UNE ENTREPRISE PUBLIQUE DANS LA GUERRE : LA SNCF, 1939-1945
Troisième partie : Les cheminots dans la guerre et l’occupation
© AHICF et auteurs, mai 2001
Yves Machefert-Tassin
Le bilan des bombardements aériens des installations ferroviaires en France, leurs
conséquences stratégiques et humaines : tactiques incohérentes, résultats discutables,
victimes civiles exorbitantes et destructions à long terme inutiles ?
L’histoire du bombardement aérien des voies ferrées depuis la guerre 1914-1918 a pour résultat, en 1940, une
stagnation évidente et bien peu de moyens du côté des Alliés1. En revanche, la campagne de France allemande
de mai 1940 prouve l’efficacité relative et la précision des bombardements en piqué (Stukas ou
342 Junker 87 B), sur des objectifs de faibles dimensions, dont les installations ferroviaires fixes et mobiles. En
conséquence, le nombre de victimes civiles ou cheminotes est, pour cette campagne, fort réduit. Avant même
l’armistice, la réplique britannique en est le bombardement à basse altitude, encore localisé, des ports du Nord de
la France et des voies de dessertes impliqués dans le rassemblement des barges prévues pour un éventuel
débarquement allemand en Angleterre. Les premières installations du rail ainsi touchées par le Bomber
Command de la RAF sont celles de Boulogne-sur-Mer (dès le 12 juin 1940), puis Calais, Dunkerque et
Saint-Omer (de 1940 à 1942)2.
Cependant, lors de la campagne de mai-juin 1940, le réseau français n’avait été atteint que par des destructions
mineures, ne touchant pas les ouvrages stratégiques. La reconstruction, entreprise fin 1940, est achevée
en 1942 pour 2 100 d’entre eux. Quelques ouvrages majeurs entièrement reconstruits, tel Longeray sur le
Rhône, ont été épargnés par la suite en 1944, tant par l’aviation que par le minage et, à l’inverse, certains,
épargnés en 1940, ont été détruits par les Allemands en retraite lorsqu’ils en avaient le temps, comme dans le
Nord et l’Est de la France. La difficulté d’ asphyxier un adversaire par l’interruption du trafic qui le ravitaille n’est
donc apparue qu’après bien des échecs. Ce n’est que bien après 1945 que les militaires ont constaté
l’incohérence entre les moyens aériens qu’ils avaient développés dans un but de guerre totale, de
bombardements de terreur sur les zones urbaines allemandes et la faiblesse des résultats obtenus quand ils
étaient appliqués aux objectifs précis, spécifiques que sont les voies de communication, surtout ferrées.
1940-1943 : UN ÉCHEC STRATÉGIQUE
À la suite des raids aériens allemands de fin 1940 à début 1941 sur les docks de Londres, puis sur des villes
industrielles britanniques, en particulier sur les usines d’aéronautique (Rolls Royce à Coventry, par exemple),
arrêtés par la bataille d’Angleterre où s’illustre la chasse anglaise, une contre-attaque est lancée aussitôt vers le
continent. Les opérations sont locales, menées de jour et sur la zone côtière de la Manche par des bombardiers
moyens, légers et rapides (bimoteurs Maraudeurs et Mosquitos). Les objectifs visés, lorsqu’ils sont ferroviaires,
vont des ouvrages d’art, tel le viaduc de Morlaix, à l’ouest (29 janvier 1943, 39 morts civils), à quelques
installations du Nord, telles Abbeville, Saint-Omer, et jusqu’à Amiens et Tergnier (attaqués d’avril 1942 à
juillet 1943).
