iii. discours de madame Simone Veil, ministre d`etat

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III.
DISCOURS DE MADAME SIMONE VEIL, MINISTRE D'ETAT,
MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DE LA SANTE ET DE LA VILLE
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Madame le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Comité international de bioéthique,
Mesdames, Messieurs,
En créant, voici un an, le Comité international de bioéthique, l’UNESCO s'est donné
davantage de moyens pour intervenir au coeur du débat sur l'éthique biomédicale. Il s'agit
d'un débat essentiel pour l'avenir de l'humanité et il est bon que votre organisation, fidèle à sa
vocation, y fasse entendre la voix de la conscience universelle.
Je souhaite que le Comité international de bioéthique puisse contribuer, dans ces
matières si délicates, à faire prévaloir un humanisme, que tous les peuples ont en commun, sur
les risques de dérives eugéniques que peuvent comporter les progrès de certaines
connaissances scientifiques.
La France joue un rôle actif dans vos travaux grâce à la participation d'éminents
représentants du monde de la médecine, des sciences et de l'Université. Ils prennent place
parmi les personnalités internationalement reconnues, venues des cinq continents, qui
composent votre Comité. Soucieux de conduire une réflexion pluraliste et multidisciplinaire,
éclairée non seulement par les apports de la science mais aussi par des données
philosophiques, morales et juridiques, le Comité international de bioéthique bénéficie d'une
grande diversité d'expériences, de savoirs et de sensibilités.
Mme Noëlle Lenoir préside vos travaux. Je me réjouis de ce choix. Chacun sait en
effet la part prise par votre Présidente dans les recherches qui sont à l'origine des lois
françaises. Vous ne m'en voudrez pas de le souligner, ces textes constituent certainement
aujourd'hui en matière d'éthique biomédicale, la législation la plus complète et la plus
ambitieuse dont se soit doté un pays.
En prenant des options fondamentales sur des questions de principe touchant à la vie, à
l'intégrité du corps humain, à la souffrance et à l'idée même que l'on se fait de l'homme, la
France, suivant la double tradition des Lumières et des droits de l'homme, a cherché à
rapprocher les immenses espérances dont le progrès scientifique est porteur pour l'humanité et
la nécessité d'assurer le respect de l'être humain, de son identité, et de son intégrité face aux
risques d'un mauvais usage de la science. Cette exigence est encore plus impérieuse depuis
que l'avancée des connaissances donne accès aux mécanismes les plus mystérieux de la vie.
Le législateur français a imposé ses exigences pour que le progrès médical soit
recherché et mis en oeuvre avec discernement et qu'il ne soit pas détourné de ses fins. Mais,
au-delà des législations nationales, c'est au niveau international qu'il faudra demain poser un
ensemble de principes rigoureux, en ce qui concerne tant les recherches et les
expérimentations que la mise en oeuvre des découvertes à venir, dont personne ne peut
prédire encore le contenu. Le caractère universel des principes éthiques, dont les différentes
législations nationales se recommandent, rend possible cette indispensable harmonisation
internationale. On ne résoudra rien en interdisant certaines pratiques dans un pays si les
chercheurs et les médecins peuvent les développer ailleurs. On ouvrira seulement la voie à
une compétition malsaine entre les systèmes de santé comme entre les institutions de
recherche. C'est au plan mondial qu'il faut interdire, comme nous l'avons fait en France, les
manipulations génétiques susceptibles d'altérer les caractères de l'espèce humaine. Il en va
de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. C'est aussi au plan universel qu'il
convient de poser certaines règles pour un usage éthique des nouvelles technologies
médicales, notamment en ce qui concerne l'accès à l'assistance médicale à la procréation et les
greffes d'organes.
En France, par exemple, l'opinion a été troublée par les grossesses tardives qu'ont
réalisé dans d'autres pays certaines équipes médicales et nous avons réservé l'assistance
médicale à la procréation aux femmes en âge d'avoir un enfant. Il y va à notre sens de
l'intérêt de l'enfant à naître et de la santé de la mère. De même, nous écartons de l'assistance
médicale à la procréation les femmes seules et nous la réservons à des couples stables, car
nous ne voulons pas favoriser la naissance d'enfants sans père. Les progrès de la lutte contre
la stérilité doivent permettre de corriger les défaillances de la nature. Ils ne doivent pas
rendre possible ce que la nature n'autorise pas, en bouleversant ses lois.
