-I- Correspondances et analogies -A Métaphores et synesthésies - Le titre donne tout son sens au sonnet et lui imprime sa forme : la métaphore ouvre le texte : elle est donc initiale , de forme forte : c’est une définition, assertive , qui identifie absolument deux réalités d’ordre différent , grâce au verbe copulatif. L’absence de mot de liaison abolit en quelque sorte le travail du langage et donne à voir non une figure de style, mais bel et bien une réalité objective. Les « longs échos » du vers 5 amplifient ce motif de la « réplique », cette idée d’un univers fait de similitudes et d’analogies et ajoutent à l’image visuelle du premier quatrain ( « piliers ») une image sonore , à la verticalité , l’horizontalité. de plus , la métaphore du « temple » suggère l’organisation , la structure : le temple est la manifestation de l’au-delà dans l’ici-bas, de l’invisible dans le visible : le « symbole » , évoqué au ers 3 , est précisément ce qui traduit et inscrit cette invisibilité dans le visible. Quant au « pilier » qui unit la terre au ciel , n’est-il pas précisément le véritable symbole du symbole ( sumbolôn : ce qui relie) ? L’image de la « forêt », par ailleurs, contient celle de l’arbre , élément symbolique de la nature dont le « pilier » est la traduction « architecturale » dans le temple …On peut donc suggérer que le poème , dans son déroulement , inscrit le travail de symbolisation et de métaphorisation… importance des comparaisons : souligner les sept occurrences de « comme » qui scandent le texte de part en part. importance des synesthésies .Le vers 8 associe trois sensations entre elles :parfums , couleurs et sons sous la forme d’un principe , d’une formule gnomique .Ce principe énoncé à la fin du deuxième quatrain est développé dans les deux tercets suivants : les « parfums frais » associent ainsi la sensation olfactive à la sensation cénesthésique .Au vers suivant, l’adjectif « doux » associe le tactile à l’olfactif , puis le visuel ( « verts ») à l’olfactif. La synesthésie donne sa « forme » au sonnet : les deux premiers quatrains évoquent , à travers les « échos » et les « paroles » l’univers des sons , tandis que les deux tercets sont centrés sur les parfums. L’union entre les deux est réalisée au vers 14 grâce au verbe « chanter » qui transforme et magnifie le parfum en chant poétique. -B-le symbolisme Traduction de l’invisible dans le visible , la Nature est le premier « poème » à déchiffrer : cf V.Hugo qui écrit que la nature est un livre dont les signes sont les ruisseaux , les arbres etc…Le courant symboliste assigne à l’art l’objectif de dévoiler , mettre à jour cette vérité enfouie cf « Elévation » : « …compren[dre] sans effort /Le langage des fleurs et des choses muettes » on soulignera donc , dans la linéarité du poème , la précédence du mot « nature » par rapport à « homme » .C’est la nature qui parle, personnifiée à travers l’image des « vivants piliers » .L’homme ,qui ne fait que « passer » ,est « arpenteur » du monde, non sujet ou « auteur » de ces « confuses paroles », mais simplement leur simple « destinataire » : l’adjectif « confuses », en outre , qui suggère la nécessité du déchiffrement confirme l’idée que la nature est un livre dont les signes sont à décrypter. Le vers 2 , à travers l’image des « piliers » qui « laissent parfois sortir de confuses paroles» suggère l’ idée d’une présence cachée et secrète qui se diffuserait à travers le visible : « les vivants piliers », en effet , « laissent sortir » des paroles, comme d’une boîte secrète ,comme d’un chœur sacré dont les piliers tracent la frontière avec le monde extérieur tels un péristyle: passage de l’invisible silencieux à l’extérieur , visible et signifiant .La personnification des « vivants piliers » introduit une sorte de merveilleux surnaturel, anime , au sens propre , d’une « anima » la nature , qui à l’instar des dieux parlent aux