relazione

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L'ETAT DE L'ENSEIGNEMENT DE LA
BIOETHIQUE DANS LE MONDE :
SECOND RAPPORT
Guido Gerin, (Italie/Italy)
Président, Centre international de bioéthique/
President, International Bioethics Centre
I.
A propos de certains aspects du jugement éthique des
découvertes scientifiques
Le deuxième rapport concernant l'enseignement de la bioéthique dans le monde mérite
une attention particulière. Le système d'enseignement a en effet changé considérablement, en
raison d'une meilleure définition du concept de bioéthique.
En effet, la bioéthique englobe aujourd'hui toutes les sciences, influant, d'une manière
ou d'une autre, sur la santé et la vie de la personne humaine, notamment la médecine et le
rapport entre le médecin et le malade, fondement indispensable de l'éthique, pour assurer tant
les droits du malade qu'un rapport correct entre celui qui est appelé à soigner et celui qui est
obligé de se soumettre à des interventions ayant, parfois, des conséquences graves sur sa vie.
Des règles déontologiques, qui exigeaient, entre autres, d'informer le malade, font
désormais partie de la bioéthique puisque le problème s'est trouvé élargi par l'introduction
d'éléments permettant d'exploiter les connaissances scientifiques en matière de génétique.
On a constaté par ailleurs l'importance de l'étude de la personne dans son environnement,
compte tenu des autres espèces.
L'acquisition de connaissances médicales pures et simples ne suffit plus. A celles-ci,
il faut ajouter non seulement les découvertes biologiques, mais aussi les découvertes qui
exercent, d'une manière ou d'une autre, une influence sur les êtres vivants, à travers
l'environnement.
En outre, l'évaluation éthique des découvertes scientifiques doit se baser sur des
principes philosophiques. En effet, lorsqu'on porte un jugement sur un objet, on qualifie la
réalité environnante en lui attribuant une signification ayant, ou étant censée avoir, une
validité universelle.
Certes, le jugement portant sur l'utilisation possible de la découverte scientifique est
un jugement discriminant, mais il est indispensable lorsque cette découverte doit être
appliquée à la personne humaine.
Cependant, il est opportun que le philosophe puisse, lui aussi, participer au jugement
pour obtenir la pluralité de la pensée, intrinsèque à toute manifestation de volonté et
étroitement liée aux jugements individuels autant qu'à la diversité biologique.
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La reconstruction de la réalité et de ses différences qualitatives n'est qu'une des
fonctions du jugement, mais elle est nécessaire puisqu'elle implique une intervention active
sur le monde qui nous entoure. Cette reconstruction, d'une part, décrit la variabilité des
phénomènes du monde, à travers une qualification des objets et des actions, d'autre part,
analyse les fonctions nécessaires pour communiquer la connaissance aux tiers, tout en
respectant l'autonomie individuelle.
En effet, à travers le jugement, si un individu peut désigner par un nom précis tel ou
tel objet, ce qui produit une qualification logico-descriptive et une fonction cognitive, il peut
également juger pratiquement sans aucune limite précise.
De ce fait, l'élément "catégorisation" du jugement joue non seulement un rôle
prédicatif à l'égard de ce qui existe, mais aussi un rôle normatif important à l'égard de ce qui
n'existe pas encore. En raison de ce double potentiel, le jugement conjugue la fonction
logico-prédicative et l'indispensable fonction pratico-normative et acquiert son caractère
perspectif, sa tendance naturelle à dépasser le contexte purement cognitif pour influencer la
décision politique. Ce qui permet de boucler le cercle entre la théorie et l'action, grâce à une
coordination dans la conscience de l'individu, et de prendre en considération les aspects
cognitifs et les aspects délibératifs se rapportant tout spécialement à l'homme politique.
Par conséquent, l'intervention du philosophe est nécessaire non seulement lorsqu'on
évalue la découverte scientifique, mais aussi, et surtout, lorsqu'on porte un jugement
perspectif sur la définition de la valeur lors de son application. On pourrait considérer cette
exigence du jugement comme une conséquence logique des théories aristotéliciennes et
kantiennes.
En effet, il ne faut pas oublier la contribution à une théorie du jugement apportée par
la troisième des critiques célèbres de Kant (Critique de la raison pure) qui aujourd'hui est
interprétée comme une philosophie morale et politique possible (interprétation de la Critique
kantienne par : Arendt H., "Théorie du jugement politique". Gênes, 1990). La loi
universelle de Kant, déjà donnée a priori à l'intellect, s'ouvre donc à un jugement basé sur des
données concrètes et elle s'élargit et s'épanouit avec plus de souplesse.
II. L'interdisciplinarité et la position de l'homme en tant
qu'être pensant dans l'environnement qui l'entoure
Cette brève introduction nous permet de comprendre pourquoi, désormais, la
bioéthique est bien plus qu'une science médicale. Elle ne se limite pas non plus à une
déontologie pour l'homme de science, qui est toute autre chose, et peut jouer un rôle très
important si elle devient interdisciplinaire et aborde le domaine des connaissances humaines
dans leur ensemble, lorsque celles-ci touchent à la personne humaine dans son individualité
physique et dans son activité pensante.
