préhistoire jusqu'à la découverte de l'atome, l'homme a souvent eu l'occasion de vérifier
l'ambivalence du progrès scientifique.
Il y a longtemps que les rapports entre science et morale ont été explorés. Il nous
arrive d'être pris de vertige devant l'étendue des découvertes de ces dernières années, mais
elles ne font pas irruption dans un vide de l'éthique et de la pensée philosophique. Nous ne
manquons pas de références pour en analyser les conséquences au regard d'un ensemble de
valeurs. Les formidables développements de la génétique nous renvoient aux questions
fondamentales qui sont familières à l'homme depuis le début de son histoire et qui sont au
coeur des récits les plus anciens: rappelons-nous, bien avant Montaigne, le mythe de
Prométhée; souvenons-nous d'Eve, face à l'Arbre de la Connaissance!
Mais, si les derniers acquis de la science ne nous donnent aucune raison de réexaminer
les principes fondamentaux de nos civilisations, ils n'en posent pas moins de questions
nouvelles et très complexes.
Au-delà de la bioéthique, je citerai par exemple la question de l'allocation des
ressources pour la mise en oeuvre des nouvelles technologies médicales.
Le choix des bénéficiaires de thérapies expérimentales ou de technologies encore peu
répandues impose aux praticiens et aux gestionnaires de la protection sociale des décisions
difficiles. Lourde responsabilité, qui doit être exercée en conscience par tous les acteurs du
système de soins, du médecin au ministre, en s'appuyant sur de solides références éthiques!
Autre problème: celui de la sécurité sanitaire.
L'impératif de sécurité sanitaire est devenu primordial depuis que la catastrophe du
sang contaminé a dramatiquement démontré dans de nombreux pays l'importance des risques
de santé publique générés par le système de soins lui-même.
L'organisation de cette sécurité est aujourd'hui devenue une responsabilité majeure des
autorités de santé publique. Ni l'intérêt de la recherche, ni la poursuite de résultats financiers,
ne doivent plus pouvoir être mis en balance avec la sécurité des malades!
Devant tous ces problèmes, si lourds et parfois angoissants, nous pourrions, bien-sûr,
nous voiler la face et refuser d'avancer, en invoquant les dangers, réels ou supposés, dont le
progrès est nécessairement porteur. La tentation du repli est grande face à certaines
innovations. Mais une société qui rejette la science se condamne à ne plus enregistrer ni
progrès dans la lutte contre la maladie et la souffrance, ni allongement de l'espérance de vie,
ni amélioration des conditions d'existence. Une telle attitude tournerait le dos à tous les
acquis de notre civilisation, les débuts de l'aventure humaine. Faire le pari de la science est
sans doute la seule attitude à la fois raisonnable et conforme à nos convictions humanistes.
Pour autant, il convient de ne pas en méconnaître les risques et d'être attentif à orienter
le progrès des recherches et de leurs applications vers le seul intérêt de l'homme. Dans cet
esprit, il ne faut pas craindre d'interdire les expérimentations qui portent atteinte à la dignité
de l'être humain. C'est ce que nous avons fait en France en interdisant les expériences sur les
embryons conçus in vitro, les études reposant sur une simple observation pouvant toutefois
être autorisées à titre exceptionnel. De même, c'est seulement à titre exceptionnel que nous
permettons les diagnostics génétiques sur les embryons, sous d'étroits contrôles et pour la
recherche de pathologies particulièrement graves.
Certes, les textes ne peuvent tout prévoir. C'est pourquoi il faut avant tout poser des
règles générales, susceptibles de s'appliquer durablement, sauf bouleversement des
techniques. Il faut aussi que le cadre législatif soit évolutif. La loi française sera d'ailleurs
réexaminée dans cinq ans.
Il faut enfin faire la différence entre ce qui relève des normes juridiques et ce qui
relève en propre du médecin. Les textes fixeront les bornes au-delà desquelles les recherches
et les pratiques médicales mettraient en cause la dignité de l'individu. Mais il appartiendra
toujours aux médecins, en accord avec les patients, de prendre leurs responsabilités dans des
situations que la loi n'aura pu prévoir.