INTRODUCTION AUX GRANDS PROBLÈMES DE LA PHILOSOPHIE (7) Le monde Manuel: Simon Blackburn, Penser - une irrésistible introduction à la philosophie Paris 1999,Flammarion Collège de Candolle - Philo DF 3e 1 LE MONDE Georges Berkeley (1685-1753) «Comment est-il possible que les choses perpétuellement flottantes et variables comme le sont nos idées puissent être des copies ou images de quelque chose de fixe et de constant? ... Si vous dites que l’objet matériel ressemble à l’une seulement de nos idées, comment serons-nous capables de distinguer la vraie copie de toutes les fausses?» 1er dialogue entre Hylas et Philonous 2 Introduction: Deux questions centrales de l’ontologie [B supplément] (1) Le monde existe-t-il indépendamment de notre esprit? L’existence des choses: Existence ne dépend pas de l’esprit humain Les choses sont matérielles Réalisme (Locke) Les choses sont immatérielles Idéalisme transcendental (Kant) Existence dépend de l’esprit humain Idéalisme subjectif (Berkeley) (2) Quelle est la nature du monde, comment devons nous le décrire? La nature des qualités/propriétés que les choses possèdent: Les qualités qui existent indépendamment de notre expérience: les qualités premières Les qualités qui n’existent pas indépendamment de notre expérience: les qualités secondes 3 Survol [B supplément] La distinction qualités premières et secondes Deux doctrines qui reconnaissent les qualités secondes: Faraday & Hume L’idéalisme transcendental (Kant) Qu’est-ce qui est dans l’œil du spectateur? Le réalisme scientifique (Locke) L’idéalisme subjectif (Berkeley) Peut-on se passer des qualités premières? Galilée & Descartes Berkeley & Moore Comment arrivons-nous à saisir les concepts qui se réfèrent aux qualités/propriétés? Platon & Wittgenstein 4 Couleurs, odeurs, sons, sensations et goûts 1 [B 289-298] Galileo Galilei (1564-1642) « Je crois que les goûts, les odeurs, les couleurs et ainsi de suite ne sont rien de plus que de simples noms pour ce qui concerne l’objet dans lequel nous les plaçons, et qu’ils ne résident que dans la conscience. Dès lors, si le vivant était éliminé, toutes ces qualités seraient effacées et anéanties. » 5 Couleurs, odeurs, sons, sensations et goûts 2 [B 289-298] La distinction entre qualités premières et qualités secondes selon Galilée: Impliqué par le concept « chose matérielle » Dépendance de la perception sensorielle Localisation de qualités Qualités secondes NON NON OUI DANS LA CHOSE DANS L’ESPRIT DE L’OBSERVATEUR Qualités secondes: Qualités premières OUI « les objets immédiats des sens: couleurs, goûts, sons, odeurs, toucher » B 290 Qualités premières: Galilée: forme, grandeur, localisation, mouvement, nombre Descartes: extension spatiale Locke: solidité 6 Couleurs, odeurs, sons, sensations et goûts 3 [B 289-298] Conséquence de l’existence de qualités secondes: PHENOMENES L’image manifeste: Le monde tel qu’il nous apparaît: Coloré chaud, odoriférant, bruyant, confortable, familier. L’image scientifique: Le monde tel qu’il est objectivement: Des particules physiques et des forces disséminées à travers le cosmos. 7 Couleurs, odeurs, sons, sensations et goûts 4 [B 289-298] Pourquoi supposer l’existence des qualités secondes? L’argument de la relativité de la perception: P 1 : Un observateur O attribue sur la base de son expérience perceptuelle personnelle des couleurs, des odeurs, etc. aux objets. P 2 : La couleur, l’odeur, etc. que O perçoit sont une fonction des structures sensorielles propres à O. C 1 : Ainsi, si un autre observateur O* possède des structures sensorielles différentes de celles d’O, il attribuera (sur la base de son expérience perceptuelle différente) une autre couleur, une autre odeur, etc. aux mêmes objets. P 3 : O et O* peuvent mener chacun une vie tout aussi efficace et adaptée. C 2 : L’expérience perceptuelle d’O et d’O* étant également appropriée, leur attribution de couleurs, odeurs, etc. différentes aux mêmes objets est donc également justifiée. C 3 : Ainsi, il n’y a pas de distribution correcte des couleurs, odeurs, etc. dans le monde. C 4 : Mieux vaut donc penser que les couleurs, odeurs, etc. sont entièrement dépendantes de l’esprit. 