origine sociale ou familiale"
4.2.3 Surinam
Préambule de la constitution de 1975 :
"Considérant l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de race, sexe, religion, convictions
personnelles ou politiques"
4.2.4 Soudan
art. 59 de la constitution de 1973 :
"L'État est assujetti à la primauté du droit et la suprématie des règles de droit sera le fondement du
gouvernement"
PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 4
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
- 82 -
4.2.5 Afrique du Sud
L'art. 59 de l'ancienne Constitution, celle du régime d'apartheid :
"(1) Le Parlement détient l'autorité législative souveraine et aura les pleins pouvoirs pour adopter des lois
relatives à la paix, l'ordre et le bon gouvernement de la République.
(2) Aucun tribunal ne sera compétent pour se prononcer sur la validité des lois du Parlement ..."
On remarquera, dans ce dernier cas, l'absence complète de référence à la primauté du droit!
La constitution de 1994, prévoit maintenant des dispositions expresses en matière d'égalité devant la loi et non-
discrimination:
Section 8 Equality
(1) Every person shall have the right to equality before the law and to equal protection of the law.
(2) No person shall be unfairly discriminated against, directly or indirectly, and, without derogating from the
generality of this provision, on one or more of the following grounds in particular: race, gender, sex, ethnic or
social origin, colour, sexual orientation, age, disability, religion, conscience, belief, culture or language.
4.2.6 France
La Constitution française du 4 octobre 1958 ne comporte aucune mention
précise du principe de légalité. Mais on retrouve des éléments de ce principe
dans diverses dispositions :
La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 juillet 1789 :
"Art. 1. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la
société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché,
et nul ne peut être contraint de faire ce qu'elle n'ordonne pas.
Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les
cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux
qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres
arbitraires doivent être punis; [...]
Art. 8. [...] nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et
promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée."
La constitution de la Vème république du 4 octobre 1958
"Art. 2. La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion. [...]"
Mais tout cela ne suffit pas à constituer le principe de la prééminence du droit. L'égalité devant la loi n'est qu'une
des facettes du principe qui en comprend d'autres. Comme nous le verrons dans l'affaire des droits linguistiques au
Manitoba.
4.3 LA PORTÉE DU PRINCIPE EN DROIT CANADIEN
Le principe de la primauté du droit a été reçu historiquement en droit constitutionnel canadien avant d'y être inscrit
textuellement.
4.3.1 La réception législative et constitutionnelle du principe
a) La reconnaissance de ce principe dans la constitution canadienne.
Le préambule de la LC 1867 : "[...] une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du
Royaume-Uni [...]". D'où l'importance de Dicey.
Le préambule de la CCDL en partie I de la LC 1982 : "Attendu que le Canada est fondé sur des principes
qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit [...]"
La question de la portée du principe au Canada a été étudiée de façon détaillée dans l'arrêt:
Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba [1985] 1 RCS 721, à 750-751
"Le statut constitutionnel de la primauté du droit est incontestable. Le préambule de la Loi
constitutionnelle de 1982 [le] déclare [...]. Il y a là reconnaissance explicite que "la primauté du droit [est]
un des postulat fondamentaux de notre structure constitutionnelle" (le juge Rand, Roncarelli c. Duplessis
[...]). La primauté du droit a toujours été considérée comme le fondement même de la Constitution
anglaise qui caractérise les institutions politiques d'Angleterre depuis l'époque de la conquête normande
PIERRE MACKAY JUR2515 DROIT CONSTITUTIONNEL édition 2006-2007 Chapitre 4
AVERTISSEMENT : le présent texte constitue les notes de cours du professeur Pierre Mackay, destinées à l'usage exclusif des étudiants inscrits à ses cours et ne doivent pas être citées ni utilisées à d'autres fins sans sa permission.
- 83 -
[...]. Elle devient un postulat de notre propre structure constitutionnelle en raison du préambule de la Loi
constitutionnelle de 1982 et de son inclusion implicite dans le préambule de la Loi constitutionnelle de
1867, en vertu des mots "avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-
Uni".
En plus de l'inclusion de la primauté du droit dans le préambule des Lois constitutionnelles de 1867 et de
1982, le principe est nettement implicite de par la nature même d'une constitution. La Constitution, en
tant que loi suprême, doit être interprétée comme un aménagement fonctionnel des relations sociales qui
sert de fondement à l'existence d'un ordre réel de droit positif. Les fondateurs de notre pays ont
certainement voulu, entre autres principes fondamentaux d'édification nationale, que le Canada soit une
société où règne l'ordre juridique et dotée d'une structure normative : une société soumis à la primauté
du droit. [...]
Cette Cour ne peut interpréter la Constitution de façon étroite et littérale, la jurisprudence de la Cour
démontre sa volonté de compléter l'analyse textuelle par une interprétation de l'historique, du contexte et
de l'objet de notre Constitution dans le but de déterminer l'intention de ses auteurs."
b) Les chartes et déclarations législatives.
Le préambule de la déclaration canadienne des droits de 1960 :
"Le Parlement du Canada proclame que la nation canadienne repose sur des principes qui reconnaissent la
suprématie de Dieu, la dignité et la valeur de la personne humaine ainsi que le rôle de la famille dans une
société d'hommes libres et d'institutions libres;
Il proclame en outre que les hommes et les institutions ne demeurent libres que dans la mesure où la
liberté s'inspire du respect des valeurs morales et spirituelles et du règne du droit; [...]"
4.3.2 Les conséquences du principe selon la doctrine canadienne
Voir à ce sujet : Chevrette, François et Marx, Herbert, Droit constitutionnel, PUM 1982, 33-35; Dussault, René,
Traité de droit administratif, PUL 2e éd; Ouellette, Yves et Pépin, Gilles Principes de droit administratif, Thémis
1983, 124 ss.
A) LES CONSÉQUENCES "THÉORIQUES".
Analysons ce que François Chevrette a appelé les conséquences « théoriques », c’est à dire celles qui découlent
logiquement du principe lui-même.
1) L'individu a toutes libertés à l'exception de ce qui lui est interdit par la loi.
"A man may [...] be punished for a breach of the law but he can be punished for nothing else." (Dicey)
Nulla crimen sine lege / Nulla poena sine lege
Frey c. Fedoruk [1950] RCS 517
Art. 9 C. crim :
Nonobstant toute autre disposition de la présente loi ou de quelque autre loi, nul ne peut être déclaré coupable
ou absous en vertu de l'article 730 des infractions suivantes :
une infraction en common law;
une infraction tombant sous le coup d'une loi du Parlement d'Angleterre ou de Grande-Bretagne, ou du
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande;
une infraction visée par une loi ou ordonnance en vigueur dans une province, un territoire ou un endroit, avant
que cette province, ce territoire ou cet endroit ne devînt une province du Canada.
En contre partie, "Nul n'est censé ignorer la loi" :
Art. 19 C.Crim : L'ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n'excuse pas la
perpétration de l'infraction.
2) La puissance publique n'a que les pouvoirs qui lui sont attribués par la loi.
Les pouvoirs peuvent être attribués de deux façons :
a) Attribution expresse
Pour agir légalement, les fonctionnaires, les agences gouvernementales, les ministres ou tout autre détenteur de
l'autorité publique doivent trouver dans la common law ou le droit statutaire le pouvoir d'agir. Ils ne possèdent que
le pouvoir qui leur est accordé par la loi et aucun autre.
b) Attribution implicite
L'attribution d'un pouvoir exprès implique que le législateur a voulu confier à son agent les pouvoirs ancillaires
(auxiliaires) nécessaires à l'accomplissement de sa fonction.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !