Cours de Principes généraux du droit européen Introduction Dans l’expression « droit européen », tantôt on parle du droit européen des droits de l’homme et tantôt on parle d’autres droits différents de la Communauté européenne et du droit de l’homme. Dans sa définition large, le droit européen est « l’ensemble des règles de droit produites par les organisations européennes ». Il faut entendre par « organisations européennes » des organisations internationales regroupant des États européens décidés à traiter ensemble des problèmes européens. Ce droit englobe d’autres droits car, en Europe, les organisations regroupant des États et qui ont vocation à produire du droit sont nombreuses et diverses. La société des États européens est très structurée. On trouve ainsi: - de nombreuses organisations à caractère économique telles que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), l’AELE (Association européenne de libre-échange); - des organisations techniques (FERM, EUTELSAT); - des organisations à caractère militaire et diplomatique chargées d’assurer la sécurité. On peut citer l’OTAN, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération européenne, pour créer un pont entre l’Europe occidentale et orientale), l’UEO; - des organisations qui ont une ambition politique et qui tendent à une fédération européenne. Elles sont animées par l’idéal de créer une union plus étroite entre les pays et les peuples d’Europe. Ce sont là d’une part le Conseil de l’Europe créé en 1949, d’autre part l’Union et les Communautés européennes qui sont à l’origine. Ces organisations adoptent des règles, des normes, qui sont adressées aux États européens et sont à l’origine d’un droit supranational. Parmi toutes ces organisations, il y en a deux qui ont un caractère remarquable, car elles vont plus loin que de simplement favoriser la coopération. Elles ont la faculté de créer un ordre juridique complet, un droit propre, indépendant des États qui composent ces organisations, et qui a vocation à s’imposer à ces États. Ces deux organisations sont: - le Conseil de l’Europe qui est à l’origine de la CESDH; - l’Union et les Communautés Européennes. Le droit européen, c’est à la fois un droit étranger au droit français, mais c’est aussi un droit qui n’est plus étranger. Il est étranger car il est élaboré à l’étranger par des organes composés essentiellement par des non français. C’est aussi un droit étranger en ce sens que c’est un droit qui est étranger aux traditions, principes, dogmes du droit français. Ex: normes européennes qui viennent menacer le service public. Carbonnier disait du droit européen, « droit venu d’ailleurs », que c’est un droit utopique qui n’aurait pas de racine, un droit abstrait. Il serait le siège d’intérêts, d’ambitions contradictoires. D’autres considèrent que cela serait une chance pour le droit français, en tant que levier d’innovation pour combattre des pratiques archaïques, condamnables. Il est intégré au droit français car: - il a la prétention de s’imposer sur le territoire national avec une autorité supérieure à celle du droit national, il est intégré au droit français; - il a la prétention de transformer les acteurs d’application du droit en agent d’exécution du droit européen. Le Conseil constitutionnel déclare qu’il existe en France aujourd’hui un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international (CC, 10 novembre 2004). Le droit européen confère aux individus des droits subjectifs qui peuvent être invoqués devant les juridictions françaises à l’encontre des règles de droit national, et ce en raison de l’article 55. La France est à l’origine de la CESDH qu’elle a pourtant mis 24 ans à ratifier et d’une Communauté européenne de Défense (CED) que le Parlement Français a rejeté. Le droit européen provoque de nombreuses résistances, et il faut donc des sanctions. Le 12 juillet 2005, la France a été condamnée à une amende de 20 millions d’Euros, plus une astreinte pour retard de 60 millions, au motif que les autorités administratives françaises refusaient de manière persistante d’appliquer une réglementation communautaire relative aux quotas de pêche. Résistance aussi de la part des juges. Ex: en 1975 pour la Cour de cassation et 1989 pour le CE pour admettre la suprématie du droit national. Enfin résistance des universitaires. La dernière étape s’est déroulée en décembre avec un projet de règlement communautaire sur la loi applicable aux obligations contractuelles visant à unifier les règles du droit international privé. Certains professeurs de Paris II ont publié une lettre ouverte adressée au Président de la République pour dénoncer le caractère illégitime de ce texte. Ils précisent qu’ils refuseront de tenir pour du droit ce qui n’en est pas. Une contre-lettre a été publiée par d’autres professeurs de droit, dans laquelle ils critiquent le caractère excessif, le ton dramatique et où ils défendent la légitimité et le bien-fondé du droit européen. Ce phénomène d’intégration est aussi source d’inspiration dans les structures du droit français. Les conséquences de l’européanisation du droit Ce phénomène emporte deux séries de conséquences qui touchent à la fois aux sources du droit et au comportement des acteurs chargés d’appliquer ce droit: - une part croissante du droit positif français est très largement issue de droit européen (influence sur le service public ou la responsabilité). Exemple de l’art L 113 -12: en cas de transfert d’entreprise, il y a une obligation de conserver les contrats. Cette règle est directement transposée d’une directive communautaire de 1977. Ce droit pénètre toutes les branches et notamment le droit civil (arrêt Mazurek du 1er février 2000) et notamment le droit pénal pour le mandat d’arrêt européen; - le droit européen favorise le développement du pouvoir réglementaire en France et diminue aussi la loi (comme d’ailleurs la Constitution de 1958). Il y a donc une modification dans les sources du droit. Changement chez les acteurs L’affaire Dussayant mettait en cause l’article 167 bis du CGI qui prévoit un mécanisme d’imposition défavorable lorsque le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France. Ce dispositif a pour effet d’empêcher les français de s’établir en Europe: cela constitue une restriction à la liberté d’établissement. C’est une règle fondamentale constatée par le traité instaurant une communauté européenne. L’avocat a donc invité le CE à poser une question préjudicielle à la CJCE de Luxembourg qui a estimé que, bien que l’objectif soit légitime, l’article était contraire. Le Parlement français abrogea dans la loi de finance de 2005 cet article. Autre ex: Mme Defrene est hôtesse de l’air de la compagnie Belge Sabena. La compagnie met fin à ses fonctions à l’âge de 40 ans alors que les stewards hommes n’étaient pas concernés par cette mesure. L’avocat a porté cette affaire devant la CJCE sur le fondement du principe de l’interdiction des discriminations. M. Belgudi est né en France, y a toujours vécu, et s’y est marié. Le TA de Versailles rejette son recours contre l’arrêt d’extradition. Le CE le déboute de son recours. L’avocat fait porter l’affaire devant la CEDH qui constate que, dans les conditions de l’espèce, la décision serait clairement contraire à l’article 8 de la CESDH. Changement aussi pour les administrations nationales qui doivent modifier leurs méthodes d’action Les administrations nationales sont conduites à mettre en œuvre des dispositions européennes qui, parfois, heurtent les intérêts dont ces administrations se sentent proches. Ex: le droit communautaire de l’environnement impose de fortes contraintes aux administrations du monde rural. Ex: la directive de 1979 relative à la conservation des oiseaux sauvages. On trouve un rapport du Sénat de mai 2006 qui appel « à un choc salutaire de l’administration française ». Par l’effet du droit européen, les administrations sont parfois soumises à l’obligation de prendre en compte des intérêts étrangers qu’elles n’ont pas l’habitude de prendre en compte. Du point de vue du droit européen, le ressortissant d’un autre pays de l’UE doit être considéré comme un citoyen et non comme un étranger. La semaine dernière, la Commission européenne a engagé deux procédures de sanctions contre la Belgique et l’Autriche qui avaient posé des conditions d’accès aux universités (étudiant en Médecine). Les juges se trouvent, à l’égard du droit européen, dans une position paradoxale. D’un côté, cela représente une contrainte (prendre en compte des normes extérieures) mais, en même temps, ils tirent du droit européen de nouveaux pouvoirs et notamment la subordination à la loi. Partie I L’Europe et le droit Il faut partir des conditions historiques de cette relation pour tenter de comprendre quelle est la spécificité du droit européen. Cette précarité doit tenir compte de deux éléments: - le premier est la conception traditionnelle, qui se développe en Europe, d’un droit public européen. Cette conception repose sur le principe d’un équilibre entre des puissances qui se considèrent comme souveraines, comme des puissances absolues. Dans cette conception qui naît au XVI ème s. en Europe, le droit européen est conçu comme un droit de coordination, de coexistence entre États souverains. En réalité, le droit public européen constitue les fondements du droit international public; - le deuxième élément, c’est la révolution juridique qui est réalisée en Europe à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, avec l’institution d’organisations, d’institutions européennes, qui sont d’un type nouveau: Conseil de l’Europe, Communautés européennes. Cela va jouer sur le droit et l’organisation interétatique. Au sein de ces organisations, se met en place un système qui va plus loin que la concertation: c’est une unification par le droit. Il y a un système d’interdépendance qui dépasse de loin le cadre ordinaire du droit international public. C’est au sein du système d’intégration que se développe le droit européen. Chapitre 1 La conception traditionnelle du droit public européen Section 1 L’État et l’Europe I La sortie du Moyen-Âge A Le pape et l’empereur L’Europe, c’est la sortie du Moyen-Âge, les deux données sont indissolublement liées. Au Moyen-Âge on n’a pas d’Europe, mais deux empires. L’occident chrétien réside dans une double autorité: le pape (spirituel) et l’empereur (temporel) qui ne manquent pas de se disputer. Ces deux autorités continuent à imposer en Europe un certain ordre dans les relations internationales. Elles vont favoriser la conclusion d’accords entre des belligérants. Cette unité va éclater au tournant du XVI ème s. et de cet effondrement naît l’Europe. L’Europe est par conséquent le monde d’où, progressivement, disparaît la notion d’Empire en tant que puissance rassemblant le monde romain. B L’État souverain Au lieu des principes de dépendance qui caractérisaient le Moyen-Âge, apparaît un principe d’indépendance et donc d’égalité théorique des États souverains qui refusent toute autorité supérieure. L’Europe c’est d’abord un État d’anarchie. L’État se définit comme l’institution d’une autorité impersonnelle, abstraite et concentrée sur un territoire donné. Il faut, pour que naisse l’État, trois conditions: - un pouvoir centralisé qui revendique le monopole de la force militaire; - une autorité régulière qui agit par l’émission de règles abstraites et non par des commandements personnels ponctuels; - une autorité assise sur un territoire stable. Ce processus de création de l’État naît au nord de l’Italie avec Florence, Bologne, Pise… qui se constituent en une autorité indépendante. Ce processus s’achève au XVI ème s. en Europe avec l’établissement de grandes monarchies indépendantes, essentiellement la France et l’Angleterre. II La naissance de l’Europe des États A L’Europe au secours des États Il est courant d’opposer l’État et les projets d’unification européenne. Les structures politiques de l’État sont profondément affectées par ce processus d’association. Ce réaménagement a des conséquences sur des notions centrales comme la démocratie, la citoyenneté. Une démocratie supranationale peut-elle exister, et à quelles conditions? Que signifie la citoyenneté et comment la détermine-t-on dans un espace réputé sans frontières. Sans doute, il y a réaménagement des structures de l’État dans le cadre de la construction européenne. Pour autant, il serait faux de croire que le processus d’intégration contribue à une élimination des États en Europe. Il est trop simpliste de présenter l’Europe comme un facteur de dilution de l’État, et ce pour plusieurs raisons: - l’État a besoin de l’Europe et elle a consolidé des États affaiblis par les conflits mondiaux; - on peut même soutenir qu’elle a contribué à sauver les bases de l’État. Elle a joué un rôle dans la reconstruction d’États comme la France, l’Italie ou l’Allemagne. Sans la CEE, la production agricole française était vouée à disparaître; - l’Europe a favorisé la naissance d’États souverains. La CEE et l’UE ont favorisé la transition démocratique et la création des États après la chute du mur. D’où le paradoxe de ces États qui ont quelques réticences à intégrer les institutions européennes; - les États conservent au sein de l’UE un rôle important. L’idée dominante serait de croire que les gouvernements nationaux ne sont que les destinataires de ces règles dites contraignantes. Mais non, ils y participent directement. Par conséquent, le propre de l’intégration européenne n’est pas de créer une organisation sans États; on veut créer une société politique nouvelle où les États conservent une place. Mais s’ils demeurent, il faut les faire coopérer, d’où la nécessité d’un équilibre. B La nécessité de l’équilibre Dès lors que, sur un territoire limité, diverses souverainetés sont voisines, et dans la mesure où les ambitions de ces États sont rivales, il apparaît nécessaire de trouver un équilibre. Cela se traduit par la pratique d’alliances des faibles contre les forts. L’Europe, à partir du XVI ème s., c’est sans cesse un jeu d’alliances. L’équilibre devient alors un principe théorisé à l’échelle de l’Europe. Ce système d’équilibre est garanti par le droit. C’est un système précaire, qui sera sujet à interprétation, mais qui n’empêchera pas l’hégémonie. Ce système d’alliances n’a pas tout à fait disparu, bien que l’Europe actuelle soit fondée sur des principes de solidarité. Par ex., depuis le traité de l’Élysée de 1963, on a un accord privilégié entre la France et l’Allemagne. Vendredi dernier, certains États de l’UE se sont réunis pour discuter de l’avenir de l’Europe, de la constitution européenne. Section 2 Le principe d’équilibre I Les origines du principe d’équilibre A La guerre de Trente ans L’Europe naît au prix de cette guerre, qui dure de 1618 à 1648. Le théâtre de cette guerre, c’est l’Allemagne, composée de 365 États indépendants, dotée d’un empereur élu par sept princes considérés comme les plus puissants, et partagée religieusement. Dans ce pays, deux facteurs vont précipiter la guerre: d’une part, les convoitises princières et, d’autre part, les passions religieuses. Dans ces conditions, l’Allemagne et ses voisins - l’Angleterre, France de Richelieu et l’Espagne - vont être les acteurs de cette guerre ruineuse pour les pays allemands. B Les traités de Westphalie A la suite de cette guerre, on a trois ans de négociations entre le roi de France, la reine de Suède et l’empereur d’Allemagne. C’est le premier grand congrès européen de l’Histoire, au cours duquel vont être signés, en 1648, les traités de Westphalie. Ces traités ont une double signification: - ils apportent la paix politique et religieuse en Allemagne. L’empereur est conservé, mais perd ses pouvoirs. La paix de Westphalie consacre la pleine indépendance des princes, tant dans les choses ecclésiastiques que politiques, à la condition que ces traités ne mettent pas en cause la paix de l’Empire. En outre, chaque prince choisit sa religion; - c’est aussi une paix européenne. C’est la base du droit public européen: égale souveraineté des États liés par un certain nombre d’accords. L’Europe accepte de remettre en cause ses structures. L’Europe s’apaise et se détend. II Les garanties de l’équilibre La paix de Westphalie est l’institution d’un ordre européen par traités. L’accord international devient le procédé normal, européen, pour régler les litiges entre États européens. Le mode juridique de résolution des conflits est privilégié. Pour assurer la conservation de la paix, les traités de Westphalie organisent un système de satisfactions, de garanties. Les traités prévoient que toutes les parties contractantes sont garantes du respect des traités. Deux grandes puissances peuvent faire valoir un statut particulier de garantes de l’équilibre: la France, puissance catholique, et la Suède, puissance protestante, acquièrent la possibilité de surveiller l’Allemagne. Elles sont les puissances garantes et peuvent suivre les différends entre les princes et l’empereur, et entre les princes eux-mêmes, et même intervenir directement si cette paix est remise en cause. C’est la première tentative en Europe d’organisation de maintien de la paix, placée sous un directoire européen, et confiée à ces deux grandes puissances. Ce système va échouer en raison des ambitions importantes et démesurées de la France de Louis XIV. La France n’aura de cesse d’utiliser sa puissance, son statut et ses ressources pour s’étendre. La paix de Westphalie constitue une étape importante. L’Europe devient un système laïc d’espace indépendant. A partir de 1648, le principe d’équilibre sera sans cesse invoqué. On fera la théorie de l’équilibre qui donnera naissance au droit international, notamment Vattel, l’un des fondateurs du droit international moderne, dans son traité Du droit des gens de 1668, qui définit l’équilibre comme « une disposition des choses au moyen de laquelle aucune puissance ne se trouve en état de préempter absolument et de faire la loi aux autres ». L’équilibre européen est l’idée qu’entre les États voisins, si un État abuse de sa puissance, les autres États doivent se coaliser pour rétablir l’unité et l’égalité de droit qui doit exister. Le système d’équilibre est donc aussi un système fragile. L’équilibre est toujours sous la menace d’être remis en cause, et il le sera sous les poussées révolutionnaires de Napoléon Ier, les conquêtes de Napoléon et la chute de l’Empire, à Waterloo, en 1815. C’est la défaite des armées françaises et la fin de l’ordre européen. L’Europe est épuisée, et naît chez les diplomates européens l’idée de rendre impossibles de nouvelles guerres: c’est l’émergence du concert européen. Section 3 L’émergence du concert européen L’Europe est fatiguée. Elle a besoin de paix et de repos. Comment mettre fin, contenir, tempérer les souverainetés qui, inéluctablement, conduisent à la guerre? Comment restaurer le principe d’équilibre dans des conditions qui assurent sa pérennité? Il faut contenir la France dans ses frontières et ses limites. Il faut trouver un système qui empêche que de nouveaux foyers de dissensions arrivent en Europe. Il faut éviter de troubler le repos des européens. L’idée est de créer un ordre nouveau, plus solide, plus durable, dont le droit de conquête sera exclu. Ce sont les origines du concert européen. Il faut l’envisager par l’autrichien Peternich qui veut organiser un Directoire européen, mais cela est rejeté par les autres puissances. D’où l’idée de mettre en place le concert européen: si la paix est menacée en Europe, il appartient aux grandes puissances de s’allier et de s’opposer à la volonté de toutepuissance troublant le repos de l’Europe. Ce principe trouve son expression dans des accords signés à Vienne lors du Congrès de 1815. C’est un grand congrès qui réunit toutes les grandes monarchies européennes, qui fêtent la défaite de la France, et qui veulent redessiner les contours de l’Europe et stabiliser les frontières. Ces accords, texte de 300 pages rédigées en français, lient les quatre grandes puissances de l’époque: la Russie, l’Autriche, la Prusse et l’Angleterre et, par le génie de Talleyrand, la France va être associée à ce concert. Ils décident du partage territorial de l’Europe. Première ébauche d’une organisation internationale, une organisation de l’Europe qui se traduit de la manière suivante: le concert introduit une nouvelle méthode: non seulement ces grandes puissances s’instaurent en gardiennes de la paix mais, en outre, elles mettent en place un système de congrès qui se réunit régulièrement (réunions multilatérales et non plus seulement bilatérales) chargé de régler les problèmes communs. Cette idée est très importante, car marque la volonté de ces États de régler les problèmes de façon commune. Il y a développement d’un état de droit international en Europe. Le congrès de Vienne consacre la liberté de navigation sur les cours d’eau internationaux. Un accord international est adopté qui décide des conditions de navigation sur le Rhin et autres cours d’eau. On note la Convention de Londres de 1841 sur l’abolition de l’esclavage. En 1815, un règlement est adopté sur les droits et obligations, le rang et le statut des agents diplomatiques. Il y a un droit de la guerre élaboré. On va régler des problèmes techniques. Prennent naissance les premières unions administratives qui sont l’embryon d’unions internationales. Ainsi naissent, en 1856, la Commission européenne du Danube, en 1861, l’Union télégraphique internationale, en 1874, l’Union générale des postes. On note l’organisation des enceintes de collaboration où s’élaborent des normes techniques. On est dans la seconde moitié du XIX ème s. Se développent des congrès qui ne sont plus des congrès entre États, mais des congrès de nature privée, qui ont leur importance dans la construction européenne, de militants pour la paix. Se tient, en août 1849, le Congrès pour la paix, à Paris, mené par Victor Hugo qui prononça un discours qui resta célèbre. Son discours a un ton tout à fait prophétique, messianique, il parle des « États-Unis d’Europe ». Cette une vision prophétique des choses sera, aussi généreuse soit-elle, incapable d’arrêter les forces de division. II L’échec du concert européen Ce système du concert européen, d’une pentarchie, censée assurer la stabilité de l’Europe, portait en lui les germes de son propre échec, car se trouvait en contradiction avec les principes sur lesquels il était supposé reposer, et surtout le premier: le principe d’égalité. Il devint évident que, par l’exploitation de ce système, les grandes puissances s’arrogeaient le droit de dominer les autres, et étaient les moins enclines à respecter les règles établies en commun. Ces efforts pour mettre en place un gouvernement de fait ne vont pas résister aux poussées nationalistes, aux revendications nationales. La Révolution a propagé, avec Napoléon, le principe de chaque Nation a se doter d’un État souverain, en Italie, en Grèce, en Allemagne. Tout cela va précipiter le continent européen vers le premier conflit mondial, qui fait éclater le principe du premier concert européen. La guerre de 1914-1918 a des conséquences désastreuses. Paul Valéry témoigne, en 1919, dans la Crise de l’esprit, non des conséquences matérielles, connues, mais des conséquences morales, de l’esprit, d’un état de conscience qui prend naissance à la fin de la Première Guerre mondiale: « nous autres civilisations [européennes], nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Cette vision catastrophique annonce le second conflit mondial, mais l’Europe essaie de renouer avec une période de méditation. Un sursaut est nécessaire, et va venir des E-U, dans un discours du 8 janvier 1918, par lequel le Président Wilson préconise d’opérer une révolution des relations internationales. Son idée repose sur trois éléments: - démocratisation de la société internationale; - développement du commerce international; - droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et donc rétablissement de la démocratie dans l’ensemble des États. Wilson se heurte à l’opposition du Sénat américain qui refuse d’entériner sa décision de créer une nouvelle société internationale, et empêche les E-U de faire partie de la SDN, créée en 1919, qui a pour but d’organiser le monde en vue de préserver la paix. Elle regroupe 45 États dont 26 ne sont pas européens. L’histoire de la SDN est celle d’une inexorable chute d’une constante impuissance: instable, inégalitaire (cinq membres permanents), elle va montrer son incapacité à sauver la paix en Europe. Ce système va éclater quand vont apparaître de nouvelles poussées hégémoniques en Allemagne, en Italie et au Japon. En 1925, les accords de Locarno rétablissent l’Allemagne dans le concert des nations et instaurent une concertation permanente entre la France, l’Italie, l’Allemagne, la Belgique et le R-U. En 1928, le pacte Briand-Kellog propose à nouveau une pacification de l’Europe, un désarmement. Ce pacte échouera sous la pression de forces opposées. On prend en compte également, et de manière symptomatique, les intellectuels européens qui proposent de restaurer la vitalité de l’Europe. Sur cette base de la réanimation de la conscience européenne, Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères, dans un discours prononcé à l’Assemblée générale de la Société des Nations le 5 septembre 1929, visant les membres représentant les États, propose d’établir « entre des peuples géographiquement groupés comme les peuples d’Europe une sorte de lien fédéral, un certain fédéralisme continental qui respecterait la souveraineté des États » car, conscient déjà de la perte du poids de la France, Briand estime que « nous allons bientôt nous trouver enserré par deux puissances formidable, les E-U et la Russie: il s’agit de faire les E-U d’Europe ». Cet appel est entendu par la SDN qui décide de créer une « commission d’étude pour l’Union européenne ». Cette commission d’étude ne va pas survivre à la grande crise économique de 1929 ni aux régimes totalitaires qui s’apprêtent à déferler sur l’Europe. L’Europe sombre avec le deuxième conflit mondial: l’Europe est dévastée, ruinée, miséreuse, mais aussi l’idée même d’Europe est souillée et pervertie. L’idéologie européenne a été instrumentalisée par le régime nazi. Un nouveau nationalisme européen est invoqué, propagé, dirigé contre les races et peuples inférieurs. Le projet de nouvelle Europe allait très loin: il s’agissait de créer un espace économique intégré, un nouvel ordre politique, assurant, sous hégémonie germanique, une unification européenne. C’est donc sur de toutes nouvelles bases que renaît le projet d’unification européenne après la guerre, porté par les mouvements de résistance, qui firent de l’Europe un thème fondateur de l’Europe libérale. La déclaration de 1944 fait « de la création d’une union fédérale la solution des problèmes européens ». Chapitre 2 Les données nouvelles résultant du second conflit mondial Il s’agit de comprendre le contexte dans lequel s’opère le changement européen. De très nombreuses organisations européennes naissent, mais elles n’ont pas la prétention d’être à l’origine d’un droit intégré à un organisme européen. Mais elles sont importantes à connaître pour deux raisons: - ces nouvelles organisations témoignent d’un mouvement général vers la coopération, d’une volonté de travailler en commun, de structurer les États européens, d’un souci d’élan de coopération; - la description de ces organisations, qui sont des organisations internationales classiques de coopération (et non d’intégration) dans le prolongement du droit public européen, permettent de mieux comprendre l’originalité de la nouveauté des deux systèmes que sont le Conseil de l’Europe et les Communautés européennes. L’Europe sort de la guerre affaiblie, mais ce n’est pas simplement un fait à garder en mémoire, c’est un élément constitutif de l’UE. L’Europe est à terre, ruinée, les États sont divisés, déchirés, on peut comprendre la volonté des européens de s’unir de manière aussi profonde et originale que celle du Conseil de l’Europe et des Communautés européennes. L’intégration est un élément majeur de la construction dans le monde. Le fait que des États aussi anciens, qui disposent d’un fort sentiment national et d’une histoire bien propre, aient eu la volonté de construire une unité politique, une fusion et une souveraineté, constitue un évènement majeur de construction politique dans le monde. Ceci ne put se faire que parce que ces États voulaient se reconstruire. Section 1 L’Europe affaiblie L’Europe a perdu la place qu’elle occupait dans le monde, à raison de deux facteurs: - l’élargissement du monde, du cadre des relations internationales. Il y a déplacement du centre de gravité du monde. L’Europe n’est plus qu’un espace régional dans le cadre de l’ONU, créée en 1945, et dont le projet est de garantir la paix dans l’ordre international par l’intermédiaire de cinq puissances et de garantir la prospérité du monde. L’Europe n’a pas de statut privilégié: elle n’est considérée que comme une entité géographique régionale qui pose des problèmes particuliers; - il y a division de l’Europe: il n’y a plus de grandes puissances. Les deux seules puissances sont les E-U et l’URSS. L’Europe n’est plus le siège de l’équilibre mondial. Elle en est la victime. I La division de l’Europe Elle procède de la conférence de Yalta de février 1945. En 1949, on assiste à la création de deux États allemands en deux zones d’influence, par Berlin notamment, l’une contrôlée par les Alliés, l’autre par l’URSS. La RFA est proclamée le 5 mai 1949, soutenue par les Alliés, et se dote d’une loi fondamentale. Le 20 juin, les forces soviétiques imposent un blocus, et la Guerre froide est amorcée. Un mur est édifié en 1961. Les conceptions américaine et soviétique du monde et de l’avenir de l’Europe sont tout à fait antinomiques. Un équilibre des forces entre deux blocs opposés se met en place. Les premières organisations européennes qui sont instituées sont considérées comme des institutions d’équilibre entre les deux blocs. Deux types d’organisations: - côté occidental est instituée l’OECE (Organisation européenne de coopération économique ), dont le but est de reconstruire les États européens sur le modèle de l’économie de marché; - en réponse, le CAEM (Conseil d'assistance économique mutuelle) est créé par les soviétiques et est destiné à soutenir les pays dotés d’une économie planifiée qui donne lieu à une division du travail entre les pays socialistes. Comme est institué le Pacte atlantique en 1948-1949 (OTAN, traité signé en 1949), de l’autre côté, l’URSS réplique par le conclusion du Pacte de Varsovie en 1955 qui regroupe les pays d’Europe centrale et orientale placés sous protection militaire soviétique. II La recherche de la sécurité Elle va prendre un détour historique étrange. En 1953, on a la mort de Staline. L’URSS adopte la stratégie de la coexistence pacifique mais, en 1956, l’URSS arrive à Budapest pour écraser la volonté de la Hongrie de se libérer de la tutelle soviétique. On a une période intermédiaire, avec un système de sécurité paneuropéen, avec un système de sécurité dont seraient exclus les E-U. Cette proposition ne pouvait qu’échouer, mais c’est à partir de là que le thème de la sécurité devient très important. Il n’y aura pas d’unité de l’Europe, mais un espace de sécurité. La sécurité devient un thème urgent sous la menace du risque d’une guerre nucléaire. C’est lui qui est à l’origine d’un processus de détente entre les blocs divisés en Europe. Ce processus de détente aboutit à la tenue d’une conférence réunissant l’ensemble des États européens auxquels se joignent leur puissance tutélaire: conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (1973-1975) qui aboutit à l’Acte final signé à Helsinki le 1 er août 1975 (cf. documents). Cette conférence n’est pas une organisation internationale: c’est une réunion informelle qui n’a pas de personnalité donc pas de capacité juridique, et qui n’est pas permanente. Cet Acte final n’est pas considéré comme un traité international. Deux pays s’opposent à la signature du traité: la RFA qui n’accepte pas d’entériner juridiquement la division de l’Allemagne alors qu‘elle a prévu dans sa Loi fondamentale la réunification, et l’URSS qui s’oppose à un texte qui l’obligerait en matière de respect des droits individuels et libertés fondamentales (cf. p. 8 et s. le Décalogue). Les principes sont: l’égalité souveraine des États, le non recours à la force; l’intangibilité des frontières européennes; le règlement pacifique des différends et la non ingérence; le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes; l’exécution de bonne foi des accords internationaux et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, même la liberté de pensée, de religion… Ces valeurs concédées par l’URSS fondent un ordre européen qui n’a pas de force contraignante mais qui sera à l’origine de mouvements de résistance dans les États soumis au régime d’oppression. En 1977, en Tchécoslovaquie, la Charte 77 appelle au respect de ce qui est prévu dans l’Acte final. Trois ans plus tard naît le syndicat polonais Solidarnosc. Chapitre 3 L’intégration juridique européenne Trois objectifs: - stabilité du continent; - désarmement; - paix. Est signé le traité de Paris, limitant les forces armées conventionnelles en Europe, conclu le 19 novembre 1990. En outre, le 21 mars 1995 est adopté le pacte de stabilité (de croissance) en Europe. Ce pacte encourage les pays de l’exbloc communiste à conclure entre eux des traités de bon voisinage, en vue de faciliter leur intégration à l’UE. L’OECE qui succède à la CSCE conduit les actions de sécurisation sur le continent européen au Kosovo, dans les Balkans et en Albanie. Il s’agit de missions de police, de contrôle des armes et de gestion des frontières. Ceci encourage l’économie de marché, et il s’agit précisément pour la CSCE de faciliter l’insertion de tout le continent européen dans le système commercial international qui était structuré par les apports du GATT de 1947 et, depuis 1994, par l’OMC, qui entend régir l’ensemble des échanges dans le monde pour faciliter les flux. L’OMC s’est dotée d’une structure juridique remarquablement stable, permanente… L’OMC s’est dotée d’une structure de règlement des différends juridictionnelle. En outre, à cet objectif commercial s’est ajoutée une mission en matière environnementale. L’OSCE s’efforce de promouvoir des actions pour sensibiliser les populations aux problèmes liés à l’environnement. La Charte de l’OSCE développe la dimension humaine de l’Acte final d’Helsinki (respect des droits fondamentaux et nouvelle liste de droits de l’individu que les États doivent respecter). L’OECE et l’OSCE vont instaurer de nouveaux mécanismes de contrôle. On note le rôle très important du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme, instauré dans le cadre de l’OSCE. C’est lui qui a envoyé des inspecteurs pour surveiller le déroulement des élections dans les pays des Balkans. La CSCE a apporté une réponse particulière à la question des minorités en Europe, et a créé le Haut commissariat pour les minorités internationales. Il y a une institutionnalisation de ces enceintes, à laquelle aucune force en Europe ne s’est opposée. Lors du sommet de Budapest du 6 décembre 1994, les États participant à la CSCE décident de sa transformation en OSCE, en organisation permanente, avec un certain pouvoir. L’OSCE regroupe aujourd’hui 56 États, c’est-à-dire la quasi-totalité des États européens, le dernier étant le Monténégro, auxquels s’ajoutent deux États américains: les E-U et le Canada, qui bénéficient du statut d’associés aux travaux de l’OSCE. Cette organisation comporte un organe permanent, le Conseil permanent, qui se réunit à Vienne une fois par semaine et regroupe un représentant de chaque État membre. L’OSCE comprend une assemblée parlementaire, qui bénéficie d’un vote direct, et un secrétariat général. Les parlementaires se content de discuter, de dialoguer, réunissant l’ensemble des pays du continent. Ce n’est qu’une représentation et cette assemblée vote des résolutions. L’OSCE dispose, depuis 1992, d’une Cour de conciliation et d’arbitrage établie à Genève, chargée de régler les différends qui pourraient surgir entre les États membres de cette organisation, et présidée par Robert Badinter. Cette Cour a un rôle limité dans les faits, de simple conciliation, et n’a pas de compétence juridictionnelle. C’est un organe de conciliation, de médiation. Cette organisation se situe mal vis-à-vis de l’OTAN, qui est une organisation politique, militaire, et vis-à-vis de l’UE, qui a des ambitions extrêmement larges. Par conséquent, elle a un rôle limité en Europe, sous l’influence des E-U. Un moment, la Russie souhaitait faire de l’OSCE une organisation de sécurité en Europe mais ceci a rencontré l’opposition des E-U, et l’OSCE se contente aujourd’hui de fournir