Je souhaite que ces règles ne demeurent pas isolées et qu'un débat international se
développe pour dégager des principes d'application universelle. Je mets beaucoup d'espoir
dans l'action de l'UNESCO, éclairée par votre Comité, pour que la communauté internationale
y parvienne. D'autres instances - je pense notamment au Conseil de l'Europe - y travaillent
également. La convention européenne de bioéthique, dont j'espère la conclusion dans les
prochains mois, montrera la voie, en protégeant l'être humain dans sa dignité et son identité et
en affirmant que la protection de la personne doit prévaloir sur le seul intérêt de la société et
de la science.
Nous assistons depuis quelques années à de formidables avancées, en particulier dans
le domaine de la connaissance du génome humain, sur lequel vous avez concentré vos
premiers travaux.
Une révolution scientifique s'accomplit sous nos yeux. Elle annonce une ère
nouvelle. Riche de promesses, mais lourde de risques, c'est l'ère de la médecine prédictive et
des thérapies géniques. Des affections aujourd'hui fatales seront dominées. Nous en avons
maintenant la certitude. Que d'espoirs vont ainsi naître! Mais que d'inquiétudes aussi
devant les vertigineuses perspectives qu'ouvre la médecine prédictive si son utilisation n'est
pas assujettie à des règles éthiques très rigoureuses.
Nous ne pouvons prendre encore la mesure exacte des changements à venir. Ce qui
n'était hier que "science-fiction" est susceptible de devenir réalité scientifique. Demain, tout
pourrait devenir possible et, par exemple, choisir à l'avance les caractéristiques de l'enfant à
naître.
On glisserait vite du choix du sexe de l'enfant à la sélection génétique, ne serait-ce
dans un premier temps que pour éviter certains risques de santé. Ce serait la face la plus
présentable de l'eugénisme, mais elle porterait déjà en elle des risques de dérive
considérables. Plus tard, on n'hésiterait plus à programmer la conception d'être humains
réunissant des qualités particulièrement recherchées par leurs parents ou par la société. On
ne peut évoquer sans effroi de telles perspectives.
Nous en savons dès aujourd'hui assez pour considérer que les possibilités eugéniques,
qu'on redoute à juste titre, relèvent autant du développement de connaissances déjà acquises
que de découvertes encore incertaines et imprévisibles.
Une fois de plus, le progrès des connaissances est un défi pour la conscience
collective. Ce ne sera pas la première fois dans l'histoire de l'humanité. Depuis la
préhistoire jusqu'à la découverte de l'atome, l'homme a souvent eu l'occasion de vérifier
l'ambivalence du progrès scientifique.
Il y a longtemps que les rapports entre science et morale ont été explorés. Il nous
arrive d'être pris de vertige devant l'étendue des découvertes de ces dernières années, mais
elles ne font pas irruption dans un vide de l'éthique et de la pensée philosophique. Nous ne
manquons pas de références pour en analyser les conséquences au regard d'un ensemble de
valeurs. Les formidables développements de la génétique nous renvoient aux questions
fondamentales qui sont familières à l'homme depuis le début de son histoire et qui sont au
coeur des récits les plus anciens: rappelons-nous, bien avant Montaigne, le mythe de
Prométhée; souvenons-nous d'Eve, face à l'Arbre de la Connaissance!
Mais, si les derniers acquis de la science ne nous donnent aucune raison de réexaminer
les principes fondamentaux de nos civilisations, ils n'en posent pas moins de questions
nouvelles et très complexes.
Au-delà de la bioéthique, je citerai par exemple la question de l'allocation des
ressources pour la mise en oeuvre des nouvelles technologies médicales.
Le choix des bénéficiaires de thérapies expérimentales ou de technologies encore peu
répandues impose aux praticiens et aux gestionnaires de la protection sociale des décisions
difficiles. Lourde responsabilité, qui doit être exercée en conscience par tous les acteurs du
système de soins, du médecin au ministre, en s'appuyant sur de solides références éthiques!
Autre problème: celui de la sécurité sanitaire.