Devant le peu de résultats de ces raids légers dits tactiques ”, le Bomber Command lourd reprend les
opérations, qu’il conforme à sa pratique des arrosages punitifs de grandes surfaces, comme sur les villes
allemandes, puisque selon son propre chef, Harris, c’est la seule chose qu’ils sachent faire 3. Ajoutons que
cette décision du cabinet de guerre britannique, qui est essayée d’avril 1942 au 8 mars 1943 sur 29 objectifs
ferroviaires en France, est déjà contestée par les Américains de lUS Air Force arrivant en Grande-Bretagne pour
établir leurs propres bases d’attaques aériennes. Mais leurs débuts se révèlent désastreux : Rennes-triage, le
8 mars 1943, 10 % d’impacts sur le site SNCF et 300 morts civils, ou Rouen-Sotteville et, pour servir la vanité
d’Ira Eaker et de sa 8e USAF, les essais infructueux de coupure de la liaison vers l’Italie Marseille-Vintimille, par
des attaques multiples du viaduc d’Anthéor. Il faudra 6 expéditions successives à partir de 1943, relayées par
la RAF tout aussi malhabile, pour finir par encadrer le viaduc d’Agay, pris pour celui d’Anthéor le 12 février 1944
! Si, au sol, les dégâts civils sont relativement minimes, il en est de même du point de vue ferroviaire, puisque
quelques cratères sur la voie interrompent seulement de quelques heures à quelques jours une liaison majeure
germano-italienne.
De tels résultats conduisent à l’abandon de toute idée d’attaques sur les ouvrages d’art. Il sont trop difficiles à
atteindre par les bombardiers lourds à haute altitude et l’on ne pense pas à développer les attaques en piqué en
utilisant les bimoteurs rapides existants.
Qu’en est-il de la défense passive des installations de la SNCF ?
Si les Alliés n’ont développé leurs moyens de bombardement qu’à partir de 1943, en revanche le continent avait
renforcé ceux de sa défense passive depuis 1939 et, parfois, dès 1937. En France, avant même la création de
la SNCF en 1937, les autorités militaires demandent aux réseaux d’effectuer des travaux de protection des
carrefours ferroviaires contre les attaques aériennes, car ils sont essentiels pour la continuité des transports
militaires ”. C’est ainsi que des installations importantes sont pourvues, en 1938 et 1939, d’abris bétonnés
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d’urgence, enterrés ou en surface, généralement de petite surface (4 à 20 m², soit pour 4 à 20 hommes). Le toit,
d’environ 1 m à 1,5 m d’épaisseur, ne peut résister qu’aux bombes explosives de 300 kg (considérées comme le
maximum de l’époque !) ; en revanche, ces abris sont équipés le plus souvent pour résister aux attaques
chimiques par gaz de combat. Des variantes, abris simplifiés dits individuels, préfabriqués, à toiture conique,
aussi bien que des abris plus importants, pour 20 à 40 personnes, sur les sites la main-d’œuvre est plus
nombreuse (bâtiments administratifs, ateliers), apparaîtront de 1939 à 19444.
Les conséquences des tergiversations de la RAF et de l’USAF et le rapport “ Butt
Les résultats désastreux des attaques aériennes de jour à haute altitude de l’USAF en 1943, même si la chasse
adverse est faible, conduisent la RAF à essayer de son côté quelques raids de jour, avec des bombardiers
moyens et rapides accompagnés de chasseurs jusqu’à ce que la maîtrise de l’air sur la Manche leur soit assurée.
En principe complémentaires des raids lourds de nuit, ils concernent des objectifs ferroviaires très divers,
comme à Caen (10 février 1943) puis à Tours (février 1943) où interviennent des formations de Mosquitos à très
basse altitude. Devant le peu de résultats obtenus, la RAF revient aussi aux bombardiers lourds sur Modane
(17 septembre et 11 novembre 1943) avec non moins de 340 appareils. Ici encore les résultats sont ambivalents,
sinon nuls : interruptions de circulation allant de un à quatre jours, au prix de nombreuses vies humaines, tant
cheminotes que civiles, et d’équipages5. Le comble est atteint avec le raid avorté de 548 appareils du
5 décembre 1943, dont 3 seulement trouvent l’une de leurs multiples cibles, au coût de 9 appareils disparus pour
rien. À la suite de ces résultats qui commencent à se savoir, Churchill demande un rapport civil qui porte le
nom de son auteur principal D. N. Butt ”, basé sur les résultats des raids de nuit de toutes catégories mais
principalement sur l’Allemagne. Ses conclusions sont d’une vérité sans appel pour le Bomber Command
britannique. Elles révèlent les défauts de principe d’une stratégie qui consiste en flux opérationnels longs, de ce
fait très risqués pour les derniers avions, ainsi que l’inefficacité complète du Carpet bombing ( “ en tapis ” ou “ de
surface ), d’une dispersion et d’une imprécision faciles à constater sur les reconnaissances photographiques
postérieures malgré la précision des marquages 6. Churchill, début 1943, se pose donc sérieusement la
question : continuer ou arrêter ? La question d’éthique des représailles de terreur sur des objectifs civils n’est
guère abordée, bien que les voix de quelques lords et de l’évêque de Chichester s’élèvent en ce sens. Churchill
est presque contraint par l’état-major de la RAF qui n’a aucun autre moyen d’attaque, et en l’absence
d’alternative disponible que seraient des chasseurs-bombardiers légers et rapides, de persister dans la voie de l’
arrosage nocturne, approximatif, de surface ”. Harris the Bomber gagne ainsi le maintien officiel de l’espoir
d’atteindre le moral des troupes par la destruction des maisons et par la terreur des familles ”. Mais il atteint
aussi ses équipages, qui découvrent que la DCA n’est pas réservée à des zones militaires quasi inaccessibles
comme la base de Cherbourg, presque jamais attaquée.
