François H. Courvoisier* Institut du marketing horloger HES

MARKETING RELATIONNEL ENTRE MARQUES ET CO-TRAITANTS DANS LINDUSTRIE
HORLOGERE
François H. Courvoisier*
Institut du marketing horloger
HES-SO : Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HEG Arc)
Zarina M. Charlesworth
HES-SO : Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HEIG-VD)
Institut interdisciplinaire du développement de l’entreprise
* Espace de l’Europe 21, CH-2000 Neuchâtel (Suisse), Tél. +41 32 930 20 40, Fax +41 32
930 20 21
Résumé : Cette recherche aborde la problématique de la coopération entre co-traitants et
marques de l’industrie horlogère sous l’angle du marketing relationnel. La méthodologie de
recherche est double : qualitative par entretiens en profondeur avec des dirigeants de PME co-
traitantes (n=18-20), quantitative par un sondage en ligne réalisé auprès d’une base de
données de ces PME. Les premiers résultats de cette recherche montrent que les traditionnels
sous-traitants passifs des marques de l’industrie horlogère cherchent à devenir plus actifs dans
la chaîne de valeur. Ils veulent acquérir un statut de co-traitants innovants qui travaillent en
partenariat avec leurs clients au moyen d’outils de marketing relationnel.
Mots clef: Marketing relationnel, co-traitant, B2B, PME, horlogerie
RELATIONSHIP MARKETING BETWEEN BRANDS AND CO-CONTRACTANTS IN THE
WATCHMAKING INDUSTRY
Abstract: This research examines the topic of the cooperation between co-contractants and
brands of the watchmaking industry from a relationship marketing point of view. The research
methodology is mixed: firstly, qualitative with in-depth interviews with managers (n=18) of
co-contracting SMEs and, secondly, quantitative through the use of an online survey done
with a broad sample of such SMEs. The initial results of this research indicate that
traditionally passive co-contractants in the watchmaking industry want to be more active in
the value chain. They look to obtain a status of more than just cooperative co-contractants but
rather innovative partners working to co-create with their clients thanks to relationship
marketing tools.
Keywords: Relationship marketing, co-contractant, B2B, SME, watchmaking industry
MARKETING RELATIONNEL ENTRE MARQUES ET CO-TRAITANTS DANS LINDUSTRIE
HORLOGERE
Introduction
Selon la Fédération de l’industrie horlogère suisse, le secteur de l’horlogerie représente
en 2015 un chiffre d’affaires à l’exportation de 21 milliards d’euros, ce qui en fait pour la
Suisse le troisième secteur d’exportation après la machine-outil et la chimie. Ces dernières
années, la structure de la chaîne de valeur horlogère a évolué : d’un nombre important de
fournisseurs et de sous-traitants des marques, on assiste depuis quelques années à une
concentration des acteurs du secteur autour de grands groupes (Swatch, Richemont, LVMH,
Rolex, Kering, Festina et le groupe Movado) et à une intégration verticale de la production
toujours plus prononcée dans ces derniers, de la matière première aux canaux de distribution.
La filière de production, relativement dispersée dans l’Arc jurassien (Franche-Comté et
Suisse francophone) et composée de plusieurs centaines de PME indépendantes, se restructure
et conduit à la mise en place de stratégies différentes au niveau de fabricants de montres
(intégration verticale) comme de leurs sous-traitants (intégration horizontale par associations
et groupements d’intérêts communs). Si la problématique du marketing des marques
horlogères a fait l’objet de plusieurs recherches (Zorik et Courvoisier, 2009, 2010) elle ignore
généralement celle des entreprises sous-traitantes spécialisées dans un tier de base et dont
le pouvoir de négociation est traditionnellement limité par rapport à leurs clients (Courvoisier
et Calmelet, 2012 ; Charlesworth et Courvoisier, 2013).
Or, les traditionnels sous-traitants, qui attendent d’habitude de manière passive les
commandes de leurs clients (soit les marques), ont commencé à changer d’attitude depuis la
crise financière mondiale de 2008-2009 : cette dernière a provoqué une chute des ventes de
montres de 10%, occasionnant pour certains fournisseurs des diminutions de commandes de
pièces et de produits semi-finis allant jusqu’à 60%. C’est pourquoi ces sous-traitants sont
devenus plus actifs : dorénavant, ils vont à la rencontre de leurs clients munis de solutions
nouvelles et des produits innovants, avec une attitude plus proactive de co-traitants, c’est-à-
dire de co-concepteurs de produits et solutions pour leurs clients.
