« La question qui se pose est la prise en compte de la complexité de ce qui est humain. On ne peut pas avoir une
morale tellement claire, tellement évidente, tellement impérative qu’aucune exception ne serait jamais possible,
qu’il n’y aurait qu’à appliquer des décisions prises par des instances morales.
Déjà Saint Thomas d’Aquin écrivait que « la première instance morale de l’homme est la conscience éclairée,
c’est-à-dire l’homme qui est informé ». Ce problème est tellement grave qu’une morale qui voudrait répondre à
toutes les questions deviendrait immorale, parce qu’elle empêcherait les sujets libres de prendre leurs propres
décisions. Cette question est évidemment à la source d’autres problèmes […]
Dans toutes ces questions, il y va de la vie des hommes. Le véritable problème est : qu’est-ce qui fait vivre ?
Qu’est-ce qui met debout ? Qu’est-ce qui rend responsable de son existence ? Cela ne veut pas dire qu’il n’y a
pas d’exigence à poser, mais pas sous forme manichéenne du tout noir tout blanc, du permis et du défendu.
Regardons l’Evangile. Le Christ dit au paralysé : « Lève- toi et marche ! » Imaginons que l’homme lui
réponde : « Je suis bien couché, je n’ai pas envie de me lever ». Le Christ ne va quand même pas détruire son
grabat. Si cet homme ne se met pas debout, il ne pourra pas être guéri. Nos paroles mettent-elles les gens
debout ? Sont-elles des paroles de vie ? Voilà pourquoi dans nos paroles, il faut toujours se repositionner par
rapport à la vie des gens, par rapport au sursaut évangélique. »
(Mgr. Albert Rouet)
Un témoignage parmi d’autres
Valérie, assistante de recherche dans un service de cancérologie
« J’ai 32 ans, je suis ingénieur en génie biologique. Il y a trois ans, je me suis spécialisée dans la recherche
clinique en oncologie. Ma profession : c’est assistante de recherche clinique, un bien grand titre qui veut
simplement dire que je gère des protocoles de développement de nouveaux médicaments pour l’industrie
pharmaceutique avec les médecins oncologues. Ce métier implique non seulement une réflexion scientifique
avec les médecins, mais également un énorme potentiel dans les relations humaines. Depuis deux ans, je
m’occupe de patients atteints de cancer. Cela fait cinq ans que je côtoie ces malades : auparavant j’étais bénévole
à la Ligue contre le cancer. Depuis un an, je travaille en cancérologie du poumon. Cette nouvelle discipline a
provoqué un choc dans ma vie : la confrontation à la mort, au décès plus ou moins rapide de ces patients que l’on
suit quasi au jour le jour, dans le cadre des essais thérapeutiques.
Mon métier c’est à la fois l’espoir de nouveaux traitements mais également une rencontre avec le patient, avec
l’être humain. Dès la première rencontre « les dés sont jetés », notre relation prend un sens particulier : elle sera
peut-être uniquement médicale ou prendra peut-être un caractère plus intime, c’est le patient qui choisit et moi je
m’adapte. Un réel climat de confiance s’installe j’ai un rôle privilégié : ni infirmière ni médecin, je m’occupe du
malade et je fais au mieux pour que ce nouveau médicament lui soit bénéfique. Je ne suis pas dans l’acte médical
« physique », ne réalisant pas de prise de sang ni d’examen ; je suis dans l’acte médical « scientifique ». Je suis
là pour écouter ce que le malade a à me dire : avant d’être un malade c’est un être humain qui a son histoire et
nous allons faire un « bout de chemin » ensemble, motivés tous deux par la recherche et les « promesses » de ce
nouveau médicament.
Notre relation est rythmée par les scanners et les examens cliniques demandés par le protocole et gérés par les
infirmières et les médecins. Au bout du compte, ces résultats d’examens décident si le patient poursuit le
traitement dans le protocole ou non. Si la maladie progresse, il nous faut changer de médicament. En d’autres
termes ce sont les résultats d’examens qui décident de la suite de notre relation : je reste aux côtés du patient ou
je dois lui consacrer moins de temps pour m’occuper d’autres qui continuent ce protocole.
Même si nous progressons pour que ces patients vivent mieux et plus longtemps, cette relation est
malheureusement rythmée par les décès. Face à l’indifférence apparente de mes collègues, j’ai tiré la sonnette
d’alarme en fin d’année car si nous faisons le maximum pour « nous protéger », il n’empêche que nous sommes
confrontés à la mort qui crée dans nos équipes des « dommages collatéraux » importants. Pas de la même
manière que pour des deuils personnels, c’est différent. On se pose des milliards de question : pourquoi la vie est
parfois si injuste ? Pourquoi la mort ici et maintenant ? Cela pourrait être mon père, ma mère ou un de mes
proches… Inévitablement cela nous renvoie à nos deuils personnels… Psychologiquement on n’en sort pas
indemne.