UNE ENTREPRISE PUBLIQUE DANS LA GUERRE : LA SNCF, 1939-1945
Troisième partie : Les cheminots dans la guerre et l’occupation
© AHICF et auteurs, mai 2001
française et belge connaisse, approuve et aide ces opérations, il ne semble pas, à cause du cloisonnement et
des luttes intestines entre états-majors, que l’on ait pensé à les utiliser contre les voies ferrées avant plusieurs
mois. En ce qui concerne les attaques de trains, les cheminots n’y étaient guère préparés : ils connaissaient leurs
risques, mais ne soupçonnaient pas encore l’absence de discernement des attaquants qui allaient confondre
convois militaires et civils, voies normales et voies étroites. Quant aux bombardements de gares, ils n’étaient pas
plus efficaces : dans le cas de 30 % des objectifs atteints, la SNCF pouvait remettre en service des voies de
traversée en quelques heures, sinon en quelques jours en dépit des bombes à retardement.
Ces constats sont valables pour tous les raids de mars à juillet 1944, car, malgré les perfectionnements du
ciblage par radar (H2S notamment), les radios de bord et d’identification (IFF) sont trop bavardes, et permettent
aux radars allemands de diriger avec plus de précision la chasse nocturne. Celle-ci est pourvue, dès février 1944,
de radars de pistage précis (SN2) qui équipent 480 appareils JU88 et ME110 en avril et de nouveaux canons
obliques qui tiennent compte des angles morts des bombardiers britanniques. S’ensuivent des pertes atteignant,
selon l’aveu même des Anglais, une “ quantité presque insupportable ”, qui vont durer jusqu’à la mise en service
des chasseurs d’accompagnement à grand rayon d’action type P51 Mustang permettant aux Américains de
prendre le relais des raids diurnes en juin-juillet. Mais auparavant, bien des cités cheminotes, voisines des
objectifs “ rail ”, comptent des destructions d’habitations considérables. Bien que les familles se dispersent, la
nuit, loin des cibles, il y a encore trop de victimes civiles. Citons les exemples de Tergnier, Aulnoye, Laon, Lens
ou Lille-Délivrance au nord, en région parisienne Vaires10, Villeneuve-Saint-Georges, Juvisy et Trappes ; plus à
l’ouest et au sud, Rouen-Sotteville, Le Mans, Saint-Pierre-des-Corps et Les Aubrais. Les comptes rendus
d’observations des résultats des équipages alliés en fin de mission se signalent par leur optimisme, exagéré
comme le révèlent les photos aériennes prises ensuite, dû surtout aux faibles pertes qui caractérisent les
objectifs ferroviaires à cette époque : 1,1 à 1,5 % des appareils. À l’opposé, côté SNCF, la tendance des
rapports, qu’ils soient ou non officiels, et prévus pour des usages multiples, est aussi d’amplifier les dégâts – il
s’agit d’éviter la répétition des bombardements et les prélèvements de matériel intact – tout en évaluant assez
justement les temps de remise en état des voies principales. La SNCF peut ainsi réclamer un maximum de
matières et de matériels de remplacement aux occupants11 en arguant des longueurs totales de voies atteintes
par les bombes, alors que le rapport entre voies nécessaires à la continuité du réseau et voies de garage est de 1
à 10, voire de 1 à 20.
La multiplication des objectifs et leur importance entraîne une montée très rapide des effectifs employés sur les
chantiers de remise en état, cheminots et civils de diverses provenances. Ils passent de 4 000 en avril à plus
de 15 000 courant mai au réseau Nord, de 3 000 à 7 ou 9 000 à l’Ouest. Le total atteindra 65 000 pour toute
la SNCF. La Résistance est consciente de cette augmentation du nombre de victimes potentielles alors que
l’état-major aérien britannique ne la prend que peu en compte. Dans tous les cas il n’est pas en mesure de
changer rapidement de tactique, alors qu’Overlord se profile dans moins de trois mois.
On constate alors que sur 26 attaques aériennes majeures, impliquant 4 264 bombardiers et le lâcher de 15 290 t
de bombes, explosives pour la plupart, 15 à 25 % selon le succès du raid atteignent leurs objectifs, au sens large.
Les pertes en avions, qui restent beaucoup plus élevées sur l’Allemagne, où est concentrée la majorité des
défenses, restent très faibles sur les objectifs ferroviaires français : 1,5 à 2,3 % du nombre d’appareils, ce qui
représente néanmoins plus de 1 000 manquants, morts, prisonniers ou disparus côté Alliés, davantage
américains que britanniques. À la veille du D Day, les observateurs voient pour un rare moment correspondre le
taux estimé de “ coups au but ” à la réalité. C’est au prix de la mort de près de 2 000 civils et cheminots et de la
destruction de 14 000 maisons ou immeubles.
DU BILAN PROVISOIRE DU 6 JUIN 1944 AU BILAN DÉFINITIF
Retarder les transports allemands
Le “ prix ” humain à payer est alors considéré par les Britanniques comme inférieur aux prévisions, mais les
résultats des opérations le sont aussi : ils jugent qu’elles ne sauraient retarder suffisamment les renforts
allemands. C’est pourquoi on passe en juin 1944 à des opérations tactiques, ponctuelles, concernant davantage
les ouvrages d’art que les voies elles-mêmes comme les observateurs au sol le demandaient depuis longtemps.
Le rendement global du système ferroviaire français contrôlé par l’Allemagne tombe assez bas pour que le
ravitaillement de l’armée et de l’organisation Todt rencontre des difficultés considérables pour parvenir
d’Allemagne en France, alors que le trafic est encore très actif à la Deutsche Reichsbahn. Les mouvements de
troupes postérieurs à l’invasion du 6 juin subissent des retards importants et des déroutements de plusieurs
centaines de kilomètres sont imposés aux troupes en cours de transport par rail12.
En février 1944, l’ensemble de l’organisation des transports allemands en France représente un trafic de 60 à
70 trains par jour circulant entre l’Allemagne et les côtes françaises (de Dunkerque à Nantes). À la fin d’avril, il ne
passe plus que 48 trains par vingt-quatre heures. Fin mai, le trafic tombe à 32 par jour dont 12 convois de
charbon sarrois : 20 trains seulement restent disponibles pour la troupe, ce qui suffit en certains cas pour
acheminer les renforts.