Chapitre 5
Espaces euclidiens.
Endomorphismes symétriques et
orthogonaux.
Dans ce chapitre, tous les espaces vectoriels sont des R-espaces vectoriels.
5.1 Produit scalaire et orthogonalité
5.1.1 Définition, inégalité de Cauchy-Schwarz
Rappelons la définition d’un produit scalaire :
Définition (produit scalaire)
Un produit scalaire sur un R-espace vectoriel Eest une application bilinéaire symétrique
h· | ·i :E×ER
définie positive, i.e. vérifiant
xE\ {0},hx|xi>0.
Exemple 1. Sur Rn, l’application (x, y)7−→ hx|yi=Pn
i=1 xiyiest un produit scalaire, appelé produit
scalaire canonique sur Rn.
Exemple 2. Sur l’espace Mn,1(R)des matrices colonne, l’application (X, Y )7−→ hX|Yi=XTY(où
l’on identifie la matrice XTYM1,1(R)à son unique coefficient) est un produit scalaire, appelé produit
scalaire canonique sur Mn,1(R).
Exemple 3. Sur l’espace E=Rn[X], l’application (P, Q)7−→ hP|Qi=Pn
k=0 pkqk, où pk(resp. qk) est le
coefficient de degré kdu polynôme P(resp. Q), est un produit scalaire, appelé produit scalaire canonique
sur Rn[X]. On peut de la même façon définir un produit scalaire sur l’espace R[X]de dimension infinie
par hP|Qi=Pk>0pkqk(qui est une somme finie car les coefficients sont tous nuls à partir d’un certain
rang). Ce produit scalaire (sur R[X]cette fois-ci) est encore appelé canonique.
Exemple 4. Sur l’espace E=C([a, b],R), l’application (f, g)7−→ hf|gi=Rb
afg est un produit scalaire.
En effet, la seule chose non évidente à vérifier est le caractère défini positif. Pour cela, remarquons que, si f
est une fonction continue sur le segment [a, b], alors la fonction f2est positive ou nulle, donc hf|fi>0.
Si de plus hf|fi= 0, alors la fonction f2, positive et continue, est d’intégrale nulle (sur [a, b]), donc c’est
la fonction nulle, donc fest aussi la fonction nulle. Par contraposition, si fn’est pas la fonction nulle,
alors hf|fi>0.
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68 Chapitre 5. Espaces euclidiens. Endomorphismes symétriques et orthogonaux.
Définition (espace préhilbertien)
Un espace préhilbertien est un R-espace vectoriel muni d’un produit scalaire.
Remarque 1. Si Eest un espace préhilbertien, tout sous-espace Fde Ehérite, par restriction, d’un
produit scalaire, donc est lui aussi un espace préhilbertien.
Dans toute la suite, Edésigne un espace préhilbertien (réel).
Définition (norme)
Soit Eun espace préhilbertien. La norme d’un vecteur xest le réel
||x|| =phx|xi.
Proposition
Pour tous vecteurs x, y Eet tout réel λ, on a
||λx|| =|λ|||x||
||x|| >0, avec égalité si, et seulement si, x= 0
||x+y||2=||x||2+||y||2+ 2hx|yi.
Remarque 2. En pratique, pour montrer qu’un vecteur est nul, on pourra chercher à montrer que sa
norme est nulle.
Théorème (inégalité de Cauchy-Schwarz)
Pour tous vecteurs x, y E, on a
−||x||||y|| 6hx|yi6||x||||y||,
avec égalité à
droite si, et seulement si, xet ysont colinéaires et de même sens (au sens large)
gauche si, et seulement si, xet ysont colinéaires et de sens opposés (au sens large).
La locution «au sens large» indique que le vecteur nul doit être considéré comme étant à la fois de même
sens et de sens opposé à tout vecteur (en effet, le nombre 0 est à la fois positif et négatif).
Démonstration. Commençons par examiner le cas y= 0, ce qui équivaut à ||y|| = 0 : la double inégalité
est vérifiée. Ces deux inégalités sont même des égalités, et les vecteurs xet ysont bien colinéaires et de
même sens, ainsi que colinéaires et de sens opposés.
Supposons maintenant y6= 0. Considérons l’application
f:RR+
t7−→ ||x+ty||2
.
Pour tout réel t, on a
f(t) = ||x||2+ 2thx|yi+t2||y||2
donc la fonction fest polynomiale de degré 2 (exactement car ||y||26= 0). Comme elle est de signe constant,
son discriminant est négatif ou nul, donc hx|yi2− ||x||2||y||260, ce qui est l’inégalité cherchée.