8 Couleurs, odeurs, sons, sensations et goûts [B 289-298] Q VII-1:Expliquez d’abord (a) quelles sont les raisons qui ont poussé Galilée et Descartes à faire la distinction entre les qualités premières et secondes (289-293). Expliquez ensuite (b) comment l’argument de la relativité de la perception justifie la position de l’idéalisme à propos des qualités secondes (293-298). 9 Solide bon sens [B 298-300] John Locke (1632-1704) sur la relation entre qualités premières et secondes « [Il y a aussi] des qualités qui dans les corps ne sont effectivement autre chose que la puissance de produire diverses sensations en nous par le moyen de leurs premières qualités, c’est à dire, par la grosseur, figure, contexture et mouvement de leurs parties insensibles, comme sont les couleurs, les sons, les goûts, etc. Je donne à ces qualités le nom de secondes qualités. » « [Les qualités secondes] ne sont dans le fond autre chose dans les objets que la puissance de produire en nous diverses sensations par le moyen de leurs premières qualités … » 10 Les problèmes de Berkeley 1 [B 204-210] L’extension comme qualité première de base chez Descartes: Problème: 30 cm3 d’espace ≠ 30 cm3 de volume d’un corps La solidité comme qualité première de base chez Locke: « Si ... quelqu’un me demande ce que c’est que la solidité, je le renverrai à ses sens pour s’en instruire. Qu’il mette entre ses mains un caillou ou un ballon, qu’il tâche de joindre ses mains, et il connaîtra bientôt ce que c’est que la solidité, et en quoi elle consiste … » (Locke, cit. B 303) 11 Les problèmes de Berkeley 2 [B 204-210] Critique de Berkeley à la conception de Locke: Le problème de la connaissance perceptuelle: Le problème de la ressemblance: Quelle différence entre solidité et couleur? Comment une expérience mentale (la sensation de la solidité) peut elle ressembler à une qualité matérielle (la qualité de solidité)? Le problème de l’abstraction: Comment concevoir une chose après avoir fait abstraction de ses qualités secondes? Expérience de pensée: Imaginez une rose et essayez d’abstraire sa couleur, son toucher son odeur, etc. - que reste-t-il? Seriez vous content que votre amant(e) vous offre ... ce qui reste? La présentation de l’argument de Berkeley dans les mots de Hume (B 304-305) Conclusion de Berkeley: l’idéalisme subjectif est vrai La logique de la connaissance nous contraint à reconnaître qu’il n’y a pas des qualités premières - et donc pas d’objets matériels 12 Forces, champs et choses 1 [B 306-309] Michael Faraday (1791-1867) « [Supposons que nous voulions distinguer une particule physique a des pouvoirs et des forces m par lesquels elle fait connaître son influence.] A mon sens […], le a ou noyau disparaît, et la substance consiste en force , ou m, et en vérité quelle notion pouvons-nous avoir du noyau indépendant de ses pouvoirs ? Quelle pensée demeure à quoi accrocher l’imagination d’un a indépendant des forces reconnues ? Pourquoi alors supposer l’existence de ce que nous ignorons, que nous ne saurions concevoir et pour quoi il n’y a pas de nécessité philosophique ? » (cit. B 306-307) 13 Forces, champs et choses 2 [B 306-309] La suggestion de Faraday: Problème: L’image scientifique du monde se résout en en vaste champs de forces (de gravitation, électromagnétiques, etc.) « Nous comprenons l’existence d’un champs ou d’une force à quelque point de l’espace en termes de l’accélération qui se produirait si quelque particule y était placée. » (B 307) Exemple: Comment détecter un aimant Ce qui hante les philosophes: une telle image scientifique du monde (sans choses matérielles) est-elle intelligible ou non? Selon Kant: oui Selon Hume: plutôt non 14 Solide bon sens & les problèmes de Berkeley & forces, champs et choses[B 298-309] Q VII-2: Expliquez (a) quelles sont les raisons en faveur de la position du réalisme scientifique de Locke ( 298-300), (b) quelles sont les raisons pour l’idéalisme subjectif de Berkeley (301-306) et (c) quel est le problème que nous confrontons quand nous éliminons les objets (ou particules) de notre description scientifique du monde, en suivant une suggestion de Faraday (306-309). 