BOURGEON Jean-Luc REGNARD, Pierre-Eric LAURI I. Définitions Définition botanique du Dictionnaire Bordas de la langue française (GIRODET, 1990) Bourgeon, (bas latin burrio, burrionis, même sens ; de burra "bourre", à cause de l'aspect pelucheux du bourgeon). Organe situé le plus souvent soit à l'extrémité d'une tige, soit à l'aisselle d'une feuille, et comprenant un point végétatif entouré d'ébauches de feuilles ; les arbres à feuilles caduques ont des bourgeons hivernaux protégés par des feuilles en écailles : bourgeons à fruits, à fleurs, à bois, à feuilles. Les difficultés liées à la terminologie horticole LEMOINE (1828) : "L'ébourgeonnement consiste à supprimer totalement les bourgeons mal placés, trop confus et trop faibles ; à arrêter les bourgeons vigoureux à une certaine longueur ... Cela fait profiter les bourgeons laissés". BURTE (1992) in « Le Bon Jardinier » : Bourgeon. Germe des pousses nouvelles contenant les feuilles et les tiges à l'état rudimentaire et entouré le plus ordinairement d'écailles. Ex.: poirier. Dans le langage horticole, le bourgeon des botanistes, surtout pendant qu'il est dormant, est appelé ŒIL ; pour l'horticulteur, le mot bourgeon signifie une pousse ou un rameau encore jeune et tendre. Ces différences de sens créent souvent des confusions. Tout auteur doit donc préciser s’il emploie le terme bourgeon au sens botanique ou au sens horticole courant. Pour débusquer les faux-amis, un lexique très simple peut être établi comme suit, : sens botanique vs Bouton, Bouton à fleurs Bourgeon végétatif Bourgeon Bourgeon floral Faux bourgeon, prompt bourgeon Jeune pousse Bourgeonnement Pousse anticipée Eborgnage / -er Débourrement, [ou formation des bg] Ebourgeonnage / -er Ebourgeonnage (-ement) / -er Eboutonnage Elimination (-er) de j. pousses inutiles Elimination (-er) de bg floraux sens horticole encore en usage. Œil à bois 4 5 Proposition de définition de référence Cette définition est adaptée de ROMBERGER (1963). Elle est citée avec des variations mineures par différents auteurs dont KOZLOWSKI (1971), HALLE et al. (1978), ou CRABBE (1987). Bourgeon : une pousse non déployée et partiellement développée, possédant à son sommet le méristème qui l’a produite. Ce dernier est habituellement protégé et recouvert par des primordia de feuilles et par les cataphylles (écailles). Cette définition appelle trois commentaires et une remarque : La définition se réfère au bourgeon en tant qu’organe clairement circonscrit, sens accepté et utilisé par les morphologistes. HALLE et al. (1978) notent que le caractère circonscrit du bourgeon est moins évident pour les ligneux tropicaux. Ils parlent de bourgeon morphologiquement distinct quand des structures additionnelles sont associées aux primordia foliaires (stipules ou bases de feuilles modifiées). La nature foliaire des écailles a été établie par différents auteurs. Leur fonction protectrice est souvent évoquée, plus rarement leur fonction physiologique, qui est mal connue. Elles font défaut chez beaucoup d'espèces tropicales, ainsi que chez Viburnum sp. Les cicatrices pérulaires laissées après la chute des écailles sont précieuses pour l'analyse architecturale. Implicitement, il apparaît que l'édification du bourgeon peut être intra-annuelle, séparant deux unités de croissance. On notera enfin que les bourgeons morphologiquement typiques sont parfois absents : Chez de nombreuses Gymnospermes qui portent des feuilles squamiformes, comme les Cupressaceae (Cupressus, Chamaecyparis, Juniperus, etc.). Le méristème terminal n'y est protégé que par les derniers primordia de feuilles. La croissance annuelle repose donc sur la néorformation, l'hiver marquant une suspension de celleci. Chez les Taxodiaceae (Taxodium, Sequoia, Metasequoia, etc.), les bourgeons terminaux sont très réduits et nus. A l’extrémité des unités de croissance, chez les espèces à croissance sympodiale, où le bourgeon terminal est systématiquement absent, par suite de son abscission. En position axillaire, chez les Conifères, où la formation des bourgeons axillaires est