des opérations de sécurité, de police, dans certains États, de type civil, mais il semble qu’en Europe, en revanche, les activités militaires soient réservées à l’OTAN. Dans le contexte de l’après-guerre, l’Europe est affaiblie, désemparée, ruinée, et cherche donc des protections. Elle les cherche d’abord hors d’Europe avant de se tourner vers elle-même. Section 2 L’aide à l’Europe L’Europe, dès mai 1947, se tourne vers les E-U pour la protection de l’économie libérale. De nouveaux liens vont se nouer entre les E-U et les pays occidentaux, et entre les pays occidentaux eux-mêmes, sous l’influence des E-U. L’Europe intégrée, aujourd’hui, doit beaucoup au soutien des E-U. Ce soutien passe par une aide concrète. Cette aide est à la fois économique et militaire. I L’aide économique L’idée est simple. L’Europe est miséreuse, sa misère est réelle, la plupart des grandes villes européennes sont détruites, les appareils politiques sont en panne, la pénurie est réelle. L’idée américaine est la suivante: la pénurie européenne entraîne le risque de la révolution et que les populations européennes se rangent sous l’Empire soviétique, d’autant que les élites européennes sont discréditées. Pour protéger l’Europe de ce danger, il faut apporter une aide massive. C’est l’idée du plan Marshall. Le général Marshall fait cette fameuse proposition dans un discours du 5 juin 1947 à l’Université d’Harvard, et propose son plan: il parle de la dislocation de toute la structure de l’économie européenne; il en résulte que les gouvernements européens doivent acheter les produits indispensables à l’étranger, d’où une situation très préoccupante. Soit l’Europe se verra offrir une aide très importante, soit elle s’exposera à des dangers très graves. Très vite, une conférence est organisée à Paris le 12 juillet 1947: seize États y participent. La Tchécoslovaquie en est dissuadée par Staline. Les américains encouragent les européens à s’engager dans une organisation économique commune qui s’inspirerait du modèle américain. On propose une fluxion de marchés et l’instauration de barrières communes aux frontières de l’Europe occidentale, sur proposition française. Il y a opposition et hostilité des britanniques, car le R-U a conservé le statut de grande puissance, et refuse un processus qui remettrait en cause son indépendance. Le R-U est engagé dans une autre organisation, le Commonwealth de Nassau, créé après la Première Guerre mondiale pour rassembler les États de l’ancien Empire britannique. Il est décidé qu’une organisation sera créée qui aura pour but de gérer l’aide financière apportée par les E-U. Le 16 avril 1948 est signée la Convention sur l’OECE. C’est dans le cadre de l’OECE que seront négociées les grandes questions économiques de l’après-guerre, et cette organisation est dirigée par un Conseil des ministres qui prend des décisions à l’unanimité. C’est une organisation de coopération. Les États sont souverains et sont libres d’adopter des accords venant de la concertation. Le rôle de l’OECE est de gérer la partition de l’aide américaine jusqu’en 1961, coordonner les politiques économiques nationales, et amorcer la libération des échanges économiques entre ces États, l’idée étant cependant loin de la création d’un espace de marché commun. Cette organisation disparaît en 1960, mais conserve de la matière. Une autre organisation lui succède: l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Elle naît de la volonté des E-U de garder une certaine influence et naît de la Convention de Paris du 14 décembre 1960. Son siège est à Paris. C’est un cas de succession d’organisation internationale par voie de traité international. L’une est substituée à l’autre, mais tout l’acquis de la première est gardé. L’art. 15 de la Convention de Paris précise que la personnalité juridique de l’OECE est conservée par l’OCDE. L’OCDE compte aujourd’hui trente membres qui se présentent comme un club de pays riches industrialisés, sélectif, un groupe de pays démocratiques, rattachés aux lois de l’économie de marché. Deux pays américains, le Japon, la Corée du Sud, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, en tout dix pays sont non membres mais peuvent éventuellement signer des accords. L’organe principal est le Conseil qui adopte tous les actes de l’organisation à l’unanimité. Trois types d’actes: - le Conseil prend des recommandations dénuées de force contraignante envers les États; - des décisions qui ont un régime particulier. Elle sont adoptées (art. 6) par accord mutuel de tous les membres, mais si un État s’abstient, la décision s’appliquera à tous les membres qui ont voté sauf pour celui qui n’a pas voté; - les actes unilatéraux. Ce sont des décisions apparemment unilatérales mais leur type ressemble à des accords internationaux. Selon l’art. 6, « aucune décision ne peut lier un membre aussi longtemps qu’il ne s’est pas conformé aux procédures constitutionnelles ». La reconstruction économique de l’Europe est amorcée par l’OECE (devenue OCDE). Apparaît alors une tension politique à l’Est de l’Europe, avec un évènement déterminant: le coup de Prague de 1948. Le 25 février, le président tchécoslovaque est renversé par le parti communiste qui écarte les autres partis de coalition. La Tchécoslovaquie est mise sous la coupe de l’Union soviétique. Il apparaît que l’Union soviétique a l’ambition d’étendre son contrôle sur toute l’Europe. On craint la survenance de la Troisième Guerre mondiale. Lors du traité de Dunkerque du 15 mars 1947, le R-U et la France proposent aux pays du Benelux un renforcement de leurs liens militaires. Est signé, le 17 mars 1948, le traité de Bruxelles créant l’Union occidentale (UO) renommée bientôt Union de l’Europe occidentale. Ce traité est très important: il prévoit un développement en tous domaines des liens, et la mise en place d’une coopération militaire, d’un état-major commun à ces pays, installé à Fontainebleau, et un système d’aide mutuelle automatique en cas de danger (art. 8 par. 3 du traité créant l’UO). A la demande de l’une d’entre elles, une réunion sera constituée… On trouve la première forme de coopération militaire. L’UO n’a pas disparu. Elle existe toujours, mais fut très vite étouffée sous le poids de l’OTAN. A présent, l’essentiel des capacités de l’UO a été intégré à l’UE. Dès l’origine, cette coopération parait assez faible face à la menace soviétique. Dès la signature du traité de Bruxelles, les pays signataires se tournent vers les E-U pour leur demander une aide militaire. Le Congrès américain doit décider. Or, cette demande n’est pas évidente: les E-U avaient une doctrine de non interventionnisme, d’où l’importance du Congrès à se prononcer sur cette question. Le Congrès autorise le Gouvernement à conclure, y compris en temps de paix, des alliances militaires en dehors du continent américain (résolution Wandenberg, votée le 11 juin 1948 par le Congrès, qui marque la fin de l’isolationnisme américain). Le Gouvernement des E-U engage des négociations qui aboutissent, le 4 avril 1949, à Washington, à la signature du Traité de l’Atlantique nord. Il est signé par la France, le R-U, les pays du Benelux, le Danemark, la Finlande, les E-U et le Canada entre autres. Quel est le but de cette alliance? Il s’agit de « favoriser, dans la région de l’Atlantique nord, le bien-être et la stabilité, et d’unir les parties contractantes pour leur défense collective, la préservation de la paix et de la stabilité ». La Grèce et la Turquie adhèrent en 1952, l’Allemagne en 1957, l’Espagne en 1982. La défense de l’Europe occidentale se trouve placée sous la protection militaire des E-U. Le traité de 1949 ne prévoit à l’origine que des structures de coopération qui sont assez rudimentaires. Vient la nécessité d’institutionnaliser tout cela: ceci intervient en 1951, pour permettre à l’OTAN de prendre des mesures juridiques, tant sur le plan politique que militaire. L’OTAN a connu, après la chute du mur de Berlin, un élargissement important à seize membres: il est passé à vingt-six États membres en deux vagues successives. La première vague a eu lieu en 1997 avec la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque. L’autre vague d’élargissement eut lieu en 2002 avec sept nouveaux États membres: les trois pays Baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie), la Slovaquie, la Slovénie, la Bulgarie et la Roumanie. Cette organisation s’étend jusqu’aux frontières de la Russie. Ces dix États nouveaux ont choisi et ont eu la possibilité d’entrer dans l’OTAN avant même qu’ils ne veuillent entrer dans l’UE. Structures de l’OTAN: elle est doublée d’une structure politique et d’une structure militaire. La structure politique est animée par le Conseil de l’Atlantique nord qui réunit, plusieurs fois par an, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des États membres (dernier sommet à Riga en 2006), et très régulièrement, chaque semaine, par l’intermédiaire des représentants permanents. Les décisions sont prises à l’unanimité. En outre, depuis 1967, le Conseil s’est doté d’un Secrétaire général qui dirige l’administration de l’organisation et représente l’organisation sur le plan extérieur. Le premier fut Paul-Henri Spaak. Depuis 2004, c’est M. Jaap de Hoop Scheffe qui occupe ce poste. La structure militaire est animée par le Comité militaire de l’OTAN, placé sous l’autorité du Conseil de l’OTAN. Ce Conseil, présidé par les chefs d’état-major des États membres, consulte les autorités militaires. En outre, depuis 19, ce Conseil est aidé par un état-major intégré, qui a une fonction technique: il dresse le plan de manœuvre, évalue le coût des opérations militaires et met en œuvre les arrêtés du Conseil. L’OTAN a un réseau de commandement militaire, divisé en zones stratégiques, qui a pour tâche d’assurer le commandement militaire des opérations décidées par cette organisation. L’OTAN ne dispose pas de forces armées propres. Les forces combattantes sont des forces nationales, mises à disposition par les États. Ces forces sont divisées en trois groupes: elles sont assignées à l’OTAN en temps de guerre par chaque État, et d’autres sont mises à disposition de l’OTAN, même en temps de paix et, dans ce cas, les missions de ces forces sont assignées par le commandement intégré. La France occupe une position très particulière: en mars 1966, le Général de Gaulle annonçait officiellement le retrait de la France des structures militaires de l’OTAN. Pourquoi? Dès 1958, De Gaulle n’avait cessé de contester la domination des E-U au sein de l’OTAN (hégémonie anglo-saxonne). Il avait même adressé un mémorandum au Président des E-U Eisenhower. Il fallait prendre acte du fait que les soviétiques avaient acquis la bombe atomique, et que la protection américaine devenait relative. Et puis, l’autre chose était l’intention de la France de se procurer rapidement l’arme nucléaire, ce qui poussait la France à se retirer progressivement des structures militaires (c’est en 1966 qu’elle se retirera totalement). Or, c’est la France qui avait été à l’initiative d’un projet européen de défense contre l’avis de De Gaulle, mais ces tentatives avaient échoué, ce qui amena à la création d’une OTAN puissante. La France, depuis la fin de la Guerre froide, a fait un retour à l’OTAN dans ses structures militaires. Elle milite pour une redistribution des responsabilités. En 1996, elle fit son retour au Comité militaire, mais est absente du Comité du plan de défense. L’OTAN est une organisation de défense collective: c’est sa vocation première. Elle tient cette fonction de la Charte des Nations unies. L’une des innovations majeures de cette Charte a consisté à soumettre au droit international le recours à la force dans le cadre du droit international: l’art. 2 par. 4 pose le principe de l’interdiction du recours unilatéral à la force dans le cadre des relations internationales. Mais ce principe ne fait pas obstacle à la possibilité, pour des États attaqués, de répondre en légitime défense, droit considéré comme « naturel », « individuellement ou collectivement » (art. 51 de la Charte). Dans le traité de l’OTAN, ceci se traduit de deux manières, dans deux séries de dispositions: - art. 2 et 3: en temps de paix, les parties contractantes s’engagent à renforcer leurs institutions, leur collaboration économique et accroître leur capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée. Le traité parle de collaboration, y compris économique. Depuis la conférence de Riga, des appels à la promotion de la sécurité énergétique et écologique de l’Europe se font entendre; - art. 5: chaque partie reste libre d’intervenir aux côtés du partenaire attaqué; les mesures prises collectivement doivent être précédées d’une concertation, d’une consultation des parties concernées (art. 4 du traité); le pacte atlantique reconnaît sa subordination à la Charte des Nations unies ainsi qu’au rôle primordial du Conseil de sécurité de l’ONU. Ces principes furent élaborés pendant la Guerre froide. La fin de la Guerre froide en Europe soulève la question de l’adaptation - voire de l’existence - d’une organisation créée en vue d’une menace désormais disparue. L’OTAN s’est reconvertie. L’éclatement de l’Union soviétique a créé en Europe de nouveaux risques. L’éclatement de l’Union soviétique correspond au retour de la guerre en Europe: guerre en Yougoslavie, envahissement du Kosovo. En avril 1999, les parties contractantes de l’organisation adoptent une déclaration sur le nouveau concept stratégique sur l’Alliance atlantique. A quoi sert l’OTAN? L’OTAN a pris la peine de finir son propre concept stratégique dès le début, en 1950. Au départ, sa stratégie reposait sur l’idée de représailles massives en cas d’agression sur l’un des États partie à l’alliance. Dans les années 1960, il y eut un changement: l’idée de représailles massives est transformée en une doctrine de ripostes graduées. A la fin de la Guerre froide, il faut à nouveau adapter la stratégie. A côté de la fonction de défense collective qui caractérise cette organisation, prévue à l’art. 5 du traité, l’OTAN affirme son rôle essentiel dans la gestion de crises touchant à la sécurité, à la stabilité du continent européen. On passe de la défense à la sécurité. Qu’est-ce que cela implique? Cela implique la possibilité, pour l’organisation, d’intervenir sur des territoires extérieurs aux États parties à l’alliance, le cas échéant. Par conséquent, cela expose l’organisation à un nouveau risque majeur d’empiètement sur les fonctions de la seule organisation théoriquement habilitée pour régler les conflits internationaux: l’ONU. Les membres de l’Alliance en sont conscients lorsqu’ils signent le traité: « le Conseil de sécurité de l’ONU assure la principale responsabilité quant à la sécurité internationale, mais l’OTAN se prépare à la gestion des crises, y compris des opérations de solution des crises ». Ceci tombe bien pour justifier une intervention en ex-Yougoslavie, lancée le 23 mars 1999, par des bombardements aériens sans intervention terrestre, pour forcer les troupes serbes à se retirer du Kosovo. C’est la première intervention militaire de l’OTAN. Cette campagne pose un problème politique majeur et un problème juridique. L’intervention de l’OTAN était considérée comme légitime, justifiée par les exactions des troupes serbes, et pour lesquelles le Conseil de sécurité de l’ONU, avec la menace du droit de veto de la Chine et de la Russie, refusait d’intervenir. Sur le plan légal, cette intervention répondait-elle au droit international? Était-il permis au Conseil de l’OTAN de s’autosaisir, de décider seul d’une action militaire, et de se dispenser du consentement exprès du Conseil de sécurité de l’ONU, seul habilité à autoriser l’emploi légitime de la force au plan international? Cette campagne, dans les faits, fut réussie au bout de 78 jours. En droit, l’ex-Yougoslavie traîna les pays membres de l’OTAN devant la Cour internationale de justice, qui rejeta l’action de la Fédération yougoslave dans une décision du 15 décembre 2004. La Cour s’estime incompétente pour juger de l’affaire. L’OTAN a actuellement l’occasion de mener d’autres actions militaires en Afghanistan, en Bosnie, en Irak, au Darfour et au Soudan et d’autres régions du monde. Ce nouveau concept d’alliance stratégique est mis à l’épreuve aujourd’hui par deux évolutions qui ont eu lieu dans le monde et déterminent la situation actuelle de l’OTAN: - évènements du 11 septembre 2001. En réponse à ces évènements, les alliés ont proposé aux E-U d’appliquer l’art. 5 du traité de 1949 (réponse collective à une agression armée) mais les E-U ont décidé d’intervenir seuls sur la base de la légitime défense. Cette intervention correspond à un changement d’approche des E-U, fondé sur l’unilatéralisme, la guerre préventive, et la formation de coalitions de circonstances, différentes de celle de l’OTAN. Cette approche fut à nouveau exercée pour la seconde guerre du Golfe; - l’émergence d’une politique étrangère de sécurité et de défense européenne, dans le cadre de l’UE. Cette politique de défense prit naissance au moment de la crise du Kosovo qui fit prendre conscience aux européens de leur impuissance à résoudre les conflits sur le continent européen. Dès lors, a eu lieu un changement progressif chez les dirigeants européens, pour développer une capacité militaire commune. Il y eut la déclaration de Saint-Malo en 1998 entre la France et le R-U puis, en 1999, la France, le R-U et l’Allemagne prirent des mesures. Des organes sont mis en place dans l’UE: existent un Comité militaire de l’UE, un état-major de l’UE, un Comité politique et de sécurité. Les premières opérations engagées de manière autonomes par l’UE ont lieu en 2003: - opération Concordia en Macédoine. Elle prit la relève de l’OTAN, sur la demande du président macédonien, et s’appuie sur les moyens mis en place par l’OTAN; - opération Artémis en République démocratique du Congo. Elle intervient de manière totalement autonome, sous commandement français. Actuellement, des forces de l’UE se trouvent en Bosnie, au Kosovo et au Darfour, de même que dans les territoires palestiniens pour des missions de police. Des contradictions demeurent sur ce plan, les français étant favorables au respect de l’autonomie des institutions, sans en rendre compte à l’OTAN, les britanniques y étant hostiles. Les E-U insistent sur le fait « qu’une force autonome européenne ayant sa propre stratégie serait une épée plantée en plein cœur de l’OTAN ». Il y a une volonté de se séparer de la tutelle américaine depuis l’intervention américaine en Irak qui divisa l’Europe. Le traité de l’UE est très vague à ce sujet: l’art. 17 dit que « la politique de l’Union n’affecte pas la politique de défense de certains États membres, mais découle de l’OTAN, et est commune avec la politique de défense développée dans le cadre de l’OTAN ». Une coopération s’est mise en place entre l’UE (par le Haut représentant pour la politique commune de l’Union, Javier Solana) et l’OTAN (le secrétaire de l’OTAN a appelé à un nouvel élan des relations entre les deux organisations en Allemagne, récemment, qui est à la tête de la présidence tournante de l‘UE). L’UE s’affirme à côté de l’OTAN, à côté des E-U, comme un acteur important des relations internationales. Section 3 L’organisation de l’Europe unie Soutenue économiquement, aidée, soutenue militairement, l’Europe occidentale commence à s’organiser. Un mois après la signature du traité de l’OTAN est institué, en avril 1949, le Conseil de l’Europe sous lequel sera bientôt conclue la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Robert Schuman prononce une déclaration qui engage les États européens. L’idée d’une Europe unie par ses propres forces, par le droit, par les libertés individuelles, vient d’une initiative d’origine privée. En 1943, Winston Churchill déclarait que « nos premiers efforts doivent viser à la constitution du Conseil de l’Europe ». Il prononce, en 1946, à l’université de Zurich, un discours célèbre: « il faut que la plus grande partie de la famille européenne se regroupe et fasse naître les E-U d’Europe ». Le Comité international de coordination des mouvements pour l’unité de l’Europe convoque un Congrès sur le modèle de ceux du XIX ème s., suivi de près par les acteurs européens, qui se tient à La Haye du 7 au 10 mai 1948, où naît l’idée d’une Europe unie, avec dix-neuf États représentés par 800 délégués. Les Pères fondateurs de l’Europe parlent: ils incarnent la résistance de l’Europe face au mythe nazi et totalitaire: Churchill, Paul-Henri Spaak, Alcide de Gasperi (résistant, et président du Conseil italien), Konrad Adenauer (fondateur de la CDU), Robert Schuman (résistant et président du Conseil français, ministre de la Défense), Jean Monnet (haut fonctionnaire français, proche des anglo-saxons pendant la guerre, il donnera naissance au projet de Communauté européenne de défense) et Pierre-Henri Teitgen (résistant et professeur à l’Université de Paris). Ils représentent et incarnent les idéaux de paix et de liberté. Des forces actives se regroupent pour l’unité européenne: on a les humanistes chrétiens, les chantres de l’ordolibéralisme (l’Europe va permettre d’ouvrir les sociétés, l’économie, les territoires, mettre fin aux discriminations nationales) et une partie des socialistes européens se convertissent progressivement à cette idée européenne comme pouvant consolider l’État social et l’État-providence. Le Congrès de La Haye se donne pour tâche de créer l’organisation supranationale de l’Europe, capable de donner aux peuples européens les forces qui leur manquent pour pallier leur faiblesse à cette époque. Le 7 mai 1948, Henri Brugnance, membre du parti travailliste néerlandais, propose par un discours d’ouverture « la création d’institutions européennes fédérales ayant force d’autorité ». Il s’agit d’une véritable révolution nationale: il s’agit de renverser les nationalismes, de raisonner les raisons d’État, et créer des institutions européennes fédérales en matière de transports, en matière agricole, et créer un Gouvernement et un Parlement européens, afin d’obtenir une citoyenneté commune et européenne propre à surpasser les nationalismes existants. Ce Congrès s’ouvre, avec des idées toujours dans le débat européen aujourd’hui, par trois résolutions: - résolution politique: « le Congrès déclare que l’heure est venue, pour les nations de l’Europe, de transférer certains leurs droits souverains en vue de les exercer communément ». Est ainsi formulé le principe révolutionnaire de transfert des droits souverains. On propose la création immédiate d’une assemblée européenne, assemblée représentative des peuples européens, ainsi que la rédaction d’une Charte européenne des droits de l’homme et une Cour de justice dont le but serait de faire respecter la Charte; - résolution économique et sociale: il est nécessaire et urgent d’établir une union économique, notamment en prenant des dispositions qui tendent à abolir, au sein de l’Union, les obstacles au libre-échange; - résolution culturelle: il propose la création d’un centre européen de la culture. On trouve l’idée qu’une Charte des droits de l’homme n’est pas suffisante; il faut encore signer un traité qui porte des effets contraignants obligatoires à l’égard des États parties à ce traité. Le Conseil de l’Europe, unique organe, est pensé pour créer l’Union. En fait, le projet va prendre une double direction. Le projet politique, éthique, s’affirme tout de suite et prend consistance tout de suite. En revanche, le projet économique qui tend à la fusion des marchés nationaux mettra plus de temps à se mettre en place. Avec les Communautés européennes, il s’agit de reconstituer les forces matérielles des peuples européens. Ce projet d’intégration économique demanderait plus qu’un simple accord solennel. Cela demande des structures très techniques qui bouleversent les structures politiques et économiques nationales. L’Europe unie est, dès à son origine, une Europe dualiste. I Aux sources de la CESDH L’Europe veut se libérer, se protéger définitivement. Le Comité international pour l’Union européenne (mouvement européen) rédige un mémorandum le 8 août 1948 proposant la création d’une assemblée représentative des peuples européens et la rédaction d’une Charte des droits de l’homme. Le Gouvernement approuve solennellement cette proposition. La France décide de réunir les États parties au traité de Bruxelles. Apparaît dans ces négociations une nette opposition entre deux thèses, l’une étant défendue par la France et l’autre par le R-U. Les britanniques défendent l’idée d’une création d’un Conseil de l’Europe mais refusent la création d’une assemblée parlementaire. Un mémorandum en réponse, déposé par le R-U, demande qu’au sein de cette organisation, les États soient représentés par des délégations nommées par les gouvernements et dirigées par les ministres. On envisage un Conseil des ministres. La délégation du R-U dit que ce ne serait une vue ni réaliste ni possible des choses de donner un ordre exécutif et législatif à cette organisation. Au contraire, la délégation française souligne, par un mémorandum du 29 novembre 1948, que la convocation d’une assemblée parait indispensable, qu’elle soit aussi représentative possible et qu’elle ne représente non les gouvernements mais les peuples. On distingue les fédéralistes, voulant une assemblée représentant les peuples, se dotant d’une Constitution européenne étant fondée sur les droits de l’homme, des unionistes, pour qui une telle assemblée reviendrait à dépouiller les États de leurs attributions, et qui préfèrent des réunions de gouvernements aux débats publics. On arrive finalement à un compromis: on se propose de créer à la fois un Comité des ministres qui héritera du pouvoir de décisions et, en même temps, sera créée également une assemblée parlementaire dont le pouvoir sera limité: elle n’aura qu’un pouvoir consultatif. Les cinq États du traité de Bruxelles appellent d’autres États à les rejoindre: s’y ajoutent l’Irlande, l’Italie, les trois pays scandinaves, dans une conférence à Londres en mai 1949. Le 5 mai, est signé le texte fondateur du Conseil de l’Europe, qui entrera en vigueur le 3 août de la même année. C’est sous l’égide du Conseil de l’Europe que va être signée la Charte de l’Europe le 4 novembre 1950 à Rome: les États signent la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. C’est le premier outil d’intégration de l’Union européenne. A la suite du Congrès de La Haye, le gouvernement européen avait créé un conseil juridique, dont la présidence était confiée à Pierre-Henri Teitgen. Le groupe mis en place rédige un projet de Convention et un statut pour une Cour européenne des droits de l’homme. Ces projets sont proposés dès le 12 juillet 1949 au Conseil de l’Europe. Pierre-Henri Teitgen sera chargé par l’assemblée du Conseil de l’Europe de rédiger le texte qui deviendra la CESDH. Quand il est présenté au Comité des ministres, ce texte est très mal reçu. Ce Comité refuse d’inscrire les droits de l’homme dans l’Union, car il est représentant des États, et certains disent que ce projet risque de mettre en jeu leur souveraineté. Le contrôle des droits de l’homme s’immisce partout, est très intrusif. Robert Schumann lui-même refuse en utilisant l’argument du double emploi, du chevauchement: il serait prématuré de soulever la question du Conseil de l’Europe dans la mesure ou l’ONU lui-même s’occupe de la sauvegarde des droits de l’homme avec la Déclaration universelle qui vient d’être adoptée (1949). On lui répond que ce texte n’a pas de force obligatoire. Ce que craignent en fait les États, c’est un mécanisme de contrôle des droits de l’homme, de répression. Une commission juridique est alors créée. L’élaboration de ce texte est placée sous un double signe: - ce qui motive la rédaction d’une CESDH, c’est le souvenir de la souffrance endurée par les européens, c’est le souci d’éviter des doctrines qui amènent la mort en Europe. C’est ce qui anime Henri Cassat lorsqu’il rédige la Déclaration universelle. On considère l’État-nation comme un danger, le nationalisme comme dangereux et provoquant les passions. En somme, la protection nationale des droits de l’homme procède d’une mémoire commune de la souffrance. La pensée politique classique place la peur des individus au sein de la communauté politique; - de même, c’est l’héritage des injustices commises au nom de la raison d’État qui fait créer cette institution opposable aux États. Il y a la perspective des nouvelles menaces: menace constante de l’État, fût-il démocratique, d’user, d’abuser de son pouvoir, et menace du Communisme totalitaire, qui pèse alors sur toute l’Europe. Le Communisme part d’une bonne intention, qui se transforme malheureusement en régime totalitaire et sanguinaire. La Commission juridique a trois problèmes à résoudre: quelle liste établir? Comment l’établir? Quels mécanismes de contrôle pourront faire respecter ces droits de l’homme? Cette occupation de l’UE est le fait de la CESDH d’une part et du droit communautaire de l’autre. Deux arrêts récent du Conseil d’État montrent comme le droit communautaire s’incruste en droit français (CE, 8 février 2007, Arcelor et Gare de Lieu). L’arrêt Arcelor traite du décret d’application d’une directive communautaire. Les requérants attaquent pour violation de disposition constitutionnelle. Le problème classique entre disposition communautaire et constitutionnelle resurgit, mais la réponse est ici inédite. L’arrêt Gare de Lieu concerne le problème de la responsabilité du fait du législateur, des lois: ce qui est en cause, c’est la possibilité d’engager la responsabilité de l’État, du législateur, pour violation de l’art. 6 de la CESDH (inconstitutionnalité de la loi lorsqu’elle viole un engagement international de la France). On remonte aux sources de la CESDH. Comment est-elle justifiée? Par le souvenir de l’expérience négative des peuples européens et sur les nouvelles menaces qui planent sur l’Europe. Ces problèmes sont au nombre de trois. Premier problème: quelles sont les libertés à garantir? Le choix fait par la commission juridique est de limiter, pour le moment, la garantie collective aux droits et libertés considérés comme essentiels: les droits civils et civiques qui sont, d’ailleurs, déjà garantis. Est repoussée à plus tard la consécration des droits sociaux et cette idée de les consacrer est rejetée compte tenu des différences et divergences qui existent entre États membres de l’UE. Au moment de la consécration d’une Charte des droits fondamentaux, celle-ci fut proclamée solennellement lors du sommet de Nice en 2000. De la même façon, il fallut déterminer quels droits il fallait déterminer et arrêter. Concernant la CESDH, depuis les années 1950, il fut décidé de ne pas faire respecter ces droits. La Déclaration universelle des droits de l’homme, approuvée par l’AG de l’ONU en 1949 fait autorité. Les seuls droits qui ont prêté à discussion sont: - les droits familiaux: se protéger contre toute ingérence ou immixtion dans sa vie familiale (art. 8 de la CESDH et art. 12 traitant du droit de se marier); - le droit de propriété: certains le considéraient comme purement économique qui, de plus, pour sa protection, impliquait une très grande ingérence dans les affaires de l’État. Ce droit ne fut pas retenu dans la liste des années 1950, mais fera ensuite l’objet d’un protocole additionnel (n° 1), signé en 1952. Deuxième problème: quelles sont les conditions, les modalités de garantie de ces droits? Deux systèmes étaient possibles: on a songé à créer une liste de droits et prévoir les modalités d’application, d’exercice de chaque droit dans chaque État. On aurait pu songer à créer une codification des droits de l’homme… Ceci aurait poussé à créer des textes d’harmonisation qui auraient assuré la garantie des droits protégés. Ce système aurait été très efficace et sûr, mais impraticable. Il eût fallu unifier les textes nationaux touchant les droits et libertés des États (Code de procédure pénale, lois sur la presse, organisation syndicale). Si, en théorie, c’était le système le plus sûr, c’était surtout le plus sûr pour faire échouer la CESDH. Il fut simplement prévu une liste de droits. Il appartient, au terme de la CESDH, de fixer, pour chaque État, les modalités d’application des droits de l’homme. Il y a donc une marge d’appréciation pour apprécier la légalité de ces droits. Mais ceux-ci sont soumis à un système de contrôle de respect de ces droits d’une autorité supranationale, la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, sont prévues deux garanties supplémentaires: l’application des droits et libertés ne pourra donner lieu à discrimination (art. 14 de la CESDH); il peut exister des limitations aux droits garantis si celles-ci sont légitimes, mais ces limitations au droit doivent se faire dans le respect du principe de prééminence du droit. Elles ne peuvent être utilisées pour détruire ces droits. Troisième problème: comment contrôler le respect de ces droits et libertés? Trois options ont été proposées: - la première consistait à accorder, aux individus, aux ressortissants des États membres de l’UE, un simple droit de pétition devant le Conseil de l’Europe établi. Il fut rejeté à l’unanimité des membres de la Commission juridique. L’autorité chargée d’examiner ces plaintes n’a aucune obligation de revenir sur ces plaintes; - la deuxième solution consistait à confier la garantie des droits à une commission rattachée au CE, indépendante, composée de personnalités indépendantes des États, qui aurait pour tâche de recevoir les plaintes, de les instruire, de trouver une solution de conciliation, et au cas où il n’y aurait pas de solution de conciliation, d’adresser une requête à l’État en cause; - la troisième solution consistait en la création d’une cour juridictionnelle, chargée de faire respecter ces droits de l’homme. Ceci est révolutionnaire, car on confie la décision finale à une juridiction supranationale, reposant sur des principes procéduraux et qui rend une décision par arrêt de justice, ayant autorité de la chose jugée. Il s’agissait d’un système proprement révolutionnaire. L’obstacle majeur contre un tel système était celui de la souveraineté nationale. La souveraineté d’un État est la qualité reconnue à tout État d’agir librement, de façon indépendante, de n’être enfermé dans aucun rapport de subordination autre que ceux qu’il veut bien adopter. Or, il est évident qu’un tel système est de nature à limiter l’autonomie de l’État sur son propre territoire. Il s’agit d’assurer en Europe la souveraineté du droit, en contrepartie de quoi la souveraineté des États s’affaiblit. Le tribunal pour l’ex-Yougoslavie a rendu un arrêt Tadic en 1995, dans lequel le tribunal dit que « ce serait une parodie du droit et une trahison du droit international de justice si le concept de souveraineté pouvait être soulevé à l’encontre des droits de l’homme ». II Genèse du droit communautaire ou comment « mettre La construction communautaire a la même inspiration que la CESDH. Ceci est dans les conclusions de la conférence de La Haye de 1948. Ce projet d’intégration économique va suivre une chemin parallèle, différent de celui de la rédaction des droits de l’homme. Le projet communautaire, lui, est né d’un acte isolé, individuel, politique, d’un coup d’éclat accompli par un personnage très important, Robert Schuman, qui s’exprime au nom du Gouvernement français dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay, cinq ans après la capitulation de l’Allemagne, un an après la proclamation de la loi fondamentale allemande, un jour avant la réunion, à Londres de représentants français, anglais et américains pour se prononcer sur l’avenir de l’Allemagne. Il prit soin, le 8 mai, de prévenir Konrad Adenauer de la teneur de son discours. Cette déclaration Schuman procède de l’inspiration quasi-exclusive de Jean Monnet (doc. 9, p. 35). Cette déclaration réunit toute l’essence du projet communautaire. Que propose-t-il? Il propose de construire, sur un pied d’égalité avec l’Allemagne - et avec tous ceux qui voudront s’y joindre - une Europe unie nouvelle qui décide de mettre en commun des productions dans le but de créer des richesses, mais surtout, de créer des liens de solidarité entre les peuples européens, et donc de contribuer à la paix des pays d’Europe. Ceci passe par une communauté d’action. Cette déclaration part du constat que l’Europe est faible et que la paix mondiale ne saurait être préservée sans une œuvre à la hauteur de la menace. Il faut faire en sorte que l’Allemagne cesse d’être un enjeu stratégique pour les deux puissances. Il faut la réorganisation de l’Europe. Une partie importante de la population française revendique l’occupation de la Ruhr et de la Sarre. Une grande partie de la population redoute encore un relèvement économique et militaire de l’Allemagne. Schuman propose donc une coopération économique. Pour