L’ANNÉE 1944
Les grandes opérations préparatoires au débarquement : mars à juin 1944
Quel est exactement le plan allié ? Le néral Eisenhower le précise : C’est la dislocation des lignes de
communications ennemies sur une zone bien plus étendue que la région même du débarquement [...]. Durant la
période de préparation, soit seulement en mai 1944, des forces aériennes tactiques seront utilisées contre les
objectifs ferroviaires. ”
Cela n’est pas du goût du Bomber Command Harris car ces forcesriennes tactiques repsentent environ
2 400 chasseurs ou chasseurs-bombardiers et 700 bombardiers légers (alors quexistaient déjà 4
000 bombardiers lourds).
Par ailleurs, ce n’est pas de gaieté de cœur que le général Eisenhower se décide à détruire le système des
communications françaises, dont il espère bien pouvoir se servir, à son tour, pour progresser vite, alors que
F. D. Roosevelt y était indifférent7.
Je me rendais compte, écrit-il, que les attaques contre les gares de triage et les centres ferroviaires par les
forces stratégiques et tactiques entraîneraient de nombreuses pertes de vies françaises. En outre, une très
importante part de l’économie française serait incapable de fonctionner pendant un laps de temps
considérable [...]. Néanmoins, pour des raisons purement militaires, j’ai considéré que le système des
communications françaises devait être disloqué. Et il obtient gain de cause, cette fois, contre Churchill qui
craignait des réactions justifiées8.
Reportons-nous en mars 1944. Ce qu’il faut obtenir, c’est l’encagement du champ de bataille ”. Les états-majors
allemands, mais non la Luftwaffe, sont persuadés que l’invasion se fera par le Pas-de-Calais. Ils y ont maintenu
et concentré la 15e Armée, tandis qu’en Normandie ils n’ont groupé que dix divisions, dont une blindée.
Les Alliés doivent donc empêcher la 15 e Armée et les autres réserves de se déplacer vers la Normandie durant
les opérations ou du moins retarder leur progression et maintenir les Allemands dans le doute sur le lieu du
débarquement, tout en coupant l’accès aux installations de V1 et V2 qui viennent d’être identifiées.
La campagne s’ouvre, en mars 1944, par des bombardements sur le réseau ferroviaire du Nord-Ouest de
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l’Europe. L’état-major de l’Air allié a établi l’ordre de priorité suivant :
1 / ponts principaux ;
2 / nœuds ferroviaires et installations :
dépôts, plaques tournantes [sic],
postes d’aiguillage,
commande-signaux [sic],
gares de triage ;
3 / trains (mitraillage).
À partir de la mi-avril, les bombardiers des forces riennes stratégiques abandonnent les objectifs lointains
allemands pour concentrer leurs attaques sur les réseaux ferroviaires français et belge. Les points visés sont en
premier lieu Liège, Namur, Mons, Charleroi, Arras, d’une part, les gares de triage de la région parisienne, d’autre
part.