But de la recherche et références clés
Cette recherche traite de la problématique marketing des sous- et co-traitants du secteur
horloger. Elle se penche sur les exigences de leurs donneurs d’ordre (les marques) en termes
de qualité, délais, innovation, prix. Elle analyse les relations et réseaux qui définissent
l’industrie horlogère d’un point de vue BtoB (business to business). La question de recherche
posée est la suivante : « quelles sont les spécificités des stratégies commerciales des
entreprises sous- et co-traitantes des marques horlogères ? ».
Si la problématique du marketing des sous-traitants industriels reste peu abordée dans la
littérature de recherche en BtoB francophone, hormis les manuels de référence comme ceux
de Michel, Salle et Valla (2000), Dayan (2002) ou encore Malaval et Bénaroya (2013), elle
est fréquemment abordée dans la littérature anglophone sous l’angle du marketing relationnel
(Hutchinson et al., 2011 ; Lages et al., 2008) et du marketing en réseau (Gilmore et al., 2001 ;
McLoughlin et Horan, 2000). Ces concepts sont notamment examinés dans le cadre de la
sous-traitance en général, suite notamment aux travaux réalisés par l’IMP (Industrial
Marketing and Purchasing Group), publiés dans l’IMP Journal et dans d’autres revues
scientifiques lors des 30 dernières années (Metcalf et al, 1992 ; Möller et Halinen, 1999 ;
Leek & al., 2001 ; Wilkinson, 2001 ; Ritter & al., 2004 ; Woo et Ennew, 2004 ; Eiriz et
Wilson, 2004, Saren et Tzokas, 2011 ; Strikol, Gallarza et Calero, 2016).
Dans les contributions ci-dessus, la sous-traitance se réfère généralement à une activité
basique le fournisseur exécute des travaux bien définis, sans marge de manœuvre, à partir
d’un cahier des charges élaboré par le client. La coopération entre fournisseurs et clients, sous
l’angle proactif de la co-traitance, est rarement abordée, sauf notamment par Le Dain et al.
(2011), qui signalent que les fournisseurs jouent un rôle de plus en plus important dans les
projets de développement de nouveaux produits à cause de l’accroissement rapide de
l’outsourcing des composants.
La présente recherche s’intéresse aux relations fournisseur-client développée dans
différents travaux (Donada et Dostaler, 2005 ; Ivens et Mayrhofer, 2009), qu’on peut classer
selon le courant de recherche interactionniste (Donada et Nogatchewsky, 2005) : elle aborde
les relations fournisseur-client dans une logique de réseau et analyse les interactions dans
l’optique du marketing relationnel, comme ceux découlant de l’IMP Group.
Méthodologie de recherche
Une approche méthodologique en plusieurs phases (Tashakkori et Teddlie, 1998) est
appliquée à cette recherche depuis sa phase initiale exploratoire de nature descriptive, puis
qualitative et enfin quantitative au fur et à mesure qu’une collecte de données supplémentaires
est nécessaire pour répondre à la question de recherche posée ci-dessus.
Une étude exploratoire de nature qualitative est alisée au moyen d’entretiens en
profondeur (Spiggle, 1994) auprès d’un échantillon diversifié d’une vingtaine de chefs
d’entreprises sous- et co-traitantes de la filière horlogère ; à la fin de chaque entretien, une
adaptation de l’échelle B2B-RELPERF (Lages et al., 2008) est remplie par chaque interviewé
pour qualifier les dimensions et l’intensité des relations entre les sous- et co-traitants et leur
client clé. L’analyse du contenu des entretiens (Weber, 1990) permet d’identifier plusieurs
thèmes développés dans la partie consacrée à l’interprétation des résultats.
Pour l’étude quantitative, une base de sondage d’environ 500 PME industrielles sous- et
co-traitantes actives dans le secteur horloger est constituée sur la base des listes d’exposants
de salons professionnels comme le SIAMS (Moutier), l’EPHJ (Genève), Micronora
(Besançon) et Midest (Paris).