– Supposons maintenant que l’inégalité soit une égalité. Alors le discriminant est nul, donc la fonction f
admet une racine (double) λ. La propriété f(λ)=0s’écrit ||x+λy|| = 0, d’où l’on déduit que x=λy :
les vecteurs sont colinéaires.
– Réciproquement, supposons que les vecteurs soient colinéaires. Notons tle réel tel que x=ty (ce qui
est possible car on sait que yest non nul). On a alors
||x||||y|| =||ty||||y|| =|t|||y||2et hx|yi=hty |yi=t||y||2,
donc
si xet ysont de même sens (i.e. t>0), on a égalité à droite dans l’inégalité de Cauchy-Schwarz
5.1. Produit scalaire et orthogonalité 69
si xet ysont de sens opposés (i.e. t60), on a égalité à gauche dans l’inégalité de Cauchy-
Schwarz.
Théorème (inégalités triangulaires)
Soient x, y E. On a ||x|| − ||y||6||x+y|| 6||x|| +||y||
avec égalité à
droite si, et seulement si, xet ysont colinéaires et de même sens (au sens large)
gauche si, et seulement si, xet ysont colinéaires et de sens opposés.
Démonstration. On a, grâce à l’inégalité de Cauchy-Schwarz :
||x+y||2=||x||2+||y||2+ 2hx|yi6||x||2+||y||2+ 2||x|| · ||y|| = (||x|| +||y||)2,
d’où l’inégalité ||x+y|| 6||x|| +||y||, avec égalité si, et seulement si, on est dans le cas d’égalité à droite
dans l’inégalité de Cauchy-Schwarz,i.e. si, et seulement si, xet ysont colinéaires et de même sens.
De même, on a
(||x|| − ||y||)2=||x||2+||y||22||x|| · ||y|| 6||x||2+||y||2+ 2hx|yi=||x+y||2,
d’où l’autre inégalité, avec égalité si, et seulement si, xet ysont colinéaires et de sens opposés (au sens
large).
5.1.2 Orthogonalité
Dans tout ce paragraphe, Edésigne un espace préhilbertien.
Définition (orthogonalité)
Deux vecteurs x, y Esont dits orthogonaux si, et seulement si, hx|yi= 0. On note xy.
Remarque 1. Le vecteur nul est orthogonal à tous les vecteurs, et c’est le seul à vérifier cette propriété
(c’est donc une façon de montrer qu’un vecteur est nul : démontrer qu’il est orthogonal à tout vecteur
de E).
Définition (familles orthogonales et orthonormées)
Une famille (xi)iIde vecteurs de Eest dite
orthogonale si, et seulement si, xixjpour tous i, j I,i6=j
orthonormée si, et seulement si : i, j I,hxi|xji=δij .
Une famille orthonormée est donc une famille orthogonale dont les vecteurs sont tous unitaires.
Exemple 1. La base canonique de Rn, muni de son produit scalaire canonique, est une base orthonormée.
Exemple 2. La base canonique de R[X], muni de son produit scalaire canonique, est une base orthonormée.
Proposition
Une famille orthogonale dont tous les vecteurs sont non nuls est libre. C’est en particulier le cas d’une
famille orthonormée.
Démonstration. Soit (xi)iIune famille orthogonale dont aucun vecteur n’est nul. Soit (λi)iIune famille
à support fini de scalaires telle que PiIλixi= 0. Soit jI: on a
0 = hPiIλixi|xji=PiIλihxi|xji=λj||xj||2.
Le vecteur xjétant non nul, on en déduit que λj= 0. Ceci étant vrai pour tout jI, la famille est
libre.
70 Chapitre 5. Espaces euclidiens. Endomorphismes symétriques et orthogonaux.
Théorème (Pythagore)
Soit x1, x2deux vecteurs de E. On a l’équivalence suivante :
x1x2⇒ ||x1+x2||2=||x1||2+||x2||2.
Démonstration. En effet, la différence
||x1+x2||2(||x1||2+||x2||2) = ||x1||2+||x2||22hx1|x2i − ||x1||2− ||x2||2= 2hx1|x2i
est nulle si, et seulement si, x1et x2sont orthogonaux.
Théorème (Pythagore)
Soit (x1, . . . , xn)une famille orthogonale (n>2). Alors
||x1+··· +xn||2=||x1||2+··· +||xn||2.
La réciproque est fausse si n > 2.
Démonstration. Procédons par récurrence sur n.
– Pour n= 2, la propriété est vraie.