Le commandement allié a, en outre, prévu l’établissement d’une ligne d’interdiction ” par la rupture des ponts sur
la Seine entre Paris et Le Havre. À partir du 27 mars, ce plan entre en application. Afin de tromper les Allemands
sur le lieu de débarquement, cette première ligne d’interdiction est bientôt doublée d’une seconde qui longe le
canal Albert et la Meuse.
L’attaque des objectifs ferroviaires et routiers doit atteindre son paroxysme au mois de mai. Elle porte sur quatre
secteurs distincts :
entretien des destructions sur la ligne Liège, Mons, Arras et attaques dans le quadrilatère Rouen, Paris,
Mézières, Dunkerque (servant aussi d’accès aux installations V1 et V2) ;
rupture des ponts routiers et ferroviaires sur la Meuse et la Seine ;
bombardements sur les centres ferroviaires de l’Allemagne occidentale (Hamm, Aix-la-Chapelle, Trèves,
Mannheim), du Luxembourg et de l’Est de la France (Épinal, Thionville, Belfort, Mulhouse, Strasbourg) ;
attaques des installations ferroviaires dans la région de la Loire (Orléans, Tours, Nantes, Saumur) et dans le
Sud-Est de la France (Nice, Avignon, Nîmes).
On note, cependant, que ce programme fait l’objet de vives controverses, très directes, entre les principaux
responsables anglais et américains, y compris entre Churchill et Eisenhower.
Hésitations tactiques et résultats
La conception américaine du bombardement dit de précision parce qu’il était supposé devoir atteindre son but,
à haute altitude et de jour, en formation serrée et sans escorte, est vite réduite à néant par la chasse de la
Luftwaffe. Outre les effets des attaques sur le moral des civils touchés, elle entraîne des pertes excessives en
appareils et équipages : en octobre 1943, un tiers du 8e Bomber Command USAF fut détruit en une semaine.
La RAF reprend alors des opérations nocturnes, relayant ou remplaçant l’USAF. Jusqu’en juin 1944, les
opérations menées par les deux armées de l’air concurrentes sont entièrement distinctes, la coordination ne
venant qu’après le débarquement ! Ce qui ne suffit pas à expliquer certaines incohérences des raids ferroviaires.
À quoi aboutissent ces débats, vus du rail et du sol, dans la réalité des faits ?
En février-mars 1944, les Anglais doivent renforcer, sous le nom de leurre de Fortitude, leur protection contre les
armes de représailles en cours d’installation au Nord-Ouest de la France. Un débarquement en Pas-de-Calais
devient incertain. Ils doivent aussi assurer avec les Américains la préparation de la tenaille d’Overlord entre
Seine et Loire.
La réponse à ces obligations tient dans les premier raids aériens massifs sur les cibles ferroviaires désignées par
le nom, générique, de “ triages ” français, regroupant 80 installations de la SNCF aussi diverses, en dehors des
triages eux-mêmes, que faisceaux de garage, ateliers d’entretien du matériel roulant, dépôts de locomotives,
mais aussi gares de marchandises, bifurcations, ensuite seulement les ouvrages d’art. Cette première vague de
préparatifs pour Overlord est censée brouiller les pistes et éviter de dévoiler les véritables zones choisies pour le
barquement.
L’offensive commence par 27 triages ”. Après les essais précédents, regrettables à tous points de vue, y
compris leur inutilité, qui ont marqué 1943, c’est Le Mans-triage qui débute la série en mars 1944. Bien que
l’objectif soit réputé facile à atteindre parce que les habitations sont éloignées, que la défense au sol et la chasse
allemande sont réduites, le succès reste douteux9.