hommes et les « observent » (vers 4).La « Nature » est magnifiée par la majuscule et possède les deux attributs de la parole et du regard . -II-De la complexité à l’unité -A- Un réel confus La métaphore du temple implique l’idée de l’ordre : le « templum », étymologiquement , désigne l’espace ordonné , organisé , circonscrit à l’intérieur de l’espace plus vaste et inorganisé de la nature. -Or ,on notera que cette nature apparaît dès le titre sous une forme complexe : soulignez le pluriel de « Correspondances » ,ainsi que la métaphore de la « forêt » , au vers 3 , qui , de façon usuelle , suggère le foisonnement et la complexité. La locution prépositionnelle « à travers » qui l’introduit renforce cette connotation , ajoutant une dimension spatiale, l’épaisseur. Le dernier tercet parle de « l’expansion des choses infinies » :le mot « expansion » n’a pas de « sens conclusif » et donc contient aussi le sens d’ « infinies » , il y a donc double renforcement , par la redondance d’une part et par l’expression d’un infini en mouvement , d’autre part , introduisant une sorte de dynamique dans le sonnet , d’autant plus infinie, que placée à la fin du poème qu’elle ouvre démesurément , précisément sur « l’absence de fin . -L’adjectif « Vaste » au début du vers , est renforcé par sa position initiale et par les règles de prosodie (il faut lire le [e] final de « vaste ») .Le sens de cet adjectif est ainsi renforcé , ouvrant un espace vertigineux. Le sens de « Vaste » est également renforcé par des adjectifs « inappropriés », n’exprimant aucune des qualités de l’espace , aucune mesure , mais désignant l’impalpable « nuit » et « clarté » , aux contours indéfinissables , impossibles à délimiter. La « nuit » évoque une étendue indéfiniment centrée sur elle-même, tandis que la « clarté » évoque au contraire une « radiance » orientée vers l’extérieur : l’opposition de sens accroît la sensation d’immensité. -La « ténébreuse et profonde unité » , au vers 6 ajoute à l’immensité « horizontale » de « vaste » et au mouvement ascensionnel du dernier tercet ( «l’ expansion des choses infinies ») l’idée du gouffre , « verticalité descendante ».Soulignez bien cette opposition de sens entre deux verticalités. -noter l’ enjambement vers 11-12 , qui concourt à l’expression de l’envol , de « l’expansion ». - Quant à la forme de l’alexandrin , elle semble également « marquée » par cette complexité : l’énumération , dès le vers 8, et ensuite dans les deux tercets , s’empare du vers et le morcelle , vers 8 et 13 — notamment , le vers 8 superposant à la structure binaire 2 x 6 des deux hémistiches , la structure ternaire : « Les parfums , les couleurs // et les sons se répondent ». -B-Ordre et désordre Un double mouvement s’empare du texte : mouvement vers l’ordre , résorption du divers dans l’unité , et mouvement inverse : -ainsi , dans la rime « se confondent »// « se répondent », le dernier verbe opposant l’idée d’ordre au premier verbe De même , l’oxymore du vers 7 (« Vaste comme la nuit et comme la clarté ») qui identifie deux termes antithétiques exprime un mouvement vers l’unité. - Quant au mot « unité », au vers 6 , il est déterminé par des épithètes qui semblent presque en inverser le sens : « ténébreux » désigne le confus , tandis que « profond » , associé à « ténébreux » évoque le gouffre , pour ne pas dire l’Enfer : le mouvement de descente et l’obscurité évoquent dans l’imaginaire la complexité chaotique , et semblent donc qualifier l’unité de façon contradictoire , et de plus , en la voilant En tout cas ce mouvement de descente inverse le mouvement d’élévation du dernier tercet.. -De façon quasi redondante , et donc avec insistance , le verbe « confondre » dans le deuxième quatrain , reprend avec le même radical l’idée des « confuses paroles » du premier quatrain. - En outre, notez que les deux vers qui suivent et illustrent le principe d’unité du