créer l’Europe, il ne faut pas tenter tout de suite une construction d’ensemble il faut passer par des médiations, une coopération de fait sur des points concrets dit Schuman. Il faut créer des liens sectoriels, et un point sectoriel mais décisif: celui du charbon et de l’acier, cette production étant à l’origine de l’armement. C’est une production située sur un territoire stratégique, partagé entre l’est de la France et l’ouest de l’Allemagne. C’est une zone de conflit historique et un territoire stratégique. Si on parvient à mettre ces ressources en commun, la solidarité de production qui sera ainsi nouée fera que toute guerre entre la France et l’Allemagne deviendra impensable, et même matériellement impossible. Mais il ne faut pas s’arrêter à cela. A travers ce projet très limité et technique, l’ambition est tout de suite une ambition beaucoup plus élevée: la mise en commun des productions économiques en vue de la constitution d’une fédération européenne. Ceci passe par l’unité juridique qui présage l’unité politique de l’Europe. C’est ce parcours-là qui est en jeu. Cette intégration devra se faire par secteur, par État. Il restait à imaginer un appareil institutionnel pour mettre en œuvre ceci: or, cela, la déclaration le prévoit. Elle propose aux État intéressés de se dessaisir de certaines de leurs compétences, au profit d’une Haute Autorité commune (Commission des communautés européennes) qui sera composée de personnalités européennes. Cet organe européen, en outre, bénéficie de pouvoirs contraignants à l’égard d’États qui s’y soumettent. On aura un réel gouvernement de l’UE dans des domaines décisifs. Telle est la proposition de Schuman. Les idées fortes qui sont derrière ce projet sont les mêmes que celles qui poussèrent à la rédaction de la CESDH (horreurs perpétrées par les États…). Il y a aussi une autre idée qui se superpose à celle-ci, qui revient souvent chez Jean Monnet: c’est l’idée que les rivalités entre États, les rivalités nationales, que l’excès de séparation entre États, entraînent un risque majeur, qui est le suivant: c’est le risque que certains États n’utilisent leur puissance, leur autonomie, pour sortir de leurs frontières et étendre leur hégémonie sur d’autres États. Cette tentation hégémonique a conduit l’Europe, pendant des siècles, à des guerres meurtrières. La référence, ce n’est pas tant Auschwitz plutôt que Munich, avec la volonté d’asservir les autres puissances européennes. La communauté des nations mènera à la mise en place d’interdépendance des pays européens, à la création de communautés d’intérêt entres les États. Or, de ce point de vue, le projet de communauté est présenté non comme une remise en cause mais comme une garantie que la souveraineté sera sauvegardée en luttant contre les concentrations de pouvoir et les tendances hégémoniques, que cela se passe sur le plan militaire ou économique. Il s’agit d’accomplir une double révolution: temporelle et géographique. Temporelle: Jean Monnet constate que les européens ont une vie au ralenti: les européens consomment deux fois moins de charbon que les citoyens américains. Il faut augmenter le niveau de vie européen. Géographique: il s’agit de se sortir de l’affrontement des deux puissances et créer un grand marché pouvant concurrencer les marchés américain et soviétique. Cette déclaration fut très appréciée, et le Chancelier allemand Konrad Adenauer prend ce discours comme une chance de trouver une légitimité et de rentrer dans le concert des nations et de faire entrer l’Allemagne fédérale dans la démocratie. Les pays du Benelux (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg) se joignent très vite à cette idée. Une conférence se réunit à Paris afin de créer la CECA, réunissant six États européens, par le traité de Paris du 18 avril 1951 qui entrera en vigueur le 25 juillet 1952. Un État européen refuse très vite et catégoriquement d’appliquer les principes de Schuman, et ne voulait pas accepter le transfert de souveraineté que supposait ce projet: le RoyaumeUni. Le représentant britannique invité à la réunion dit que le traité: « n’a aucune chance d’être conclu; s’il était conclu, il n’aurait aucune chance d’être ratifié; s’il était ratifié, il n’aurait aucune chance d’être accepté; s’il était accepté, il n’aurait aucune chance d’être appliqué; si tant était qu’il fût appliqué, il ne plairait pas au Royaume-Uni de GrandeBretagne ». Cette méthode précisée en 1951 repose sur un principe décisif, acquis à cette époque: celle du transfert librement consenti par les États et leur parlement, de grandes parts de la souveraineté nationale à une autorité commune disposant de pouvoirs importants. C’est ce même principe qui sera étendu lors de la création de la CEE en 1957 et de l’UE en 1992. Ce qui distingue de manière décisive l’Union actuelle des Communautés originaires, ce n’est pas la structure mais l’intensité, la multiplication du recours à ce principe, l’accélération du rythme d’intégration et donc l’extension de la capacité reconnue à l’Union pour agir dans des domaines de plus en plus étendus. Cette multiplication des conséquences du transfert de souveraineté. C’est de là que vient la nécessité de consentir, pour les États, non par la voie parlementaire mais populaire. Chapitre 3 L’intégration juridique européenne Section 1 Les principes de l’intégration juridique I Une législation commune On a longtemps présenté - et il est encore d’usage de le faire - le droit de l’intégration comme différent du droit international classique. Il comporterait, différemment du droit international, une originalité qui serait qu’il s’impose aux État membres. L’arrêt célèbre de la CJCE du 15 juillet 1964 (Costa c. Lenel) dit: « à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres et qui s’impose à leur juridiction ». C’est à cette formulation que le Conseil constitutionnel fait référence lorsqu’il explique qu’il existe un « ordre juridique communautaire intégré, distinct du droit international ». De la même façon, et plus tardivement que la CJCE, la CEDH qualifie la CESDH non pas comme un traité classique mais comme « un instrument constitutionnel de l’ordre public européen » (23 mars 1995, Loisidu c. Turquie). Que penser de cette thèse de l’autonomie du droit européen? Elle n’est pas tout à fait rigoureuse: les institutions européennes proviennent de traités, donc des règles classiques du droit international, règles ratifiées par la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1959. Autre pierre jetée dans le camp de ceux qui pensent que le droit communautaire est un droit à part: les juridictions européennes font appel au droit international et s’en inspirent pour régler les litiges qui lui sont présentés. Il y a, néanmoins, une certaine vérité: le droit européen a développé, a acquis des caractères qui sont proches des caractère de droit interne de rang supérieur, d’un droit constitutionnel, interne au droit des États parties à la Convention. Le respect de ce droit est confié en dernière instance à la compétence exclusive et obligatoire de juridictions créées spécialement à cet effet. Une décision ne pourra être prise sans l’accord de l’un d’entre les États. Or, dans le cadre des organisations européennes, l’engagement est tout autre et tient en trois points: - autant pour la CESDH que pour l’UE: c’est un transfert de compétence définitif, objectif, en ce sens que chaque État s’engage de manière inconditionnelle à respecter les obligations qui découlent de son appartenance, en écartant toute réserve de réciprocité. D’autre part, l’État s’engage, dans ces traités, à abandonner tout pouvoir d’interprétation. Un État ne pourra pas remplir ses obligations sous réserve que les autres États les remplissent aussi. Tout système d’intégration repose sur de la confiance mutuelle. Le transfert de compétence européen concerne un champ d’application matérielle extrêmement large. La CESDH couvre, par définition, un champ extrêmement large. Les champs de compétences européens n’ont cessé de s’agrandir, ce qui fait qu’il n’y a plus, aujourd’hui, de noyau de souveraineté qui ne soit sous domination de l’UE; - parfois, dans les domaines concernés par ces transferts de souveraineté, les pouvoirs transférés aux organes européens sont des pouvoirs de décision contraignants. Ces organes peuvent créer du droit directement applicable aussi bien aux États membres de l’organisation qu’à leurs ressortissants. Par l’effet de l’intégration, les organes de l’État deviennent pour partie des organes européens chargés d’appliquer le droit européen sur le sol national. Par l’intégration européenne, les citoyens de ces États peuvent se prévaloir à l’encontre de leurs autorités nationales des droits tirés de la transformation européenne. Les particuliers, les individus, sont érigés en agents de contestation de l’État national qui ne respecterait pas le droit européen; - le droit européen a acquis une grande autorité, qui fut mise en lumière à propos du droit communautaire par la CJCE dans l’arrêt du 15 juillet 1964, Costa c. Lenel. Dans cet arrêt, la Cour déclare: « en instituant une communauté de durée illimitée, dotée d’institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d’une capacité de représentation nationale, et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d’un transfert d’attributions, les États ont limité [mais cette réserve n’est plus d’usage aujourd’hui] dans des domaines particuliers leur droit et leurs citoyens. Le transfert des États des droits et obligations correspondant aux obligations du traité, ce droit entraîne donc une limitation définitive de leur droit souverain contre laquelle ne saurait être incompatible un droit national ultérieur »: dans ces conditions, aucun droit national ne peut s’opposer au droit européen. Les États consentent à se soumettre au droit développé par l’UE et à la juridiction européenne. De cette déclaration de principe à la mise en œuvre pratique de ce droit supranational, il y a un monde. L’autorité du droit européen serait resté lettre morte s’il n’y avait eu des justiciable qui se seraient emparés du droit européen pour le faire respecter et s’il n’y avait eu des juridictions nationales capables de tirer toutes les conséquences de l’intégration, c’est-à-dire d’éliminer des lois nationales contraires aux engagements européens de l’État en question. Il y a, toutefois, une différence qui distingue le cadre de la convention et le cadre communautaire. Dans le cadre de la CESDH, il s’agit essentiellement de transférer à la CEDH des pouvoirs de contrôle. Le transfert se concrétise par un encadrement des États parties à la Convention. C’est le même système qui conduisit au contrôle de la constitutionnalité. L’intégration européenne, dans ce cas, emprunte une logique de constitutionnalisation. Il s’agit de soumettre les règles étatiques à des règles supérieures. Dans le cadre du processus européen d’intégration, ce n’est pas simplement le législateur qui est soumis à un contrôle national: dans le cadre communautaire, il s’agit de soumettre l’ensemble des organes de l’État au respect de ces règles fondamentales. Il s’agit de sortir les libertés individuelles du domaine réservé des États et de confier leur respect à des organes supranationaux. Cette logique pose un problème de légitimité car, à la différence des organes nationaux, les organes européens ne peuvent pas se revendiquer de la légitimité d’une identité constitutionnelle, nationale et d’une légitimité populaire. Elle repose sur des principes communs, sur des valeurs communes, sur un ordre public européen, défini par les États qui signent la CESDH et pour grande part par les juges européens de Strasbourg. Ceci explique la méfiance des États vis-à-vis de ces organes européens. Les organes européens ont une surveillance constante des organes nationaux, et font donc peser un risque permanent de censure des actes créés par ces organes nationaux. Les États ont une obligation d’abstention, de s’abstenir du fait que les pouvoirs conférés sont neutres. Par exception, il arrive que la CEDH impose également des obligations positives aux États, des obligations d’agir: par ex., le droit au respect de la vie familiale implique non seulement que l’État s’abstienne d’ingérence dans la vie familiale de ses ressortissants, mais aussi que les parents séparés entretiennent des contacts réguliers avec leurs enfants. Dans le cadre communautaire, il ne s’agit pas d’octroyer aux organes européens des pouvoirs de contrôle, mais également des pouvoirs de légiférer, la faculté de développer des politiques communes. Cela permet soit de les développer de manière exclusive (c’est le cas en manière monétaire, en matière de commerce extérieur, pour une grande part, les négociations dans le cadre de l‘OMC sont une compétence absolue de l‘UE), soit de développer des politiques communes en parallèle (importance de la PAC, droit de l‘environnement, développé d‘abord sous l‘impulsion de la communauté européenne, en matière sociale également). Sur le plan théorique, il y a mise en commun, et la logique n’est plus de constitutionnalisation mais de centralisation des pouvoirs d’action, de décision, au profit des institutions européennes. Elle fait remontrer les pouvoirs de l’État à l’échelon européen. Les obligations qui pèsent sur les États membres n’est plus celle de l’abstention: c’est également des opérations de coopération, et ce essentiellement, et d’exécution loyale du droit produit par les institutions européennes (obligation de collaborer avec la Commission européenne pour les États, appliquer le droit européen pour les juges…). Dès lors, les États membres se trouvent dessaisis d’une part importante de leurs prérogatives et se trouvent subordonnés aux organes européens. Ils sont soumis à un système de sanctions prévu et organisé par le droit communautaire. II La création d’institutions communes Pour que la méthode d’intégration soit complète, il ne suffit pas d’avoir une volonté de l’État de s’engager. Il faut, en outre, créer des organes durables, une institutionnalisation de cette volonté et la délégation de pouvoirs souverains. Or, cette institutionnalisation prend une double forme dans le cadre européen. Les organes européens ne fonctionnent pas que sur la base d’organisations interétatiques, mais aussi sur des organes communs d’un double genre: - il y a des organes délibérants, composés de représentants des États membres, qui tirent leur légitimité de leur représentation des États parties à l’organisation. Tout le pouvoir dérive des États et de leur coopération; - il y a, à côté de ces institutions représentatives, l’apparition d’institutions non représentatives, dotées d’un pouvoir indépendant, tierces par rapport aux États, chargées d’arbitrer de manière indépendante les conflits entre les États d’une part, et entre les États et les institutions européennes chargées du respect du droit européen par ces États d’autre part. Les institutions communes sont de deux genres: organes délibérants, de représentation et, dans le cadre de ces organisations, des organes non représentatifs (ne représentent ni les gouvernements ni les parlements) mais ont pour mission de vérifier l’application du droit européen dans les États membres. Quant aux organes délibérants, il faut bien distinguer le cas du Conseil de l’Europe du cas de l’Union et des Communautés européennes. Les organes délibérants du Conseil de l’Europe sont le Comité des ministres et l’Assemblée parlementaire. Or, ces deux organes, dans leur fonctionnement, innovent très peu par rapport aux organes délibérants des autres organisations internationales. Le Comité des ministres prend ses décisions à l’unanimité et l’Assemblée parlementaire est une simple assemblée consultative. Ces résolutions ne contraignent personne. Ce n’est pas par cela que le Conseil de l’Europe se distingue en tant qu’organisation d’intégration: il se distingue par le système juridictionnel mis en place pour la CEDH. Quels sont les organes de délibération essentiels? Le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen, deux organes qui sont les équivalents des organes nationaux. Mais par leur structure et leur fonctionnement, ces deux organes innovent et introduisent des nouveaux principes de représentativité. Le Conseil des ministres, sa caractéristique essentielle est qu’il exerce son pouvoir législatif en recourrant au vote majoritaire. La règle de l’unanimité qui prévaut dans l’ensemble des organisations internationales est mise de côté. Une décision peut s’imposer à un État membre sans que celui-ci ait donné son consentement à la prise de la décision qu’on lui impose. Quant au Parlement européen, il est devenu progressivement un véritable organe de décisions; le Parlement est un corps législatif avec des lacunes, mais il prend des décisions avec le Conseil, et les membres du Parlement sont élus au suffrage universel direct et ne sont pas que les représentants des parlements nationaux. Quant aux organes qui ne procèdent pas de l’élection, ils sont de deux sortes. Il y a l’organe commun que l’on retrouve au Conseil de l’Europe et dans les Communautés européennes: un organe juridictionnel, une Cour de justice dont la tâche est de faire respecter les principes fondamentaux consacrés par les textes européens. La Cour de Luxembourg (CJCE) et celle de Strasbourg (CEDH) ont une inspiration similaire: l’idée est de confier à un organe indépendant et impartial, qui a une compétence obligatoire, qui dispose de pouvoirs juridictionnels, le respect du droit européen. La conséquence d’un tel organe est qu’il est exclu, dès lors, que les États membres de ces organisations se fassent justice à eux-mêmes. S’ils constatent une violation des règles européennes, dans le cadre de la CESDH ou de l’UE, ils doivent s’en remettre à l’autorité de la cour de justice créée à cet effet qui, dès lors, est une autorité souveraine en matière d’interprétation des règles européennes. Se pose la question de la légitimité des juges européens. Cette légitimité est puisée dans les traités européens et dans les valeurs communes. Il n’est pas sûr que les rédacteurs aient eu conscience de la portée d’une cour européenne. Comme elles font partie intégrante des organisations européennes, les cours de justice conçoivent leur mission comme intégratrice et unificatrice. Les juges européens affirmèrent leur emprise considérable, d’ailleurs par le consentement implicite des gouvernements qui se plièrent aux décisions prises par les juges européens, quelles que soient les conséquences de ces décisions. Il y a aussi, dans ce système communautaire, tout un ensemble d’organes indépendants qui sont de nature unificatrice et ont une vue collective. Dans le cadre des Communautés européennes, on parle de la Commission européenne, qui est un organe indépendant, et se substitue à la Haute Autorité, mise en place dans le cadre de la CECA. La Commission européennes est un organe politique, qui a le pouvoir d’initiative législative, et un organe double: c’est à la fois un Gouvernement et une administration. Cet organe est chargé du respect des règles communautaires par les États et par les opérateurs économiques. Il s’agit de placer au-dessus des États un organe chargé de l’intérêt commun. L’art. 8 prévoit l’instauration d’une Banque centrale européenne chargée de définir la politique monétaire des pays ayant adopté l’Euro et dotée d’une totale indépendance vis-à-vis des organes européens et des États. Il s’agit, précisément, de lui permettre de conduire la politique monétaire de façon tout à fait indépendante et de poursuivre un objectif unique: la lutte contre l’inflation et pour la stabilité des prix. Par conséquent, au total, le système institutionnel d’intégration repose sur deux caractère essentiels: - un pouvoir de contrainte reconnu aux organes européens; - le caractère d’indépendance de certains de ces organes chargés de l’application de ce droit européen. Au niveau international, on notera l’existence de l’OMC et, de l’autre côté, en matière politique, on pense à l’ONU. Il existe un Conseil des droits de l’homme à l’ONU. Il fonctionne sur la base de simples rapports diplomatiques. Section 2 Les limites et les contradiction du projet d’intégration Compte tenu du contexte historique, des principes constitutifs du projet d’intégration, il est inévitable que ce projet créé des contradictions inhérentes au processus d’intégration européenne qui peuvent le faciliter ou provoquer des crises en Europe. Elles accompagnent le processus même d’intégration, dont la perception est devenue extrêmement vive sur le débat consistant sur le traité de constitution européenne. I Les contradictions d’ordre politique Ce sont les plus chargées d’idéologie, et elles concernent particulièrement l’UE qui se dit véritable organisation d’intégration politique. Ces contradictions sont nombreuses. On en retiendra deux: - la première est inscrite dans le projet même d’intégration. L’unification européenne s’est construite bien après que les États européens aient été constitués. L’unification se fonde sur des États qui sont historiquement constitués, dotés de structures constitutionnelles et administratives très fortes et animés d’un sentiment national très fort. Aux E-U, il n’y a que dix ans qui sépare la Déclaration d’indépendance et l’adoption d’une Constitution fédérale. On voit donc les deux degrés de pouvoirs: des États et de l’État fédéral, ces deux pouvoirs s’étant construits ensemble. Cela a favorisé la conscience progressive d’un véritable peuple et d’une vision et d’un avenir communs. En Europe, la mise en commun des ressources, des droits et des structures a dû tenir compte du fait national, du fait qu’il existe des peuples différents qui n’ont pas vocation à disparaître mais à se rapprocher. Comment faire en sorte que puissent s’édifier une structure, une conscience communes, en Europe, sans sacrifier les identités et les différences européennes? C’est sur cette question que naît une très vieille querelle entre les partisans d’une Europe fédérale et d’une Europe des Nations ou des Patries. Pour les partisans de l’Europe fédérale, il s’agirait de créer une entité nationale nouvelle dans laquelle se fondraient les différences étatiques, tandis que les autres défendent l’idée d’une simple concertation gouvernementale, plus respectueuse des souverainetés nationales qu’elle ne l’est aujourd’hui. L’Europe joue entre le principe de respect des États et de supranationalité. L’UE telle qu’elle est conçue pousse l’intégration bien plus loin que dans les organisations internationales classiques mais laisse une autonomie aux États bien plus grande que celle des États fédérés dans les États fédéraux. Jacques Delors a dit que l’UE devrait être une Fédération d’États-nations. Il y a des éléments de simple coopération, comme dans le cadre de la politique étrangère. Mais on ne dit pas alors vers quelle direction doit se diriger l’UE; - la deuxième concerne non pas la nature du projet d’intégration mais concerne le régime politique de l’UE. L’Europe communautaire des origines est conçue comme une machine fonctionnelle. Elle fonctionne par des consensus formés par des États. L’UE repose sur un appareil administratif fiable, et sur une structure juridictionnelle indépendante. Il s’agit de s’écarter des pratiques diplomatiques habituelles et des calculs d’intérêt, des marchandages entre les différents intérêts des États. C’est ce qu’on appelle la méthode communautaire, par des décisions juridictionnelles. Il y a, à l’origine, un certain abaissement de la chose politique, une mise à l’écart de la délibération citoyenne. Il n’y a pas de délibération des grands choix européens, et cela a été délibérément choisi pour accélérer la mise en place des organes européens. Cette méthode souffre d’une crise de légitimité. On parle d’une crise démocratique de l’UE. Il s’agit de trouver des remèdes à cette crise de légitimité. Dans la mesure où l’UE veut, à présent, se revendiquer de valeurs et non uniquement d’objectifs, il parait difficile d’écarter les citoyens de la délibération des grands choix en matière européenne. L’UE a développé des garanties juridiques, juridictionnelles, de l’État de droit. Mais ce qu’elle n’a pas fait suffisamment, c’est des garanties démocratiques, de participation populaire au processus de décisions. Certains proposent de dénationaliser la démocratie, en organisant la création de partis politiques européens, de développer un Parlement européen, la création d’ONG représentant l’UE, en créant un espace public européen qui ne soit pas composé que de juges et d’experts, mais qui laisse une place aux partis politiques structurés à l’échelle de l’UE, aux syndicats et aux médias. L’idée est de développer une entité européenne. Dans la Constitution européenne, il y a un principe de démocratie participative à développer dans l’UE. Oui, mais cette politisation de l’UE comporte aussi de grands risques, notamment celui de créer des tensions idéologiques difficiles à maîtriser, qui conduiraient à la dislocation de structures européennes fragiles. Dans la méthode constitutionnelle de l’élaboration de la Constitution européenne, il fut fait appel à des ONG représentant les peuples. Il était cependant très difficile d’encadrer des débats européens autour des enjeux réels de l’avenir de l’UE. Dans la mesure où il n’existe pas d’espace public européen, il y a toujours la tentation de détourner les questions, de les simplifier au profit de conflits partisans de nature purement nationale. Certains pensent qu’il faudrait plutôt, au contraire d’une constitutionnalisation de l’Europe, rénover la méthode fonctionnelle qui fut si fructueuse. Il s’agirait non d’entreprendre une grande construction politique mais de revenir à l’adoption de projets concrets, limités, dont la direction appartiendrait à des structures légères, à des agences indépendantes confiées à des experts indépendants et des représentants de la société civile européenne. Or, il y a cette tendance dans l’UE et la création dans le cadre de l’UE de nombreuses agences indépendantes, présentées comme le fondement d’une nouvelle gouvernance européenne (ex: agence pour la sécurité alimentaire, pour l’environnement et, dernièrement, a été créée l’agence pour les droits fondamentaux de l’UE). II Les contradictions socioéconomiques Ce n’est pas un secret, la construction européenne repose sur le principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. Le but est de créer un marché économique commun en supprimant les frontières économiques entre les différents marchés des États membres. Il y a une méfiance à l’égard des États et des protections nationales qui seraient susceptibles d’être des freins et barrières à la concurrence. Ceci reposait sur des principes communs: l’établissement d’un marché commun n’affectait pas les questions de nature sociale qui devaient demeurer de la seule responsabilité des États. D’autre part, il y avait l’idée que, précisément, l’établissement d’un marché commun devait entraîner mécaniquement un bénéfice économique et social et entraîner plus de ressources sociales pour les États membres participant à la construction de ce marché. Ceci s’est révélé assez vite insuffisant dans un double sens: il est apparu assez vite que certaines règles de protections nationales constituaient des obstacles au développement du marché commun. Comment cela? Pour faire fonctionner le marché commun, il faut faciliter la libre circulation des salariés, des travailleurs. Il est apparu nécessaire de coordonner les règles en matière de conditions de travail, de sécurité sociale, afin que le travailleur social soit plus libre de se déplacer dans cet espace. L’apport du droit communautaire sur l’égalité hommes/femmes est principalement économique. A l’inverse, il est apparu que les règles économiques du marché affectaient indirectement les bases mêmes de l’Étatprovidence. Comment? Si les frontières sont ouvertes, si les flux sont libres sur le territoire européen, s’il n’y a plus de barrières, il y a tout lieu de croire que la production de biens et de services se délocalise en Europe vers les territoires où les charges fiscales sont les moins élevées, où les coûts fiscaux et les impôts sont les moins élevés. Il y a un risque de concurrence entre les systèmes nationaux fiscaux et sociaux. Il y a un risque de nivellement par le bas, en Europe, des standards de protection sociale. Ce risque, très limité tant que les économies européennes étaient très proches les unes des autres, est devenu très préoccupant depuis l’entrée, en 2004, d’économies encore très faibles. De là la nécessité de développer une certaine harmonisation fiscale et sociale, et d’accompagner la mise en œuvre des libertés économiques par l’instauration de véritables politiques fiscales au niveau européen. Or, il reste très difficile de discuter sur une éventuelle harmonisation car les modèles sociaux sont très différents. Ce qui est remarquable est qu’en ce qui concerne les droits sociaux, l’UE laisse s’appliquer les droits nationaux. Le système actuel est fondé sur le partage des tâches, la modernisation économique, mais pour lesquelles les États se réservent les politiques en matières économique et sociale. Il y a donc une différence entre les partisans d’une Europe libérale et ceux d’une Europe plus sociale. Le rôle du Conseil de l’Europe est fondé sur les libertés sociales. Il est fondé sur la préservation des libertés individuelles. Cette défense des libertés reste prioritaire. Le contexte a changé, évolué, sous l’influence de divers phénomènes. L’ouverture des frontières économiques avait pour effet de créer de nouveaux risques en Europe en matière sanitaire (crise de la vache folle), environnementale et dans le crime organisé. Il y a de nouvelles menaces que font peser sur les sociétés européennes les évènements résultant du 11 septembre 2001 qui créa chez les européens des attentes très fortes de sécurité. Ce qui importe, c’est la sécurité. Il y a la nécessité de développer en Europe la coopération en matière de sécurité intérieure. Si on développe cette coopération, il y a le risque qu’elle se fasse au détriment des libertés individuelles (actes adoptés aux E-U, dont le Patriot Act, critiqué pour les menaces qu’il fait peser sur les libertés individuelles). Il y a la nécessité de trouver un équilibre. Deux exemples devant la CJCE: - actuellement, elle est saisie du cas de citoyens européens, ou bien d’individus y résidant, qui sont soupçonnés d’être des terroristes liés à Al-Qaïda. Ces personnes ont fait l’objet de mesures de vérifications et de sanctions de la part du Conseil de sécurité des Nations unies qui consistent en le gel des avoirs de telles personnes. La résolution du Conseil de sécurité fut transposée par une décision du Conseil de l’UE. Les personnes concernées ont saisi la CJCE d’un recours visant à annuler la décision du Conseil qui avait gelé leurs fonds sur la violation du droit à un procès équitable et violation du droit de propriété. Il y a la nécessité de trouver un équilibre entre les impératifs de sécurité internationale. Le tribunal de première instance des Communautés européennes a rendu deux arrêts Youssouf et Khadi qui font l’objet d’un appel; - en mai 2006, la CJCE eut à connaître d’un accord international passé entre les E-U et la Communauté européenne, et qui autorise le transfert des données personnelles des passagers des compagnies aériennes qui desservent les aéroports des E-U. Il y a une difficulté résultant de la mise en cause du droit au respect de la vie privée. Cet accord fut annulé par la CJCE pour vice de forme mais, le 23 octobre 2006, un nouvel accord fut signé. III Les contradictions juridiques Celles-ci se situent à deux niveaux. Elles résultent du dédoublement du processus d’intégration. Il existe deux Europes intégrées qui correspondent à une division des tâches: l’Europe des droits de l’homme et l’Europe du marché, l’Europe communautaire. Ceci aurait marché si les deux s’étaient occupées de matières différentes. Or, ce n’est pas le cas. Le fait est que l’Europe communautaire, les communautés de l’UE, ont progressivement développé des principes de protection des droits de l’homme identiques à ceux développés par la CESDH. Il y a donc en Europe, aujourd’hui, deux ordres juridiques supranationaux sans que l’une des deux Europes ne soit subordonnée à l’autre, d’où le risque de contradictions qu’il existe dans les deux ordres juridiques européens. Or, il y a dualité de juridictions donc, inévitablement, contradictions des décisions juridictionnelles. Il y a une CJCE et une CEDH qui sont toutes deux chargées de faire respecter les mêmes droits. Chacune des deux juridictions européennes prend en considération la jurisprudence de l’autre: il y a une tendance à respecter la jurisprudence de la CEDH par la CJCE. On s’est demandé si l’art. 8 de la CESDH (protection du domicile) devait être respecté par les entreprises: la CEDH a dit que « oui » et la CJCE avait, elle, dit que « non ». Autre contradiction: il faut prendre en compte, dans l’espace juridique européen, les exigences constitutionnelles des États: s’y ajoutent un ordre européen d’une part et des ordres constitutionnels nationaux d’autre part. Les juridictions européennes n’ont pas de mal à poser le principe de la supériorité des règles européennes sur les normes de droit interne, y compris sur les dispositions constitutionnelles nationales. Cette jurisprudence n’est pas partagée en Europe: les cours suprêmes nationales font, elles, prévaloir leur constitution sur les règles européennes qui sont, de leur point de vue, des règles étrangères. C’est le sens de nombreuses cours suprêmes et tribunaux constitutionnels en Europe. La Cour de cassation et le CE, en France, (CE Ass., 8 février 2007, Arcelor): « la suprématie conférée aux engagements internationaux ne saurait s’imposer dans l’ordre interne aux principes et aux dispositions à valeur constitutionnelle ». Cette jurisprudence fait écho à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui juge qu’une loi nationale de transposition d’une directive communautaire bénéficie d’une certaine immunité de par l’obligation de l’État français de respecter ses engagements, pourvu simplement que cette loi ne mette pas en cause une règle ou un principe « inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ». Il y a, en France et dans de nombreux États, deux hiérarchies des normes, ou en tout cas deux points de vue distincts: le point de vue européen (Strasbourg et Luxembourg) qui pose la primauté du droit européen sur les dispositions nationales même constitutionnelles, et le point de vue national qui refuse que les dispositions européennes s’imposent aux dispositions nationales. Ce pluralisme ne changera pas. Ceci aboutira à des conflits constitutionnels: interprétations dans le cas de l’interprétation de la CESDH et opposition entre normes communautaires et normes nationales. Il faudra maîtriser tant le droit communautaire de la CJCE, la jurisprudence de la CEDH et les normes nationales. L’Europe est dissociée selon l’interprétation à donner: chaque interprétation ne peut être remise en cause dans son cadre national. Cela veut dire que ce projet n’a de chances de fonctionner réellement que s’il y a une reconnaissance mutuelle entre ordres juridiques concurrents. S’il y a différence, méconnaissance, le système européen court de grands risques d’éclater. Ceci suppose une grande compatibilité des principes fondamentaux des différents ordres. Il faut qu’il y ait également une certaine bienveillance des autorités suprêmes de chacun de ces ordres juridiques à l’égard des autres ordres concurrents. Partie II Le système européen d’intégration Les organes européens ne sont pas des organes purement d’intégration: le Conseil de l’Europe reste, pour l’essentiel, une organisation de coopération. Le système européen intègre le système de protection des droits de l’homme (CESDH) intégrés aux systèmes nationaux. Dans le cadre des CE, s’est ajoutée l’UE, et ce système comporte, dans la mesure où l’UE ne cesse d’élargir ses domaines d’intervention, des domaines qui sont moins intégrés, des domaines dans lesquels il y a une coopération et où les méthodes nationales sont appliquées. On retient cette hybridité qui caractérise ces deux organisations. Chapitre 1 Le Conseil de l’Europe C’est la mise en place d’une organisation après la Seconde Guerre mondiale: le traité est signé en mai 1949 et il commence à fonctionner à Strasbourg à l’été de cette même année. Cette première réunion suscita un espoir très important en Europe. Beaucoup pensaient que le Conseil serait chargé d’adopter une Constitution européenne et formerait un Parlement européen. Mais il est évident qu’à l’époque, les gouvernements qui participent sur la voie européenne ne veulent pas s’engager sur la voie fédérale. Pour eux, la reconstruction de l’Europe devait passer par des