raison, dit Yolton, d’ajouter un objet dans l’esprit qui viendrait doubler l’objet extérieur
perçu) cette mise au point me semble, si j’ose me le permettre, peu pertinente pour Berkeley :
car précisément il refuse de distinguer l’objet extérieur de l’idée qui est dans l’esprit. Il n’y a
pas d’objet extérieur, si on entend extérieur en un sens fort : là quelque part, pouvant être
ignoré royalement et totalement, sans que personne n’ait à avoir affaire à lui pour qu’il soit. Il
n’y a rien d’autre que ce qui est dans l’esprit. Pour Berkeley, exister et être dans un esprit sont
indissociables. (cf. Trois dialogues p. 132 Œuvres II). Le esse est percipi est d’ailleurs selon
Berkeley la seule réponse possible contre le scepticisme : le sceptique est dans le fond un
matérialiste car il croit qu’il y a une chose en soi et qu’elle est inconnaissable ; nous ne
connaissons que des phénomènes : on pourrait opposer ces deux textes l’un est de Sextus
Empiricus, l’autre de Berkeley
« la pomme est lisse, odorante, douce et jaune ; a-t-elle, dans sa réalité, toutes ses
qualités, ou a-t-elle une seule qualité mais apparaît-elle diverse suivant la diversité de la
constitution des organes sensoriels, ou encore a-t-elle plus de qualités que celles qui
apparaissent, certaines d’entre elles ne tombant pas sous nos sens ?… Ce qu’est la pomme est
un point obscur. » Sextus Empiricus Esquisses Pyrrhoniennes (Seuil, points) I, 94
« Je vois cette cerise, je la touche, je la goûte ; je suis sûr que le néant ne peut pas être
vu, être touché, être goûté ; elle est donc réelle. Enlevez les sensations de mollesse,
d’humidité, de rougeur, d’acidité, et vous enlevez la cerise. Puisqu’elle n’est pas un être
distinct des sensations, une cerise, je le dis, n’est rien qu’un conglomérat d’impressions
sensibles ou idées perçues par des sens divers, idées qui sont unies en une seule chose par
l’esprit (ou qui reçoivent un seul nom à elles donné par l’esprit) parce qu’on constate qu’elles
s’accompagnent l’une l’autre. Ainsi quand le palais est affecté de cette saveur particulière, la
vue est affectée d’une couleur rouge, le toucher de rondeur, de mollesse et ainsi de suite. En
conséquence, quand je vois et que je touche et que je goûte en de certaines diverses manières,
je suis sûr que la cerise existe, qu’elle est réelle, puisque sa réalité n’est pas à mon avis
quelque chose d’abstrait à séparer de ces sensations. Mais si vous entendez par le mot de
cerise une nature inconnue (une matière en soi, une substance corporelle objective) distincte
de toutes ces qualités, sensibles, et par son existence quelque chose de distinct de ce qu’elle
est perçue, alors certes, je l’avoue, ni vous ni moi ni personne d’autre ne peut être assuré
qu’elle existe » 3 Dialogues entre Hylas et Philonous p.131.
Mais avant de poursuivre sur la raison pour laquelle il ne peut rien exister d’autre que
ce qui est mental, je voudrais développer un peu la pensée du senti de Berkeley dans quelques
unes de ses dimensions.
Ce que Berkeley énonce doit toujours être référé au vécu perceptif de l’honnête homme qui
désire ne pas étendre son savoir au-delà de ce qu’il sait de façon éprouvée plutôt
qu’expérimentée. Le vécu (le terme n’existe pas dans la prose de notre auteur) est la pierre de
touche de la validité de son discours.
Ainsi Berkeley défend la thèse de l’hétérogénéité radicale des domaines sensoriels: il n’y a
pas de commune mesure entre une sensation auditive ou un son et une idée visuelle
(couleurs) : « Les idées introduites par chacun des sens sont radicalement différentes et
distinctes les unes des autres...Une même personne ne voit pas la même chose qu’elle sent,
pas plus qu’elle n’entend la même chose qu’elle sent...Ce qui est vu est une chose, ce qui est
senti en est une autre » (N.T.V p. 224-225 § 46, 47 & 49). « Ce que je vois est seulement une
diversité de lumière et de couleurs. Ce que je sens est dur ou mou, chaud ou froid, rugueux ou
lisse. Quelle similitude, quelle connexion ces idées-ci ont-elles avec celles-là ? » § 103 p. 254.