Il faut, par conséquent, accorder une attention particulière à l'analyse des
conséquences sur la personne des connaissances nouvelles en matière de génie génétique et
des expérimentations sur d'autres espèces (plantes et animaux). L'environnement est la cause
principale de certaines maladies et les rapports qui existent entre le génome humain et le
génome des plantes et des animaux pourraient avoir, à long terme, une influence sur
l'humanité (voir à cet égard la thèse du prix Nobel Arber).
Il faut donc réaffirmer que l'interdisciplinarité de la bioéthique est indispensable, parce
que cette dernière doit interpréter toutes les sciences qu'on peut, d'une manière ou d'une autre,
appliquer positivement ou négativement à la personne humaine. Les experts travaillant dans
les centres d'enseignement de bioéthique ont, à maintes reprises, réaffirmé l'importance de
cette interdisciplinarité. Evidemment, il ne s'agit pas d'encourager l'approfondissement des
études en la matière, mais de comprendre qu'aujourd'hui les découvertes scientifiques sont
interdépendantes et que, devant l'évolution de la science, on ne peut plus faire abstraction
d'une évaluation éthique lors de son application à l'homme et à l'environnement. Dans ce
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contexte, j'entends métaphoriquement par "environnement" l'ensemble des choses existantes
qui nous entourent, et par "personnes" aussi bien les individus que la collectivité.
Il suffit de rappeler à cet égard que la construction d'une route peut détruire une partie
des forêts et des plantes, que la mer peut être utilisée positivement ou négativement et que,
abstraction faite de la recherche médicale et biologique, le problème des manipulations des
espèces exerce, sans aucun doute, une influence sur l'homme. C'est justement à ce propos
qu'on a affirmé qu'il faut considérer l'homme comme un cosmos dans le cosmos.
Le critère du dialogue entre les formes du savoir devrait donc être valable pour la
multiplicité indéfinie d'aspects et d'entités qui constituent l'homme physique et biologique.
Mais ce critère est nécessaire, à plus forte raison, si l'objet privilégié de l'attention est le
monde humain. En effet, l'homme affiche des caractéristiques tout à fait particulières qui le
distinguent des autres éléments de l'univers : il est le seul être pensant qui a créé la science et
qui doit en retenir une série de principes lui permettant d'agir dans l'univers.
Si on niait la pensée de l'homme, l'homme n'existerait pas et n'aurait aucune valeur
"pour personne". La réalité "n'existerait pas" parce qu'il n'y aurait aucun rapport entre la
réalité et l'esprit individuel.
De ce fait, la réalité humaine doit forcément utiliser son intelligence et sa pensée pour
encourager la recherche dans le domaine aussi bien des sciences exactes que des sciences
morales. L'homme, qui apprend les lois physiques, chimiques, biologiques et autres, grâce à
une opération effectuée per son cerveau, est le seul à pouvoir et à devoir évaluer de façon
critique toute loi pouvant découler de l'activité de la recherche expérimentale.
La découverte scientifique est un but provisoire puisqu'il y aura toujours l'espoir de
pouvoir connaître davantage, tandis que les sciences morales, et notamment la philosophie,
doivent raisonner sur la base de schémas théoriques dans une tentative de découverte de la
vérité.
Force est de constater qu'il faut considérer le cosmos comme un ensemble unitaire qui
peut offrir des exemples de solidarité et de rapports entre les sciences, notamment entre la
biologie, la médecine et toutes autres formes de sciences qui concernent la vie de l'homme.
L'homme, intelligent et conscient, doit reconnaître son universalité et le rapport entre celle-ci
et ses déterminations infinies. D'une part, l'homme doit être conscient de sa situation
spécifique, d’autre part, il doit identifier les aspects négatifs qui peuvent découler de la
recherche scientifique.
L'interdisciplinarité est à nouveau désignée comme un élément essentiel de la
bioéthique : la cohérence de l'homme intelligent doit impliquer tant le respect de soi que la
conscience de l'égale dignité d'autrui. A partir de cette réflexion, l'homme doit élaborer la
conscience rationnelle de la vie dans le contexte d'un monde qu'il a personnellement
découvert et utilisé.
La responsabilité éthique revient donc à l'homme en tant qu'être pensant.
III. Données concernant la création de nouveaux centres
d'enseignement de bioéthique : médecine préventive
et médecine prédictive
Sur la base de ces considérations sur l'enseignement de la bioéthique, je me dois de
vous relater sur le progrès des centres qui ont été créés depuis la dernière séance du Comité
international de bioéthique de l'UNESCO (CIB).