accords et non par la représentation universelle directe des peuples européens. C’est, avant tout, ce Conseil, une organisation intergouvernementale qui a des compétences très limitées, des pouvoirs très limités, et exercés sur un mode intergouvernemental. Ce qui va transformer le Conseil de l’Europe, c’est la signature de la première convention élaborée par le Conseil en 1950, la CESDH. Cette convention a un caractère très différent de l’ensemble des autres accords qui caractérisent les accords européens: une Cour de justice est créée. Le système de la Convention va rétroagir sur le système de la CEDH: on va mobiliser l’ensemble des organes du Conseil de l’Europe au service de la protection des droits de l’homme. Section 1 La proposition du Conseil de l’Europe Le Royaume-Uni, la France et les pays du Benelux ainsi que les cinq États invités lors des négociations (Danemark, Norvège, Suède, Italie et Irlande) ont créé le Conseil de l’Europe: ce Conseil ne cessa de s’agrandir pour atteindre aujourd’hui 46 États. Entre 1990 et 1992, il s’ouvrit à une vague de pays anciennement soviétiques: Pologne en 1991, Fédération de Russie le 28 février 1996. L’art. 5 du Conseil prévoit que le Comité des ministres peut inviter tout autre pays européen non membre du Conseil de l’Europe à être un membre associé: encore faut-il que ce soit un État européen. Le Comité des ministres va créer des statuts spéciaux pour des États invités, observateurs, y compris pour des États qui ne sont pas européens: le Canada, le Japon, les États-Unis, le Mexique, le Saint-Siège. Il y a des modalités d’association qui existent entre le Conseil de l’Europe et l’UE. La Commission des CE est régulièrement invitée aux débats du Comité des ministres et, à l’inverse, des représentants du Conseil de l’Europe sont invités à l’UE. Dans le conseil d’administration des droit fondamentaux de l’UE, il y aura un représentant du Conseil de l’Europe. I L’admission Les conditions d’admission sont posées par l’art. 3 et l’art. 4 du statut (cf. p. 20 documents). Une double condition est requise: il faut être un État européen et un État pluraliste qui reconnaît le pluralisme politique. La condition géographique n’a pas posé beaucoup de problèmes: dès 1949, la Turquie fut invitée à entrer dans le Conseil de l’Europe, ce qu’elle fit en 1950. La question se posa aussi lors de la désintégration de l’URSS. La résolution 1247 de 1994 du Conseil dit: « seuls les États dont le territoire se situe en totalité ou en partie sur le continent européen peuvent demander l’admission ». On a vite dit qu’il suffit que ces pays indiquent clairement leur volonté d’être considérés comme faisant partie du continent européen. Ce qui est important, c’est la volonté d’identification de ces États aux idéaux européens. L’assemblée pose deux critères: l’existence de liens culturels et la volonté d’adhérer aux valeurs du Conseil de l’Europe. De la sorte, furent admises la Moldavie, l’Ukraine, la Russie, mais aussi les républiques du Caucase (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan). Le critère politique fut apprécié de manière souple. En 1989, le problème était double: il était impensable de transiger avec les valeurs, mais il fallait peut-être intégrer les pays qui venaient de sortir de l’URSS afin de les aider dans la transition démocratique. La participation du Conseil est comprise comme un encouragement à faire progresser la démocratie. Il s’agit d’instaurer de nouvelles garanties démocratiques, au risque d’abaisser les standards du Conseil. Des critères furent tout de même posés: l’organisation d’élections libres et démocratiques à intervalles raisonnables, et la ratification et l’adoption rapides de la CESDH. Il y a deux critères: un critère politique d’entrée dans le Conseil de l’Europe et une condition géographique. Quelle est la procédure à suivre? C’est le Comité des ministres qui adresse à l’État en cause une invitation à devenir membre, qui prend formellement la forme d’une résolution adoptée à la majorité des deux tiers des États membres. En outre, coutume conventionnelle: le Comité des ministres a pris l’habitude de consulter l’assemblée parlementaire du Conseil qui rend un avis sur l’adhésion de l’État candidat, qui ne lie pas le Comité des ministres. Cet avis a un poids fort. Un rapport est en général commandé par le Comité à deux juristes éminents sur la compatibilité de l’ordre juridique de l’État avec les exigences démocratiques et celles de l’État de droit. Sur le plan juridique, ni l’un ni l’autre ne lie le Comité des ministres. La qualité de membre est acquise une fois que l’État candidat a ratifié le traité d’adhésion qui le lie au Conseil de l’Europe. Deux cas d’États intéressants: - la Fédération de Russie a vu sa candidature prise en compte dès 1992. En 1994, le rapport des juristes indépendants est déposé au Conseil et souligne les retards très importants dans les exigences démocratiques. Mais, en février 1995, sur la base de ce rapport et devant les évènements de Tchétchénie, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adopte une résolution relative à l’adhésion de la Russie à la lumière de la guerre en Tchétchénie. L’assemblée décide de suspendre l’adhésion de la Russie et souligne par là son indépendance. L’avis de l’assemblée sera rendu une année plus tard, le 25 janvier 1996, et dès lors qu’il n’y a plus d’obstacle, le Comité invita la Russie à le rejoindre (25 février 1996). Cette adhésion a lieu au nom de considérations politiques supérieures; - la principauté de Monaco n’a pas le poids stratégique ni politique de la Russie, mais l’adhésion au Conseil de l’Europe peut demander de grandes réformes. La principauté déposa sa candidature en 1998. Le rapport des juristes soulignait le fait que l’exercice de la souveraineté de cet État est considérablement limité par ses traités avec la France. En quoi Monaco était-elle contrainte dans sa souveraineté? A raison de deux traités: le premier est signé en 1918 et prévoit qu’en contrepartie de l’assistance de la France, Monaco s’engage à s’aligner sur les grandes options politiques de la France. Par une convention de 1930, il était prévu que les postes de hauts fonctionnaires et la majorité des sièges aux tribunaux monégasques était réservée à des français. Certains dysfonctionnements du régime parlementaires étaient en plus soulignés. En 2004, le Comité rend un avis favorable sous condition de prendre les réformes qui s‘imposent (elle adhère le 5 octobre 2004). L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe imposa des procédures de contrôle et de suivi des engagements passés en adhérant aux statuts du Conseil de l’Europe. L’assemblée s’est dotée d’une commission de suivi qui présente régulièrement des rapports sur la situation des les différents États membres. L’assemblée s’est reconnue le droit de sanctionner un État qui persisterait dans son refus de procéder aux réformes, qui se traduit par la suspension des droits et des parlementaires de l’État au sein de l’assemblée. Le Comité des ministres s’est lui aussi doté d’une procédure de suivi, d’approche thématique, pays par pays, pour voir où en sont les États membres du Conseil de l’Europe. La situation en Tchétchénie a conduit l’assemblée parlementaire à imposer certaines sanctions provisoires qui furent relevées très vite. Dans le cas où la sanction politique est suspendue, il reste une voie dans le Conseil de l’Europe, la voie juridictionnelle. Alors que les organes politiques se montrent timides par rapport à la situation en Tchétchénie, la CEDH s’est prononcée par trois arrêts du 24 février 2005 sur des exactions: l’une d’elle est l’affaire Issaïeva c. Russie. Les requérantes alléguaient être victimes d’un bombardement aveugle d’un convoi civil par des avions russes, dans lesquels deux enfants de la requérante avaient été tués. La CEDH conclut en invoquant la violation à l’art. 2 (droit à la vie) de la CESDH du fait de la non protection des enfants et de l’absence d’enquête suite à ce bombardement. II Le retrait et l’expulsion Le retrait est prévu par le statut qui distingue deux cas: celui du retrait volontaire et celui du retrait forcé. L’art. 7 du statut ouvre à tout État membre la possibilité de se retirer volontairement de l’organisation par simple notification au secrétaire général de l’organisation. Ce retrait du Conseil de l’Europe n’entraîne pas directement la dénonciation des conventions ratifiées au moment où l’État était membre de l’organisation. Le retrait peut aussi être considéré comme une sanction à l’encontre d’un État membre: il s’agit d’une expulsion. L’art. 9 envisage d’abord la suspension du droit de représentation au Comité des ministres et à l’assemblée parlementaire au cas où un État membre ne verserait pas sa contribution financière. L’art. 8 prévoit toute une série de mesures à l’encontre d’un État qui ne respecterait par les principes de base: il peut être suspendu de son droit à représentation, invité à se retirer voire même se voir exclu de l’organisation. Il y eut trois cas intéressants: - Grèce: le 21 avril 1967, un coup d’État militaire porte au pouvoir une junte de militaires qui établissent une dictature abolissant les libertés publiques, qui durera sept ans. La réaction du Conseil de l’Europe va être très rapide. Des pays membres saisissent les organes du Conseil de la situation grecque. Le 30 janvier 1969, sur la base du rapport remis à l’assemblée parlementaire, celle-ci recommande de prendre les mesures prévues à l’art. 8 (expulsion). Le Comité se réunit en décembre 1969: la majorité des États se montre favorable à l’expulsion du pays. Au moment de la réunion, le ministre grec des affaires étrangères notifie le retrait volontaire de son pays du Conseil de l’Europe et la Grèce procède à la dénonciation de la CESDH. Cette situation dure jusqu’en 1974: le 28 septembre de cette même année, très rapidement, la Grèce est réadmise au sein du Conseil; - Turquie: un coup d’État militaire survient le 12 septembre 1980 et donne lieu à une réaction différente. En mai 1981, l’assemblée prononce la suspension des représentants turcs, mais il n’y aura pas de retrait volontaire ou forcé. C’est une autre politique qui est menée. La situation se normalise à partir de 1982-1983 par l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections libres qui réintègrent la Turquie dans le Conseil; - Russie: en 2000, l’assemblée suspend les parlementaires russes et demande au Comité des ministres de suspendre la Russie si la situation n’évolue pas. Mais, pour des raisons politiques, jamais l’expulsion de la Russie ne sera prononcée. Le Commissaire aux droits de l’homme, en février 2007, faisait part aux autorités russes de ses préoccupations quant à la situation constatée en Tchétchénie. Une mesure d’expulsion pourrait être contreproductive. Ceci est beaucoup moins adapté pour les violations massives des droits de l’homme. Il n’y a que des possibilités de recours individuels. Il y a des possibilités de recours d’États contre d’autres États, mais ceci est extrêmement peu utilisé. Section 2 Les structures du Conseil de l’Europe L’art. 10 précise que les organes sont le Comité des ministres et l’assemblée parlementaire, supervisés par des secrétariats. Des organes subsidiaires sont prévus. Depuis 1993, le Conseil a pris l’habitude de se réunir en sommets, où il s’agit de fixer le programme à long terme. Il y a eu trois sommets jusqu’alors: le sommet de Vienne de 1993 (réforme de la CEDH), le sommet de Strasbourg en 1997 et celui de Varsovie en 2005 (sécurité, lutte contre le terrorisme et le grand banditisme). I Le comité des ministres Art. 13 du statut: le Comité des ministres agit au nom du Conseil de l’Europe. Art. 14: il est composé des représentants des États membres, en principe au niveau des ministres des Affaires étrangères. Les réunions ont lieu chaque semaine à Strasbourg et sont préparées par des spécialistes, des groupes de rapporteurs, qui sont des représentants permanents de leur État. Chaque État est représenté et les modalités de vote sont prévues à l’art. 20. Les décisions les plus importantes sont prises (art. 20 D) à la majorité des deux tiers des voix exprimées pourvu qu’elles réunissent la majorité des représentants au Conseil. Dans les faits, ce système n’est pas utilisé: le Comité recherche le plus souvent l’unanimité, le consensus. Les compétences du Comité sont fixées à l’art. 15 du statut: il s’agit de réaliser une union plus étroite entre les États membres du Conseil. Cela traduit l’origine fédérale de cette organisation. Les pouvoirs reconnus aux organes sont limités. Le Comité des ministres adresse des recommandations aux États, incitant les États à coopérer ou à agir ensemble dans tel ou tel domaine. Il adopte des résolutions, des déclarations et prépare, rédige et adopte des conventions internationales, des traités internationaux qu’il propose aux États membres et à certains États tiers. Les conventions ont pour but de faire évoluer la coopération entre les États. Certaines conventions adoptées par le Comité n’entrent jamais en vigueur car ne sont pas ratifiées par assez d’États. Lorsqu’elles entrent en vigueur, elles donnent au Comité des ministres une procédure de contrôle, de suivi du respect de ces conventions par les États: c’est le cas des conventions relatives aux droits de l’homme. On surveille que le gouvernement condamné a bien pris les mesures qui s’imposent ou qui découlent d’un arrêt rendu par la CEDH. Le Comité des ministres constate formellement l’exécution de l’arrêt par une résolution. II L’assemblée parlementaire C’est le premier exemple historique de la création d’un parlement au sein d’une organisation intergouvernementale, internationale. Elle devait représenter la vue fédérale de ceux qui l’ont créée. En 1974, l’assemblée décide de changer de nom, de dénomination. On parle d’une assemblée consultative: en 1974, elle décide de s’appeler assemblée parlementaire. Elle siège à Strasbourg dans le même hémicycle que le Parlement de l’UE. Sa composition est fixée par les art. 25 et 26 du statut. Mais les britanniques, au moment de la négociation des statuts du Conseil, voulaient que les membres de l’assemblée soient nommés par le Gouvernement et apparaissent ainsi comme les représentants de l’État, du gouvernement. La France voulait, elle, une démocratisation et souhaitait que ce soient les parlements nationaux qui désignent les membres. Le fait est que chaque État est demeuré libre de choisir sa propre procédure de désignation des membres. Depuis 1970, l’assemblée est composée de parlementaires nationaux élus ou désignés selon une procédure propre à chaque pays. Les modes de désignation sont variables. Mais au R-U, les représentants sont toujours nommés par le PM sur proposition des chefs de partis, à la fois dans la majorité et dans l’opposition. En France, depuis une loi du 23 juillet 1949, les membres de l’assemblée parlementaire sont choisis par l’Assemblée nationale et le Sénat (12 par l’AN et 6 par le Sénat). Dans le reste des pays, ils sont soit élus par les parlements (Italie, Allemagne…) soit désignés par les partis politiques. Ils se sentent libres d’agir au nom de l’opinion publique européenne, sans pression. Le nombre est prévu par l’art. 26 du statut, en fonction de l’importance démographique du pays concerné. Les plus petits États comptent deux membres et les plus importants dix-huit membres. Quant au mode de fonctionnement, on observe que, toujours par une sorte de mimétisme institutionnel, l’assemblée a essayé de donner un style parlementaire, et a des méthodes de travail qui sont proches de celles des assemblées des régimes parlementaires classiques. Elle a un président (le hollandais Van der Linden), se réunit en sessions, dispose d’un règlement intérieur, d’un bureau qui se charge des tâches administratives et des commissions thématiques au nombre de dix qui préparent le travail de l’assemblée. Elle peut poser des questions orales ou écrites au Comité des ministres, mais n’a aucun pouvoir de censure. Elle est groupée en cinq grands groupes politiques: groupe socialiste, démocrates républicains, démocrates européens, démocrates réformateurs, de la gauche réformatrice. Cette assemblée veut ressembler à une assemblée parlementaire nationale mais n’en a pas les compétences. C’est surtout un forum de discussions, de délibérations, qui aboutissent (art. 23) à des recommandations qui sont des propositions adressées au Comité des ministres qui ne le lient pas, prend des résolutions sans se sentir obligée par les domaines de compétences des statuts. L’assemblée rend des avis (rôle consultatif) notamment sur les projets de conventions proposés par le Comité des ministres aux États. Les textes sont en général adoptés à la majorité des deux tiers des voies exprimées (art. 29). C’est à l’assemblée de Strasbourg, en 1950, que Churchill aura, le premier, l’idée d’une armée européenne, projet qui sera rejeté dans le cadre communautaire et du Conseil. En 2005, le Conseil adopta une résolution sur le camp militaire de Guantanamo: l’assemblée a chargé un de ses membres de vérifier le camp de Guantanamo, notamment en fonction de vols aériens illégaux en Europe pour transporter des personnes vers le camp de Guantanamo Bay. La demande d’interrogatoire des détenus a été rejetée en février 2007. L’assemblée parlementaire a un rôle important, un rôle tribunicien d’alerte. Elle a pour mission d’organiser des débats sur l’organisation d’élections libres… Enfin, l’assemblée a aussi un pouvoir de nomination. Ce pouvoir est important: elle n’a pas le pouvoir de contrôle. Elle nomme le Secrétaire général (art. 36) et les juges à la CEDH (art. 22). L’assemblée s’est efforcée d’encadrer le recrutement de ces juges, et propose un modèle de CV que les candidats doivent remplir pour déposer leur candidature. III Le Secrétaire général Il a un rôle d’assistance des organes politiques. Le secrétariat général est composé d’un secrétaire général (nommé pour cinq ans par l’assemblée sur recommandation du Comité qui présente une liste d’au moins deux personnes sur présentation des listes des parlements nationaux), d’un sous-secrétaire et d’agents. IV Les organes subsidiaires Il y a un organe de représentation: le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux réunit les représentants des collectivités territoriales, locales ou régionales des États membres. Il s’agit de promouvoir la démocratie régionale et de faire collaborer des régions entre les États limitrophes. L’organe indépendant fut créé par une résolution du Comité des ministres le 7 mai 1999: le Commissaire aux droits de l’homme. Le Commissaire aux droits de l’homme est élu pour six ans non renouvelables et a un rôle de promotion des droits de l’homme et de contrôle. Son pouvoir se limite à rédiger des rapports adressés au Comité des ministres. Il effectue régulièrement des visites sur place, dans les États, en allant dans les prisons… et formule des recommandations pour améliorer les droits de l’homme. Dans un rapport de 2006, le Commissaire avait demandé des améliorations dans les domaines judiciaire et pénitentiaire français. En 2003, on a tenté d’ouvrir ses pouvoirs dans le cadre de l’assemblée parlementaire afin qu’il puisse saisir directement la CEDH pour une violation manifeste par un État des droits de l’homme. Cette proposition fut rejetée par les gouvernements. Une concession fut faite. Dans le protocole n° 14 de la CESDH, adopté pour améliorer le fonctionnement de la CEDH, pas encore en vigueur car non ratifié par la Russie, le Commissaire pourra intervenir dans une affaire par des observations écrites ou orales. Section 3 Le modèle de protection Ce que l’UE propose aux nations, c’est un modèle de développement en matière économique et sociale, tandis que ce que fait le Conseil, c’est de créer un modèle de protection des valeurs communes, des valeurs démocratiques et des droits de l’homme en Europe. Le Conseil dispose de compétences définies dans des termes très larges. L’art. 1 er B dispose que « le Conseil dispose d’une compétence quasi-générale sur les mesures d’intérêts commun concernant les européens » sauf deux exceptions: la défense nationale (par. D), car il y avait d’autres organisations dont les compétences concernaient la Défense (OTAN et UE aujourd’hui). L’autre réserve de compétence est prévue au par. C: il n’est pas compétent là où d’autres organisations internationales sont compétentes, et où les États du Conseil sont aussi membres. C’est un modèle de protection qui se pose sur trois piliers: la surveillance, la protection des normes et la protection des droits de l’homme. I La surveillance Cette fonction est essentielle par l’effet de la mise en place du Conseil de l’Europe. C’est la situation intérieure des États contractants qui sont placés sous l’instance des organes du Conseil de l’Europe. A tout moment, les États contractants peuvent être mis en demeure de justifier leurs actes et comportement. Cette surveillance prend deux formes: une forme d’évaluation (adoption régulière de rapports par les commissions parlementaires, par le Commissaire aux droits de l’homme, par le Comité des ministres, adoptions de résolutions par les organes techniques et politiques du Conseil de l’Europe) et une procédure de suivi qui permet au Comité d’examiner régulièrement les questions de l’État de droit, de démocratie. Sur la base de cette compétence de suivi, le Comité peut adopter une déclaration par laquelle il se reconnaît le pouvoir de prendre toute décision conformément à ses pouvoirs statutaires (art. 8 et 9 du statut). II L’activité normative Elle consiste à adopter des traités, des conventions, dont la ratification est proposée aux États membres voire aux États tiers. Ceci touche tous les domaines d’activité. On a des conventions dans tous les domaines. Ex: convention en matière écologique: conservation de la vie sauvage; convention en matière sportive: sur la violence et sur le comportement de spectateurs (19 août 1985); en matière juridique et judiciaire: sur l’extradition (1957); en matière sanitaire, sociale. Mais c’est dans le domaine des droits de l’homme que le Conseil a sa plus grande contribution: Charte sociale européenne (signée à Turin le 18 oct. 1961, révisée en 1996) qui consacre des droits sociaux fondamentaux. Elle prévoit un mécanisme de contrôle fondé sur la remise de rapports, régulièrement, par les États. Les travailleurs ne peuvent se prévaloir directement du contenu de la Charte devant les juridictions pour la faire appliquer. Depuis 1995, un système de réclamations auprès d’un comité d’experts indépendant a été formé (réclamations collectives, introduites par des organisations représentant les travailleurs auprès d’un comité d’experts qui examine les demandes et fait des recommandations). Un Comité européen pour la prévention de la torture a été formé, et a compétence pour signer les centres de détention dans les États signataires. Ses rapports ne sont pas publics, mais peuvent être rendus publics si les pratiques persistent. Il y a une Convention sur les droits de l’enfant (25 janvier 1996) qui renforce la Convention de New York du 20 nov. 1989 et reconnaît à l’enfant des droits procéduraux, le droit de donner son avis sur les procédures familiales qui le concernent. La convention-cadre sur la protection des minorités nationales fut signée en 1994 mais n’est pas appliquée en France. La convention de Rome, signée le 4 sept. 1950, et celle signée le 3 nov. 1953, sont importantes. Les projets sont transmis par les comités d’experts au Comité des ministres qui va prendre une décision qui consacre le texte à conclure et transmet aux États à qui il appartient, éventuellement, de décider de signer et de ratifier le traité. Les conventions signées par les États et qui viennent du Conseil sont des conventions internationales. Leur application ne réside que dans la bonne volonté des États. Ce sont des actes internationaux qui conservent des liens avec le Conseil par différents moyens: ces conventions sont confiées à la garde du Secrétaire général du Conseil de l’Europe. C’est lui qui garde les actes de ratification des États. De nombreux traités prévoient des mécanismes de suivi, des engagements conclus au terme de l’accord. De manière exceptionnelle, l’accord prévoit un contrôle juridictionnel. Ces conventions se caractérisent enfin par la souplesse de leur régime. Ce sont des conventions ouvertes à la ratification non simplement des États membres du Conseil mais également d’États non membres. Il faut, toutefois, que ces États soient invités à participer à la décision d’États membres. Convention de 1983: convention de transfert des prisonniers signée, en plus des pays membres, par les E-U, le Canada, le Japon et l’Australie. III Le système européen de protection des droits de l’homme Il est fondé sur la CESDH, signée à Rome le 4 nov. 1950. C’est l’un des vecteurs principaux de l’européanisation du droit national. Ce texte est une partie du droit national. C’est un droit vivant car il produit une jurisprudence très riche de la part de la CEDH. Les juridictions nationales appliquent également la CESDH. La Convention a une influence évidente et massive, notamment sur de nombreuses branches du droit français. La structure des droits de l’homme: c’est une structure double. Il y a deux parties: - une partie normative qui énumère les droits et libertés consacrés (Titre 1 er et Protocoles ajoutés dont n° 1, n° 4, n° 6, n° 7, n° 12); - une partie institutionnelle prévoit la mise en place d’un contrôle (Titre 2 et Protocole n° 11 et n° 14). Il y a quatre caractéristiques essentielles: - c’est un « système constitutionnel de l’ordre public européen » (23 mars 1995, Loisidu c. Turquie). Les États cèdent tout pouvoir en la matière à la CEDH. Il n’est pas question pour les États de se soustraire, de supprimer ou de restreindre les droits de la CESDH au-delà de ce qu’elle prévoit. Il résulte, en outre, de ce contrôle, qu’il est double. La CEDH a une double mission: trancher des litiges concrets, des litiges individuels; mais, à l’occasion de la résolution de ces cas, elle se reconnaît une mission de nature constitutionnelle et donc de modeler, de façonner, par des arrêts de principes, l’ordre public européen des droits fondamentaux, c’est-à-dire créer des standards communs valables pour le fonctionnement de toutes les autorités publiques; - c’est un système objectif. L’ancienne commission européenne des droits de l’homme avait conclu qu’en « signant la CESDH, les États avaient réalisé les objectifs et idéaux du Conseil de l’Europe: instaurer un ordre public communautaire et européen partageant les mêmes valeurs ». La règle est celle de la réciprocité des engagement des États. Dans l’ordre juridique international, un traité n’est valable que si l’autre partie le respecte. Chaque État s’engage d’une manière inconditionnelle et non en fonction des autres États. Ce ne sont pas des contreparties mais des engagements des États à l’égard des particuliers dont la liberté doit être, en toute circonstance, protégée; - c’est un système de garantie collective qui est institué. Les États ont un devoir de défendre collectivement, solidairement, le respect des droits énoncés dans la CESDH. L’art. 33 prévoit que tout État contactant peut saisir la CEDH de toute violation des dispositions commise par un autre État. Dans ce cas, l’État requérant est considéré comme défendant l’intérêt général des droits de l’homme et protégeant l’ordre public. En pratique, ce mécanisme est très peu utilisé par les États, très hésitants à attaquer un autre État de peur d’être eux-mêmes déférés par un autre État; - ce système est subsidiaire. Le système de la CESDH revêt un système subsidiaire par rapport aux moyens de garantie des droits de l’homme dans les parties contractantes. Les États conservent une certaine autonomie, et il arrive que celle-ci renvoie expressément au doit national le soin de préciser les modalités d’application du traité. Conséquence de la CESDH: les États disposent d’une certain marge d’appréciation dans l’application de la CESDH. Cela permet de combiner la CESDH avec les pratiques nationales (arrêt Murphy c. Irlande: il revient aux États de déterminer les seuils de tolérance). Enfin, en vertu de ce principe, ce sont les autorités nationales qui doivent assurer la protection des droits tirés de la Convention. La CEDH n’a que la fonction de sanctionner les États s’il n’y a pas de moyen de sauvegarde de ces moyens. Un litige ne vient, de plus, devant la CEDH, qu’en cas d’épuisement des voies de recours nationales (arrêt de 2000 Puldla c. Pologne: il appartient aux systèmes nationaux de faire respecter les droits. Ils sont les juges de droit commun des droits de l’homme et des libertés fondamentales). Partie 3 L’Union européenne Elle est complexe. Si elle est complexe c’est une condition de son originalité, de sa diversité. C’est une organisation internationale classique, fondée sur des traités fondateurs qui reposent sur le droit international public. C’est une organisation internationale classique, et ses organes ne peuvent agir que dans les limites de compétences qui sont octroyées aux États parties. C’est une organisation internationale classique, mais elle développe, en plus, des pouvoirs qui la rapprochent des structures et pouvoirs étatiques. L’UE dispose de structures, de pouvoirs, qui se rapprochent de ceux d’un Parlement directement élu et noue des liens personnels avec les sujets de droit qu’elle produit. Il existe une citoyenneté européenne. Elle est si proche d’une organisation étatique qu’elle voulait faire adopter une Constitution et créer un ministre des Affaires étrangères. Elle développe une structure, une organisation proches de celles d’un État. Ce caractère hybride résulte de la conception supranationale qui est reflétée dans la déclaration Schuman. Ce résultat si original est le produit de l’évolution communautaire, vers une union de type plus large: l’UE. Cela touche aussi, par contrecoup, les États membres de l’organisation. L’intégration européenne transforme l’organisation et les États membres de l’UE, qui sont ses composantes. De là la création d’une forme de société politique qui repose sur un équilibre délicat entre les institutions supranationales, européennes, et les États membres. Cet équilibre est la clé de la compréhension entre les deux hémisphères. Cette organisation dont l’objet principal est l’établissement de la paix en Europe a eu pour caractéristique de proposer de développer un modèle de développement économique et social proposé aux États avec leur concours, et ce modèle est essentiellement un modèle de compromis entre des priorités, des exigences contradictoires que l’on doit faire vivre ensemble, ce que traduit l’art. 1.3 du projet de Constitution européenne qui résume les objectifs de l’UE. Section 1 L’architecture de l’UE C’est un produit, une complication de la construction communautaire. Il faut comprendre ce qu’est la construction communautaire et quelles sont les grandes étapes de constructions des CE. Les CE n’ont pas disparu. Coexistent l’UE et les CE dans une structure unique et complexe. Un des objets de la Constitution était de tout simplifier, de substituer une nouvelle UE, une entité simple, aux deux entités. Tel n’est pas l’état actuel des choses. I Les Communautés européennes avant l’Union Elles préexistent à l’Union et perdurent aujourd’hui. La première étape est à la suite de la déclaration Schuman du 9 mai 1950 et l’ouverture de négociations entre les six gouvernements, qui aboutissent à la signature du traité de Paris d’avril 1951, qui instaure la CECA. Par ce traité, les hautes parties contractantes instituent entre elles une CECA fondée sur un marché commun, des objectifs communs et des instituions communes. C’est l’idée de « commun » qui domine. On cherche à mettre en commun les intérêts étatiques, des solidarités de fait, des productions économiques essentielles, stratégiques et, par là, il s’agit de mettre en commun les droits, les régulations. Il y a mise en commun des productions et réglementations dans le but de créer une unité d’abord économique, qui présage, déjà, l’unité politique de l’Europe. Cela veut dire que les États qui fondent la CECA s’engagent à: - supprimer les obstacles au commerce des produits du charbon et de l’acier entre les États membres; - assurer le libre jeu de la concurrence, le jeu d’une concurrence non faussée entre les entreprises des secteurs concernés. Il s’agit d’éviter que les opérateurs privées recréent des barrières abolies par les États; - développer une politique commune du charbon et de l’acier. Cet objectif est principalement économique. Mais, dans le traité de la CECA, il est sous-entendu la possibilité de donner une institution commune aux États membres et de corriger la situation des travailleurs, donc une intervention à caractère social ou en cas de crise grave. Il s’agit de transférer des pouvoirs de gestion à une autorité indépendante: la Haute Autorité commune de la CECA, indépendante des gouvernements des États membres. Sa présidence est toute de suite confiée à Jean Monnet. Elle peut prendre des décisions contraignantes à l’égard des États mais aussi à l’égard des opérateurs économiques présents sur ce marché. Cette Haute Autorité crée un lien direct avec les personnes morales ou physiques, ressortissants des États membres. Est institué un Conseil des ministres représentant les gouvernements des États membres, qui n’a pas le pouvoir de décider. Le Conseil a surtout pour tâche de cordonner l’action de la HA avec les politiques économiques des États membres de la CECA. En outre, sont créés deux autres organes, les organes de contrôle: une assemblée commune (les représentants sont des délégués des parlements nationaux) qui n’a aucun pouvoir de décision (c’est un organe de délibération qui n’a pas de pouvoir décisionnel). Est aussi créée une Cour de justice de la CECA, chargée du respect des règles découlant de la CECA. La deuxième étape est un échec: c’est la CED. Dans la logique du développement progressif de la déclaration Schuman, l’union faite ne devait pas venir de l’effet d’entraînement. Un évènement va précipiter les volontés de chacun. Cet évènement, qui survient le 25 juin 1950, bouleverse le paysage de la géopolitique et provoque l’accélération brutale de la construction européenne. L’agression de la Corée du Nord sur la Corée du Sud fait craindre une agression soviétique en Europe, alors qu’une grande partie des troupes américaines sont en Asie. Les EU proposent donc aux européens de réarmer l’Allemagne et, de ce fait, d’intégrer la RFA à l’OTAN. Pour la France, cette proposition est tout simplement inacceptable car elle compromet l’équilibre trouvé, et elle n’est pas prête à accepter une renaissance de l’armée nationale allemande. Pour sortir de l’impasse, le ministre français de la Défense (René Plével) propose, devant l’AN française, le 24 octobre 1950, la création d’une armée européenne placée sous un commandement commun européen. Sur la base de cette idée, une conférence intergouvernementale est ouverte à Paris en 1951 qui aboutit à la signature d’un nouveau traité, le 27 mai 1952, instituant la Communauté européenne de Défense dont la structure est à peu près semblable à celle de la CECA. Ce traité signé par les États membres a tout de suite un effet d’entraînement: une armée sans politique ne peut fonctionner. Cette objection conduit le Conseil des ministres de la CECA à confier à une assemblée ad hoc, créée à cette occasion, le soin d’élaborer un nouveau traité dans un délai de six mois instituant une Communauté politique européenne. Le 9 mars 1953, cette assemblée remet aux six gouvernements membres le projet de nouvelle communauté, qui devait absorber les attributions de la CECA et de la CED, avec une politique extérieure commune et une communauté élargie. Comment va être reçu ce projet? Ce projet est mal accueilli en France et déclenche la plus grande bataille politique de l’après-guerre. Le traité était signé, il fallait le ratifier. La France est partagée en deux camps: - favorables; - opposés, qui fait coexister deux groupes opposés: les communistes (craignent un réarmement de l’Allemagne) et les gaullistes (craignent une perte de souveraineté de la France). Ce projet sera enterré par une simple question préalable à l’AN. Il n’y aura pas de débat sur la ratification. Il y a un rejet par la France de la CED et donc l’abandon de tout projet politique de l’Europe. Ce rejet entraîne plusieurs conséquences, sur trois points: - au plan militaire, ce rejet entraîne aussitôt l’autorisation du réarmement de l’Allemagne (23 oct. 1954 créant l’UEO) et est décidée l’accession de la RFA à l’OTAN; - au plan politique, la coopération politique européenne n’est pas arrêtée mais devra se développer en marge de la construction communautaire, par des accords entre