Le management durable: un modèle global de direction

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Gestion & Leadership
procure.ch – Revue de l’acheteur 9/2014
«Agir de façon durable est la condi-
tion indispensable d’une réussite
économique pérenne»: c’est la for-
mule employée par la conseillère fé-
dérale Doris Leuthard en 2013 dans
un magazine économique suisse
(wirtschaftsmagazin.ch). Ces der-
nières années, l’exigence d’une di-
rection d’entreprise durable trouve
en effet un écho croissant auprès
d’une large partie de la population.
Les conséquences et les enseigne-
ments des récentes crises nan-
cières et économiques font ressortir
la complexité et la fragilité – voire
la vulnérabilité – de notre système
économique dans son ensemble.
Souvent assimilé à la notion de
«responsabilité sociale des entre-
prises» (RSE), le management
durable ne va cesser de gagner
de l’importance. Mais que signie
diriger durablement une entreprise?
Lauteur présente ci-après, à l’aide
d’un modèle de management, les
différents dés posés par cette ap-
proche.
La durabilité –
une idée déjà ancienne
Le concept de développement
durable trouve son origine au
18e siècle: le terme est apparu
dans le secteur forestier, devant la
menace représentée par une défo-
restation excessive. L’homme a
alors pris conscience des fonctions
écologiques, sociales et écono-
miques importantes que remplis-
sait la forêt. En pleine expansion à
cette époque, les fonderies avaient
besoin d’énormes quantités de bois.
Cette destruction désorganisée et
disproportionnée de la forêt dans
l’intérêt de l’exploitation minière a
mis en danger à long terme le fon-
dement d’une société saine, et par
là même celui de son économie. La
durabilité a alors consisté à gérer la
forêt de sorte que sa productivité (y
compris la capacité de rendement
de son sol) puisse être préservée,
voire améliorée grâce à sa capacité
de régénération et à sa vitalité.
Aujourd’hui, au 21e siècle, il ne s’agit
plus «uniquement» de la forêt, mais
aussi des ressources de la planète,
c’est-à-dire de tous les fondements
naturels de notre existence. Selon
le Rapport Planète Vivante 2012
du WWF, c’est à partir des années
1970 que l’humanité a commencé
à vivre au-dessus de ses moyens
naturels. Les ressources renou-
Les conséquences des crises des dernières années met-
tent en évidence la complexité et la fragilité de l’ensemble
de notre système économique. Dans ce contexte, une ac-
tion durable représente la condition essentielle d’un succès
économique pérenne. Les approches en matière de ma-
nagement devraient aussi tenir compte de cette évolution.
Prof. Markus Zemp
MA, diplôme en gestion
d’entreprise,
diplôme fédéral d’acheteur
Directeur d’études MBA
à Lucerne, professeur en
direction d’entreprise et
leadership
www.hslu.ch
Le management durable:
un modèle global de direction d’entreprise
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velables sont – en particulier dans
les pays industriels – consommées
plus rapidement et plus intensive-
ment qu’il ne leur est possible de se
régénérer, tandis que les émissions
de CO2 sont supérieures à ce que
les écosystèmes peuvent absor-
ber. Ce dépassement écologique
a augmenté continuellement au l
des années, pour atteindre 50%
en 2008. En d’autres termes, cette
année-là, lhomme a consommé
l’équivalent d’une planète et demie
(WWF 2012).
Les raisons de l’essor de la
durabilité pour les entreprises
Léconomie n’est pas seulement
l’expression de la capacité de per-
formance économique et technolo-
gique d’un pays: c’est aussi le reet
des valeurs d’une société et de leurs
évolutions. Les entreprises font par-
tie intégrante d’un circuit écono-
mique et sont en interaction étroite
avec les facteurs de production:
le travail (les individus),
la terre
(les ressources naturelles),
le capital (l’argent) et
le savoir-faire
(les connaissances).
Lentreprise n’est donc pas un élé-
ment isolé, dont l’action pourrait
être légitimée sans restriction et
selon des critères purement éco-
nomiques. De même que les entre-
preneurs ont un devoir d’assistance
global envers les personnes qui
travaillent dans leur entreprise, ils
doivent également endosser une
responsabilité environnementale
vis-à-vis de leur habitat, c’est-à-dire
de la nature. Certaines sociétés l’ont
déjà compris: près des trois quarts
des entreprises suisses œuvrent
en faveur de problèmes sociétaux
et prévoient de poursuivre cet en-
gagement. Il est toutefois frappant
de constater que ces activités sont
généralement organisées de ma-
nière autonome, voire très isolée, et
qu’elles présentent, par rapport aux
autres processus de lentreprise, un
faible niveau de professionnalisa-
tion et de standardisation, comme
le révèle une enquête menée en
2009 par l’ETH Zurich (Wehler et
al., 2009).
Ce problème montre que la durabi-
lité est encore insufsamment inté-
grée dans les modèles de direction.
Lune des raisons est que la place
accordée au management durable
dans la formation initiale et continue
des décideurs reste trop secon-
daire. Le modèle ci-dessous pré-
sente une vision intégrale du mana-
gement durable. Lorganisation doit
désormais être orientée en fonction
des trois dimensions du triangle de
durabilité:
l’économie,
l’écologie et
le social.
Le point central de cette théorie
est qu’elle pousse l’entreprise à
matérialiser en amont, dans sa
vision et dans les objectifs qui en
découlent, son interprétation des
trois dimensions de la durabilité.