15 La révolution kantienne 1 [B 313-321; nous n’étudierons pas « Camisoles de force et lois » B 310-313] Immanuel Kant (1724-1804) « On admettait jusqu’ici que toute notre connaissance devait se régler sur les objets ; mais tous les essais pour établir à leur endroit quelque chose a priori par des concepts, par quoi notre connaissance eût été étendue, n’aboutissait, dans cette hypothèse, à rien. Que l’on essaie donc une fois de voir si nous ne serions pas plus heureux dans les tâches de la métaphysique, en admettant que les objets doivent se régler sur notre connaissance, ce qui s’accorde déjà mieux avec la possibilité demandée d’une connaissance a priori de ces objets, qui doit établir quelque chose à leur égard avant qu’ils nous soient donnés. » (cit. B 317) 16 La révolution kantienne 2 [B 313-321] La critique idéaliste du réalisme scientifique: 17 La révolution kantienne 3 [B 313-321] Critique de Berkeley, de Hume et de Kant au réalisme scientifique de Locke: Conséquences directes selon Berkeley et Hume: Nous ne pouvons donner qu’un compte-rendu de nos propres sensations (« théâtre intérieur ») - nous n’avons aucune raison de supposer que nos sensations « miroitent » les qualités premières des objets. Conséquences indirectes selon Berkeley: La supposition de la ressemblance entre l’expérience sensorielle et les qualités premières d’une chose est arbitraire. Nous ne connaissons que nos propres états mentaux; les choses n’existent que parce qu’elles sont perçues ( = idéalisme subjectif). Dieu - la seule substance immatérielle indépendante - cause nos sensations. Conséquences indirectes selon Hume: Notre raison est trop faible pour explorer la relation entre nos sensations et ce qui les cause - nous resterons inévitablement ignorant sur ce point (= scepticisme modéré) 18 La révolution kantienne 4 [B 313-321] Pourquoi Kant rejette les conséquences que Berkeley et Hume tirent de la critique de Locke: Berkeley et Hume ont tort de croire que la perception nous donne l’information d’une réalité ordonnée et structurée. Cet ordre et cette structure sont imposés ou projetés par nous-même lorsque nous percevons Qu’est-ce que nous projetons lorsque nous percevons? La temporalité de tout ce que nous percevons La spatialité de tout ce que nous percevons La dépendance causale de tout ce que nous percevons La « révolution copernicienne » selon Kant: L’ordre et la structure du monde sont des présupposées nécessaires de notre connaissance sensorielle (cit. B 317) 19 La révolution kantienne 5 [B 313-321] L’idéalisme transcendental (Kant) et l’idéalisme subjectif (Berkeley): comment nous « créons » la réalité Berkeley Kant Ce qui existe en dehors des êtres rationnels Dieu (mais pas de matière) Le noumène (mais pas de matière) Comment cela est relié aux phénomènes de la perception causalement intellectuellement Kant est parfois très proche de la position de Berkeley: « Dans notre système, ces choses extérieurs, à savoir la matière, dans toutes ses formes et ses changements, ne sont que de purs phénomènes, c’est-à-dire des représentations en nous, de la réalité effective desquelles nous avons immédiatement conscience. » (Kant cit. B 320) 20 La révolution kantienne [B 313-321] Q VII-3: Expliquez (a) le problème de connaître ce qui explique nos sensations, (b) la solution kantienne à ce problème et (c) les difficultés de distinguer l’idéalisme de Kant de celui de Berkeley (313-320). ). 