© Yves Machefert-Tassin, 2000
Édition en ligne 2002, 2015 : Rails et histoire / www.ahicf.com
En février-mars 1944, les Anglais doivent renforcer, sous le nom de leurre de Fortitude, leur
protection contre les armes de représailles en cours d’installation au Nord-Ouest de la France. Un
débarquement en Pas-de-Calais devient incertain. Ils doivent aussi assurer avec les Américains la
préparation de la tenaille d’Overlord entre Seine et Loire.
La réponse à ces obligations tient dans les premier raids aériens massifs sur les cibles
ferroviaires désignées par le nom, très générique, de “ triages ” français, regroupant des installations
de la SNCF aussi diverses, en dehors des triages eux-mêmes, que faisceaux de garage, ateliers
d’entretien du matériel roulant, dépôts de locomotives, mais aussi gares de marchandises,
bifurcations, ensuite seulement les ouvrages d’art. Cette première vague de préparatifs pour
Overlord est censée brouiller les pistes et éviter de dévoiler les véritables zones choisies pour le
débarquement.
L’offensive commence par “ 27 triages ”. Après les essais précédents, regrettables à tous
points de vue, y compris leur inutilité, qui ont marqué 1943, c’est Le Mans-triage qui débute la série
en mars 1944. Bien que l’objectif soit réputé facile à atteindre parce que les habitations sont
éloignées, que la défense au sol et la chasse allemande sont réduites, le succès reste douteux7.
Les destructions ferroviaires utiles à court terme du point de vue militaire sont presque nulles,
les relevés aériens le prouvent dans ce cas comme dans les suivants. Malgré tout la répétition de ces
raids lourds devient impossible à éviter. Comme ils sont difficiles à organiser, donc espacés en
temps, la reconstruction partielle des itinéraires de voies essentielles peut être menée à bien entre
deux raids ce qui ne gêne guère les transports militaires sinon en ralentissant de quelques jours les
ravitaillements. Curieusement, à la même époque, des raids extrêmement précis sont effectués
contre les stations de radars allemands (40 sur 47), dispersés de Cherbourg à la Belgique, dans le
but d’entretenir la confusion sur les zones de débarquement. Effectuées par des
chasseurs-bombardiers (Typhoon ou Spitfire, ou Mosquitos) parfois pourvus de fusées-bombes,
elles se révèlent extrêmement efficaces et peuvent se répéter et harceler l’adversaire sans risques
majeurs. Quoique la résistance française et belge connaisse, approuve et aide ces opérations, il ne
semble pas, à cause du cloisonnement et des luttes intestines entre états-majors, que l’on ait pensé à
les utiliser contre les voies ferrées avant plusieurs mois. En ce qui concerne les attaques de trains,
les cheminots n’y étaient guère préparés : ils connaissaient leurs risques, mais ne soupçonnaient pas
encore l’absence de discernement des attaquants qui allaient confondre convois militaires et civils,
voies normales et voies étroites. Quant aux bombardements de gares, ils n’étaient pas plus
efficaces : dans le cas de 30 % des objectifs atteints, la SNCF pouvait remettre en service quelques
voies de traversée en quelques heures, sinon en quelques jours en dépit des bombes à retardement
(figure 32).
Ces constats sont valables pour tous les raids de mars à juillet 1944 car, malgré les
perfectionnements du ciblage par radar (H2S notamment), les radios de bord et d’identification
(I.F.F.) sont trop bavardes, et permettent aux radars allemands de diriger avec plus de précision la
chasse nocturne. Celle-ci est pourvue, dès février 1944, de radars de pistage précis (SN2) qui
équipent 480 appareils JU88 et ME110 en avril et de nouveaux canons obliques qui tiennent compte
des angles morts des bombardiers britanniques. S’ensuivent des pertes atteignant, selon l’aveu
même des Anglais, une “ quantité presque insupportable ”, qui vont durer jusqu’à la mise en service
7 Un des griefs les plus notables et les plus répétés des informateurs alliés était l’absence de prise en considération des
rapports du sol par les états-majors des forces aériennes concernées. On constate même avec surprise, connaissant
l’existence de telles observations, et la certitude de leur transmission, l’absence de leur mention par les War Diaries de
la R.A.F. (agendas de combat et bombardements, publiés en 1985 seulement, voir bibliogr. [13]). Plus curieusement
encore, dans le cas d’opérations douteuses ou ayant mal tourné, il semble qu’au lieu des rapports précis et souvent
protestataires, émanant d’agents britanniques travaillant en France avec la résistance, on trouve seulement la mention :
“ pas de rapport local émanant du sol ”. C’est le cas des raids les plus meurtriers de civils, comme Rennes, Nantes,
Rouen, Lille, Saint-Etienne, Besançon, Lyon-Vaise. Une exception : Ambérieu, où après une première attaque inutile, la
Résistance obtient de Londres l’arrêt des raids aériens, après avoir fait la preuve de l’efficacité locale des sabotages, qui
avaient coûté de nombreux otages et déportés.