Cette approche induit une réexion
ciblée sur les valeurs et les com-
portements qui doivent sous-tendre
les décisions entrepreneuriales en
vue d’atteindre les objectifs écono-
miques. Une telle transparence in-
cite pour nir la direction de l’entre-
prise à rechercher une orientation
équilibrée et durable sur les plans
économique, social et écologique.
ModèledeLucernedumanagementdurable
Individu
Entreprise
Environnement
Vision
etobjectifs
Stratégie
Structure
Culture
Auteur:MarkusZemp
Ecologie
Economie
Social
Durableetéquitable
Organisationetprocessus
L’organisation du management devrait s’articuler autour du triangle de
durabilité et de ses trois dimensions (économique, écologique et sociale).
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Gestion & Leadership
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Le modèle de Lucerne
du management durable
(Markus Zemp)
Les éléments suivants (inspirés du
cadre GRI) peuvent servir de réfé-
rence pour les trois indicateurs de
performance en matière de mana-
gement durable:
Dimension économique
Laccroissement de valeur purement
nancier de l’entreprise, exprimé en
unités monétaires, nest pas le seul
critère important. Il faut également
prendre en compte des aspects tels
que le type de création de valeur et
ses conséquences pour l’environ-
nement (p. ex. émissions de CO2),
le recours à des fournisseurs régio-
naux, l’emploi de personnes issues
de la population locale ou encore les
investissements dans l’infrastruc-
ture. La valeur ainsi créée permet
en effet d’améliorer la perception
positive et l’attractivité de l’entre-
prise au sein de la société.
Dimension écologique
Cet aspect concerne la gestion des
ressources naturelles (consomma-
tion de matériel, d’énergie et d’eau)
ainsi que l’inuence sur la biodi-
versité. Lobjectif est notamment
de développer des produits et des
services en veillant à consommer le
moins de ressources possible. Cette
préoccupation est valable depuis la
création du produit (en comptant
les ressources nécessaires pour
la recherche et le développement,
mais aussi pour les moyens de pro-
duction) jusqu’à la n de sa durée
d’utilisation et donc jusqu’à son éli-
mination (du berceau au berceau).
Des conceptions qui devraient faire
partie d’une gestion moderne de la
chaîne de valeur.
Dimension sociale
Outre des conditions d’engage-
ment équitables pour les collabo-
ratrices et les collaborateurs (sécu-
rité et santé au travail, égalité des
chances, droits de consultation,
etc.), cette dimension concerne
aussi les exigences sociétales
auxquelles une entreprise doit ré-
pondre. Il peut s’agir de sujets liés
aux droits de l’homme, tels que le
travail des enfants, le travail forcé, la
discrimination ou encore la corrup-
tion, mais aussi de la question de
la transparence relative à la décla-
ration des produits, du contrôle des
chaînes d’approvisionnement ou de
la préservation de la sphère privée
des clients (protection des don-
nées, p. ex.). Tenir compte de ces
facteurs permet aux entreprises de
gagner en crédibilité et d’être plus
attractives en tant qu’employeurs.
Des considérations à intégrer
dans la direction d’entreprise
Le modèle décrit doit permettre
de sensibiliser les décideurs à une
approche globale et intégrale en
matière de management, mais
aussi de les préparer aux exigences
nouvelles que pose le management
durable.
Pour nir, il faut rappeler que les pro-
blématiques de durabilité sont loin
d’être nouvelles. Il serait également
erroné de prétendre que les entre-
prises ne font rien dans ce domaine.
Lobjectif du modèle présenté est
plutôt d’intégrer ces questions de
manière systématique et donc plus
consciente dans la direction stra-
tégique de l’entreprise. L’impor-
tance accordée au développement
durable ne relève toutefois pas
seulement de la responsabilité des
entreprises. Elle incombe en pre-
mier lieu aux individus, qui peuvent
d’une part, en faisant des choix de
consommation, opter pour plus ou
moins de durabilité, et d’autre part
inuer – en tant qu’acteurs des pro-
cessus de production disposant
d’un certain pouvoir de décision –
sur la part de développement du-
rable dans la création de valeur.
Pour que cette logique fonctionne
de façon autonome, les facteurs
suivants doivent être réunis: re-
connaissance de la nécessité du
changement (si possible par toutes
les parties prenantes), transparence
du côté des producteurs (au-delà du
seul contenu de la production, clar
sur les conditions dans lesquelles
les produits sont fabriqués) et vo-
lonté de peser sur les décisions en
matière de durabilité (via la décision
d’achat en tant que consommateur
et via l’organisation des processus
internes/de la création de valeur en
tant que producteur).
Sources
Livre vert – Promouvoir un cadre
européen pour la responsabilité
sociale des entreprises, COM (2001)
WWF/ZSL 2012, Base de données
de l’Indice Planète vivante, WWF et
Zoological Society of London, date
d’accès: 22 février 2012.
www.wirtschaftsmagazin.ch,
«Zur Nachhaltigkeit gibt es keine
Alternative», article de la conseillère
fédérale Doris Leuthard publié dans
«Wirtschaftsmagazin», numéro 25,
2013
Wehler et al, «Unternehmen in der
Schweiz übernehmen gesellschaft-
liche Verantwortung», publié dans
«Schweizer Arbeitgeber» (version
germanophone d’«Employeur
suisse»), numéro 15, 2009
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