potentielle, mais ne se réalise effectivement qu’en des moments particuliers de l’organogenèse (par ex. Pinus sp., in KOZLOWSKI, 1971). Cette situation contraste avec celle des feuillus, où la formation de bourgeons axillaires est quasi générale et constante. II. Caractéristiques associées et/ou modalités d’expression Les propriétés des bourgeons peuvent être liées à leur ontogenèse, concerner des traits morphologiques ou morphologiques, ou faire référence à des aspects fonctionnels. Celles qui vont être rappelées concernent l’origine des bourgeons, leur position, leur époque d’entrée en 6 croissance, les éventuels groupements, et les aspects structurels lorsque les bourgeons sont, au moins partiellement, orientés vers la reproduction. Origine : On distingue classiquemet le bourgeon proventif c’est à dire issu du méristème caulinaire, et le bourgeon adventif qui est issu de néoformation (origine épidermique). Position : On qualifie les bourgeons en fonction de leur position sur les pousses, utilisant les adjectifs de terminal, et axillaire. Citons par exemple CRABBE (1987) : « A l’aisselle de toute feuille portée par un axe existe la possibilité d’un reliquat de cellules méristématiques pouvant s’organiser pour former un méristème axillaire. Cette différenciation dépend étroitement d’influences émanant du primordium foliaire axillant. Chez les espèces feuillues, cette formation est quasi générale et constante, chaque feuille ayant son bourgeon (ou son complexe gemmaire) axillaire. L’organogenèse du bourgeon axillaire évolue directement vers la formation d’écailles, sans formation préalable de feuilles, sauf en cas de syllepsie ». Délai entre ontogenèse et entrée en croissance : Le bourgeon qualifié de latent est un bourgeon qui ne se développe pas dans le cycle de croissance suivant sa formation. La latence de développement peut atteindre plusieurs années. Les écailles peuvent être recouvertes progressivement par l’écorce. Lorsque la croissance se manifeste, on parlera de bourgeon épicormique (KOZLOWSKI, 1971). Les bourgeons latents constituent une réserve permettant l’apparition de complexes réitérés plus ou moins tardifs. Chez certaines espèces, comme le pêcher, on constate que les bourgeons latents s’annulent rapidement, d’où la quasi-impossibilité de repercements. Complexes de bourgeons, et bourgeons sériaux : HALLE et al. (1978) définissent le complexe de bourgeons comme un groupe de bourgeons étroitement juxtaposés. Le complexe peut être primaire, dans le cas des bourgeons sériaux, représenté par une série de bourgeons placés en ligne verticale et appartenant au même ordre de ramification, et produits au sein d’une même aisselle foliaire. Le complexe est secondaire quand les bourgeons agrégés sont portés par des axes d’ordres différents. La présence de bourgeons sériaux est observée chez diverses espèces : Juglans sp. , Rhamnus cathartica, Rubus sp., Bignoniaceae, Leguminosae, Oleaceae, Rubiaceae, Simaroubaceae (in HALLE et al., 1978). Ces bourgeons présentent un gradient de force acropète ou basipète. Chez Coffea, par exemple, c’est le bourgeon distal de chaque aisselle qui donne la ramification proleptique (ou sylleptique). Le bourgeon surnuméraire subsiste à l’état latent en tant que bourgeon de réserve. Chez Olea, de même, le bourgeon surnuméraire est à l’origine de la réitération (VILLEMUR et al, 1986). Chez Fraxinus, les bourgeons sériaux ne sont observés que dans la partie distale des unités de croissance. Structure des bourgeons floraux / des inflorescences : Fleurs isolées. Dans ce cas, après la formation des écailles, le méristème terminal effectue immédiatement son virage floral, et forme les ébauches d’une seule fleur : exemple du pêcher. 