Résultats clés des études qualitative et quantitative
Il apparaît que les PME sous- et co-traitantes s’insèrent dans un réseau le marketing
se pratique de manière très personnalisée, avec des instruments traditionnels et directs :
téléphone, visites de clients et fournisseurs, déjeuners d’affaires. Ceci confirme ce qui a été
relevé concernant le marketing relationnel dans la section consacrée à la revue de la
littérature. Le plus souvent, les PME sous-traitantes subissent les exigences de leurs clients
(les marques horlogères) mais elles peuvent proposer des innovations, de la co-conception et
du co-développement de pièces et de sous-ensembles. Certaines de ces PME industrielles sont
même « sous-traitantes de sous-traitants », par exemple pour les traitements de surface et les
opérations de contrôle de qualité, d’autres sont activement des « co-traitantes ». Ce dernier
terme, moins connoté négativement par la notion de domination et donc plus valorisant que
« sous-traitant », est de plus en plus utilisé dans le secteur horloger et microtechnique par les
entreprises progressant dans la chaîne de valeur (Courvoisier et Calmelet, 2012).
La majorité des entreprises répondant à l’étude quantitative indique que leur relation
avec leurs clients (les marques) reste encore le plus souvent celle de « sous-traitant », suivie
par « fabrication à partir du cahier des charges du client » et « conception + fabrication selon
croquis du client ». Cette dernière situation indique clairement un passage du statut de co-
traitant. Un test du Chi2 révèle qu’il n’y a pas d’influence entre l’activité de l’entreprise et sa
qualification de sa relation avec le client, comme pour le lien entre les savoir-faire de
l’entreprise et le type de relation client : le test du Chi2 confirme qu’il n’y a pas de lien.
Les facteurs clés de succès les plus fréquemment cités par les sous- et co-traitants sont
la qualité, la réactivité, le respect des délais, la flexibilité et la confiance dans la relation
fournisseur-client ; le prix, l’innovation et le suivi relationnel jouent un moindre rôle. En
revanche, les co-traitants mettent justement l’accent sur leur capacité d’innovation et la
qualité de leurs relations durables et de confiance avec leurs clients.
L’analyse de la grille REL-PERF (Lages et al., 2008), testée lors des entretiens, montre
que les répondants sont généralement d’accord avec les items proposés, hormis la résolution
des problèmes du fournisseur par le client et le fait que ce dernier donne des informations et
des conseils au sous- ou co-traitant : pour ces deux items, les avis sont mitigés.
Discussion et apport de la recherche
L’analyse des stratégies commerciales PME de la sous- et co-traitance horlogère
n’apporte pas d’éléments très nouveaux, mais confirme d’une part plusieurs éléments
apparaissant dans de précédents travaux étudiés dans la littérature citée plus haut, et, d’autre
part, apporte un éclairage sur des points méconnus de ce secteur.
En matière de marketing relationnel, les définitions de Eiriz et Wilson (2004) s’avèrent
pertinentes : le réseau relationnel, la confiance et les relations durables entre partenaires
jouent un rôle fondamental pour la stratégie commerciale du secteur étudié: cela peut aller
jusqu’au point un client change de fournisseur si sa personne de contact (par exemple un
ingénieur d’applications, un responsable des méthodes ou de l’innovation) change
d’entreprise. En d’autres termes, il n’est par rare que le client suive la personne plus que
l’entreprise fournisseur, à compétence égale tout au moins. D’autre part, nous avons constaté
que ces relations durables peuvent constituer un oreiller de paresse pour la prospection de
nouveaux clients. Finalement, la mobilisation de la grille REL-PERF de Lages et al. (2008) se
révèle utile, car munie d’items pertinents pour évaluer le respect mutuel, la confiance, la
résolution de problèmes, la collaboration et la satisfaction entre fournisseurs et clients du
secteur étudié.
Cette recherche, centrée sur l’étude d’un secteur économique spécifique ouvre de
nouvelles perspectives pour analyser les stratégies commerciales des sous- et co-traitants dans
d’autres secteurs, comme par exemple la microtechnique, l’automobile et le médical. Une
piste de recherche potentielle est l’analyse de la problématique de l’indépendance ou de
l’intégration des PME sous- et co-traitantes dans des grands groupes, comme cela a été
évoqué dans un débat tenu lors du salon EPHJ tenu à Genève (Pires, 2014) et justement dédié
aux PME industrielles de l’univers étudié dans cette recherche.
Références
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