États, bilatéraux. C’est dans ce cadre que le Général de Gaulle signe le traité de l’Élysée de coopération et d’amitié (22 janvier 1963); - l’échec de la CED plonge la construction communautaire dans la crise. Jean Monnet démissionne de la présidence de la Haute Autorité de la CECA. Mais certains comprennent qu’il faut relancer l’intégration et faire une intégration économique plus ambitieuse. C’est la relance de l’intégration économique. C’est le gouvernement des Pays-Bas qui prend l’initiative d’une relance de la construction en proposant un marché commun élargi à l’ensemble des secteurs économiques. Un réunion a alors lieu en mai/juin 1955 à Messine, où deux choses sont décidées. Il est nécessaire de mettre en place une intégration économique horizontale, dont l’objectif est de mettre fin aux rivalités économiques et politiques. Pour mettre en place cette intégration économique, on décide qu’un comité d’experts et de délégués gouvernementaux sera convoqué, et présidé par Paul-Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères belge. On la compara avec la procédure de la Constitution, par une convention ouverte aux parlements nationaux. La construction communautaire repose sur des considérations élitistes. Ce comité remet un rapport aux ministres européens: il propose un système d’union douanière avec, à l’extérieur de ce marché, l’instauration d’un tarif douanier commun pour les marchandises venant de l’extérieur de l’Europe. Il préconise le domaine de l’énergie atomique. Deux traités séparés sont négociés en 1956 (contexte politique difficile: pendant la crise du Canal de Suez; soulèvement de Budapest). Les deux traités sont signés à Rome le 25 mars 1957 et entrent en vigueur, après ratification des États signataires, le 1er janvier 1958: c’est le traité créant la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou EURATOM) et le traité instituant la Communauté économique européenne (CEE). La structure institutionnelle est toujours quadripartite comme pour la CECA (Parlement, conseil des ministres, commission indépendante et Cour de justice). Après l’échec de la CED, il n’était plus question de retrouver les caractères pré fédéraux de la CECA ou de la CED. Il faut aussi tenir compte du fait que les compétences transférées dans ces traités sont bien plus larges que dans la CECA. L’organe principal n’est plus la Commission (équivalent de la Haute Autorité) mais le Conseil des ministres. Cette relance de l’intégration n’est pas exempte de crise. Il y a, sans cesse, un appel vers l’intégration et vers la régression, vers des freins à l’intégration. C’est à travers les crises que l’on prend conscience de la réalité de l’intégration. Une crise politique se développe au sein de la CEE: c’est la « crise de la chaise vide ». Cette crise s’ouvre le 30 juin 1965, à partir d’un évènement apparemment mineur: la Commission européenne propose des nouvelles modalités de financement de la PAC. Elle veut que les États reconnaissent à l’UE une certaine autonomie budgétaire et elle veut renforcer les pouvoirs de l’assemblée en matière budgétaire. Ces deux propositions sont inacceptables pour la France du Général de Gaulle: ces conditions sont contraires à l’idée que se fait de l’Europe le Général de Gaulle. La France décide de cesser de participer au Conseil des ministres et paralyse la CEE. C’est la « crise de la chaise vide » du fait de la paralysie des institutions communautaires. Fin janvier 1956 est signé le compromis de Luxembourg. Il consacre l’élimination quasi-générale du vote à la majorité. Il consacre le vote à consensus: chaque État dispose désormais d’un droit de veto sur l’adoption d’une décision dès lors que « l’un des intérêts très importants d’un État » serait un jeu. C’est une trahison de la notion de supranationalité et une prise de contrôle du processus de décision, par les États, des organes de l’UE. Cette crise va prendre fin en 1986 au moment de l’adoption de l’AUE (Acte unique européen) qui consacre le vote à la majorité qualifiée. Mais, en fait, la plupart des décisions sont adoptées à l’unanimité alors qu’en droit la majorité est consacrée. On ne doit jamais oublier que, au moment où les États contrôlent et peuvent s’opposer à la prise de décision, au même moment, c’est l’ordre juridique communautaire qui est en train de se construire. C’est l’époque où les juges de la communauté créent, forgent les notions d’autonomie du droit communautaire (Costa c. Haenel en 1954). C’est à ce moment que le droit communautaire acquiert les caractères d’un droit interne. S’établit donc un équilibre historique: les États prennent le contrôle du processus historique, mais se développe l’UE par le droit, par l’intégration juridique et par la jurisprudence. Les élargissements sont une étape très importante. Le problème se pose souvent à cause du R-U de G-B. Le R-U n’a pas d’intérêt immédiat à entrer dans les CE. Il refuse le transfert de compétence à un organe souverain et se trouve déjà lié économiquement, commercialement, par une autre organisation, le Commonwealth, et n’a pas d’intérêt à rentrer dans l’UE. Mais le développement de l’UE va intéresser le R-U. Dès 1956, le R-U tente d’utiliser l’OECE (créée en 1946 pour répartir l’aide américaine) pour diviser les pays de la CEE et il propose la création d’une zone de libre-échange en Europe et d’une coopération atomique. Cela échoue, et le R-U propose une nouvelle organisation: il choisit parmi les membres de l’OECE ceux qui ont une structure économique forte, et propose de créer l’AELE par la signature du traité de Stockholm du 3 mai 1960 (R-U, Autriche, Suisse, Danemark, Suède, Norvège et Portugal puis Finlande). L’AELE est une organisation concurrente. Elle existe toujours mais a perdu ses membres les plus importants. Elle est une entreprise montée par le R-U pour rivaliser avec la CEE. Le R-U se rend très vite compte de l’incapacité de l’AELE à rivaliser avec la CEE. Le 9 août 1961, le PM Mac Millan présente au président du Conseil des CE une demande d’adhésion officielle. Des négociations s’engagent, brutalement interrompues en janvier 1963, sur décision du gouvernement français, à la suite d’une conférence de presse tenue par le Général de Gaulle qui déclare publiquement que le R-U ne parait pas en mesure d’accepter les règles de la CEE. Il craint la remise en cause de la PAC et une ingérence américaine. Il y a un refus brutal et, par conséquent, un mécontentement des partenaires européens. Une nouvelle demande sera déposée plusieurs années plus tard, mais la France refuse encore en 1967. C’est le départ du Général, en 1969, qui va permettre d’ouvrir de vraies négociations qui aboutissent à l’adhésion de quatre nouveaux pays par un traité signé en 1972, avec effet au 1 er janvier 1973, par le R-U, le Danemark, l’Irlande et la Norvège. Mais un référendum en Norvège fait capoter l’adhésion. Trois vagues successives arrivent: - Grèce en 1981, avec un traité signé le 28 mai 1979. Espagne et Portugal par un traité le 12 juin 1985 avec effet au 1er janvier 1986; - traité signé à Corfou en 1994 avec quatre nouveaux États encore membres de l’AELE. Le 1 er janvier 1995 accèdent l’Autriche, la Suède et la Finlande puisque la Norvège refuse à nouveau, par référendum, la ratification du traité; - le 1er mai 2004 et le 1er janvier 2007: la première date est synonyme de l’entrée de dix nouveaux États membres d’Europe centrale et orientale. La deuxième date est synonyme de l’accession de la Roumanie et de la Bulgarie. L’élargissement de 2004 dépasse de loin les élargissements qui ont précédé. L’UE passe de 15 à 27, en deux fois. L’UE intègre des économies très différentes et des systèmes politiques encore assez différents de ceux qui constituent les États membres alors de l’UE. Ce changement de dimension change-t-il la nature de l’UE? Implique-til de nouveaux changements? Comment l’élargissement s’est-il passé? Le premier État à faire acte de candidature, en 1987, est la Turquie. Puis Chypre et Malte le demande en 1990 et, en 1994, le reste demande. Des accords d’association ont d’abord été conclus qui lient la CE et ces États: ce sont des accords européens créés à partir de 1991. Ces accords prévoient des accords de libre échange et libre circulation en matière industrielle et non agricole, une aide substantielle accordée aux États pour mettre en marche les premières réformes. Les négociations officielles pour l’adhésion s’ouvrent en 1993. Sous la présidence de certains candidats, les négociations s’ouvrent. L’UE prend acte au conseil européen de Copenhague en mai et juin 1993. Une stratégie de pré adhésion est mise en place pour surveiller ces États, et l’admission n’est pas certaine. Les critères de Copenhague sont posés, au nombre de trois: les candidats s’engagent respecter la démocratie, les droits de l’homme et les minorités. Il s’engagent à développer l’économie de marché. Ils s’engagent à avoir la capacité administrative à assumer les obligations découlant de l’appartenance à l’UE et s’engagent à reprendre intégralement l’acquis communautaire (traités et 80.000 pages de législation). C’est aux États candidats à s’adapter à l’UE. Cette entrée va bouleverser les structures politiques et institutionnelles. Il faudra modifier la composition de la Commission, modifier la structure de l’Europe. Longtemps, les États membres ont préféré la voie de l’approfondissement de l’intégration. La signature de l’Acte unique européen, le 17 février 1986, n’est rien d’autre qu’un traité de révision de la CEE. Il entre en vigueur le 1 er juillet 1987 après que les douze États l’aient signé. Ce traité fut ignoré, alors qu’il eut une importance fondamentale: il prévoit qu’à l’échéance du 31 décembre 1992, sera créé un véritable marché unique sur le territoire des États membres de la CEE. Il est présenté comme un apport modeste, alors qu’il ne fait que rebaptiser le marché commun en marché intérieur. On lit: « le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des services, des personnes et des capitaux est assurée ». Ce traité permet à la CEE de se doter de nouveaux moyens d’action efficaces lui permettant de surmonter les obstacles matériels qui s’opposaient à l’achèvement d’un marché intérieur sur le territoire de la CEE. Il apporte deux séries d’innovations majeures. Il aboutit à une réforme des méthodes de décision et d’action de la CEE. Il est décidé que, désormais, dans le cadre de l’objectif de mettre en place un marché intérieur, les décisions pourront être prises par le Conseil des ministres à la majorité qualifiée. Ce passage aboutit à la création d’une grand nombre de décisions. L’acquis européen renforce beaucoup l’initiative européenne. La Commission a un grand pouvoir, présidée par Jacques Delors, et l’Acte unique a initié la « nouvelle approche », nouvelle manière d’harmoniser les législations nationales, plus simple, moins rigide que celle qui prévalait jusque là. Lorsqu’on voulait harmoniser dans le domaine économique, cela donnait des textes extrêmement difficiles à adopter. Mais, dans le cadre de cette nouvelle approche, le Conseil se contente d’adopter des normes d’exigences minimales et, pour le reste, on fait jouer ce qu’on appelle la « reconnaissance mutuelle » des législations nationales: on admet que telle législation est équivalente à telle autre sur le territoire de l’UE. Tel produit d’un pays pourra circuler librement dans tel autre, même si les techniques de fabrication ne sont pas les mêmes. D’autre part, c’est une extension des compétences de la CEE, car il apparaît nécessaire, au milieu des années 1980, d’équilibrer le projet d’unification économique en transférant à la CEE des compétences qui ne sont pas strictement économiques (compétences en matière environnementale, de cohésion économique et sociale, de recherche et de développement technologique). Dans ce même mouvement, c’est à la suite de l’Acte unique européen que se développe l’idée d’une dimension sociale du marché intérieur, d’un « espace social européen ». Si se sont développées, de manière lacunaire, des politiques en matières économique et sociale, c’est au départ et à l’origine par un effet d’entraînement et de coopération économique. Les politiques sociales s’ancrent à l’origine dans le projet de marché intérieur. Il est remarquable que ces réalisations n’aient rencontré quasiment aucune résistance, ni de la part des dirigeants, ni de la part du peuple européen. C’est un exemple qui contraste avec toutes les autres révisions des autres traités, qui rencontrèrent de réelles difficultés pour entrer en vigueur. L’Acte unique proposait un objectif simple et relativement consensuel: l’achèvement du développement économique, et un développement de la capacité politique qui pouvait plaire à tout le monde. De plus, il fut présenté comme une simple amélioration technique d’un projet qui avait commencé bien avant. Les États membres se sont attachés à l’achèvement du développement économique et au dépassement de l’intégration économique vers une intégration de nature politique. Très tôt fut sentie la volonté de créer une communauté politique, qui fut alliée avec le projet de traité pour la Communauté européenne de défense. La coopération politique fut rejetée en marge du développement communautaire après l’échec de la CED. Elle se développa de manière purement informelle et de façon intergouvernementale. La mise en place du principe de coopération fut concrétisée le 27 octobre 1970 à Luxembourg. Fut mis en place un mécanisme de concertation régulière entre les représentants des États membres de la CEE. Ces décisions ne bénéficient pas des effets attachés aux textes communautaires, car elles n’ont pas d’effet obligatoire. Cette coopération politique aboutit, lors du sommet de Paris de décembre 1974, à une sorte d’institutionnalisation de la coopération, par la création d’un organe chargé de la coopération politique: le Conseil européen (ce n’est ni le Conseil de l’Europe, ni le Conseil de l’Union Européenne, aussi appelé Conseil des ministres). Le Conseil européen est la réunion des chefs d’État et de Gouvernement des États membres des Communautés européennes, créé pour discuter des dossiers difficiles en matière politique. Il naît avec une existence quasi-clandestine et sera institutionnalisé en 1986 par l’Acte unique européen. On le retrouve à l’art. 4 du traité sur l’UE (cf. dossier p. 41). Les gouvernements décident de s’engager dans une coopération dans les matières de police et de justice. La coopération judiciaire et policière est facilitée par l’Europe, mais ces textes se créent en marge des CE, mais ne sont pas sans lien avec les CE. Ces formes de coopération sont conçues, dès le départ, comme la première étape de la création d’une véritable union politique rassemblant les CE et les efforts de coopération. Au sommet de Paris de 1972, les chefs de Gouvernement des États membres réaffirment solennellement leur envie de transformer leurs relations en une véritable Union européenne. Ils déclarent: « les États membres de la Communauté, éléments moteurs de la CEE, déclarent leur volonté de transformer l’ensemble de leurs relations, avant la fin de la décennie, en une véritable Union européenne ». Ceci ne se fera pas. Mais, en 1984, le Parlement européen créé un nouveau projet qui souhaite, de manière assez radicale, substituer aux CE existantes une UE ayant un caractère clairement fédéral. Ce projet sera rejeté par les États membres. Mais s’ouvre la volonté de dépasser le stade des Communautés européennes. Un premier pas dans cette direction est franchi avec la signature de l’Acte unique européen en 1986, qui institutionnalise le Conseil européen et entend favoriser la coopération des politiques extérieures des États membres de la CEE. En juin 1990, les chefs d’État décident formellement d’ouvrir des négociations en vue d’aboutir à la création d’une union politique. Pourquoi? Parce qu’en 1990, après la chute du mur de Berlin, il y a la réunification de l’Allemagne. Certains pays craignaient qu’une Allemagne réunifiée ne donne naissance à un État hégémonique qui dominerait sur le plan économique et politique l’ensemble des partenaires européens, et donc ne compromette l’équilibre trouvé dans la construction communautaire. L’idée fut d’intégrer l’Allemagne dans un ensemble plus vaste afin d’atténuer les effets. Un accord fut trouvé entre Helmut Kohl et Mitterrand: la France accepte la réunification sans condition pourvu qu’on crée une UE. Le conseil de Dublin décide l’ouverture de négociations en vue de créer une union économique et monétaire et des négociations sur la création d’une union politique. Ces deux négociations aboutissent, le 7 février 1992, à la signature du traité de Maastricht par lesquels les États conviennent de créer une UE qui se présente comme une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens. On ne créé pas une nouvelle organisation qui se substitue aux CE. Les États membres refusent l’idée même d’une union fédérale. Ce qui est créé, c’est une entité complexe, c’est une UE qui, au départ, ne possède ni unité ni non plus expressément une personnalité juridique. Ce qui est créé (art. 1 er du traité sur l’UE, p. 41): « c’est une union qui est fondée sur les CE, complétées par les politiques et par les formes de coopération créées par le présent traité » (en matières de politique étrangère et de sécurité commune, et de coopération en matière judiciaire et policière). La Communauté économique européenne de 1957 est renommée Communauté européenne, pour montrer son but universel, et non plus seulement économique. Processus de ratification: ce processus de ratification par les États membres va s’avérer extrêmement difficile, et va montrer la défiance des peuples européens. En France, le « oui » au référendum l’emporte de justesse et, au Danemark, il est rejeté. Il faudra de nombreuses déclarations pour rassurer la population danoise et la convaincre de la nécessité de ce traité. Alors qu’il était prévu qu’il entre en vigueur le 1 er février 1993, il n’entrera finalement en vigueur que le 1er novembre 1993. En 1966, la construction européenne avait connu sa première crise de supranationalité, qui aboutit à la signature du compromis de Luxembourg, en requérant l’unanimité de l’accord des membres. Puis l’UE connaît une crise de légitimité révélée par le résultat négatif du référendum au Danemark et sur le taux très faible de « oui » au traité de Maastricht. Conscients de la crise, les gouvernements des États membres décident de s’engager dans de nouvelles négociations pour faire une UE plus proche des citoyens, plus efficace et plus démocratique. Ceci aboutit à la signature du traité d’Amsterdam, le 2 octobre 1997. Il entre en vigueur, après ratification de l’ensemble des États, le 1er mai 1999. Il apparaît très en retrait des objectifs annoncés, parmi lesquels la démocratisation de l’UE. Il apporte des modifications nécessaires mais modestes au fonctionnement de l’UE. Il consacre aussi un nouvel instrument d’action dans le cadre de l’UE, qu’on disait promis à un grand avenir mais qui reste inutilisé, celui des « opérations renforcées », qui permet à certains États membres de l’UE d’aller ensemble plus loin dans le sens de l’intégration, dans des domaines ou les autres États ne sont pas prêts à avancer, sans quitter le cadre de l’UE. Cet instrument créé par le traité d’Amsterdam permet de favoriser le développement des relations entre pays membres (art. 43 du traité sur l’Union européenne). Les conditions juridiques sont telles pour engager une coopération juridique renforcée qu’on n’a pas encore de tels traités. Par ailleurs, il apporte des modifications de formes, et opère un toilettage de multiples dispositions obsolètes. Il y a une nouvelle numérotation des traités. Ce traité laissait en suspens une question majeure, le défi le plus important auquel la construction européenne se trouve confrontée: le défi de l’élargissement aux PECO. Le traité d’Amsterdam ne permettait pas d’y répondre. De nouvelles négociations furent entreprises à partir de février 2000 sous la forme de conférences intergouvernementales, qui aboutissent à la signature du traité de Nice le 26 février 2001. L’objet principal du traité de Nice est d’adapter le cadre institutionnel, les modes de fonctionnement des CE aux exigences posées par l’élargissement prochain de l’UE, ce que parvient à faire, dans une certaine mesure, le traité de Nice. Il fut beaucoup critiqué pour sa modestie. Il n’était pas le traité refondateur tant attendu. Mais il adapte la réalité de l’UE à l’élargissement. La Commission sera désormais composée d’un seul membre par État, alors qu’avant, des pays comme la France en avaient deux. Il y a une reconsidération de la pondération des voix par États membres (art. 205 du traité). Révision de la répartition des sièges au Parlement européen (le Parlement ne comptera pas plus de 732 membres). Il fallut ratifier ce traité, et cette ratification créa des difficultés, mais pas en France. C’était un devoir pour la France de signer ce traité, ce d’autant qu’il avait été préparé sous présidence française. Ces traités (Nice et Acte unique) n’ont pas provoqué de saisine du Conseil constitutionnel. La loi de ratification fut votée par le Parlement. L’Irlande soumit la ratification de ce traité à référendum, qui donna lieu à un refus. De même au Danemark. Il s’est alors agi de convaincre à nouveau le peuple irlandais du bien-fondé de ce traité et d’organiser un nouveau référendum sur le même texte pour qu’il entre en vigueur. Un nouveau référendum fut organisé le 28 novembre 2002, qui fut accepté avec une majorité de 63%. Entre la signature du traité de Nice et son entrée en vigueur effective, le mouvement de négociations ne s’est pas arrêté. Ainsi, une déclaration annexée au traité de Nice prévoyait déjà que le Conseil européen qui devait se réunir en décembre 2001 à Lacken adopterait une nouvelle déclaration pour poursuivre le processus de révision que connaît l’UE depuis longtemps. Mais, sous une forme inédite, il s’agit d’autre chose que ce qui a été fait jusqu’à présent. Il s’agit de refonder l’UE, et ainsi, dans cette déclaration, adoptée le 15 décembre 2001, le CE de Lacken propose l’adoption d’une Constitution européenne, d’une « Constitution pour les citoyens européens », dans laquelle il s’agit de clarifier les principes de l’UE. Le CE de Lacken convoque une convention composée par des représentants des États membres, mais aussi par des représentants des parlements nationaux et du Parlements européen, ainsi que par certains membres. Ceci aboutit à la rédaction d’un projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004. Ceci change tout sans rien changer substantiellement. Il supposait, pour entrer en vigueur, la ratification des 25 pays de l’UE. Les référendums en France et aux Pays-Bas donnèrent lieu à un « non ». Ce traité, dès lors, ne peut entrer en vigueur. Par conséquent, aujourd’hui, l’Union et les CE actuelles reposent sur les traités fondateurs tels que révisés par l’Acte unique, puis par les traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Nice (cf. p. 36-37). II L’Union et les Communautés européennes L’UE, c’est donc une complication de l’organisation communautaire scindée en trois communautés, issues du traité de Maastricht en 1993. Par l’effet de cette entrée en vigueur, s’ajoute l’UE aux CE. L’UE est fondée sur les Communautés européennes complétées par les formes de coopération instaurées par les États. C’est une union fondée sur quatre traités fondateurs: - le traité sur l’UE; - le traité instituant la CEE; - le traité instituant EURATOM; - le traité instituant la CECA. Le traité instituant la CECA avait été signé pour une durée de 50 ans. Il prit donc fin en 2002. Ses compétences furent transférées à la CEE. L’UE repose sur trois piliers distincts: - le pilier communautaire, constitué par les deux CE; - la politique étrangère de sécurité commune (PESC); - la coopération en matière policière et judiciaire en matière pénale. Ces trois piliers constituent deux grandes composantes de l’UE: la composante communautaire (deux CE) et la composante UE qui regroupe les formes de coopération intergouvernementale PESC et coopération policière et judiciaire. Quels sont les éléments communs à l’ensemble des piliers? En quoi l’UE est-elle bien une union? Ces éléments communs sont de deux ordres: - institutionnel. Au sein de l’UE et des CE, les institutions sont communes. Il y a un cadre institutionnel commun, avec un héritage des CE. Au moment de la signature du traité de Rome, on avait pensé à la fusion de toutes les communautés mais, finalement, on n’a pas voulu mettre en danger la CECA. Est demeurée la distinction entre les trois communautés. Des liens institutionnels ont perduré. Au moment de la signature du traité de Rome, fut signée une convention prévoyant que le Parlement et la Cour de justice sont des éléments communs aux trois communautés. En 1965, le traité de Bruxelles fut signé, relatif à la fusion de certaines institutions de l’UE. Il institue un conseil commun aux trois communautés et une commission unique pour les trois communautés. Cette solution fut étendue à l’UE au moment où elle a été créée. L’art. 3 sur l’UE créé un cadre institutionnel unique: « l’Union dispose d’un cadre institutionnel unique qui assure la cohérence et la continuité des objectifs uniques et le développement de l’acquis communautaire ». Ce cadre institutionnel unique est composé des cinq institutions mentionnées à l’art. 5 du traité instituant les Communautés européennes: le Parlement, le Conseil, la Commission, la Cour de justice, la Cour des comptes, auxquels il faut ajouter le Conseil européen (art. 4). Cela ne signifie pas que les procédures de décisions soient les mêmes dans le cadre de chacun de ces trois piliers. Chaque organe intervient selon des modalités différentes dans le cadre des différents piliers de l’UE. Les modes de saisine de la Cour de justice sont différents dans le cadre communautaire et dans le cadre des deux autres piliers de l’UE. Dans le cadre de la PESC, c’est le Conseil qui dispose d’une position privilégiée. Chacun a des compétences plus réduites que celles qui sont dans le cadre de la construction européenne; - objectifs communs: l’Union est unie par des objectifs communs et des dispositions communes. On les trouve dans l’art. 1er du traité sur l’Union et l’art. 3. L’UE forme un tout où l’ensemble des composantes de l’Union forment un tout objectif. Il est inconcevable qu’un État devienne membre de l’un des trois piliers sans y participer. La qualité de membre est attachée aux piliers. Cette unité sur le plan matériel se traduit, techniquement, de deux manières. L’art. 2 du traité sur l’UE assigne la mission de maintenir intégralement l’acquis communautaire, et de le développer afin d’examiner dans quelle mesure les formes de coopération pourraient assurer le fonctionnement des mécanismes du droit communautaire. Non seulement il s’agit de protéger le pilier communautaire, mais, le cas échéant, d’étendre la logique d’intégration de l’UE aux autres institutions communautaires, aux formes de coopération intergouvernementale. L’art. 2 est une clause de progression et d’évolution de l’acquis communautaire au sein de l’Union. L’UE ne remet pas en cause le cœur d’intégration que représente la CE. L’art. 42 du traité sur l’Union organise une passerelle qui permet de transférer certaines actions qui relèvent de l’UE dans le cadre du traité instituant la CE. Par une décision du Conseil à l’unanimité, il est possible de créer des passerelles et de faire bénéficier des régimes de l’UE vers les CE. Le traité d’Amsterdam a transféré certaines compétences de l’Union à la CE. Que ressort-il de cela? L’UE est une entité gigogne, au sein de laquelle l’UE a un statut privilégié, et dans laquelle la CE sert de base d’accueil à des éléments de coopération entre États. Pour le reste, tout est différent. Quels sont les éléments différenciés? L’UE repose sur deux systèmes de droit et d’action qui coexistent: un système d’intégration, le système communautaire, et un système de coopération. Non seulement ces deux systèmes ont des origines distinctes mais, en outre, ils fonctionnent selon des méthodes et procédures qui sont différentes. Le système communautaire repose sur un transfert unilatéral de compétences, contraignant et de façon indépendante des États. Les deux piliers non communautaires fonctionnent, eux, selon la méthode classique de coopération intergouvernementale. Dans le cadre de la PESC, le Parlement et la Commission ont peu de pouvoirs. Les États conservent l’exercice de leurs compétences. Dans le cadre communautaire, la procédure de décision de droit commun pour aborder des directives communautaires (art. 251 du traité CEE) est celle de codécision. La décision est prise conjointement par le Parlement et le Conseil à majorité qualifiée. En matière non communautaire, c’est le Conseil qui décide seul et à l’unanimité des États membres. Enfin, dans le système communautaire, il existe, il a été prévu un ensemble de voies de droit qui garantissent l’accès des États, des particuliers, au juge communautaire ou national. En matière de PESC…, les actes de l’UE ont un effet limité dans les ordres juridiques des États membres. Il n’ont pas d’effet direct. Les particuliers ne peuvent tirer de droits subjectifs. D’autre part, ils échappent le plus souvent à la compétence de la CJCE, sauf quelques exceptions limitées se trouvant à l’art. 35 du traité sur l’Union. Le pilier communautaire est constitué des deux communautés qui demeurent: la CE et EURATOM. EURATOM, c’est une communauté avec un champ beaucoup plus étroit, c’est l’idée de promouvoir la recherche en matière de nucléaire civile, développer les investissements et développer une politique commune d’approvisionnement en matière nucléaire. Il s’agit, déjà, de contribuer à l’indépendance énergétique de l’Europe des Six. Aujourd’hui, le problème de l’approvisionnement énergétique de l’Europe est au cœur des débats. Le deuxième pilier, c’est le titre 5 du traité sur l’UE: c’est l’art. 11. Il s’agit de permettre aux États de mener toute action dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune. Le Conseil adopte, là, des décisions communes, actions et politiques communes, qui sont menées dans le cadre du respect de la Charte des Nations unies. Très souvent, il arrive que l’UE adopte des sanctions économiques. Elle a pris des sanctions à l’égard de l’exYougoslavie. Le troisième pilier concerne la coopération policière et judiciaire dans le cadre des relations entre États. Une grande partie de ces attributions fut transférée à la CE. Demeure sous l’aile de l’UE la matière pénale. L’art. 29 du traité sur l’Union détaille les objectifs poursuivis de prévention de la criminalité organisée, de lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, la corruption. Ont été créés des organes particuliers pour promouvoir la coopération: office européen de police ou Europol (coordination policière) et l’organe de coopération de justice européenne ou Eurojust (coopération en matière de justice). La décision-cadre du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre du procès pénal commence à produire des effets (CJCE, 16 juin 2005, Puppino). La décision-cadre du 13 juin 2002 sur le mandat européen vise à faciliter, entre États membres, la remise de personnes faisant l’objet de poursuites pénales dans l’un des États membres de l’UE. Il y eut des difficultés entre l’acte de transposition de la décision-cadre et les cours constitutionnelles de certains États. III L’Union après et sans les Communautés européennes C’était l’ambition du traité de Constitution que de tout simplifier, que de réunifier la structure communautaire en une seule Union. Mais il n’entendait pas faire disparaître toutes les Communautés. Il souhaitait créer une nouvelle Union européenne qui se substituerait à l’Union européenne telle qu’elle est aujourd’hui et les Communautés européennes. Mais EURATOM ne disparaissait pas. Le traité entendait substituer à l’entité complexe qu’est l’UE une Union plus simple, moins lourde, et rendre plus visible l’UE pour les partenaires de l’Union dans le monde. Au terme du traité, l’UE doit reposer sur un traité unique au lieu des deux traités actuels que sont les traités sur l’Union et celui créant les Communautés européennes. Elle se serait vue reconnaître la personnalité juridique. La nouvelle UE serait dotée d’une structure unitaire au lieu d’une structure en piliers que l’on connaît. Pour établir ce traité, le Conseil européen avait décidé une méthode d’élaboration du traité nouvelle. A la place de la mission classique intergouvernementale, le Conseil décida de suivre une méthode conventionnelle, c’est-à-dire de mettre en place une convention de type nouveau devant préparer un nouveau projet, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Cette convention est composée de la façon suivante: un représentant par État membre, seize membres du Parlement, deux représentants de la Commission et deux représentants délégués de chaque parlement national. Cette méthode nouvelle se veut beaucoup plus démocratique que celle qui avait été utilisée auparavant. Il s’agit de favoriser la délibération et la participation de toutes les parties à l’élaboration du traité. Cette méthode n’aura pas les résultats escomptés. Elle a connu un précédent qui est l’élaboration de la rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Au moment où fut négocié le traité de Nice, en même temps fut élaboré un texte qui est un catalogue des droits fondamentaux que l’UE entendant protéger en Europe. Il fut mis au point par une convention, semblable à celle installée pour le traité constitutionnel. La Charte des droits fondamentaux fut proclamée solennellement à Nice en décembre 2000. Cette Charte fut proclamée solennellement, elle n’a pas été ratifiée par les États membres, et ce texte n’a pas, aujourd’hui, formellement, de valeur juridique contraignante, à l’égal des traités européens. Néanmoins, elle sert de modèle à la CEDH pour développer sa jurisprudence. Le Parlement, la Commission, le Conseil se sont engagés à respecter la Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice. Cette Charte faisait l’objet d’une intégration au sein du traité et, ipso facto, aurait revêtu le caractère contraignant. Il y a, toute fois, une limite: ce n’est pas la convention sur l’Europe qui a établi le texte final de la Constitution européenne signée à Rome en octobre 2004. Son objet se limitait à rédiger un projet de traité constitutionnel qui, dans une seconde phase, fut remis aux gouvernements des États membres, et c’est au terme de la CIG (convention internationale des gouvernements) que le projet fut accepté. Le fait que ce texte ait été rédigé par une commission plutôt démocratique faisait peser une exigence forte sur les gouvernements des États, qui ne pouvaient y retoucher que de manière marginale. Techniquement, cette constitution européenne n’est pas un texte d’amendement des traités européens, un traité de révision des traités constituant l’Union et les CE. C’est un traité constitutif d’une nouvelle organisation européenne. On est, là, en face d’un cas de succession d’organisation internationale. La nouvelle UE se serait substituée à l’UE et aux CE actuelles. Comment, juridiquement, organise-t-on une telle succession? Elle se règle par trois séries d’accords passés entre les États membres. Pour chacun de ces accords, le consentement unanime des États membres est requis. Ce n’est pas l’UE elle-même qui décide de se refonder: ce sont les États membres de l’UE qui restent maîtres du processus de constitutionnalisation de l’UE et, le cas échéant, de la révision du traité constitutionnel (il reproduit l’art. 58 du traité sur l’UE: il faudrait l’unanimité des États membres de l’UE). Ce traité reste un traité international, en ce sens que les États membres de l’organisation restent extrêmement maîtres de son application et de sa révision. Ces trois séries d’accords sont: - l’abrogation des traités actuels, qui provoque la disparition de la CE et de l’UE actuelles (art. 4 -437 du traité: « le présent traité abroge le traité créant la CE et le traité sur l’UE ainsi que les actes de révision de ces traités »). Sur le plan théorique, dans le droit des organisations internationales, il n’y a pas forcément de simultanéité entre la disparition et la création d’un successeur. En 1946, l’ONU est créée pour remplacer la SDN mais, pendant quelques années, les deux coexistent; - la succession passe par l’institution de la nouvelle organisation. Cette nouvelle organisation a la personnalité propre et il y a transfert par les États des compétences attribuées aux deux organisations qui disparaissent vers la nouvelle UE; - enfin, pour qu’il y ait réellement substitution d’organisation, il faut que les droits, les obligations de la CE et de l’UE