vers 8 , en inverse l’ordre dans l’énoncé… : l’évocation des sons précède celle de la couleur , figure de « réversion » qui fait du désordre un principe poétique ( voir « Harmonie du Soi » et le motif de la spirale , du tournoiement). -III- Les transports de l’esprit et des sens -A- L’union de l’esprit et des sens : - Les derniers mots du derniers vers proclament cette nouvelle unité , cette alliance improbable de l’intelligible et du sensible. -Le parfum , chez Baudelaire , a double valeur : il exprime l’impalpable ,l’immatériel et peut en ce sens être symbole du spirituel :ce qu’évoque peut-être « l’encens » du dernier tercet , qui nous renvoie au religieux .Mais les parfums sont aussi, inversement , une expression forte du monde sensoriel en ce sens , le « parfum » est aussi ,chez Baudelaire , un symbole de cette inextricable union du spirituel et du sensoriel .L’énumération du vers 13 évoque des parfums capiteux , sensuels : les adjectifs « corrompus , riches » du premier tercet confirment cette idée , et l’allitération en [r] fait résonner ces mots dans le vers . -L’évocation des « choses infinies » , vers 12 , est presque oxymorique et exprime cette union du sensible et du spirituel , voire , cette projection du matériel dans l’infini, le mouvement ascensionnel. -Cette première opposition nous conduit à la suivante : les « parfums frais comme des chairs d’enfants » associent le parfum à l’innocence des enfants ( double sens de « frais » : moral et cénesthésique, sensoriel ) et sur -imprime à cette évocation de l’innocence celle d’une sensualité évidente ( cf l’ogre de Perrault qui hume l’odeur « de chair fraîche » avant de s’attaquer au festin…) -.Mais cette opposition se retrouve à un autre niveau de la structure du sonnet :les deux premiers vers du premier tercet sont centrés sur cette vision de l’enfance , les « hautbois » évoquant un son pur , et le « vert » des prairies « le vert paradis des amours enfantines ».Or , le tercet « bascule » grâce notamment au signe visible du tiret , et au déterminant « d’autres » , qui inscrivent une opposition au vers 13 vers les valeurs antithétiques de la sensualité. -L’adjectif « triomphant » et la place finale du mot « sens » , qui clôt le poème, semblent , dans cette nouvelle alliance , privilégier l’un des deux termes. B-La poésie et l’ivresse des sens : -cf « La Chevelure », « Aune Passante » : l’ivresse magnifie chez Baudelaire l’expérience sensorielle du monde .On fera remarquer que ce sonnet évoque le monde de façon concrète et sensible : le son « immatériel » est évoqué par un instrument , un objet ( « hautbois ») .L’innocence est « rendue visible » par une image visuelle et colorée , celle de « la prairie » . -Soulignez l’ énumération des parfums au vers 13 qui énumère aussi le monde dans sa richesse : monde végétal (« ambre »/ « benjoin ») , animal ( « musc ») , richesse de l’Orient ( « benjoin » et « encens » , qui de surcroît, rappellent le présent des mages qui est présent des richesses du monde). -On fera également remarquer l’importance des allitérations , assonances ( assonances et allitérations elles-mêmes désignées vers 5 par le sonnet :« longs échos qui de loin.. ») tout au long du poème , notamment l ‘importance des nasales dans le dernier tercet et la « rime intérieure » « ambre »// « chantent ».Ce sonnet se fait « musique », transforme littéralement le « parfum » en « chant » , comme le suggère le dernier vers , qui , par la métaphore (« chantent ») unit et confond dans le même mouvement , les sens et l’esprit , le chant et le parfum. -On émettra l’hypothèse que les synesthésies du premier tercet répondent davantage à une « logique » poétique et « sonore » , donc esthétique , qu’ à une vision objective et savante de correspondances réelles : « frais » rappelle « chair » , « parfum » annonce « enfant », « hautbois » qui contient « bois » annonce « prairies ».