21 L’œil du spectateur [B 321-327] Peut-on réfuter l’idéalisme? Citation de Berkeley B 322-323 Ce qui parle en faveur du réalisme (Hylas) Philonous (Berkeley) compare les choses « dans » l’esprit et « dans » la réalité (comme l’argument ontologique d’Anselme) La position de Philonous aboutit au solipsisme Ce qui parle en faveur de l’idéalisme (Philonous) Il n’y a pas de connaissance sans perspective Exemple: Les fleurs et le miroir B 325 Peut-on ignorer la perspective? L’argument de G.E. Moore à propos de la beauté B 325-326 Problèmes avec cet argument: découverte vs présupposition de la beauté 22 L’œil du spectateur [B 321-327] Q VII-4: Expliquez (a) l’argument de Berkeley (Philonous) contre la possibilité de concevoir un objet « en dehors de l’esprit », (b) les objections possibles à cet argument, (c) pourquoi cet argument suggère néanmoins l’inéluctabilité d’une perspective, et (d) pourquoi on ne peut pas simplement ignorer le rôle de la perspective dans la défense du réalisme (Moore) (321327). 23 Règles, universaux 1 [B 327-332] Deux problèmes de l’ontologie: 1) Y a-t-il une réalité (a) indépendante de notre esprit et (b) qui soit matérielle (et ainsi « soumise » aux lois de la nature)? C’est le débat réalisme - idéalisme 2) A quoi se réfèrent les concepts que nous utilisons? Y a-t-il des qualités générales ou « universelles » (le rouge, la rondeur, la beauté) ou seulement des qualités particulières (ce rouge-ci, cette rondeur-ci, cette beauté-ci)? Comment expliquer que nous arrivons à saisir les mêmes concepts? C’est le débat concernant l’existence des universaux Qu’est-ce qui explique l’uniformité de notre utilisation des concepts? Trois réponses traditionnelles de la philosophie: La structure de la réalité même (réalisme conceptuel ou platonisme) La structure de notre esprit (conceptualisme) Les conventions linguistiques (nominalisme) 24 Règles, universaux 2 [B 327-332] Pourquoi ces doctrines s’opposent: Réalisme conceptuel vs conceptualisme & nominalisme: Réalisme conceptuel & conceptualisme vs nominalisme: Si on nie l’existence des concepts, on nie la pensée elle-même – l’esprit ne serait qu’un mécanisme qui donne des réponses verbales aux stimuli selon les conventions linguistiques – la question de vérité ne se pose même plus. Nominalisme vs réalisme conceptuel: Si nos mots n’identifient pas des vrais aspects du monde, quel peut être leur valeur descriptive ? Le conceptualisme et le nominalisme barrent la possibilité même d’atteindre une vérité objective. Si l’on veut expliquer notre manière de penser et de communiquer on ne peut pas le faire en invoquant des idées à peine intelligibles, telle que l’idée d’une structure abstraite et imperceptible de la réalité. Nominalisme vs conceptualisme: Si l’on réfléchit soigneusement au sujet des dispositions chères au conceptualisme, on finira par découvrir qu’il n’y a pas de différence entre ces dispositions et les simples conventions linguistiques. Un conceptualiste n’est qu’un nominaliste qui n’ose pas l’admettre. 25 Règles, universaux 3 [B 327-332] La possibilité d’un réalisme conceptuel « naturalisé » Le conceptualisme a raison de dire que la structure de notre esprit façonne nos expériences Exemple: voir quelque chose comme une maison, comme une voiture, comme une pomme est un fait contingent (cela aurait pu se passer différemment) Le conceptualisme néglige l’origine évolutionniste de notre esprit Certaines manières de conceptualiser sont couronnées de succès dans l’environnement que nous habitons, d’autres ne le sont pas. Exemple: les concepts de la mécanique classique et de la chimie (voitures) La théorie de l’évolution suppose que notre esprit s’est adapté à quelque chose qui existe indépendamment de nous Le réalisme conceptuel « naturalisé » défend une version corrigée du réalisme scientifique de Locke 26 Règles, universaux [B 327-332] Q VII-5: Expliquez d’abord (a) quelles sont les trois explications traditionnelles pour l’application uniforme des concepts par des personnes différentes, ensuite (b) quelles sont les raisons pour et contre ces explications, et finalement (c) quelles sont les raisons en faveur d’un réalisme conceptuel « naturalisé » (327-332). 27