actuelles soient dévolus à la nouvelle UE. Il faut que l’acquis institutionnel, normatif, l’acquis jurisprudentiel soient intégrés à la nouvelle UE. Il faut assurer la continuité juridique de l’ancienne UE (art. 438 par. 2, 3 et 4). La jurisprudence de la Cour de justice reste la source de l’interprétation des dispositions des traités, donc on assure la continuité de l’ancienne UE dans la nouvelle. Ceci révèle la volonté de marquer une continuité. Cette refondation de l’UE n’est pas une rupture par rapport à l’UE actuelle. Ce traité constitutionnel apporte, sur le fond, beaucoup moins de changement, par ex., que le traité de Maastricht. Quel est donc le sens de cette refondation? Il a une signification profonde, celle d’une remise en forme, d’une remise en ordre de l’UE. Il s’agit, avec ce traité, de reconnaître des réalisations de tout ce que l’UE a fait, des capacités de l’UE d’exposer clairement les réalisations, des capacités de l’UE d’ordonner ces réalisations, c’est-àdire de hiérarchiser les objectifs de l’UE. Ce texte ne créé pas une UE plus large ou plus forte que l’UE actuelle: il reconnaît ce qui est déjà là, ce qui est mal fait, mal vu dans l’UE, et de l’ordonner. Tout cela n’est pas neutre ni sans risque: en ordonnant l’UE, en exposant les finalités et le sens de l’intégration, la Constitution expose l’UE à l‘évaluation, à la critique de ses membres, de ses institutions et de ses partenaires. La forme de l’UE donnée par cette Constitution est un objectif politique, de donner à l’UE un objet politique. Ceci signifie qu’on veut faire de l’UE un objet de mobilisation soit pour, soit contre. Cette Constitution est divisée en quatre parties: - les principes; - les garanties démocratiques (intégration de la Charte des droits fondamentaux); - les compétences de l’UE (dispositions relatives aux politiques de l‘UE. Cette partie, qui a donné lieu à des modifications très peu importantes, reprend l‘essentiel des traités précédents, avec quelques dispositions sociales); - les finances (modalités d’entrée en vigueur du traité et modalité de révision du traité). Quels sont les apports de ce texte? Ce texte apporte l’unification structurelle des CE et de l’UE: il n’y a plus la nécessité de distinguer entres piliers. Les objectifs et les valeurs de l’UE sont clairement identifiés. Il y a incorporation de la Charte des droits fondamentaux dont les prescriptions s’imposent aux autorités de l’UE et aux autorités nationales quand elles mettent en œuvre le droit de l’UE. La clarification des compétences attribuées à l’UE, car il faut savoir que les traités actuels ne comportent pas de liste claire des compétences reconnues à l’UE et à la CE: on ne trouve que des objectifs. C’est sur la base des objectifs que l’on détermine, actuellement, les compétences qu’on leur attribue. Il précise clairement les compétences attribuées à l’UE, en distinguant ces compétences par catégorie selon l’intensité du transfert de compétences opéré par les États membres. Amélioration et renforcement du système institutionnel: les fonctions des différentes institutions sont clairement déterminées et la présidence du Conseil européen est renforcée. Il est prévu qu’il soit élu par les membres du Conseil pour une période de deux ans et demi. Il créé un poste de ministre des Affaires étrangères de l’UE, afin de donner une plus grande lisibilité de l’UE sur la scène européenne, et renforcer les rôles du président de la Commission européenne: il devient le chef du gouvernement européen. Il y a renforcement du Parlement européen qui élirait le président de la Commission (nommé aujourd’hui). Le texte du traité distingue clairement, désormais, entre les actes législatifs de l’UE et les actes non législatifs. Désormais, est créée la catégorie de la loi-cadre européenne, adoptée par le couple que forme le Parlement et le Conseil, et quant aux actes non législatifs, ils seront adoptées par l’UE sous la forme de règlements et de décisions. L’entrée en vigueur de ce traité exigeait la ratification unanime des États contractants et signataires de l’UE actuelle. Cette procédure lourde et contraignante devait la faire ratifier chacun chez soi. On s’est demandé si on ne devait pas alléger la procédure d’adoption de ce traité. En mai 2004, la France et l’Allemagne avaient dit que pourvu que vingt États aient ratifié la Constitution, la Constitution s’appliquerait à ces vingt États. Mais, juridiquement, dans le cas où on prévoit une procédure de ratification allégée, cela veut dire que des États n’ont pas ratifié le traité, et cela veut dire que ces États seraient toujours membres de l’UE et de la CE. Dès lors qu’il faut l’unanimité pour créer de nouvelles organisations, il faut l’unanimité pour mettre fin à ces organisations. De là la formule d’unanimité retenue. L’obstacle posé par le référendum négatif aux P-B et en France a mis fin au débat. La Constitution dit que si, à compter de deux ans à partir de la signature du traité, 4/5 des États ont ratifié, mais qu’un ou plusieurs États ont rencontré des difficultés dans cette ratification, une Commission se réunirait. Mais le délai est dépassé sans avoir réuni les conditions nécessaires. La présidence de l’Union change tous les six mois. C’est une présidence tournante. Le traité constitutionnel semble enterré depuis l’anniversaire du traité de Rome de mars 2007 à Berlin. Mais le projet de réforme des institutions n’est pas abandonné. On semble avoir abandonné l’idée d’un traité constitutionnel, qui porte adaptation des institutions. Les 27 oseront-ils créer une nouvelle organisation de l’UE ou réformeront-ils simplement les institutions. L’Allemagne souhaite qu’une conférence intergouvernementale s’ouvre, sous présidence portugaise. C’est un succès pour l’UE d’être arrivé à ce compromis. Il reste des résistances du côté de la Pologne et de la République Tchèque, qui ne sont cependant pas opposées à de nouvelles négociations. Section 2 La composition de l’UE Il n’y a pas, dans l’UE, d’État associé. Il n’y a pas d’association d’État. Elle conclue cependant, dans certains cas, des accords économiques d’association, avec la Turquie par ex., des États du Maghreb. Comment s’acquiert la qualité de membre d’UE ? I L’acquisition de la qualité de membre Cette acquisition repose sur un double consentement. Il faut le consentement de l’État qui souhaite accéder à l’Union et celui des États membres de l’UE. L’accession à l’UE est subordonnée à des conditions. Ces conditions sont fixées à l’art. 49 du traité sur l’Union: « tout état européen qui respecte les conditions de l’art. 6 par. 1 er peut devenir membre de l’UE ». Deux conditions sont formellement posées: - « tout État européen ». La première condition est géographique. Le traité ne donne pas les frontières géographiques de l’Europe. En 1987 par ex., la candidature du Maroc a été rejetée au motif qu’il n’a pas été considéré, à ce moment-là, comme un État européen. En revanche, la Turquie a été considérée comme un État européen. Cela ne veut pas dire qu’elle accèdera à l’UE, mais qu’elle remplit une condition; - l’autre condition est de respecter les dispositions de l’art. 6 par. 1 er, qui concerne les principes de liberté, de démocratie, de libertés fondamentales et de droits de l’homme. C’était une condition inscrite implicitement dès le début de l’UE. Se sont ajoutés trois nouveaux critères au moment des discussions sur l’adhésion des PECO au sommet de Copenhague de 1993. Ces conditions sont encore valables pour toute nouvelle entrée. Ces critères sont au nombre de trois : - politique: exige que l’État candidat respecte la démocratie et les droits de l’homme et qu’il respecte les minorités nationales qui sont nombreuses; - économique: l’État candidat doit disposer d’une économie de marché viable, pour limiter les phénomènes de corruption au sein du marché et des organes étatiques, et avoir la capacité, à terme, de souscrire à tous les objectifs de l’union économique et monétaire, si ce n’est tout de suite ; - administratif: concerne la capacité de l’État candidat à intégrer, à assumer l’acquis communautaire, l’ensemble des actes adoptés avant l’entrée de ce pays par les textes communautaires. Aspect institutionnel: l’adaptation de l’appareil administratif et juridictionnel à l’UE, c’est-à-dire la capacité d’assumer le droit de l’UE par ces États. Ces critères ont fait l’objet, ensuite, d’une application au cas par cas en fonction des avancées des uns et des autres. Quelle est la procédure? Elle est inscrite à l’art. 49: demande solennelle de candidature au Conseil de l’Europe qui doit se prononcer à l’unanimité de ses membres, après avis de la Commission européenne, qui ne lie pas le Conseil, et après avis conforme du Parlement européen qui la lie. Sur la base de la décision du Conseil, s’engagent des négociations qui peuvent aboutir à la signature d’un traité d’adhésion. Il faut que ce traité soit ratifié par les États membres et par l’État candidat, selon les dispositions constitutionnelles respectives des États adhérents. Les États adhérents s’engagent à se plier au droit communautaire et aux charges qui découlent de son adhésion avant son entrée dans l’UE. Il y a aussi des obligations d’adaptation, qui concernent le champ d’application territorial du traité, le régime des langues de l’UE et en ce qui concerne la composition des institutions de l’UE (repondération des voix, répartition des sièges…). Toutes ces modifications sont prévues dans un acte d’adhésion signé séparément du traité lui-même. Enfin, cet acte d’adhésion prévoit des dispositions transitoires qui permettent de ménager une période de transition pour s’adapter à l’UE, mais aussi pour les États membres de l’UE pour accueillir ces nouveaux États. En 2004, un régime transitoire fut prévu en matière agricole, à l’égard des nouveaux entrants, qui ne bénéficieraient pas de tous les avantages qu’ils ont aujourd’hui si ce régime n’avait pas été prévu. Ce régime pose encore problème: la Pologne a contesté ce régime transitoire devant la Cour de justice des CE. Un autre régime a été créé pour la libre circulation des travailleurs et des personnes, ces principes n’étant pas applicables pour un certain nombre d’États. Les actes d’adhésion concernent aussi des demandes très particulières, ces États demandant que des intérêts qu’ils considèrent comme vitaux soient intégrés dans l’UE. Ex: entrée dans l’UE de la Suède, qui avait demandé une dérogation à la directive qui prévoit que les États interdisent la mise sur le marché de tabac par voie orale, de tabac à mâcher, le tabac à mâcher étant commun en Suède (arrêt 14 déc. 2004, Arnold André). II Les conditions d’appartenance à l’UE Leur position est très distincte. Les États membres occupent trois positions en même temps: - ils demeurent les fondateurs de l’UE et des CE, les créateurs du système. Ce sont les autorités constituantes. Ils revêtent la qualité de maîtres des traités constitutifs de l’UE et des CE. Ils disposent de la faculté de réviser les traités, voire d’abroger les traités. Ils sont directement impliqués dans la direction du système, dans les actions de l’UE et des CE: les États sont acteurs du système. Ils disposent d’un droit de participation à l’élaboration des décisions de l’UE. Ce sont les représentants des États qui siègent et décident sur instruction de leur gouvernement. La volonté des États est présente dans l’élaboration des actes de l’UE, ce qui ne signifie pas que tout le droit de l’UE vient des États. Il est possible qu’une norme européenne s’impose à un État sans qu’il ait donné son accord à cette norme. Ils sont soumis à des opérations de coopération. Ils sont sujet du droit de l’UE. L’art. 10 du traité instituant la CE (p. 49) dit: « les États membres prennent toutes mesures… ». La CJCE en a tiré le principe de coopération loyale, qui signifie que les États membres sont liés à l’UE par un devoir de fidélité, de loyauté. Cela implique d’assurer le plein effet des actes communautaires, de l’UE (art. 10) et de toute mesure susceptible d’entraver l’action des CE et de l’UE. C’est à ce titre que les parlements nationaux votent les normes communautaires, et que les administrations nationales prêtent leur concours pour l’exécution des dispositions européennes (ex: Conseil de la concurrence qui prête son concours aux agents de la Commission) et c’est à ce titre que les juridictions nationales se font juges du droit communautaire, et doivent écarter tout acte national contraire aux actes communautaires. Les États sont les vecteurs et les instruments de la construction communautaire. Dans ces différentes fonctions communautaires, les États ont une fonction nouvelle: ils sont constitués en organes communautaires. De là de nouveaux pouvoirs: celui des juridictions nationales d’écarter la loi nationale, mais également des contraintes nouvelles. Le respect de ces contraintes est garanti par un système de sanctions prévues par la CJCE de deux manières: - la voie du manquement (art. 226 à 228 du traité). La Cour peut constater le manquement et condamner l’État. La France fut condamnée à une amende colossale en matière de pêche et, aujourd’hui, en matière de traitement des nitrates ; - la voie de la mise en cause de la responsabilité de l’État, qui demande que chaque État prévoit des mesures particulières de sanctions de l’administration ou du législateur, le cas échéant. - l’État est lié par des obligations de coopération. Mais, dans le contexte politique, les choses sont plus complexes: d’un côté les États sont perçus comme des instruments au service de l’UE et des CE mais, de l’autre côté, l’UE et les CE sont perçues par les États comme un instrument au service des intérêts nationaux. A travers sa participation à l’UE, la France défend da conception du monde, notamment pour dégager une politique de défense commune et autonome par rapport à la politique étrangère des E-U. La position des PECO est ambivalente: d’un côté, ils sont très apparents dans le système pour apparaître de bons élèves, et, de l’autre, il y a une certaine réticence de certains de ces États pour céder des parts de souveraineté à une nouvelle entité, à partir du moment où ils ont récupéré cette souveraineté il y a peu de temps. III La perte de la qualité de membre Les traités ont été conclus pour une durée illimitée. Il ne peut y avoir perte de la qualité de membre par la simple extinction de ces traités. La perte de la qualité de membre survient dans deux cas: retrait unilatéral ou exclusion forcée. Le retrait unilatéral: cette procédure n’est pas indiquée dans les traités jusqu’ici en vigueur. Faut-il en conclure que le retrait est exclu? Pas nécessairement: dès lors qu’il n’y a pas de dispositions pertinentes, il faut se référer aux règles communes du droit des traités, aux conventions de Vienne de 1969. Selon les conventions de Vienne, le retrait est possible dans trois cas: soit parce que le traité le prévoit; soit parce que les États autres consentent à ce retrait; si les rédacteurs avaient l’intention d’admettre ce retrait. Dans le cas de l’UE, deux conditions sont exclues: le traité ne le prévoit pas et les créateurs de l’UE l’avaient exclu. Mais cela n’exclue pas la menace d’un État de décider souverainement de la quitter. Que se passe-t-il à ce moment-là? Soit les États sont d’accord pour ce retrait et une négociation du retrait est envisageable. Soit les autres États refusent cette hypothèse, et rien n’empêchera l’État en question de se retirer, mais il devra se préparer à des sanctions financières. Un retrait avait été envisagé par le Danemark au moment du rejet du traité de Maastricht par le peuple danois. Le traité constitutionnel réglait cette question. C’était une innovation majeure que de prévoir le droit de retrait des États (art. 1, partie 1, 60): « tout État peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’UE ». Le retrait était alors décidé unilatéralement par l’État. Comment interpréter ce droit de retrait prévu par l’UE? On a lu que ce droit de retrait serait une sorte de manifestation de la fragilité de l’UE et rapprocherait l’UE d’une organisation internationale banale, tout État pouvant décider seul de se retirer de l’UE. Cette interprétation est un contresens, car il a le sens exactement opposé. Il a été prévu pour faciliter une intégration encore plus poussée. Il s’agit de dire aux pays membres que seuls les États ayant envie de s’engager pleinement dans une Europe de plus en plus intégrée pourraient continuer l’aventure. Autre interprétation: le traité d’Amsterdam de 1997 prévoit de suspendre momentanément les prérogatives d’un État au sein de l’UE (art. 7 du traité sur l’UE). La violation doit être constatée par le tiers des États membres du Conseil de l’Union, et le Conseil peut alors décider la suspension de certains des droits de cet État. Mais il n’y a pas d’application de cet article. En revanche, la crise autrichienne qui s’est déroulée à la fin de l’année 1999 fit prévoir des mesures spéciales: les élections législatives autrichiennes donnèrent 27% des voix au parti de Jörg Haider. Il n’y eut pas de violation formelle des traités européens. Le discours de Haider durant la campagne révélait des idéaux opposés à ceux de l’UE. Les quatorze autres États décidèrent de mettre sous surveillance l’Autriche, en dehors du cadre prévu par le traité. Il n’y a plus de relations diplomatiques avec l’Autriche. Ces États décident de mettre sur place un comité de trois sages chargés de vérifier le respect des valeurs européennes. La France et la Belgique souhaitaient aller plus loin dans les sanctions, qui auraient permis aux autrichiens de se rendre compte de l’opposition de valeurs. Mais d’autres ne voulaient pas entendre parler de sanctions, et s’opposaient à toute ingérence de l’UE dans les affaires intérieures de l’Autriche. Il y eut remise du comité des sages, en septembre 2000, d’un rapport qui appela à la levée de toute sanction. Cette crise eut un effet informel. Depuis lors, il n’est plus rare que les institutions européennes se prononcent sur la situation politique dans un des États membres de l’UE. Dernièrement, les institutions européennes ont fait État de la violation des règles de pluralisme en Italie, en 2004, et en 2002 concernant le deuxième tour de l’élection présidentielle. De plus, elle se plaignit d’une remise en cause xénophobe et raciste des valeurs européennes en Pologne. Mais les États doivent prendre acte des évolutions internes des États membres de l’UE. Mais ceci vaut aussi en matière morale, sociale. L’autre effet de la crise est qu’en vue de mieux répondre à la situation de 1999, le traité de Nice de 2001 a ajouté un nouveau paragraphe à l’art. 7: le par. 1er de l’art. 7 fut ajouté par le traité de Nice. Ces dispositions prévoient que « le Conseil, statuant au 4/5 de ses membres après avis du Parlement, peut déclarer la "peur du risque de violation des valeurs européennes" ». Le Conseil peut demander à des personnalités indéniables de présenter un rapport sur l’état du pays en question. L’Agence des droits fondamentaux de l’UE aura sûrement un rôle à jouer dans ce cadre. Section 3 Le modèle de développement L’UE porte un modèle de développement économique et social. Il a évolué. Elle porte un modèle de marché commun concurrent de celui des E-U. A partir de ce cadre fondateur, les États se sont mêlés de préoccupations non plus seulement économiques mais aussi politiques et sociales. Le modèle européen est le théâtre d’une lutte de deux logiques: - la logique du marché, de la liberté économique; - la logique de la protection. Le système de protection se charge de la préservation d’un système protégé. Ce système connaît des ambivalences. Cette ambivalence est aussi une ambiguïté du système. I Le compromis initial Il tourne autour de ceci: accroître la production, la productivité et le niveau de vie des européens. On peut lire que les États membres et la Communauté résident dans un marché où la concurrence est libre. Un système qui pose cela dans ses bases n’est pas un système socialiste. Est-il seulement économique et néolibéral? Ces buts trahissent-ils une attirance exclusive vers l’ouverture des marchés et contre toute régulation sociale? Non, les auteurs du traité communautaire veulent créer, à la base, un traité économique. Mais ils laissent aux États, aux institutions communautaires, la possibilité d’intervenir dans des domaines. Ils laissent une zone de laissez-passer. Son intention n’est pas de créer une zone de laisser-faire mais de créer une zone de libre circulation des productions, de non intervention des États. La CECA doit réaliser l’établissement progressif de la répartition la plus rationnelle tout en sauvegardant la continuité de l’emploi et en évitant de provoquer dans les économies européennes des conflits sévères et persistants. C’est au moment de la conclusion du traité CECA que les gouvernements s’engagent dans de vastes programmes sociaux. Le traité CEE modifie encore la donne: l’Italie, par ex., veut la libre circulation des travailleurs, car il y a trop de travailleurs par rapport au nombre d’emplois offerts en Europe. Art. 2 du traité CEE: la Communauté a pour mission, par l’établissement d’un marché économique et de politiques économiques voulues par les États, de développer une expansion continue et équilibrée, un relèvement accéléré des niveaux de vie. Il apparaît une politique commune. Très tôt, le juge communautaire a facilité la mise en oeuvre du marché commun de deux façons: - en élevant les règles de liberté de circulation au rang de principes fondamentaux de l’ordre juridique communautaire, et en apportant des priorités à ces règles; - très tôt, alors que le traité ne comprenait aucune indication à cet égard, le juge communautaire va conférer un effet direct aux règles relatives à la liberté de circulation. Il va permettre aux opérateurs économiques de se prévaloir, dans leur propre ordre juridique, de ces règles de traités à l’encontre de toute législation, de toute mesure nationale, de tout acte de législation nationale. En reconnaissant l’effet direct à ces mesures, il a considérablement accéléré la construction du marché européen (CE, 11 décembre 2006: la France refusait les échalotes produites par des éleveurs hollandais différemment de celles produites en France. Le CE condamne en suivant l’avis européen pour entrave à la libre circulation des services) (arrêt 5 oct. 2004, Kedsap Bank: la Cour condamne la France qui refuse de rémunérer les comptes courants. La Cour juge que c‘est une restriction à la liberté de service et au libre établissement). La libre circulation des travailleurs (arrêt Bosman, 15 déc. 1995, condamne comme non conforme à la règle de libre circulation des travailleurs les règles de transfert entre clubs de football qui limitaient, dans les fédérations nationales, le nombre de joueurs étrangers). De même (CE, 10 nov. 2004, Lasperi de…), on ne peut condamner quelqu’un qui décide d’élire son domicile fiscal ailleurs qu’en France. Les politologues parlent d’intégration positive (lève les barrières) et celle-ci a connu une accélération notable à partir de la signature de l’Acte unique européen de 1986, qui était l’achèvement du marché commun au 31 décembre 1992. Cela a donné l’ajout, dans le traité, de l’art. 14 du traité CEE. Non seulement l’acte unique donne comme objectif de réaliser les objectifs à l’échéance, mais donne les moyens d’y parvenir. Il prévoit que l’harmonisation des règles essentielles puisse se faire désormais non plus à l’unanimité mais, à partir de l’entrée en vigueur de l’Acte unique, à la majorité qualifiée. Puis c’est sur la base de cet Acte que va être développé, plus tard, dans les années 1990, toute la vague de libéralisation des secteurs qui étaient jusque-là entièrement contrôlés par l’État dans les secteurs de l’énergie, des transports et des télécommunications. L’autre moyen que se donne l’Acte, c’est les politiques communes. Elles sont visées au Traité de Rome sous le titre du « rapprochement politique des États membres de l’UE ». Ceci était voulu par la France. Les politiques communes occupaient une place assez modeste: on préférait donner l‘avantage à l‘intégration économique. A l’origine, seuls quatre secteurs font l’objet de politiques communes. Deux politiques communes complètent naturellement l’effort économique: - la politique communautaire de concurrence. Dès lors que les frontières économiques et interétatiques ont été abrogées, il s’agit d’éviter que de nouvelles entraves puissent être crées du fait du comportement des opérateurs privés sur ce marché, et que les opérateurs privés recréent des obstacles, soit en créant des ententes sur un marché, pour bloquer l’accès de nouveaux opérateurs sur ce marché, soit en abus de position dominante (art. 82 du traité); - la politique communautaire commerciale. C’est une manière de gérer en commun, dès lors qu’il y a une union douanière, les rapports économiques et commerciaux avec les pays extérieurs à l’Union. C’est le cas dans le cadre de l’OMC, pour les accords conclus par la CEE avec d’autres pays en matière d’agriculture… Deux autres secteurs sont traditionnellement protégés en Europe, qui n’auraient pas supporté une entreprise de libéralisation s’il n’avaient été mis en place en commun, dans des systèmes dirigés: - la PAC; - les transports, prévus par le traité à l’origine mais qui va connaître un développement bien moins important que la PAC. Se sont superposées à ces autres politiques un nombre très important de politiques communes (sociale, environnementale…) plus ou moins intégrées selon les secteurs: on les retrouve à l’art. 3 du traité instituant l’UE. On remarque les formes de coopérations policière et judiciaire. La liste des actions communes de l’UE et des CE témoigne des capacités très larges reconnues à ces organismes sur les marchés, par une politique sur les transports, sur l’industrie; l’UE agit sur les territoires par une politique de cohésion économique et sociale sur la pêche, la chasse, l’agriculture; l’UE agit sur les populations européennes par une politique culturelle, d’éducation, de santé, des soins; par une politique étrangère commune qui a déjà certain résultats. Le troisième moyen par lequel l’UE entend obtenir des résultats, c’est l’union économique et monétaire, c’est le traité de Maastricht qui le prévoit. On l’appelle union économique et monétaire car elle s’inscrit dans les politiques de la CEE. Elle s’inscrit logiquement dans le prolongement de la réalisation du marché commun. L’Acte unique prévoyait une révision ultérieure du traité communautaire afin d’établir une union monétaire. Dans un espace unifié sur le plan économique, l’existence de monnaies différentes est un problème, tend à cloisonner les marchés nationaux. L’existence de règles différentes dans chaque pays présente des difficultés et des dangers pour les investisseurs, et des difficultés pour les consommateurs de comparer les prix. Or, le marché européen a pour but de favoriser la libre circulation des ressources et des biens. C’est seulement s’il y a une transparence des tarifs qu’un européen pourra comparer le prix de tel denrée dans son pays et le prix de la même denrée dans tel autre pays. La monnaie unique permet d’éliminer certaines difficultés en ce que la comparaison est immédiate (art. 4 du traité instituant la Communauté européenne). Le but est la stabilité des prix et la lutte contre l’inflation. L’union économique et monétaire possède un régime très spécifique au sein de la Communauté: il existe un déséquilibre dans l’union économique et monétaire entre ses composantes économique et monétaire. L’art. 4 dit que l’union économique est fondée sur la coopération économique des États: on entend la politique budgétaire, mais aussi fiscale… En revanche, l’union monétaire repose sur une monnaie unique ainsi que la définition d’une politique monétaire et de change unique: c’est un régime entièrement intégré. D’un point de vue juridique, la politique monétaire suppose un transfert unilatéral et total de la compétence des États membres au profit de l’UE. En revanche, les politiques économiques demeurent en principe de la compétence nationale, les États conservant les responsabilités essentielles, mais ils doivent passer par des règles de respect de certains critères en matière de déficit budgétaire. L’établissement de l’union monétaire implique la création d’un système complètement intégré de banques centrales (SEBC): au centre de ce système se trouve la Banque centrale européenne installée à Francfort qui impose ses décisions, sans aucune influence des États, en toute indépendance, aux Banques centrales des États membres. Au contraire, en matière de politique économique, sur le plan institutionnel, tout repose sur de la coopération gouvernementale, au sein du conseil ECOFI. Ce déséquilibre est une source de tensions sur le plan politique et économique. Il y a un déséquilibre en les points économique et monétaire, d’où l’idée de créer un gouvernement économique de la zone euro, donc de faire contrepoids à l’autorité de la Banque centrale européenne. Tout ceci vaut sous une réserve: il y a un phénomène de différenciation: tous les États de l’UE n’ont pas adopté l’Euro. Ils ne sont que treize. Ils ont tous vocation à l’adopter, mais il y a des conditions pour pouvoir l’adopter. Ceux qui ne veulent pas y entrer ont un statut particulier, et sont au nombre de deux: le R-U et le Danemark. On a un relèvement des niveaux de vie des populations européennes. La CE repose sur un nouveau compromis qui passe non seulement par la croissance économique de l’Europe, mais aussi par un accroissement des productions et le relèvement de la qualité de vie des populations. II Le nouveau compromis C’est au Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, que le nouveau modèle de développement de l’UE fut formulé. Les États se donnent pour objectif, dans le contexte de la prise en compte des contraintes de la mondialisation, de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Il s’ensuit dans cette déclaration la nécessité de trouver un « bon équilibre entre la politique économique, la politique de l’emploi et la politique sociale, ainsi que la politique environnementale ». C’est la politique d’équilibre qui domine. Le modèle est un modèle d’équilibre. C’est un modèle que l’on retrouve dans la déclaration de Berlin du 25 mars 2007: le modèle européen concilie réussite économique et solidarité sociale. C’est ce que l’on retrouve dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe. On le retrouve à l’art. 3 du traité (cf. p. 38). On lit: « l’Union a un double but: la paix historique et le bien-être des peuples européens » (reformulation de ce qu’on trouve dans la déclaration d’indépendance américaine ou DDHC de 1789: c’est l’idée de bonheur commun). Il s’agit de créer un cadre ou un espace (espace de sécurité et de justice) qui est également un espace économique (marché intérieur). Au par. 3, on retrouve la nouvelle UE: « l’UE œuvre pour le développement durable de l’Europe, est fondée sur une économie de marché pleinement compétitive, qui tend au plein emploi… ». Il y a trois composantes: - économique: équilibrée, avec l’objectif de stabilité des prix et de la croissance; - écologique, environnementale: c’est la recherche d’un niveau élevé de l’amélioration de l’environnement et d’un développement durable de l’Europe. Compétence enrichie avec le traité de Maastricht et d’Amsterdam. La Communauté développe une politique commune en matière environnementale; - sociale: on trouve à l’art. 2 du traité instituant la CE, tel que modifié par le traité de Maastricht, la nécessité de la CEE de promouvoir l’emploi et un niveau de protection élevée. Il fut toujours considéré que les questions de protection sociale, d’emploi, relevaient essentiellement du niveau national, de la compétence des États. Une partition était établie entre l’aide économique relevant du cadre européen et les questions de redistribution sociale. C’était la partition sur laquelle reposait l’UE. Il apparut que cette distribution des tâches n’était pas possible. Il apparut que la simple application des règles économiques de l’UE, par les règles de concurrence des États, la libre circulation des marchés, des capitaux, avaient pour effet indirect d’affecter les conditions nationales d’impositions et de protections sociales, parce qu’il arrivait de plus en plus souvent que les règles de concurrence s’appliquent au système de bourse, dans les hôpitaux, considérés comme des services… Dans le marché commun, qui était censé libérer les facteurs de production dans la CE, il apparut que ces règles affectaient, en les déstabilisant, les dispositifs de redistributions sociales dans les États membres de l’UE, d’où l’idée, courante aujourd’hui, que l’avancée de l’intégration économique avait pour résultat de détruire les bases sociales, les bases économiques des systèmes sociaux des États européens. S’imposa l’idée que l’UE est une protection à l’égard des logiques libérales au niveau mondial. Le résultat de ce débat est l’introduction dans le traité constitutionnel, à l’art. 23 par. 3, de la référence à « l’économie sociale de marché ». D’où vient cette référence? Elle fut instituée à la suite d’un malentendu. C’est un concept allemand, né à l’époque de la République de Weimar, qui connut, au lendemain de l’Allemagne occidentale de l’époque, un grand succès. Il s’agit d’instaurer un système de protection des libertés économiques individuelles contre toute ingérence abusive des pouvoirs publics et même des pouvoirs privés. C’est dans un tout autre sens qu’il est introduit dans le traité constitutionnel: il participe de la volonté de créer un contrepoids social aux considérations purement économiques. C’est l’idée que l’intégration européenne ne peut se faire au détriment de la justice sociale des États membres, que la prospérité économique de l’Europe ne saurait être obtenue en sacrifiant des données économiques des pays membres. La CE, telle qu’elle est aujourd’hui, a-t-elle les moyens d’atteindre ce compromis, cet équilibre, cet objectif? Voyons la réserve introduite à l’art. 5 du par. 3: au terme de cette disposition, l’Union poursuit ses objectifs par des moyens appropriés, en fonction des compétences qui lui sont conférées par le traité en question. Or, les moyens de l’Europe sociale demeurent beaucoup plus faibles que les moyens de l’Europe économique. Il n’y a que des règles de coordination. Il n’y a pas de possibilités d’harmoniser les législations. De plus, l’Europe devrait disposer d’un budget pour mener à bien ses missions. C’est un budget, aujourd’hui, de 127 milliards d’Euros par an, c’est-à-dire le budget d’un État moyen de l’UE. L’Europe économique provient d’une politique volontariste, mais le modèle social européen dispose de moyens limités car les États refusent toujours de transférer des compétences en matière sociale à l’UE, différences accentuées par les nouveaux élargissements. L’Europe n’est pas un superpouvoir supranational. Elle ne peut qu’accompagner des mesures sociales de coordination et de protection de certains droits sociaux. Que fait l’UE depuis quelques années? Au lieu de développer un modèle social uniforme dont elle n’a pas les moyens, elle élargit les capacités d’action des ressortissants européens dans le cadre des systèmes nationaux. Pour ce faire, elle dispose d’un instrument important: cet instrument, c’est la citoyenneté européenne. Le statut de citoyen européen fut créé par le traité de Maastricht, qui ajouta la deuxième partie du traité instituant la CE. Qu’est-ce qu’être citoyen européen? (art. 17 par. 1 er, p. 50): « est citoyen de l’Union toute personne ayant la citoyenneté d’un État membre ». L’attribution de la citoyenneté européenne est liée à l’attribution de la citoyenneté nationale. C’est à chaque État membre de déterminer si une personne a la citoyenneté de l’État, donc la citoyenneté européenne. Art. 17, par. 1er: «la citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale. Elle ne la remplace pas ». Cette disposition est à rapprocher de ce qu’on entend dans le débat politique et de l’art 6 du traité sur l’Union: « l’Union respecte l’identité nationale des États membres ». Il s’agit non de se substituer mais de conférer un nouveau statut aux citoyens européens. Quel est l’intérêt de ce statut? Ces droits sont inscrits aux art. 18 à 21 du traité instituant la CEE. Il y a deux sortes principales de droits constitutifs du citoyen européen: - art. 19: droits politiques. Reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens aux élections municipales et européennes, dans tout État membre, même dans un autre État; - art. 18: il fut mis en œuvre depuis la fin des années 1990 par la jurisprudence des CE. Cette disposition concerne une liberté que l’on connaissant déjà dans le cadre communautaire: c’est la généralisation, pour tous les citoyens de l’Union, de la liberté de circulation et de séjour sur tout le territoire des États membres de l’UE. La citoyenneté européenne, alors, qu’est-ce? C’est l’idée de créer un lien personnel, un facteur de légitimation de l’UE, en créant un lien autre qu’économique entre les peuples européens, avec des citoyens disposant des mêmes droits. La citoyenneté européenne, ce n’est pas créer un peuple européen qui se substituerait à l’identité nationale. Il n’y a pas, à proprement parler, d’identité européenne qui se substituerait aux identités nationales. C’est surtout, aujourd’hui, un lien de nature transnationale plus que supranationale. On est européen, aujourd’hui, par le droit de circuler librement sur le territoire de l’Union, et on est citoyen européen par le droit d’être traité avec égalité avec les citoyens nationaux par les autres États membres. C’est le droit de voir sa situation prise en charge, d’être intégré juridiquement par l’État d’accueil, dans lequel on décide de poursuivre des études. C’est l’obligation qui est faite aux autorités nationales d’abandonner les vieux réflexes de préférence nationale, en tout cas à l’égard des ressortissants des autres États membres de l’UE. (CJCE, 7 septembre 2004): M. Trojani, français, demande en Belgique l’attribution du Minimex. La Cour dit que, comme il vit en Belgique, il doit se voir attribuer ce Minimex. Partie 3 Les modes de production du droit européen Le droit européen procède de deux sources essentielles: la CEDH et le traité instituant la CE, sur la base duquel se développe le droit communautaire. On peut citer le traité sur l’UE. Tout cela n’est pas comparable avec l’autorité acquise par la CEDH et le traité aujourd’hui. Deux modes de production: conventionnel, dans le cadre de CEDH, et dans le cadre de la communauté. I La CESDH: le mode de production conventionnel Le droit de la CESDH lui-même provient d’une double source: - sources écrites: les différentes annexes de la Convention qui concernent les droits, et encore faut-il que les États qui signent la Convention s’engagent à en respecter les dispositions; - source jurisprudentielle: il faut ajouter les interprétations opérées par la CEDH de Strasbourg qui a conçu son rôle comme non uniquement un rôle de sauvegarde, mais aussi un rôle de développement de ces voies, par une interprétation évolutive. Section 1 L’engagement des États parties à la CESDH Cet engagement est très étendu, car couvre un ensemble important de droits civils et politiques, qui correspondent aux droit énoncés au plan international par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, et par la CESDH qui ajoute un système de contrôle très efficace. I La nature de l’engagement des États Cette nature se distingue par une très grande souplesse. Elle s’adresse, d’emblée, à des États qui ne sont pas, à ce moment-là, démocratiques. A l’origine, l’engagement se caractérise par une très grande souplesse, pour deux raisons: - les État qui s’engagent sont déjà des États démocratiques, respectueux de l’État de droit, et qui se dotent d’un sur droit afin d’assurer le respect des droits de l‘homme et des libertés fondamentales. Ils se dotent d’une garantie supplémentaire; - il s’agit de faciliter la participation des États à la CESDH, dans un mécanisme qui est attentatoire aux exigences de la souveraineté nationale. La souplesse semble être une solution de compromis entre la remise en cause du primat de la souveraineté nationale et l’intérêt de préserver la susceptibilité des États signataires. Comment cela se traduit-il? Cela se traduit de deux manières: ajuster l’engagement dans le temps et dans son contenu. Dans le temps: aucune échéance n’était posée pour la ratification des États qui avaient signé la Convention. C’est ainsi que la France, signataire en 1950, attendra 1974 pour ratifier ce texte, alors qu’elle est le pays des droits de l’homme… etc. Le 31 janvier 1973, le Gouvernement de Pompidou accepte de déposer un projet de loi, et le président Pauer, finalement, apposa sa signature sur la loi portant ratification le 3 mai 1974. La France signe avec quelques années de retard, comme on peut le voir. Mais encore, ne le fit-elle qu’avec certaines réserves. C’est à l’art. 57 de la CESDH qu’il faut se reporter: il autorise les États signataires de la Convention de formuler, au moment de la ratification, des réserves au sujet de certaines dispositions de cette Convention. Une déclaration de réserve a pour effet de rendre inopposables, à cet effet, certaines dispositions, ou de limiter l’effet de certaines dispositions d’un traité à l’égard d’un État. Ce mécanisme est enfermé dans certaines limites. La France accompagne la ratification de deux réserves: - une déclaration adressée à l’encontre des art. 