Les centres les plus importants ont été créés en Italie, de concert avec deux universités,
en Egypte, aux Etats-Unis d'Amérique, en Tunisie, au Mexique et en Allemagne. Il faut
cependant remarquer que le nombre de postes d'enseignants de la bioéthique en Europe a
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augmenté, tandis qu'aux Etats-Unis d'Amérique (où le phénomène est né) l'évolution s'est
actuellement arrêtée, du moins sur la base des données qu'on nous a fournies.
Par ailleurs, nous nous devons de constater qu'on commence à respecter
l'interdisciplinarité de l'enseignement de la bioéthique. En Egypte, par exemple, on a créé
trois nouveaux centres au sein des facultés consacrées à l'éducation (Magistère) en conjuguant
la bioéthique et la philosophie, dans les facultés de biologie et d'anthropologie, de même dans
une autre université, pour ce qui est des facultés de philosophie et de jurisprudence. Aux
Etats-Unis d'Amérique se sont les facultés des sciences de l'éducation et des affaires
internationales, de biologie, de médecine et de philosophie, qui sont concernées. Pour ce qui
est de la Tunisie, on s'est, pour le moment, limité à la Faculté de médecine. En Italie,
plusieurs centres étudient la bioéthique et, parallèlement, d'autres abordent ces questions dans
un contexte plus vaste, dans toutes, ou presque toutes, les sciences. A cet effet, une
collection de livres intitulée "Global Bioethics" a été envisagée, confirmant l'exigence
interdisciplinaire dont a été soulignée l'importance. En outre, on a déjà publié des
anthologies et des collections d'études abordant les différents sujets liés aux sciences,
considérées séparément, et on est en train de créer des bases de données informatisées sur les
résultats des recherches menées.
En 1995, le Conseil de l'Europe a parrainé une anthologie. Nous nous devons, en
outre, de rappeler l'ouvrage réalisé par l'Association Descartes, publié sous l'égide du
Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche de la République française, qui fait
l'état des centres existant, entre 1993 et 1994. Il sera mis à jour cette année (en France, quatre
nouveaux centres ont été créés).
En conclusion, on peut souligner que le principe exigeant d'étudier et d'enseigner la
bioéthique en tant que science interdisciplinaire - considérée sous plusieurs points de vue (par
exemple, médecine, chirurgie, anthropologie, droit, philosophie, etc.) - est en train de se
généraliser. Ceci entraîne une spécialisation des enseignants ainsi qu'une coordination de
toutes les sciences se rapportant à la vie. Il suffit de constater qu'à Bilbao on a envisagé une
chaire spécialement consacrée aux problèmes liés au génome humain (Prof. Romeo
Casabona). On peut donc aisément comprendre comment à partir d'un sujet aussi important,
mais spécifique, on peut aborder des questions interdisciplinaires beaucoup plus complexes.
L'Université de Coïmbra, au Portugal, est en train d'aborder les problèmes éthiques découlant
des nouvelles découvertes en matière de neurologie et de maternité (Hôpital Benayer Barret).
Aujourd'hui, de nouveaux problèmes se posent suite à la généralisation de la médecine
préventive et de celle qu'on appelle la "médecine prédictive". Le prix Nobel Jean Dausset est
le partisan le plus illustre de ce nouveau type de médecine, qui permet d'affirmer que des
individus donnés peuvent être sujets à certaines maladies, lorsque des conditions, identifiables
à l'avance, se manifestent. Il s'agit là, évidemment, d'une possibilité et non d'une certitude,
mais il faut que la bioéthique la prenne en considération, aussi bien lorsqu'une personne est
soumise aux premiers tests, et qu'on lui annonce qu'une maladie pourrait se manifester, que
dans la période comprise entre l'information et la manifestation éventuelle de la maladie.
Dans ces derniers cas, il faut être en mesure de pouvoir conseiller l'intéressé, notamment d'un
point de vue psychologique, d'où l'importance d'une approche interdisciplinaire de la
bioéthique.
Il reste toutefois un problème fondamental qui concerne toutes les sciences et, donc, la
bioéthique : celui de l'information. Il n'y a, à l'heure actuelle, aucun média compétent
pouvant expliquer aux citoyens de tous les pays les découvertes faites grâce à la recherche
scientifique dans chaque discipline et les conclusions éthiques et juridiques qu'il faut en tirer.
Il suffit de rappeler que la Commission des Communautés européennes a décidé de confier à
l'Académie royale de médecine de Belgique la tâche de faire circuler, autant que possible, les
conclusions du groupe ESLA. Il faudrait donc encourager la diffusion par tous les moyens de
communication, dans les populations, des informations concernant les conséquences positives
et négatives découlant de l'exploitation des techniques du génie génétique.
C'est pourquoi le Comité international de bioéthique devrait s'engager à faire en sorte
que, partout dans le monde, on puisse, d'une part, sensibiliser les médias et, d'autre part,
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enseigner graduellement la bioéthique en tant que science fondamentale, mais
interdisciplinaire, s'articulant autour de la personne humaine.
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