L'impératif de sécurité sanitaire est devenu primordial depuis que la catastrophe du
sang contaminé a dramatiquement démontré dans de nombreux pays l'importance des risques
de santé publique générés par le système de soins lui-même.
L'organisation de cette sécurité est aujourd'hui devenue une responsabilité majeure des
autorités de santé publique. Ni l'intérêt de la recherche, ni la poursuite de résultats financiers,
ne doivent plus pouvoir être mis en balance avec la sécurité des malades!
Devant tous ces problèmes, si lourds et parfois angoissants, nous pourrions, bien-sûr,
nous voiler la face et refuser d'avancer, en invoquant les dangers, réels ou supposés, dont le
progrès est nécessairement porteur. La tentation du repli est grande face à certaines
innovations. Mais une société qui rejette la science se condamne à ne plus enregistrer ni
progrès dans la lutte contre la maladie et la souffrance, ni allongement de l'espérance de vie,
ni amélioration des conditions d'existence. Une telle attitude tournerait le dos à tous les
acquis de notre civilisation, les débuts de l'aventure humaine. Faire le pari de la science est
sans doute la seule attitude à la fois raisonnable et conforme à nos convictions humanistes.
Pour autant, il convient de ne pas en méconnaître les risques et d'être attentif à orienter
le progrès des recherches et de leurs applications vers le seul intérêt de l'homme. Dans cet
esprit, il ne faut pas craindre d'interdire les expérimentations qui portent atteinte à la dignité
de l'être humain. C'est ce que nous avons fait en France en interdisant les expériences sur les
embryons conçus in vitro, les études reposant sur une simple observation pouvant toutefois
être autorisées à titre exceptionnel. De même, c'est seulement à titre exceptionnel que nous
permettons les diagnostics génétiques sur les embryons, sous d'étroits contrôles et pour la
recherche de pathologies particulièrement graves.
Certes, les textes ne peuvent tout prévoir. C'est pourquoi il faut avant tout poser des
règles générales, susceptibles de s'appliquer durablement, sauf bouleversement des
techniques. Il faut aussi que le cadre législatif soit évolutif. La loi française sera d'ailleurs
réexaminée dans cinq ans.
Il faut enfin faire la différence entre ce qui relève des normes juridiques et ce qui
relève en propre du médecin. Les textes fixeront les bornes au-delà desquelles les recherches
et les pratiques médicales mettraient en cause la dignité de l'individu. Mais il appartiendra
toujours aux médecins, en accord avec les patients, de prendre leurs responsabilités dans des
situations que la loi n'aura pu prévoir.
Nous ne devons pas figer par le droit l'évolution des techniques. Il appartient aux
médecins de prendre leurs responsabilités à chaque fois qu'une question nouvelle se pose à
eux. Il en va ainsi du choix des traitements et des technologies à mettre en oeuvre, à
l'intérieur du cadre général prévu par le législateur, dans le respect des références médicales
reconnues, le cas échéant, par la profession, éclairées par les réflexions des comités d'éthique.
J'ajouterai qu'un acte reconnu licite par le Parlement et régi par un texte n'est pas
nécessairement justifié sur le plan médical et qu'il peut même choquer certaines convictions.
C'est parfois le cas en matière d'assistance médicale à la procréation. C'est pourquoi il
importe que rien ne soit imposé et que la liberté de conscience de chacun soit toujours
préservée.
Au-delà des normes juridiques, les autorités de santé publique, par l'impulsion qu'elles
donnent à la recherche, par le contrôle qu'elles exercent sur les établissements de soins, par
l'organisation efficace de la vigilance en matière de sécurité sanitaire, se doivent-elles aussi de
veiller au respect des règles éthiques. On n'a pas tout fait quand on a légiféré!
J'ai conscience, Monsieur le Directeur général, de m'être un peu écartée du thème
retenu par la deuxième session du Comité. Mais je tenais, avant de saluer la qualité de
travaux, à m'exprimer de façon plus générale sur des questions qui ont donné lieu en France à
un grand débat national, marqué tout à la fois par l'intensité des convictions qui se sont
exprimées, la très grande qualité des échanges, empreints d'humanisme et d'esprit de tolérance
et, finalement, si vous me permettez de le dire devant vous, par la sagesse des solutions qui
ont été retenues par nos Assemblées.
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