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 6 (droit à un procès équitable) en ce qui concerne le régime spécial en matière de sanctions disciplinaires dans les armées. Cette réserve fut justifiée ensuite par un arrêt Haengel, du 8 juin 1976, qui établit l’applicabilité des art. 5 et 6 en matière militaire, sauf pour la France, de par sa réserve; - réserve formulée à l’encontre de l’art. 15 qui concerne la possibilité de déroger aux droits en cas de circonstances exceptionnelles. La France formule une réserve pour préserver l’art. 16 de la Constitution de 1958, qui porte sur les pouvoirs exceptionnels du Président de la République française. Cette réserve vise à ne pas paralyser l’action du Président de la République dans le cadre de l’art. 16. Plus tard, la France formulera une réserve à l’égard du protocole n° 7, qui concerne notamment le champ d’application du principe non bis in idem en matière pénale. La Convention donne la possibilité aux État de moduler leur respect de la Convention. Il était possible, à l’origine, de ratifier la CESDH sans pour autant se soumettre au système de contrôle prévu dans la troisième partie du traité fondant la CESDH. Il fallait, en cas de violation du droit, saisir la Commission européenne des droits de l’homme. Ce n’est que dans un second temps, si la Commission le jugeait utile, que la CEDH était saisie. Or, en 1974, la France refuse d’admettre la compétence de la Commission européenne des droits de l’homme. Ce n’est qu’en 1981, avec le changement de Président, que la France reconnaît, sur la demande de son garde des Sceaux, le droit de recours individuel devant la Commission, avant que le système ne change et que les affaires n’aillent directement devant la Cour. La premier arrêt de condamnation de la France a lieu en 1986, avec l’arrêt Bolzano. Un italien est arrêté en France, et la France refuse de l’extrader car la procédure de condamnation par contumace est incompatible avec les dispositions françaises. Donc la police française emmène cet homme en Suisse qui l’extrade vers l’Italie. Il y a l’existence de certaines dispositions facultatives, qui se trouvent notamment dans les protocoles additionnels qui furent élaborés pour compléter la liste des droits garantis par la Convention, et qui sont soumis à la garantie de ces États. La France, notamment, a une procédure de révision des deux protocoles. La France a choisi de ne pas signer ce protocole: il comporte une interdiction générale de discriminer. La France refuse de signer ce protocole pour une raison d’ordre technique: elle craint un risque d’encombrement du prétoire de la CEDH. La CEDH est très proche de l’asphyxie totale. Plus de 80.000 requêtes individuelles sont déposées. 80% seront déclarées irrecevables, mais il faudra tout de même les traiter. Un protocole n° 14 fut signé par la France en 2006, pour permettre moins de requêtes devant la Cour. Autre protocole signé par la France mais non ratifié: le protocole n° 13, élaboré en 2002, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, c’est-à-dire en temps de paix comme en temps de guerre. Le protocole n° 6 abolit la peine de mort en temps de paix, mais le permet en temps de guerre. Le Président de la République, en septembre 2005, a saisi le Conseil constitutionnel, en application de l’art. 54 de la Constitution, de la question de savoir si une révision de la Constitution était nécessaire pour ratifier le protocole n° 13 et pour ratifier un autre protocole international, le deuxième protocole international relatif au pacte international des droits civils et politiques de l’ONU, qui abolit la peine de mort. Mais tandis qu’il est toujours possible de dénoncer le protocole d’un traité de l’UE, le protocole additionnel au pacte des droits civils et politiques ne peut faire l’objet d’une dénonciation. Le Conseil constitutionnel dit que le protocole n° 13 ne pose pas de problème, mais qu’il faut réviser la Constitution pour ratifier le protocole de l’ONU. La Constitution fut modifiée par le Parlement réuni en Congrès en février 2007. La ratification eut lieu le 14 mars 2007, par le dépôt d’un projet de loi au Parlement. L’entrée du Portugal, qui sort de la dictature de Salazar, au Conseil de l’Europe, le 22 septembre 1976, marque un tournant dans la pratique d’adhésion. La ratification de la Convention est normalement acquise quelques mois après la signature. On ne suit plus le mauvais exemple de la France. Avec l’entrée des PECO, l’adhésion au système de recours individuel (protocole n° 11 signé le 11 mai 1994) tend à devenir obligatoire, puisque ce protocole emporte acceptation du droit de recours individuel de la compétence obligatoire de la CEDH. En ce qui concerne les protocoles additionnels, il sont signés conjointement avec le texte de la Constitution ellemême. Certains États n’ont formulé aucune réserve en signant la Convention. Depuis 1994, la Cour vérifie les réserves qui sont apportées par les États pour voir si elles sont compatibles avec son application. II Le contenu de l’engagement Les bénéficiaires: art. 1er: « les États reconnaissent le droit de saisir la CEDH à toute personne relevant de leur juridiction ». Toute personne citoyenne de l’État en cause ou de nationalité étrangère placée sous l’autorité de cet État peut se prévaloir du respect de ces droits à l’encontre de cet État. Cela veut dire y compris lorsque cette autorité s’exerce en dehors du territoire national. Ex: cas d’une action militaire effectuée par les forces turques à Chypre dans la partie turque de l’île (arrêt Loisidu c. Turquie). Il faut que l’État exerce effectivement son autorité sur le territoire en cause, et ce de manière exceptionnelle. Ex: affaire Bankovic et autres c. Belgique et seize autres États parties à la Convention le 12 déc. 2001: la Cour rejette le recours de certains soldats serbes. La Cour a dit que les États de l’OTAN n’exerçaient pas leur autorité sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. La Cour dit que « la peine de mort en temps de paix est considérée comme une forme de sanction inacceptable, et n’est désormais plus autorisée par l’art. 2 dans tous les États d’Europe ». Suit l’art. 3 qui porte sur le droit de tout individu à ne pas être « soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Ceci est une interdiction absolue, qui ne supporte pas d’exception. Dans une affaire contre la France, la CEDH a qualifié d’actes de torture des coups infligés à la personne lors d’une garde à vue afin d’obtenir des renseignements. Récemment, encore, la France a été condamnée pour des actes de violences contre un prévenu. C’est aussi à ce titre que la Cour décide de refuser l’extradition d’une personne placée sous l’autorité d’un État partie (R-U) vers un État des ÉtatsUnis (Virginie) dans lequel cette personne serait exposée au risque d’une attente longue avant que la peine de mort ne soit exécutée (Soering c. R-U, 1989): ce qui est condamné, ce n’est pas la peine de mort en tant que tel mais l’attente, qui est déclarée « inhumaine et dégradante ». Art. 5: droit à la liberté et à la sûreté. C’est une disposition qui vise à protéger des personnes contre toute arrestation, détention arbitraire ou abusive. C’est un droit qui connaît certaines restrictions (art. 5 par. 1 er). Dans le cas où une personne est privée, selon les voies légales, de sa liberté, cette personne doit encore pouvoir bénéficier de garanties procédurales spécifiques, dont le droit d’être traduit devant un tribunal dans un délai bref. La France fut condamnée en 2004 (CEDH, 5 octobre 2004, Blondet c. France) pour la pratique de la détention provisoire prolongée. En l’espèce, il s’agissait de connaître d’une détention provisoire de cinq années avant le jugement, avec simplement cinq périodes d’interrogatoires. L’art. 8 de la CESDH: « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance »: ceci n’est rien d’autre que l’art. 9 du Code civil (« chacun a droit au respect de sa vie privée »). La Cour en a tiré des conséquences bien diverses. Aux yeux de la Cour, l’art. 8 protége non seulement la vie personnelle de chaque individu, la liberté de ses comportements intimes, mais aussi la confidentialité des coups de fil… etc. Cette disposition a généré un arrêt qui fit connaître la CEDH en France (CEDH, 1992, B. Métial c. France): la Cour condamne la France d’avoir refusé de changer le sexe d’un transsexuel sur ses papiers. Ceci obligea la Cour de cassation à changer de jurisprudence. Récemment, la Cour eut à connaître d’un problème délicat, celui de la législation française relative à l’origine des personnes adoptées parmi les pupilles de l’État (CEDH, 13 février 2003, Rodières c. France): on se demande s’il est fait obligation à l’État de dévoiler l’identité de leur mère aux enfants nés sous X. La Cour dit que cette obligation n’existe pas, mais que le système française qui consiste en un organe indépendant qui donne l’identité de la mère si celle-ci l’accepte est compatible avec la CESDH. Droit au respect de la vie familiale (CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique): cet arrêt est très connu car la Cour fait preuve ici d’une grande audace. La Cour décide que la loi belge qui défavorise l’enfant naturel par rapport à l’enfant légitime en matière de droits de succession est contraire à l’art. 8 de la CESDH. Dans le même sens (CEDH, 8 juillet 2003, Sahin c. Allemagne) la Cour a condamné la législation allemande qui traite plus favorablement le père naturel que le père divorcé en ce qui concerne le droit de visite de l’enfant, ce est contraire à l’art. 8 de la CESDH. Le droit au respect des biens, des personnes n’est pas inscrit dans le corps de la Convention. Cependant, ce droit se trouve désormais à l’art. 1 er du Protocole additionnel n° 1: « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de ses biens que pour une raison d’utilité publique ou lorsque la loi le prévoit ». Les droits civiques sont posés pour assurer la participation des citoyens aux démocraties libérales. C’est d’abord le droit à la garantie d’élections libres (art. 3 du Protocole additionnel n° 1). Cela veut dire deux choses: le droit d’élire un corps législatif représentatif de l’opinion et la reconnaissance du suffrage universel. C’est aussi l’art. 11 de la CESDH, c’est-à-dire la liberté d’association et de réunion, qu’on considère comme un élément essentiel de la vie politique. Dans un autre arrêt (13 février 2003, Partisi c. Turquie) la Cour déclare que la dissolution d’un parti par la Turquie n’est pas illégale à partir du moment où ce parti prônait l’instauration de la charia. Elle souligne que l’instauration de la charia est incompatible avec les exigences démocratiques et libérales de l’Europe. C’est d’abord le droit de toute personne de pouvoir compter sur une justice impartiale. L’art. 6 pose un principe de « droit à un procès équitable »: il est de loin la disposition la plus invoquée devant la CEDH. C’est d’abord le droit d’avoir accès à un tribunal. Il faut que ce tribunal ait une compétence de pleine juridiction au sens des droits de l’homme: le tribunal doit pouvoir se prononcer sur tous les points de faits et de droits. Il faut, en outre, que ce tribunal soit indépendant et impartial. Il doit respecter certaines garanties de procédures. Il doit respecter le principe de l’égalité des armes dans le litige. Il doit respecter les exigences de publicité et de débat contradictoire et des droits de la défense. Le tribunal doit, de plus, respecter la règle du « délai raisonnable ». Enfin, il faut que la décision de justice qui est rendue soit effectivement exécutée. C’est le droit d’une exécution de justice, ceci dans un délai raisonnable. Ceci fit sanctionner la France pour la présence du Commissaire du gouvernement dans le délibéré des juges de la juridiction administrative (7 juin 2001, Cresse c. France) (8 juillet 2003, Bertin c. France). Depuis un arrêt de la CEDH du 29 juin 2004 (Sahin c. Turquie), la Cour considère que l’interdiction générale de porter le foulard islamique dans les universités turques n’est pas attentatoire à l’art. 9 de la CESDH. Ceci fut confirmé le 10 nov. 2005 par la Grande chambre de la CEDH, en cassation. La Cour a souvent eu la possibilité de se servir de l’art. 10, qui est le droit à la liberté d’expression (liberté d’opinion…) et d’information (liberté de la presse…). Enfin, il y a lieu de tenir compte de l’art. 14 qui pose le principe de l’interdiction de toute discrimination dans l’exercice des droits assurés par la Convention. Techniquement, elle s’applique en parallèle avec l’art. 8... On remarque les nombreux cas de discrimination sexuelle: la Cour dit qu’elle fixe des âges différents pour fixer des différences d’actes hétérosexuels et homosexuels. Arrêt Fertte: la Cour décide de renvoyer cette question à chaque législateur national en laissant l’interprétation de la marge d’appréciation. Les droits de l’homme supposent des limites, des prises en considération qui découlent de la prise en compte d’objectifs légitimes qu’il s’agit de balancer avec la protection des droits de l’homme. Ces techniques de limitation de des droits fondamentaux sont de trois sortes dans la CESDH: - art. 2 et art. 5: la CESDH prévoit une énumération limitative des restrictions qui sont permises à ces droits. Art. 2: le droit à la vie. Art. 5: protection contre les traitements inhumains et dégradants (prévoit des dérogations). Art. 2: la mort ne peut être infligée sauf dans certains cas; - la CESDH comporte une clause générale d’ordre public qui figure au deuxième paragraphe de la disposition, cernée après l’énoncé du droit. Art. 8 (respect de la vie privée), 9, 10 ou 11, qui disposent: « l’exercice du droit concerné peut faire l’objet de restrictions pourvu qu’elles soient prévues par la loi, qu’elles soient nécessaires dans une société démocratique, et si ces restrictions sont nécessaires à la protection de la sécurité publique, de la santé ou de la morale public, de l’ordre public ou à la protection des droits d’autrui ». La CEDH exerce un contrôle de proportionnalité: la juridiction vérifiera que la restriction apportée au droit est bien nécessaire et proportionnée au but légitime apporté par l’État; - enfin, il y a certaines limitations au droit qui concernent le champ d’application de la CESDH. Dans certaines situations particulières, l’application des droits de la CESDH peut être suspendue: en cas d’état d’urgence (art. 15) ou à l’activité politique des étrangers (art. 16) ou de l’interdiction de l’abus de droit (art. 17: aucune disposition de la CESDH ne peut amener à la destruction d‘un des droits garantis par le système de la CESDH). Ex: une personne qui se prévaudrait de l’art. 10 de la CESDH (liberté d’expression) pour tenir des propos négationnistes ou racistes se verrait opposer l’art. 17 de la Convention (abus de droit) (CEDH, 24 juin 2003, Garaudy c. France). Section 2 La garantie juridictionnelle Elle est prévue par le Titre 2 de la CESDH. Ce système de protection juridictionnelle de droits consacrés par la CESDH est un organisme subsidiaire en ce sens qu’il faut comprendre que ce sont d’abord les autorités nationales, les juridictions nationales, qui ont la charge d’appliquer les dispositions de la CESDH. Les juridictions nationales sont les juges de droit commun de la CESDH, du droit européen des droits de l’homme. Ce n’est qu’au cas où ces juridictions ne seraient pas en mesure de donner satisfaction aux requérants qu’il est possible d’aller, dans un deuxième temps, devant la Cour supranationale de Strasbourg. I La Cour européenne des droits de l’homme Installée en 1959, sise à Strasbourg, elle dispose d’une compétence obligatoire, ce qui la distingue des autres juridictions internationales (CIJ), depuis le 1 er novembre 1998 (entrée en vigueur du Protocole additionnel n° 11). La conséquence est que toute adhésion d’un État à la Convention emporte ipso facto reconnaissance de la compétence obligatoire de la CEDH, alors qu’il était possible auparavant à un État, tout en reconnaissant la CEDH, de ne pas reconnaître son caractère obligatoire. Composition de cette juridiction supranationale: cette composition dépend de deux exigences contradictoires: - un effet de position de cette juridiction, qui est supranationale. C’est une juridiction: la première exigence est celle d’indépendance de la Cour, indispensable à tout tiers qui prétend trancher des litiges entre deux parties. Par sa position de juridiction supranationale, il faut qu’elle satisfasse à une obligation de représentativité, des cultures juridiques des différents États, des mentalités sociales des États parties à la Convention. Sa compétence dépend de la bonne volonté des États parties. Or, combiner indépendance et représentativité explique que la composition de la CEDH, qui est la même dans son principe que la CJCE, fait qu’elle est composée d’un nombre égal de juges à celui des parties contractantes, soit un juge par État partie. - recrutement de ces juges: ils sont élus par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à la majorité des voix exprimées. C’est une élection qui a lieu à partir d’une liste présentée par chaque État, de trois candidats qu’il souhaiterait voir élire. Pratiquement, l’Assemblée parlementaire procède à une audition des candidats, selon une procédure que l’Assemblée a elle-même fixée: chaque candidat doit présenter un curriculum vitae standard, et ensuite ils sont auditionnés par une sous-commission spéciale de la commission juridique du Conseil de l’Europe. Leur statut est fixé par l’art. 21 de la CEDH. Les juges sont élus pour un mandat de six ans renouvelable. Ils siègent à titre individuel, de façon permanente, à Strasbourg, doivent présenter toutes garanties d’indépendance, et toutes apparences d’indépendance, et ne peuvent exercer d’activité incompatible avec les exigences d’impartialité et de disponibilité juridictionnelle. Le Président de la Cour est élu par ses pairs. Le Président actuel est Jean-Paul Costa, membre du Conseil constitutionnel. Comment juge la Cour? Il y a trois formations de jugement principales. D’abord, les chambres, présidées par sept juges, ne sont pas spécialisées. C’est la formation de droit commun. Ces chambres comprennent obligatoirement le juge élu au titre de l’État qui est concerné par le litige. Deuxième formation: ces chambres constituent en leur sein des comités de trois juges, prévus à l’art. 28 de la Convention, qui ont une fonction très importante: la fonction de filtrage. Ils ont compétence pour déclarer irrecevable, pour rayer éventuellement du greffe de la Cour, une requête individuelle qui ne remplirait pas les conditions de recevabilité requises par la Cour. Ces comités de trois juges jouent le rôle qui était dévolu dans le système ancien à la Commission européenne des droits de l’homme, qui disparut par l’effet de l’entrée en vigueur du protocole additionnel n° 11. Près de 80 à 90% des requêtes sont déclarées irrecevables. Enfin, il existe une grande chambre qui, elle, est composée de dix-sept juges, et comporte un noyau stable composé du Président et de tous les présidents des autres chambres, et l’ensemble des autres juges tournant en alternance dans la grande chambre de la CEDH. Cette grande chambre se prononce dans des cas exceptionnels, soit sur requête individuelle, soit sur requête étatique, en application des art. 30 et 43 de la Convention. Elle se prononce notamment quand une requête soulève une grave question d’interprétation du droit de la CESDH. II Comment accède-t-on à la CEDH? Quelles sont les voies de recours? Soit c’est une requête introduite par un État partie à la Convention (art. 33), soit c’est l’effet d’une plainte adressée par une personne privée (requête individuelle, art. 34). Art. 33: tout État partie à la Convention peut soumettre à la juridiction de la CEDH toute violation de la CESDH commise par tout autre État partie à la Convention. L’État peut, en théorie, intervenir au bénéfice de n’importe quel individu, et cela veut dire qu’il peut intervenir devant la Cour pour attaquer un autre État pour violation d’une disposition de la CESDH à l’encontre d’un ressortissant de l’État partie ou d’un ressortissant de l’État attaqué luimême. En pratique, les requêtes étatiques ont été extrêmement rares. Très peu ont atteint la CEDH. Une seule affaire a donné lieu à un arrêt de la CEDH (Irlande c. R-U, 18 janvier 1978) à propos des mesures exceptionnelles appliquées par le R-U en Irlande du Nord dans le cadre des troubles liés à la guerre civile. Il y a une répugnance des États à saisir la CEDH, car ils craignent que l’arme que représente la CEDH ne se retourne contre eux. La voie royale est celle du recours individuel (art. 34). C’est, là encore, une innovation majeure. Selon l’art. 34 de la CEDH, la requête peut émaner soit d’une personne physique, soit d’une ONG, soit d’un groupe de particuliers pourvu qu’ils relèvent de la juridiction de l’État mis en cause. C’est un système extraordinaire si on le compare aux autres systèmes de protection des droits de l’homme au niveau international. Le seul équivalent serait une Convention adoptée en 1969, la Convention américaine des droits de l’homme. Les individus ne sont pas seulement les destinataires des droits protégés par la Convention, ils deviennent des sujets actifs du droit européen, en ce qu’ils peuvent agir directement, moyennant quelques conditions de recevabilité, devant une juridiction supranationale. La Cour déclare que « l’individu s’est vu reconnaître, au plan international, un véritable droit d’action pour faire valoir les droits et les libertés qu’il tient directement de la Convention ». Deux conditions: l’effet direct des dispositions de la Convention, qui doivent être invoquées directement par les particuliers, sans médiation, et la capacité juridique d’action des particuliers devant la juridiction nationale et la juridiction supranationale. C’est ce qui fit le succès de la CEDH. En 1981, il y avait 400 requêtes enregistrées au greffe de la CEDH, en 2000, il y en eut 10.000, en 2005, il y en eut 20.000. Il y a un problème sérieux de surcharge de cette juridiction, d’où l’importance du greffe et du filtrage, d’où la rédaction d’un nouveau protocole, n° 14, adopté en 2004, en vue de répondre à cette surcharge, qui prévoit deux choses: - instaurer des formations de juge unique; - possibilité d’introduire une nouvelle condition de recevabilité des requêtes qui tient à l’importance du préjudice en cause dans le litige. Cette condition est problématique, et remet en cause le principe d’universalité. Elle fut sévèrement critiquée par les ONG. Ce protocole n° 14, signé par l’ensemble des États parties, n’est pas encore entré en vigueur car la Fédération de Russie ne l’a pas encore ratifié. Que la requête soit introduite par un État ou par un particulier, elle doit respecter certaines règles et conditions posées à l’art. 35 de la CEDH. Seul un tout petit nombre de requêtes introduites devant la Cour de Strasbourg franchit de cap de la recevabilité. Il y a deux conditions principales de recevabilité: - la règle dite de « l’épuisement des voies de recours internes », qui signifie qu’avant de saisir la CEDH, l’ensemble des voies de droit internes prévues par le droit national doivent avoir été complètement explorées. Si un particulier veut saisir la CEDH, il faut d’abord qu’il ait, au moins en substance, soulevé, devant les juridictions nationales, le grief tiré de la violation de l’une ou plusieurs des dispositions de la Convention, qui ne peut être saisie que dans un second temps. C’est une traduction du principe de subsidiarité; - règle de délai: la requête doit être introduite dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne, nationale, définitive. Portée des arrêts: ces décisions sont revêtues de deux caractères essentiels: - elles ont un caractère obligatoire. Elle sont revêtues de l’autorité de la chose jugée qui s’attache au dispositif mais aussi aux motifs de la décision de la Cour. C’est une autorité relative: les arrêts ne valent pas erga omnes, lié au fait que la Cour ne juge pas in abstracto mais in concreto. Elle juge l’application de la norme nationale mise en cause dans telle ou telle affaire, et non la norme elle-même. Cela ne veut pas dire que l’État en question ne doive pas se conformer à la norme elle-même. La conséquence peut être la réforme de la législation en cause, si l’État ne veut pas à nouveau être condamné. La loi du 10 juillet 1991 sur le secret des correspondances fut adoptée à la suite d’arrêts rendus par la Cour en 1990 (arrêt Kruslin, 24 avril 1990) qui condamnèrent la France en matière d’écoutes téléphoniques. La loi du 15 juin 2000 abrogea l’article du CPP français qui consistait à faire en sorte qu’à la veille du procès pénal, l’accusé devait se constituer prisonnier, à la suite d’un arrêt de la CEDH; - les arrêts de la Cour ont un caractère simplement déclaratoire. Cela veut dire que la Cour se borne à constater une violation de la CESDH. Par conséquent, elle n’est pas compétente pour annuler une loi nationale, annuler un acte, réparer les conséquences du comportement de l’État contraire aux dispositions de la Convention. At. 46 par. 1er: les hautes parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans lesquelles elles sont parties, soit en accordant des indemnités aux victimes, soit en abrogeant la loi ou l’acte administratif en cause. Par exception, la Cour peut, au terme de l’art. 41 de la Convention, prononcer une réparation et, d’autre part, pour assurer l’exécution des arrêts, la Convention a institué un organe de surveillance de l’application des arrêts (art. 46 par. 2), le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui, le cas échéant, fera éventuellement pression sur l’État concerné pour inciter l’État en cause à se conformer à l’arrêt en question. Le Conseil peut prendre une résolution qui rend publiques les résistances que l’État oppose à l’arrêt, de manière à faire pression sur lui. Le protocole n° 14 donnera la possibilité aux ministres de saisir à nouveau la Cour de manière à constater l’inexécution d’une décision de la Cour. III Les méthodes de la Cour La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités enregistre les règles générales d’interprétation et d’application des traités internationaux. C’est l’art. 31 par. 1 er de la Convention qui dispose: « un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte, et à la lumière de son objet et de son but ». De cette disposition, on tire généralement l’idée qu’il faut privilégier une interprétation littérale des termes du traité, c’est-à-dire l’interprétation la plus respectueuse de la souveraineté des États, de l’intention des États qui ont rédigé le texte. Ce n’est pas du tout comme cela que les choses se passent pour la CESDH: il faut sauvegarder les droits garantis par la Convention et les développer. La CEDH a, de manière très constante, privilégié des méthodes d’interprétation dynamique des dispositions. Au lieu de s’en tenir à la lettre de la Convention, la Cour s’est attachée au but de la Convention pour aller expressément au-delà de la volonté des États contractants, et cela de manière dynamique et téléologique: « il y a eu lieu de rechercher quelle est l’interprétation la plus propre à réaliser le but et à réaliser l’objet de ce traité, et non celle qui donnerait l’étendue la lus limitée à l’interprétation des parties » (arrêt 13 juin 1979, Marckx c. Belgique). Cette approche s’est traduite par d’autres images: elle s’est attachée à donner une interprétation autonome des termes de la Convention, en interprétant ces termes au regard des dispositions du droit interne des différents États. En outre, la Cour a évoqué de nouveaux droits: droits culturels, qui ne figurent pas dans le texte de la CESDH, le droit à l’environnement (à partir de l’art. 8 sur la protection de la vie privée), avec le « droit à un environnement sain ». Cette méthode d’interprétation s’est traduite par une extension des droits prévus à des catégories de personnes qui n’étaient pas concernés en tant que telles par la Convention (enfants, réfugiés). Cette audace est quelque peu tempérée par une certaine retenue qui est traduite de deux façons: - les conditions de recevabilité des requêtes entendues de façon stricte; - doctrine développée par la Cour sur la marge d’appréciation par les États de la Convention. Ex: arrêt Frété c. France, qui concerne la question du droit des homosexuels à adopter des enfants. Chapitre 2 Le mode de production du droit européen par la Communauté européenne Cela se base directement sur la Convention et la jurisprudence de la Cour. Dans le cadre du droit de la Communauté, cela se passe différemment que dans le cadre du droit de la CESDH, en ce sens qu’il procède de trois sources et non simplement de deux. Comme dans le cadre de la Convention, la première source de droit, c’est le traité. Ce sont les règles contenues dans le traité instituant la Communauté européenne que les États s’engagent à respecter. Le traité est source de normes. Il y a aussi une source jurisprudentielle. Comme il y a une CEDH, il y a une CJCE qui applique le droit dans les systèmes nationaux. Mais, en plus, le cadre communautaire ajoute une source législative: la Communauté européenne dispose d’un système de production d’actes législatifs, adoptés par les institutions communautaires, qui, dans le cadre de la Communauté, adopte des règlements, des directives, des décisions directement applicables. Section 1 L’engagement des États dans le cadre de la Communauté européenne Le traité instituant la Communauté européenne, c’est trois choses: - c’est un traité qui institue une organisation internationale instituant la Communauté européenne, et à laquelle les États appartiennent en qualité de parties. Le traité de Rome de 1957 institue la Communauté européenne. Les traités de Maastricht, Amsterdam et Nice ne font que réviser le traité de Rome, instituant la Communauté européenne. Le traité constitutionnel de 2005 envisageait d’instituer une nouvelle Union européenne; - c’est aussi l’acte constitutif de l’organisation, la constitution de la Communauté européenne. C’est ce texte qui organise la distribution des compétences et des pouvoirs au sein de la Communauté entre les différentes institutions de la CE, qui met en place le système législatif et institutionnel de la Communauté; - le traité communautaire, comme tout traité, a une nature conventionnelle. Il est à l’origine d’un ensemble d’engagements matériels pour les États appartenant à la Communauté. I La nature de cet engagement En ratifiant le traité communautaire, les États s’engagent, et ceci créé des obligations matérielles à la charge des États. Quelles sont ces obligations? Ce qu’on appelle le droit d’établissement: obligation pour les États d’abolir les restrictions, les entraves des opérateurs économiques pour leur permettre de s’établir librement sur le territoire de l’UE. Des banques étrangères peuvent s’établir sur le territoire français sans respecter l’interdiction, en droit français, de la rémunération des comptes courants. L’obligation, prévue par l’art. 49 du traité CE, d’abolir les entraves des opérateurs économiques de prester des services. L’art. 49 (arrêt Watts, 16 mai 2006): une ressortissante britannique malade souhaite se faire poser une prothèse de hanche, et demande à être prise en charge par un hôpital britannique, mais on lui demande un délai d’un an. Donc elle va à Abbeville, en France, dans une clinique française, et demande le remboursement des frais hospitaliers médicaux en France au R-U. La Cour dit que de par le libre-service de la prestation des soins, elle doit se faire rembourser. L’art. 141 comporte le principe de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes, posé en 1976 par l’arrêt Defrenne. Dernier exemple: art. 18 du traité instituant la CE: droit de tout citoyen de circuler et de s’installer librement sur le territoire de l’UE (arrêt Bidart). M. Bidart souhaite s‘inscrire dans une université britannique, et le R-U refuse de lui accorder cette bourse car il n’est pas britannique. La Cour condamne cela. Art. 228: si l’État continue à ne pas remplir ses obligations, la