7 Inflorescences (cf. classification de SELL et CREMERS, 1987). bractéifères : l’axe de l’inflorescence ne supporte que des bractées à l’aisselle desquelles sont situées les fleurs. Il n’y a aucune évolution végétative après la floraison (exemple de divers Prunus). frondifères : l’axe de l’inflorescence est morphologiquement proche d’une pousse végétative, mais les aisselles de feuilles portent des fleurs. frondobractéifères, également appelées mixtes. Le virage floral du méristème apical ne s’est produit qu’après la préformation de quelques feuilles au sein du bourgeon. Chaque pièce préfomée par l’anneau initial a alors évolué morphologiquement vers la bractée. Les dernières feuilles formées peuvent porter une ébauche florale à leur aisselle. Les méristèmes végétatifs axillaires sous-jacents peuvent évoluer en pousses végétatives. Le pommier constitue un exemple classique de cette situation. III. Discussion L'époque à laquelle on considère le bourgeon, et son caractère plus ou moins circonscrit peuvent faire discussion. GUINOCHET (1965), par exemple, parle indifféremment de bourgeon terminal en période d'activité ou de repos. En période de croissance, le rythme plastochronal de l’apex étant plus rapide que l’allongement des entre-noeuds et l’étalement des limbes, les jeunes feuilles distales sont tassées les unes contre les autres, et se recouvrent partiellement. Elles constituent ainsi un manchon enveloppant les ébauches et les primordia. Selon cet auteur l’ensemble constitue un bourgeon (terminal). Cette acception de bourgeon lato sensu est le plus souvent réfutée, les auteurs soulignant que le concept de bourgeon fait implicitement référence à une période de repos, et aux structures de protection. Le niveau d'organisation minimal qui permet de parler de bourgeon est aussi discuté. CRABBE insiste par exemple sur l’arrêt de l’allongement, sans arrêt complet de l’organogenèse, et soutient la réalité de l’entité bourgeon dans le cas des Cupressus. Il est important d’expliciter la notion de débourrement, en fonction des territoires qui entrent en croissance à ce moment : axe, primordia de feuilles, entre-noeuds séparant les primordia de feuilles, entre-noeuds séparant les écailles. Il faut souligner la relation entre la structure du bourgeon (nombre de pièces préformées, et époque d’observation), et la nature (préformée / néoformée) de la croissance subséquente. On ignore le rôle physiologique de la couronne de collenchyme (“ crown ”) observée sous les bourgeons terminaux de nombreuses Gymnospermes (Picea, Pseudotsuga, Laris, Abies, etc.). Cette zone constituée de 5 à 10 couches de cellules isodiamétriques à parois épaissies est signalée comme pouvant avoir un rôle de stockage de l'amidon (ROMBERGER, 1963), d’où l’hypothèse d’un rôle clé lors de la reprise de croissance. 8 IV. Bibliographie Burte, J.N., 1992. Le Bon Jardinier, 153e édition, La Maison Rustique (Paris), 2880p. Crabbe, J., 1987. Aspects particuliers de la morphogenèse caulinaire chez les végétaux ligneux et introduction à leur étude quantitative. IRSIA, Presses universitaires de Bruxelles (Belgique), 116p. Girodet Jean, 1990. Dictionnaire de la langue française. Bordas (Paris), 3113p. + annexes. Guinochet, 1965. Notions fondamentales de botanique générale. Masson et Cie (Paris), 446p. Halle, F., Oldeman, R.A.A., Tomlinson, P.B., 1978. Tropical trees and forests. Springer Verlag (Berlin, Heidelberg, New York), 441p. Kozlowski, T.T., 1971. Growth and development of trees. Academic Press (New York and London). Tome 1 : Seed germination, ontogeny, and shoot growth. 443p. Lemoine, L., 1828. Leçons théoriques et pratiques sur la plantation, la culture et la taille des arbres à fruits et de la vigne, et plus particulièrement celle du pêcher. 3e édition, Malher et Cie (Paris), 269p. Romberger, R.A., 1963. Meristems, growth, and developement in woody plants. U.S. Dept. Agric., Forest Service, Technical Bulletin n° 1293, 214p. Sell, Y., et Cremers, G., 1987. Les inflorescences des Melastomaceae guyanaises, leur filiation et leur valeur taxonomique. Can. J. Bot., 65, 999-1010. Villemur, P., Nseir, S., et Bellabas, A., 1986. Complexes gemmaires et ramification en relation avec la floraison-fructification chez l’Olivier (Olea europea L.) et le Clémentinier (Citrus reticulata Blanco). 1er Colloque International sur l’Arbre. Montpellier, 9-14 sept 1985. Naturalia Monspeliensia, hors série, 465-472.