– Soit n>2. Supposons la propriété vraie pour une famille de nvecteurs, démontrons-la pour une famille
(x1, . . . , xn+1)de n+ 1 vecteurs. Pour cela, remarquons que le vecteur xn+1 est orthogonale à la somme
x1+··· +xn:
hx1+··· +xn|xn+1i=hx1|xn+1i+··· +hxn|xn+1i= 0.
On a donc, en appliquant successivement le cas n= 2 et l’hypothèse de récurrence :
||(x1+··· +xn) + xn+1||2=||x1+··· +xn||2+||xn+1||2=||x1||2+··· +||xn||2+||xn+1||2
ce qui prouve la propriété au rang n+ 1, donc pour tout entier pour récurrence.
Définition (orthogonal d’un sous-espace vectoriel)
Soit Fun sous-espace vectoriel de E. L’orthogonal de Fest l’ensemble Fdes vecteurs orthogonaux
à tous les vecteurs de F:
F={xE| ∀yF, x y}.
Proposition
L’orthogonal d’un sous-espace vectoriel Fest encore un sous-espace vectoriel de E.
Démonstration. Il est clair que
le vecteur nul est orthogonal à tous les vecteurs de F
si x1et x2sont deux vecteurs orthogonaux à tous les vecteurs de Fet λun réel, alors, pour tout
vecteur yF, on a
hx1+λx2|yi=hx1|yi+λhx2|yi= 0
donc x1+λx2appartient à F.
Exemple 3. L’orthogonal de l’espace nul est l’espace E; l’orthogonal de l’espace Eest l’espace nul.
Remarque 2. Si Fet Gsont deux sous-espaces vectoriels de Evérifiant FG, on a GF.
Définition (sous-espaces orthogonaux)
Deux sous-espaces vectoriels Fet Gsont dits orthogonaux si, et seulement si, pour tout xFet tout
yG, on a xy. On note FG.
5.2. Espaces euclidiens 71
Remarque 3. Il est équivalent de dire que FG, ou encore que GF.
Proposition
Soient F, G deux sous-espaces vectoriels orthogonaux. Alors FG={0}.
Démonstration. Soit xun vecteur de FG. Ce vecteur appartient à F, donc est orthogonal à tout vecteur
de G, donc à lui-même. Donc x= 0.
Si Fet Gsont deux sous-espaces vectoriels orthogonaux, la somme F+Gest donc directe ; elle est
notée FGet on parle de somme directe orthogonale.
Proposition
Soit Fun sous-espace vectoriel de E. Si E=FF, alors Fest le seul supplémentaire de Fqui
soit orthogonal à F.
Démonstration. Supposons E=FF(donc E=FF). Soit Gun sous-espace vectoriel de E
vérifiant E=FG. Alors FG, donc GF. Pour l’autre inclusion, choisissons un vecteur xF.
Écrivons sa décomposition x=xF+xGsur la somme directe E=FG. Comme GF, cette
décomposition est aussi la décomposition de xsur la somme directe E=FF. Mais cette dernière
est x= 0 + x. On en déduit donc que x=xG, donc que xappartient à G.
Définition (supplémentaire orthogonal ; projecteur orthogonal)
Si E=FF, l’espace Fest appelé le supplémentaire orthogonal de F. Le projecteur sur F
parallèlement à Fest appelé projecteur orthogonal sur F.
Attention! En général, la relation E=FFest fausse ; seule l’inclusion FFEest vraie.
Si Fest un sous-espace vectoriel quelconque de E, on ne peut donc en général pas parler du projecteur
orthogonal sur F.
Proposition
Toute droite vectorielle admet un supplémentaire orthogonal. Si aest un vecteur unitaire de D, le
projecteur orthogonal sur Dest l’application x7→ pD(x) = ha|xia.
Démonstration. Soit Dune droite de E. Il s’agit de démontrer que tout vecteur xEpeut se décompose
de façon unique sous la forme x=xD+x, où xDappartient à Det xest orthogonal à D. Pour cela,
choisissons un vecteur aunitaire de D. Pour tout vecteur xE, posons xD=ha|xiaet x=xxD.
On a clairement xDD. De plus, ha|xi=ha|x− ha|xiai=ha|xi−ha|xi||a||2= 0, ce qui prouve
que xD. L’unicité de la décomposition résulte de ce que DD={0}.
5.2 Espaces euclidiens
5.2.1 Bases orthonormées
Définition
Un espace eucliden est un espace préhilbertien de dimension finie.
Théorème
Tout espace euclidien admet une base orthonormée.
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