Les destructions ferroviaires utiles à court terme du point de vue militaire sont presque nulles, les relevés aériens
le prouvent dans ce cas comme dans les suivants. De ce fait, la répétition de ces raids lourds devient impossible
à éviter. Comme ils sont difficiles à organiser, donc espacés en temps, la reconstruction partielle des itinéraires
de voies essentielles peut être menée à bien entre deux raids, ce qui ne gène guère les transports militaires,
sinon en ralentissant de quelques jours les ravitaillements. Curieusement, à la même époque, des raids
extrêmement précis sont lancés contre les stations de radars allemands (40 sur 47), dispersés de Cherbourg à la
Belgique, dans le but d’entretenir la confusion sur les zones de débarquement. Effectués par des
chasseurs-bombardiers (Typhoon ou Spitfire, ou Mosquitos) parfois pourvus de fusées-bombes, ils se révèlent
extrêmement efficaces et peuvent se répéter et harceler l’adversaire sans risques majeurs. Quoique la résistance
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française et belge connaisse, approuve et aide ces opérations, il ne semble pas, à cause du cloisonnement et
des luttes intestines entre états-majors, que l’on ait pensé à les utiliser contre les voies ferrées avant plusieurs
mois. En ce qui concerne les attaques de trains, les cheminots n’y étaient guère préparés : ils connaissaient leurs
risques, mais ne soupçonnaient pas encore l’absence de discernement des attaquants qui allaient confondre
convois militaires et civils, voies normales et voies étroites. Quant aux bombardements de gares, ils n’étaient pas
plus efficaces : dans le cas de 30 % des objectifs atteints, la SNCF pouvait remettre en service des voies de
traversée en quelques heures, sinon en quelques jours en dépit des bombes à retardement.
Ces constats sont valables pour tous les raids de mars à juillet 1944, car, malgré les perfectionnements du
ciblage par radar (H2S notamment), les radios de bord et d’identification (IFF) sont trop bavardes, et permettent
aux radars allemands de diriger avec plus de précision la chasse nocturne. Celle-ci est pourvue, dès février 1944,
de radars de pistage précis (SN2) qui équipent 480 appareils JU88 et ME110 en avril et de nouveaux canons
obliques qui tiennent compte des angles morts des bombardiers britanniques. S’ensuivent des pertes atteignant,
selon l’aveu même des Anglais, une “ quantité presque insupportable ”, qui vont durer jusqu’à la mise en service
des chasseurs d’accompagnement à grand rayon d’action type P51 Mustang permettant aux Américains de
prendre le relais des raids diurnes en juin-juillet. Mais auparavant, bien des cités cheminotes, voisines des
objectifs rail ”, comptent des destructions d’habitations considérables. Bien que les familles se dispersent, la
nuit, loin des cibles, il y a encore trop de victimes civiles. Citons les exemples de Tergnier, Aulnoye, Laon, Lens
ou Lille-Délivrance au nord, en région parisienne Vaires10, Villeneuve-Saint-Georges, Juvisy et Trappes ; plus à
l’ouest et au sud, Rouen-Sotteville, Le Mans, Saint-Pierre-des-Corps et Les Aubrais. Les comptes rendus
d’observations des résultats des équipages alliés en fin de mission se signalent par leur optimisme, exagé
comme le révèlent les photos aériennes prises ensuite, surtout aux faibles pertes qui caractérisent les
objectifs ferroviaires à cette époque : 1,1 à 1,5 % des appareils. À l’opposé, côté SNCF, la tendance des
rapports, qu’ils soient ou non officiels, et prévus pour des usages multiples, est aussi d’amplifier les dégâts il
s’agit d’éviter la répétition des bombardements et les prélèvements de matériel intact tout en évaluant assez
justement les temps de remise en état des voies principales. La SNCF peut ainsi réclamer un maximum de
matières et de matériels de remplacement aux occupants11 en arguant des longueurs totales de voies atteintes
par les bombes, alors que le rapport entre voies nécessaires à la continuité du réseau et voies de garage est de 1
à 10, voire de 1 à 20.
La multiplication des objectifs et leur importance entraîne une montée très rapide des effectifs employés sur les
chantiers de remise en état, cheminots et civils de diverses provenances. Ils passent de 4 000 en avril à plus
de 15 000 courant mai au réseau Nord, de 3 000 à 7 ou 9 000 à l’Ouest. Le total atteindra 65 000 pour toute
la SNCF. La Résistance est consciente de cette augmentation du nombre de victimes potentielles alors que
l’état-major aérien britannique ne la prend que peu en compte. Dans tous les cas il n’est pas en mesure de
changer rapidement de tactique, alors quOverlord se profile dans moins de trois mois.
