20 février 2006
les discours religieux peuvent (doivent ?) se soumettre pour entrer de plain-pied dans ces
discussions ? Que disent ces discours sur la possibilité (ou non) des discours religieux dans
l’espace public bioéthique et, en cas positif, sur les justifications et les modalités d’insertion
? Ces quelques questions reposent sur l’hypothèse qu’un modèle d’articulation entre
religion et raison publique est à l’œuvre dans le champ de la bioéthique occidentale. C’est
ce que je tenterai de cerner dans cet article.
1. Courte problématique
Gilbert Hottois définit ainsi la bioéthique. Elle « couvre un ensemble de recherches, de
discours et de pratiques, généralement pluridisciplinaires et pluralistes, ayant pour objet de
clarifier et, si possible, de résoudre des questions à portée éthique suscitées par la R&D
[sic] biomédicale et biotechnologique au sein de sociétés caractérisées à des degrés divers
comme étant individualistes, multiculturelles et évolutives
». La définition de Hottois
pourrait être complétée en mentionnant que ces enjeux éthiques sont suscités par l’irruption
de la technoscience dans le domaine du soin et dans celui de la définition des buts et
objectifs des systèmes de santé et de leur administration.
Ce projet bioéthique, qui a émergé en Occident depuis quarante ans, fait fonds sur quelques
caractéristiques principales qui font consensus parmi ses analystes
. J’en retiens trois qui
se rapportent directement à mon propos. Premièrement, la bioéthique est séculière, ce qui
implique une mise à distance de tout fondement religieux de la pensée bioéthique, et ce en
vue d’une coopération en vue de la résolution de problèmes. Née dans le monde de la
sécularisation occidentale, la bioéthique est tributaire du climat intellectuel et épistémique
de son temps. Si, au départ, c’est le processus de sécularisation occidentale qui justifiait la
sécularité de la bioéthique
, maintenant c’est la pluralité idéologique et morale qui devient
l’argument fort en sa faveur. La sécularité de la discipline aurait donc comme conséquence
de clore a priori l’accès des discours religieux aux délibérations, ce qui aurait comme
inconvénient, selon les critiques, de formaliser (ou procéduraliser) la bioéthique et, par
conséquent, de ne pas honorer les traditions morales exhibant des contenus substantiels
.
Une telle interprétation restrictive serait jugée par trop abusive si l’on tient compte d’autres
caractéristiques du projet bioéthique occidental.
Le second caractère que je retiens, celui de l’interdisciplinarité, ouvre la porte à l’insertion
potentielle des discours réflexifs en bioéthique. Par l’interdisciplinarité on désigne le fait
que plusieurs disciplines du savoir sont convoquées à la réflexion bioéthique (philosophie,
droit, anthropologie, théologie, sciences biomédicales, psychologie, etc.). Se penchant sur
Gilbert Hottois, Qu’est-ce que la bioéthique ?, Paris, Vrin, 2004, p. 22.
Guy Durand, Introduction générale à la bioéthique, Montréal, Fides, 1999, p. 114-120; Hubert Doucet, Au
pays de la bioéthique, Genève, Labor et Fides, 1996, p. 48-59; David Roy et al, La bioéthique, ses fondements
et ses controverses, Montréal, ERPI, 1995, p.28-63; Kevin Wm Wildes, « Religion in Bioethics : A Rebirth
», Christian Bioethics, vol. 8, n° 2, 2002, p. 163-174. Je suis ici la présentation que fait Durand de ces
caractéristiques.
Carla Messikomer, Renée Fox, Judith Swazey, « The Presence and Influence of Religion in American
Bioethics », Perspectives in Biology and Medicine, vol. 44, n° 4, 2001, p. 492-493.
H. Tristam Engelhardt Jr, The Foundations of Christian Bioethics, Lisse NL, Swets & Zeitlinger Publishers,
2000, p. 5 et p. 75ss. L’auteur poursuit sa critique en indiquant qu’il n’y a pas une, mais bien une pluralité
d’éthiques séculières.