Commission peut saisir à nouveau la Cour de justice qui peut infliger une sanction pécuniaire à l’État concerné. Autre mécanisme de sanction qui n’avait pas été prévu par les auteurs du traité, mais qui fut développé par la CJCE. D’après la jurisprudence de la CJCE, il doit être toujours possible pour un particulier de saisir une juridiction nationale pour condamner l’État en cause à une réparation. C’est la possibilité pour tout particulier de saisir les juridictions nationales afin d’engager la responsabilité de l’État pour violation du droit communautaire. Aujourd’hui, cet accent de responsabilité s’est coulé dans le moule et les principes de la responsabilité administrative. II Les modulations de l’engagement des États qui ont signé le traité de Rome Le principe est que l’engagement des États au sein de l’organisation communautaire est, en principe, unitaire, rigide, intangible. Mais ce principe supporte des tempéraments: l’engagement doit être modulé soit par révision soit pas différenciation. Révision: procédure de révision du traité instituant la Communauté européenne. Cette procédure fut la même pour les trois traités modifiant le traité de Rome. Cette procédure est écrite à l’art. 48 du traité sur l’UE: « la révision des traités constitués ne peut être opérée que par un accord unanime des États qui sont parties à ce traité »: il faut le consentement formel de tous les États, et pour que ce traité modificatif puisse entrer en vigueur, la ratification unanime des États signataires selon leur procédure constitutionnelle respective. Si un seul État manque à la ratification, le traité ne peut être adopté. Il existe certaines procédures particulières de révision simplifiée qui n’exigent pas la ratification des États, qui passe simplement par la Commission. C’est le cas des révisions techniques. L’art. 213 par. 1er al. 2 concerne la proposition de la Commission: « le Conseil peut modifier à l’unanimité de ses représentants le nombre de membres de la Commission européenne ». La différenciation est la possibilité qui est reconnue aux États membres de l’UE d’ajuster leur participation soit à la CE soit à l’UE, soit en étant exempté d’obligations qui pèsent normalement sur les États membres, soit la possibilité de s’engager dans un action renforcée, dans son système de droits et d’obligations, par un autre système de droits et d’obligations. La possibilité de se soustraire, de s’exempter, regroupe elle-même, en réalité, deux cas de figure. C’est la possibilité d’avoir une clause de sauvegarde. Ce sont certaines dispositions du traité qui permettent de prendre en considération certaines exigences sociales ou politiques qui sont importantes pour les États. Ces exigences vont pouvoir suspendre provisoirement l’application des règles du traité. Ex: possibilité de suspendre le principe de la libre-circulation des marchandises, pour des raisons de santé publique. La mise en œuvre de ces clauses de sauvegarde est étroitement surveillée par les autorités de contrôle parlementaire. A côté de ces clauses de sauvegarde, il y a l’ensemble des dérogations glissées au traité, qui autorisent certains États à ne pas participer à certaines formations politiques communautaires. Ex: il est précisé, par le protocole annexé au traité, que le Danemark ne participe pas à la politique européenne en matière de défense. Le R-U et le Danemark ont aussi obtenu la possibilité de ne pas adopter la monnaie unique, quand bien même ils rentreraient dans les critères requis. L’autre forme de différenciation concerne, au contraire, la possibilité donnée à certains États membres de l’UE ou de la CE de mettre en place des coopérations renforcées dans certains domaines, certains secteurs, c’est-à-dire de créer des groupes pionniers, par ex. en matière de défense, qui attirent à elles les autres États qui décident de ne pas y entrer immédiatement. Ces coopérations renforcées sont notamment prévues aux art. 43 et s. du traité sur l’UE, et à l’art. 11 du traité instituant la CE. Section 2 Le système législatif de la CE La CE a cette caractéristique de mettre en place un système législatif, c’est-à-dire un système d’institutions, d’organes, capables de créer des règles générales communes qui s’appliquent aux États membres de l’UE, et s’adressant aux ressortissants des États membres. Ceci atteste de la capacité d’action, par des moyens juridiques, de la CE. Un ensemble d’institutions est prévu à l’art. 7 du traité instituant la CE (ce qu’on appelle Bruxelles). Ce système législatif repose en réalité plus précisément sur une coopération entre trois institutions: la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européens. Il n’y a pas de position de domination. C’est ce qu’on appelle le triangle institutionnel. Les institutions de la CE sont décrites dans la cinquième partie du traité instituant la CE. Commission: c’est l’UE; le Conseil: représente les États; le Parlement: censé représenter les peuples. I Le triangle institutionnel A Le Conseil de l’Union européenne Les États et gouvernements des États sont représentés par deux organes: le Conseil européen (art. 4 du traité sur l’UE), qui est l’instance politique d’impulsion, de discussion de l’UE, et le Conseil de l’Union Européenne (exConseil des ministres), qui est l’organe de décision de l’UE. Le Conseil est composé d’un représentant par État membre au niveau ministériel. Juridiquement, c’est l’État qui vote et s’engage au Conseil de l’UE. La composition du Conseil dépend de la matière qui est soumise à discussion. Il siège en formation différente en fonction des matières abordées (EcoFin, environnement, agriculture…). En outre, le Conseil est assisté dans ses tâches par deux organes subsidiaires, prévus à l’art. 204: - le Comité des représentants permanents a en charge la préparation des décisions du Conseil. Cet organe administratif a un rôle important de charnière, entre les institutions communautaires et les institutions nationales; - l’autre organe est le Secrétariat général du Conseil: il compte environ 2.000 fonctionnaires, a un rôle administratif, et assure le bon déroulement des travaux du Conseil et a aussi un rôle de représentation de l’Union à travers son Secrétaire général. Le traité d’Amsterdam a créé un Haut représentant pour la PESC, rôle confié au Secrétaire général du Conseil. Le Conseil dispose d’une présidence tournante qui est exercée par chaque État membre pour une durée de six mois. La présidence établit le plan de travail du Conseil. Elle a un rôle diplomatique de coordination et un rôle de représentation: la voix du Conseil sur le plan international notamment. Ses pouvoirs sont prévus à l’art. 202: il a un pouvoir de décision, il détient l’essentiel du pouvoir législatif, dispose des priorités à donner aux orientations politiques, il détient une partie du pouvoir exécutif de l’UE et de la CE. Il a un pouvoir important de nomination des commissaires de la CE, des juges, des membres du directoire de la Banque centrale européenne. Les gouvernements des États conservent un rôle essentiel et central dans la conduite des affaires européennes. B La Commission des Communautés européennes C’est une institution à la fois technique et politique, qui s’apparente à un Gouvernement. C’est l’institution supranationale, héritière de la Haute autorité de la CECA. Elle joue le rôle de médiatrice entre les intérêts des États membres, des activités sectorielles de ces États et l’intérêt propre de la CE. La Commission compte, depuis le 1er janvier 2007 (date d’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie), 27 membres. Il y a un représentant par État membre. On ne se fie pas à l’art. 213 du Traité prévu dans l’annexe, car cela résulte du Protocole sur l’élargissement, adopté en même temps que le traité de Nice, qui fut annexé au traité sur l’UE. Ce Protocole, rédigé en 2001, prévoit aussi que, dès lors que l’UE compte 27 membres, le nombre de commissaires devra être inférieur au nombre d’États membres, et rompre avec la logique qui était d’avoir un national de chaque État, pour des raisons d’efficacité. C’est le Conseil de l’UE qui doit décider à l’unanimité de ses membres du nombre maximal de commissaires. Il appartient au Conseil de réviser le traité, d’adopter une décision qui fixera le nombre maximal de commissaires. A ce jour, il n’a toujours pas pris cette décision. La désignation des commissaires est fixée par l’art. 214 par. 2: la désignation du Président de la Commission est faite par le Conseil de l’Union, réuni dans une formation particulière: c’est le Conseil réuni des chefs d’État ou de Gouvernement qui désigne le Président de la Commission. C’est ainsi que fut élu José Manuel Barroso. Cette désignation est approuvée par le Parlement européen. Ensuite, une fois le président désigné, il appartient au Conseil, donc aux États membres de désigner les personnes qu’ils envisagent de nommer membres de la Commission. Cette désignation doit être effectuée en accord du président de la Commission qui vient d’être désigné. Les États membres proposent une liste de commissaires (un nom par État) et on arrête ensuite la liste définitive des noms. Troisième étape, la Commission, c’est-à-dire le président et les nouveaux membres, est soumis à un vote d’approbation du Parlement européen. Le Parlement approuve la composition avancée. C’est un vote d’approbation: le président de la Commission se présente, présente un agenda politique, et chacun des commissaires pressentis est entendu individuellement par les différentes commissions du Parlement européen. Il y a possibilité pour les parlementaires de faire opposition à la nomination des commissaires. Une fois que le votre d’approbation a eu lieu, les différents membres sont nommés par le Conseil, à la majorité qualifiée. La durée du mandat des commissaires est de cinq ans, de manière à ce qu’elle coïncide avec le mandat parlementaire. Le statut des commissaires tient essentiellement dans les termes utilisés à l’art. 213 par. 2: « les membres de la Commission exercent leurs fonctions dans une pleine indépendance, dans l’intérêt général de la Communauté ». Le président a la tâche d’assurer la cohérence, l’efficacité, le bon fonctionnement de la collégialité au sein de la Commission. Le principe juridique est le principe de la collégialité dans la prise de décisions. Bien entendu, il y a des modalités pratiques, de manière à atténuer ce principe de la collégialité. Mais pour les décisions les plus importantes, le principe est la collégialité. La Commission fonctionne toujours comme une coalition politique, de différentes sensibilités politiques. C’est toujours une coalition politique en raison de la nature de la procédure de nomination et en raison de la structure des élections européennes, qui appelle à la structure de coalitions. Dans ces conditions, le rôle du président est essentiel. Les pouvoirs de la Commission (art. 211 du traité): - en matière législative. Elle dispose d’un quasi-monopole en matière d’initiative législative. Autrement dit, dans le cadre de l’UE, le Conseil et le Parlement ne décident que sur proposition de la Commission européenne. Pourquoi? Parce que la commission est l’organe technique de l’UE; elle fut conçue comme organe supranational entre les États, comme l’organe apte à trouver des compromis entre les intérêts contradictoires des États membres. De plus, c’est l’organe indépendant et qui donc est capable d’atténuer les rapports de force qui peuvent se développer entre les différentes parties. Ce qu’on a appelé en directive Bolkenstein était un acte de la Commission; - en matière de surveillance. Elle veille au respect des traités et de tous les actes communautaires, dont le droit communautaire dérivé par les institutions elles-mêmes, mais aussi par les États membres et par les particuliers, par les sujets individuels du droit communautaire. Elle est la gardienne des traités. Comment exerce-t-elle ce rôle? Elle l’exerce par des pouvoirs d’informations (les États doivent toujours se justifier), par ses pouvoirs d’enquête et, si besoin est, par ses pouvoirs de sanctions à l’égard des États qui ne respecteraient pas le droit communautaire (pouvoir d’infliger des amendes), et éventuellement à l’égard des entreprises soumises au droit communautaire et particulièrement aux règles du droit de la concurrence; - un rôle de représentation. Elle passe les contrats au nom de la Communauté, pour aider telle ou telle activité. C’est elle qui, éventuellement, intervient en justice. Elle représente la Communauté sur la scène internationale, dans le cadre de représentations extérieures. C’est elle qui négocie les traités. C’est elle qui a signé le protocole de Kyoto. C’est elle aussi qui est présente au sein de l’OMC. C’est le commissaire chargé du commerce extérieur qui s’en charge; - elle exerce le pouvoir exécutif (art. 211): « la Commission exerce les compétences que le Conseil lui confie pour les règles qu’il établit ». Les premiers responsables de ma mise en œuvre des textes communautaires sont les États. La Commission est une institution en crise, car elle est le symbole de l’intégration européenne. Elle est attaquée de toute part. Le point culminant a été au moment de la signature du traité de Maastricht. Le point culminant de cette contestation fut la démission de la Commission Jacques Santer en mars 1999, qui fut remplacé par Romano Prodi. Elle démissionna à la suite de rapports d’experts, à propos de mauvaise gestion, notamment dans la crise de la vache folle. Cette crise de légitimité n’affecte pas le rôle essentiel de la Commission. C Le Parlement européen C’est une institution récente, démocratique de l’Union, qui représente les peuples. Il était désigné dans le traité originel comme Assemblée parlementaire. Comme dans le cadre du Conseil, il n’avait qu’un rôle de délibération sans aucun pouvoir de décision. Toute l’histoire du Parlement est une lutte constante pour augmenter ses pouvoirs. Fait significatif: en 1962, par une résolution décidée par l’Assemblée, l’Assemblée décide qu’elle s’appellera Parlement européen. Cette appellation sera officialisée par l’Acte unique européen, apportant une modification au traité, puis par le traité de Maastricht. Quelle est sa composition? Ceci est précisé à l’art. 190 de la CEE: les membres du Parlement, à l’origine, étaient désignés par les parlements nationaux. Ce n’est qu’en 1976, par une décision du Conseil qui modifie le traité (20 septembre 1976) que fut prise la décision de l’élire au suffrage universel direct. Pour l’instant, les modes de scrutin sont différents dans la mesure où ils sont régis par le droit des États membres. Il faut noter l’apport de la citoyenneté européenne. L’art. 19 prévoit: « tout citoyen de l’Union résidant dans les États membres a le droit de vote et d’éligibilité au Parlement dans les mêmes conditions que tout ressortissant de cet État ». Le nombre de sièges est de 786. La répartition se fait par pays et selon un critère démographique se faisant à l’art. 190 du traité. Le pays le plus peuplé, l’Allemagne dispose de 99 sièges, tandis que la France, le R-U et l’Italie disposent de 78 sièges, la Pologne 54, La Roumanie 36, le Luxembourg 6, Malte 5. Les parlementaires se regroupent dans des groupes transnationaux: les deux plus puissants sont le PPE (parti populaire européen, droite libérale) et le PSE (parti socialiste européen). Les auteurs du traité voulaient promouvoir la création de véritables partis européens, de syndicats européens… Ce qui le distingue d’un Parlement national est qu’il est essentiellement un parlement de travail plus qu’un organe solennel de délibération. Le Parlement européen siège à Strasbourg, depuis une décision de 1992. Quels sont ses pouvoirs? Ils sont de trois sortes. Il a toujours ce rôle de délibération. Sur toutes les questions qui concernent l’Union, il a un pouvoir de résolutions. Son pouvoir le plus important est son pouvoir législatif. Le Parlement ne dispose pas du pouvoir d’initiative législative qui appartient à la Commission. Il peut seulement inciter la Commission à présenter une proposition de texte. Il ne participe pas à l’initiative directement, mais a un pouvoir de décision au moyen de différentes procédures assez complexes. Le plus souvent, le Parlement a un rôle indispensable, dans la procédure de droit commun des actes règlementaires, celui de codécision des actes règlementaires (art. 251 du traité instituant la CEE). Il a un pouvoir de contrôle reconnu au Parlement sur les autres organes et institutions de la Communauté et de l’Union. Ce pouvoir prend plusieurs formes: - un droit d’information: questions orales et écrites à la Commission européenne. Ces institutions viennent s’expliquer (art. 197). Ce pouvoir passe par une connaissance concrète des dossiers, et par une commission d’enquête (art. 193 du traité); - droit d’examiner les pétitions adressées par les citoyens de l’UE art. 194). Il nomme le médiateur européen qui est chargé des cas de mauvaise administration; - contrôle direct de l’exécutif communautaire, sur la Commission européenne, suivant deux modalités classiques: une véritable procédure d’investiture (vote d’approbation) et possibilité de contraindre l’exécutif à démissionner en cas de crise, par le vote d’une motion de censure à l’égard de la Commission (art. 201 du traité instituant la CEE). Aucune de ces motions n’a abouti, mais cela reste un pouvoir de contrainte réelle, de menaces. C’est sous la menace d’une motion de censure en 1999 que la Commission Santer a démissionné. II Le processus de décision Il y a plusieurs processus de décision dans le cadre de la Communauté et de l’Union. Toutes ces procédures répondent au même schéma, qui repose sur une collaboration étroite entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Si l’essentiel se passe entre ces trois institutions, il y a, à côté de ces trois institutions, tout un système de groupes, d’organes, d’intérêts qui exercent une pression sur ces organes (lobbying, groupes d’intérêt divers…). Les institutions communautaires sont, par définition, très diverses en leur sein. Dans le contexte très divers de l’Union, les institutions ont besoin d’une légitimité sociale, d’une adhésion, en amont de la prise de décision, d’où l’intérêt de la prise de contact avec les groupes d’intérêts des entreprises qui auront à appliquer ces décisions. A L’initiative Elle appartient à la Commission européenne. Cela veut dire que c’est la Commission qui décide s’il y a lieu ou non d’adopter un texte. Elle maîtrise l’agenda politique de la Communauté. Ceci veut sous deux réserves: il faut tenir compte du fait qu’on est dans le cadre d’une organisation internationale, et que la Commission ne peut agir que dans le cadre des attributions qui lui sont expressément reconnus dans les traités. Cela veut dire que pour agir, la Commission a toujours de ce qu’on appelle une « base juridique expresse » dans le traité. Cela permet de contester, si la base juridique a été outrepassée. Et puis dans la pratique, en réalité, la Commission établit son programme politique à long terme, en étroite collaboration avec les autres institutions. Les art. 192 et 208 du traité autorisent le Parlement d’un côté, le Conseil de l’autre à inviter la Commission leur soumettre une proposition d’acte communautaire. Ce pouvoir est renforcé par les dispositions que l’on trouve à l’art. 250 du traité CEE. L’influence de la Commission sur le processus de décision est attestée par les dispositions de cet article: tant qu’une décision n’a pas été adoptée, la Commission peut, à tout moment, amender sa proposition, modifier sa proposition, voire même la retirer. D’autre part il est prévu que le Conseil ne peut amender la proposition de la Commission que par un vote à l’unanimité. Lorsque le Conseil doit adopter un acte à la majorité qualifiée, il doit le faire à l’unanimité, ce qui donne un poids considérable à la Commission. B Le pouvoir d’influence Le pouvoir d’influence réel de la Commission dépend en grande partie de la légitimité qui lui est reconnue. Tout son intérêt est de multiplier les prises de contact avec les intérêts concernés (ex: représentants des consommateurs, groupes de défense de l’environnement, des gouvernements, des membres du Parlement européen, de ses commissions spécialisées). C’est là que se forment les coalitions d’intérêt. Des compromis, des consensus qui sont toujours ponctuels, factuels. Il n’y a pas, sur la scène européenne, de clivages nets entre les groupes politiques, ce qui permet de prendre un grand nombre de textes. Mais cela créé un certain brouillage du message politique envoyé par l’Union européenne. C L’examen de la proposition On a le Comité des régions, les organes consultatifs. Des groupes de travail instruisent, invitent les membres de la Commission à présenter leur projet devant eux. C’est un jeu complexe d’acceptation, de rejet, d’amendements, de modifications, pour aboutir finalement à une position commune de compromis. D L’adoption Le Parlement au terme de la procédure de codécision vote à la majorité se ses membres à la majorité qualifiée (art. 205). C’est un problème: cette majorité qualifiée est la règle qui prévaut dans la plupart des organisations internationales. Tout le système repose ici sur une pondération des voix en fonction d’un critère démographique des États en faveur des États les moins peuplés. Tandis que l’Allemagne dispose du même nombre de sièges au Parlement, ils disposent du même nombre de voix au Conseil. De là la complexité du système mis en place, par le traité de Nice. Le système du vote à majorité qualifiée repose sur trois critères cumulatifs (p. 39 du plan): - il faut d’abord réunir une majorité d’États membres; - il faut ensuite réunir les deux tiers des voix attribuées (345 voix attribuées, il faut en réunir au minimum 255 pour qu’un texte soit adopté); - un troisième critère fut adopté à la demande de l’Allemagne: tout État peut, en outre, demander que la majorité qualifiée obtenue comprenne au moins 62% de la population totale de l’UE. Pourquoi ce critère? L’Allemagne n’a accepté de garder le même nombre de voix que les mêmes dix autres États alors qu’elle dispose d’une population bien plus nombreuse que si un correctif démographique est apporté: le filet démographique. Cela marche-t-il? On souhaite simplifier la prise de décisions. Mais une étude empirique le montre: conjoncturellement, cela marche. Il n’y a pas eu de blocages malgré ces possibilités. Les nouveaux entrants essaient de se montrer loyaux à l’égard de leurs partenaires, et tentent de faire profil bas. Ce ne veut pas dire que ce processus est satisfaisant. Il n’est pas utile de faire appel à ces calculs car le Conseil essaie de parvenir à un consensus entre les États membres. III La production normative La Communauté produit des règles de droits contraignantes pour les États membres de la Communauté et pour les citoyens. Art. 249 du traité: cette production normative prend plusieurs formes: « pour l’accomplissement de leur mission et dans les conditions prévues au présent traité, le Parlement européen conjointement avec le Conseil, le Conseil et la Commission arrêtent des règlements et des directives, prennent des décisions et formulent des règlementations et des avis ». Caractéristiques de la norme communautaire: l’instrument qui symbolise de la manière la plus claire le pouvoir de la CE est le règlement communautaire. C’est le moyen pour les institutions de la Communauté de légiférer à l’adresse des États membres et des ressortissants de ces États membres sans passer par les instances nationales. Il y a donc, là, ce que la CJCE appelait une véritable délégation de souveraineté des États membres au profit de la CE. Le règlement communautaire n’a rien à voir avec le règlement du droit français: dans la Communauté, il n’y a pas de distinction nette entre pouvoir législatif et exécutif, pas de distinction formelle entre acte législatif et acte d’exécution de ces actes législatifs, donc le règlement communautaire doit être compris aussi bien selon les cas soit comme un acte de nature législative, soit comme un acte de nature exécutive. Il y a des règlements communautaires adoptés directement sur la base du traité communautaire et qui posent des règles générales (acte de base = acte législatif). Mais peut prendre la forme d’un acte règlementaire un acte qui prend sa source dans un acte de base et qui a pour vocation de préciser les modalités d’application de ces actes de bases. Le règlement communautaire a trois caractéristiques principales: c’est un acte à portée générale, c’est un acte contraignant, obligatoire dans tous ses éléments, c’est un acte directement applicable dans tout État membre. Le règlement communautaire ne nécessite pas de mesure de transposition, de réception de la part des autorités nationales. La directive communautaire: c’est, en quelque sorte, un acte imparfait, incomplet, en ce sens que la directive s’adresse aux États membres de la Communauté européenne et, a priori, uniquement à eux, et lie les États membres de la Communauté quant au résultat à atteindre, et laisse aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens d’atteindre ce résultat. La directive n’impose qu’un résultat à atteindre. Pour qu’une directive puisse s’appliquer dans les ordres juridiques des États membres, il faut que les instances nationales transposent cet acte pour les mettre en œuvre. La directive, dans le corps de son texte, prévoit un délai de transposition qui est d’un ou de deux ans. La directive n’est pas directement applicable dans les États membres car nécessite un acte de transposition. Derrière de très nombreuses règles de droit interne, il y a une directive communautaire: en matière de droit du travail, l’article L 122 -12 pose le principe de la continuité des contrats de travail en cas de transfert d’entreprise. Ce texte est une transposition d’une directive communautaire de 1977. Or, cette directive a été inspirée d’une loi française de 1928 qui posait ce principe. Ce qui est intéressant, c’est que ce modèle français est transposé dans un texte communautaire et donc interprété par la CJCE, et que ce texte communautaire va engendrer en retour des évolutions tout à fait nouvelles, inattendues en droit français. La décision communautaire: ces décisions sont, à la différence du règlement et de la directive, des actes individuels. Elles s’adressent à des destinataires désignés. La décision lie les destinataires. La décision peut s’adresser aussi bien à un ou plusieurs États membres qu’aux entreprises, et notamment en ce qui concerne les règles de concurrence. Il se trouve qu’au fur et à mesure de son évolution, le système normatif communautaire s’est considérablement enrichi de nouvelles sources de droit au-delà de ses sources. Sources produites par le triangle institutionnel (communications, codes de conduite…), normes créées par la CJCE elle-même dans sa jurisprudence, de ce que l’on appelle des principes généraux du droit communautaire et qui, par le fait de leur création, vont s’appliquer dans le droit des États membres du droit communautaire. Par là, par exemple, le droit français a reçu des principes généraux: principes de confiance légitime, de sécurité juridique. Et puis, il faut citer les accords internationaux conclus par la Communauté elle-même (protocole de Kyoto). Enfin, la possibilité entre partenaires sociaux à l’échelle européenne de signer, conclure des accords collectifs, qui sont obligatoires et s’imposent aux États membres (art. 139 du traité CE). Par ex: le 26 avril 2007 a été conclu un accord-cadre sur le harcèlement et sur la violence au travail. Le traité instituant une Constitution pour l’Europe apportait quelques éléments de modification de la typologie communautaire, et notamment ce traité, empruntant au modèle étatique, distinguait formellement entre les actes législatifs et les actes non législatifs de l’Union européenne. Section 3 Le pouvoir juridictionnel Il s’agit d’une garantie de l’application du droit communautaire, des droits subjectifs tirés du droit communautaire. Mais on l’a appelé pouvoir car, dans le cadre d’une Communauté disposant de pouvoirs extrêmement étendus, une capacité de légiférer très forte, les juges reçoivent une capacité d’interprétation des textes communautaires mais également un pouvoir de création et de participation au droit communautaire. La jurisprudence est une véritable source du droit communautaire. « Juge communautaire »: cela veut dire la CJCE, c'est-à-dire l’institution juridictionnelle prévue à l’article 7 du traité CE, mais cela veut dire aussi juges nationaux, juges des États membres qui ont reçu la tâche d’appliquer et faire prévaloir le droit communautaire dans leur propre État. Les tribunaux nationaux ont été qualifiés de juge communautaire de droit commun: ils appliquent, à titre principal, le droit communautaire sur les normes nationales. Cela implique une transformation profonde de l’office du juge national. Cela implique une modification du paysage institutionnel du droit communautaire, un dialogue entre les juges nationaux et les juges de la CJCE, et implique également un dialogue horizontal en Europe entre les différentes juridictions nationales. I La CJCE C’est une seule institution prévue aux art. 7 et 220 et s. Cette institution communautaire regroupe en réalité trois niveaux de juridiction. Ces trois organes siègent à Luxembourg. La CJCE se présente comme une institution impartiale donc, géographiquement, elle devait être située dans une autre capitale européenne que Bruxelles. Jusqu’en 1989, il n’y avait qu’une seule juridiction et puis, en 1989, a été créé, pour alléger la charge de travail, le tribunal de Première instance de la CJCE, installé dans le même bâtiment que celui de la CJCE. En 2006, a été créée une chambre spécialisée du droit communautaire: le tribunal de la fonction publique (litiges opposants les fonctionnaires européens aux institutions européennes). La CJCE intervient soit en cassation sur des pourvois formés contre des décisions des tribunaux de première instance, soit comme juge de premier et dernier ressort (en matière préjudicielle notamment: article 234 du traité CE). A Composition (art. 221 à 224 du traité sur la CE) Cette composition découle de deux règles apparemment contradictoires: il faut son indépendance et une certaine représentativité. Il y a une certaine hiérarchie: le droit communautaire prime sur le droit national, mais il n’y a pas de hiérarchie organique, les juridictions nationales ne sont pas subordonnées à la juridiction communautaire. Par conséquent, cette condition de représentativité est importante. Le nombre de juges est égal à celui des États membres: 27 juges au tribunal de première instance, 27 juges à la CJCE. Ces 27 juges désignent leur Président pour une durée de trois ans renouvelable. Le Président a un rôle de représentant de l’institution: c’est, actuellement, M. Vassilios Skouris. Le traité de Nice a apporté une modification a propos du tribunal de Première instance: il est désormais possible que le tribunal de Première instance compte un nombre de juges plus important que d’États membres (art. 234) afin d’accroître l’efficacité de l’instance. Cette possibilité n’a pas encore été mise en œuvre. Les membres de la CJCE sont nommés d’un commun accord par les gouvernements des États membres de la CE. Chaque État membre propose un nom et les autres gouvernements entérinent le nom choisi par chacun des États membres (art. 223 et 224 du traité CE). Des conditions de compétences juridiques sont exigées. Il y a des magistrats ou des ministres pour la Grèce. Par ailleurs, il y a des professeurs de droit. Les mandats sont d’une durée de six ans renouvelables: renouvellement par moitié tous les trois ans. Les règles de fonctionnement sont inscrites dans le statut de la CJCE, et ce statut est annexé au traité CE. Ces règles sont inscrites dans le règlement de procédure élaboré dans le cadre du traité CE par chacune des juridictions. Division en chambres. Formation la plus fréquente: trois juges pour le TI (max. cinq juges), cinq juges pour la CJCE (max. treize juges). Auprès de la CJCE, ont été créés des postes d’avocat général (huit avocats généraux à la CJCE) (art. 222 du traité). L’avocat général, c’est une institution calquée auprès de celle du Commissaire du gouvernement auprès du CE, c'està-dire que l’avocat général est chargé de présenter des conclusions sur l’affaire, et il le fait en toute indépendance. Avant la mise en délibéré de l’affaire, il propose une solution qui ne lie pas les juges du fond. B Procédure Enregistrement de l’affaire au registre du greffe (600 requêtes déposées par an). Ce dossier est enregistré, porte un numéro. Spécificité de la Cour, ce dossier est transféré au service de la traduction: en effet, le français est la langue de référence. Suit la transposition du dossier au service de recherche et l’identification de l’affaire. Le Président de la CJCE attribue le dossier à un juge qui est qualifié, alors, de juge rapporteur de l’affaire et, en même temps, le Premier avocat général attribue le dossier à l’un des huit avocats généraux de la CJCE. Vient ensuite la réception de l’ensemble des pièces de procédure. Commence alors la phase écrite. Ensuite, l’affaire est présentée par le juge rapporteur à ses collègues. Dans une réunion générale de la CJCE, le juge rapporteur présente les faits essentiels, les enjeux juridiques de l’affaire, porte aux autres membres de la juridiction le dossier à leur connaissance. C’est cette réunion générale qui décide de la formation de jugement (chambre à cinq juges, trois juges…) et de toutes les mesures d’instruction (demande d’éclaircissement des parties…). Phase orale: audience de plaidoirie. Traduction simultanée. A la suite de l’audience, quelques semaines plus tard, il y a remise des conclusions de l’avocat général, l’affaire est mise en délibérée, les délibérations se déroulant en français, et on assiste au prononcé de l’arrêt. Tout cela met entre un an et deux ans. L’arrêt est ensuite traduit dans toutes les langues de l’Union européenne II Les voies de droit La mission de la CJCE est inscrite à l’article 220 du traité instituant la CE: « la CJCE assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application du présent traité ». Pour cela, différentes voies de droit ont été prévues. A Contrôle des États membres La CJCE contrôle la bonne application par les États membres de leur obligations communautaires: recours en manquement, éventuellement assorti d’amendes pécuniaires (art. 226 à 228 du traité CE). La Commission européenne engage quotidiennement des recours en manquement (arrêt du 12 juillet 2002, Commission c. France). B Contrôle des institutions communautaires Cela dans deux cas: - comme une juridiction constitutionnelle, dans le cas où les institutions méconnaîtraient les limites de leurs compétences fixées par le traité. Ex: Conseil et Parlement adoptent une directive alors qu’ils n’ont pas compétence (arrêt du 5 octobre 2000, Allemagne c. Parlement et Conseil). Cela peut être aussi un problème de délimitation de compétences entre les institutions elles mêmes. Ex: arrêt de la CJCE du 13 juillet 2004, Commission contre Conseil. Il s’agissait de la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance par la France et par l’Allemagne; - comme une juridiction administrative, comme juge de la légalité: juge qui soumet les institutions communautaires au respect des règles du traité, au respect des principes généraux du droit communautaire. Cela passe par la voie de l’art. 230 du traité: recours direct en annulation qui, dans son esprit, n’est rien d’autre que le REP. C Assistance aux juridictions nationales L’art. 234 du traité CE (renvoi préjudiciel): voie essentielle de diffusion, d’effectivité du droit communautaire. Lorsque ces juridictions sont saisies d’un litige qui est lié à des questions de droit communautaire (c’est très souvent le cas), il y a possibilité d’adresser à la CJCE des questions relatives soit à l’interprétation du droit communautaire, soit à la validité du droit communautaire (tel acte est bien conforme au droit communautaire). Ex: affaire concernant le Barreau des avocats et leur secret professionnel (directive les obligeant de dénoncer tout blanchiment d’argent). Incidemment, la CJCE intervient dans le litige national. III Les méthodes de la CJCE Il y a une spécificité de cette juridiction supranationale, par des méthodes d’interprétation constructive. Méthode systématique: on s’inspire de l’esprit du traité, on prend en compte le système et ses objectifs. C’est une méthode théologique, en fonction des buts, des objectifs généraux du traité: arrêts de 1963 et 1964 qui posent les principes d’effets directs et de primauté du droit communautaire. Le droit communautaire ne connaît pas beaucoup d’écran et très souvent les objectifs du traité sont mobilisés. GAME OVER