On constate alors que sur 26 attaques aériennes majeures, impliquant 4 264 bombardiers et le lâcher de 15 290 t
de bombes, explosives pour la plupart, 15 à 25 % selon le succès du raid atteignent leurs objectifs, au sens large.
Les pertes en avions, qui restent beaucoup plus élevées sur l’Allemagne, est concentrée la majorité des
défenses, restent très faibles sur les objectifs ferroviaires français : 1,5 à 2,3 % du nombre d’appareils, ce qui
représente néanmoins plus de 1 000 manquants, morts, prisonniers ou disparus côté Alliés, davantage
américains que britanniques. À la veille du D Day, les observateurs voient pour un rare moment correspondre le
taux estimé de “ coups au but ” à la réalité. C’est au prix de la mort de près de 2 000 civils et cheminots et de la
destruction de 14 000 maisons ou immeubles.
DU BILAN PROVISOIRE DU 6 JUIN 1944 AU BILAN DÉFINITIF
Retarder les transports allemands
Le prix humain à payer est alors considéré par les Britanniques comme inférieur aux prévisions, mais les
résultats des opérations le sont aussi : ils jugent qu’elles ne sauraient retarder suffisamment les renforts
allemands. C’est pourquoi on passe en juin 1944 à des opérations tactiques, ponctuelles, concernant davantage
les ouvrages d’art que les voies elles-mêmes comme les observateurs au sol le demandaient depuis longtemps.
Le rendement global du système ferroviaire français contrôlé par l’Allemagne tombe assez bas pour que le
ravitaillement de l’armée et de l’organisation Todt rencontre des difficultés considérables pour parvenir
d’Allemagne en France, alors que le trafic est encore très actif à la Deutsche Reichsbahn. Les mouvements de
troupes postérieurs à l’invasion du 6 juin subissent des retards importants et des déroutements de plusieurs
centaines de kilomètres sont imposés aux troupes en cours de transport par rail12.
En février 1944, l’ensemble de l’organisation des transports allemands en France représente un trafic de 60 à
70 trains par jour circulant entre l’Allemagne et les côtes françaises (de Dunkerque à Nantes). À la fin d’avril, il ne
passe plus que 48 trains par vingt-quatre heures. Fin mai, le trafic tombe à 32 par jour dont 12 convois de
charbon sarrois : 20 trains seulement restent disponibles pour la troupe, ce qui suffit en certains cas pour
acheminer les renforts.
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© AHICF et auteurs, mai 2001
Ici encore, ce ne sont pas les attaques des gares et du matériel qui ont été efficaces, mais les goulets
d’étranglement provoqués et, surtout, entretenus sur la Seine et la Loire par les attaques des ouvrages d’art.
Autres objectifs, qui poursuivent des buts tactiques, sont les mitraillages de convois, bombardements de pleine
voie et de petites gares sont dispersés les matériels : les reconnaissances aériennes ont permis aux
observateurs de reconnaître enfin que le matériel roulant “ sensible (trains-parcs, trains de secours13, et surtout
locomotives) avait été dispersé pour le sauver des destructions massives des nœuds ferroviaires14. L’USAF
recommande donc des opérations multiples et dispersées, diurnes, à basse altitude plutôt que l’énorme
gaspillage de moyens que représentent des raids nocturnes en surface ”. Cependant les premiers essais
américains à partir des bases britanniques, puis ceux depuis l’Afrique du Nord vers la Provence, effectués à
moyenne altitude pour protéger les appareils, sont tout aussi peu efficaces, qu’ils s’agisse de leurs résultats
militaires à court terme ou des destructions et pertes de vies civiles.
L’incompréhension des motifs des actions aériennes domine chez les cheminots, alors qu’on dénombre à l’été 16
600 logements SNCF atteints dont 6 800 sont irréparables : comment les Alliés articulaient-ils destruction
matérielle à long terme et action militaire à court terme ? Bien qu’ils soient fréquemment résistants ou qu’ils
appuient la Résistance, et en contact avec Londres, les cheminots réagissent brutalement aux bombardements
alors qu’ils se mobilisent pour réunir des informations à propos des armes secrètes (V1 à V3) et des lignes
ferroviaires qui permettent leur approvisionnement, ce qui est aussi risqué pour eux.
Les actions tactiques complémentaires
Depuis 1942, d’autres actions localisées ont été menées par des formations plus légères, mitraillages ou
tentatives pour endommager les installations électriques fournissant énergie et courant de traction. Citons, à titre
anecdotique, le lâcher, but 1943, de groupes de ballonnets sphériques traînant des filins d’acier. Lancés
depuis la Grande-Bretagne par vent nord-ouest favorable, ils étaient censés provoquer des courts-circuits des
lignes à haute tension, voire des ruptures. Les résultats étant ridicules par rapport aux moyens mis en œuvre, les
Alliés en reviennent, à l’été 1943, aux opérations aériennes classiques contre des postes haute tension et des
sous-stations.
La consommation mensuelle d’énergie haute tension de la SNCF reste la même jusqu’en mars-avril 1944 et ne
chute vraiment, dans un rapport de 10 à 1, que de juin à octobre 1944. Les destructions sont moins en cause que
la réduction délibérée des circulations de trains électriques. La part des actions sur les postes ou sous-stations
l’emporte sur celle des opérations aériennes dans les destructions totales, qui restent faibles15. Seule exception,
peu compréhensible, les installations électriques de la ligne Paris-Le Mans sont visées dès le 18 avril 1943 par
650 bombes qui tombent autour des 4 sous-stations successives de Chartres au Mans, dont 2 seulement sont
touchées. La SNCF tire de cet échec relatif des conclusions qui ne semblent guère comprises à Londres, à savoir
la dispersion, pour les mettre en réserve, de tous les seconds groupes électriques et du matériel alors difficile à
réapprovisionner. C’est à la suite des incessantes attaques des sous-stations de pleine ligne à partir d’avril 1944
(jusqu’à 8, plus 5 mitraillages à Condé-sur-Huisne d’avril à juillet 1944) et des coupures de caténaires que
la SNCF réduit la traction électrique sur cette ligne de mai à fin août, entraînant un ralentissement opportun du
trafic, y compris militaire.
En revanche, sur le réseau Sud-Ouest, moins systématiquement visé, bien que les postes d’interconnexion
Nord ” de Chevilly et de Chaingy aient été mis en partie hors service (dès le 3 octobre 1943 le courant est coupé
quelques heures entre Juvisy et les Aubrais), la traction électrique est maintenue et la réparation des caténaires
précède souvent la réfection des voies.
Après le 6 juin, les cheminots voient bien l’intérêt de paralyser, momentanément et sans préavis, ou parfois
définitivement, la traction électrique des lignes susceptibles d’amener des renforts en Normandie, à condition de
ne pas apporter de gâts irrémédiables aux installations. Il fallait adapter les thodes de sabotage, aviser la
résistance extérieure au rail et l’aviation alliée de cette réserve. Il était suggéré à Londres, pour permettre la
reprise rapide du trafic plus tard, de ne plus recourir aux bombardements aériens aveugles sur les installations de
traction électrique.
Réparer, reconstruire
Afin de prévenir de nouveaux dégâts et prévoir l’avenir, tout en essayant de s’assurer des réserves de matériel “
sensible ” ou difficile à renouveler, la SNCF décide, dès 1943, de créer 24 trains-parcs constitués d’équipes de
districts Voie, de stocks de secours et de matériel de dépannage, de matériaux empruntés aux réserves
allemandes bien connues des cheminots. 135 000 journées d’agents affectés aux trains-parcs sont utilisés pour
la seule gion Ouest dès 1943. Ils remplacent cette année-là 60 000 traverses et près de 100 km de rails sur un
total de 150 000 traverses et 186 km de rails pour l’ensemble du réseau. Les équipes sont prêtes pour 1944,
mais sans se douter encore de l’énormité du travail qui va se présenter, d’autant plus délicat à mener qu’il fallait
alors réparer en provisoire, sans passer de suite au définitif.
L’ACCOMPAGNEMENT DE LA PROGRESSION DES ARMÉES ALLIÉES (JUIN-AOÛT 1944) ET LA RECONSTRUCTION
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