© Yves Machefert-Tassin, 2000
Édition en ligne 2002, 2015 : Rails et histoire / www.ahicf.com
Le bilan des bombardements aériens des installations ferroviaires en France,
leurs conséquences stratégiques et humaines : tactiques incohérentes, résultats
discutables, victimes civiles exorbitantes et destructions à long terme inutiles ?
Yves Machefert-Tassin
Ingénieur honoraire
L’histoire du bombardement aérien des voies ferrées depuis la guerre 1914-1918 a pour
résultat, en 1940, une stagnation évidente et bien peu de moyens du côté des alliés1. En revanche, la
campagne de France allemande de mai 1940 prouve l’efficacité relative et la précision des
bombardements en piqué (Stukas ou 342 Junker 87B), sur des objectifs de faibles dimensions, dont
les installations ferroviaires fixes et mobiles. En conséquence, le nombre de victimes civiles ou
cheminotes est pour cette campagne fort réduit. Avant même l’armistice, la réplique britannique en
est le bombardement à basse altitude, encore localisé, des ports du Nord de la France et des voies de
dessertes impliqués dans le rassemblement des barges prévues pour un éventuel débarquement
allemand en Angleterre. Les premières installations du rail ainsi touchées par le Bomber Command
de la R.A.F. sont celles de Boulogne-sur-Mer (dès le 12 juin 1940), puis Calais, Dunkerque et
Saint-Omer (de 1940 à 1942)2.
Cependant, lors de la campagne de mai-juin 1940, le réseau français n’avait été atteint que par
des destructions mineures, ne touchant pas les ouvrages stratégiques. La reconstruction, entreprise
fin 1940, est achevée en 1942 pour 2 100 d’entre eux. Quelques ouvrages majeurs entièrement
reconstruits, tel Longeray sur le Rhône, ont été épargnés par la suite en 1944, tant par l’aviation que
par le minage et à l’inverse, certains, épargnés en 1940, ont été détruits par les Allemands en retraite
lorsqu’ils en avaient le temps, comme dans le Nord et l’Est de la France. La difficulté
d’asphyxier ” un adversaire par l’interruption du trafic qui le ravitaille n’est donc apparus
qu’après bien des échecs. Ce n’est que bien après 1945 que les militaires ont constaté l’incohérence
entre les moyens aériens qu’ils avaient développés dans un but de guerre totale, de bombardements
de terreur sur les zones urbaines allemandes et la faiblesse des résultats obtenus quand ils étaient
appliqués aux objectifs précis, spécifiques que sont les voies de communication, surtout ferrées.
1940-1943 : un échec stratégique
A la suite des raids aériens allemands de fin 1940 à début 1941 sur les docks de Londres, puis
sur des villes industrielles britanniques, en particulier sur les usines d’aéronautique (Rolls Royce à
Coventry par exemple), arrêtés par la bataille d’Angleterre où s’illustre la chasse anglaise, une
contre-attaque est lancée aussitôt vers le continent. Les opérations sont locales, menées de jour et
sur la zone côtière la Manche par des bombardiers moyens, légers et rapides (bimoteurs
Maraudeurs et Mosquitos). Les objectifs visés, lorsqu’ils sont ferroviaires, vont des ouvrages d’art,
tel le viaduc de Morlaix à l’Ouest (29 janvier 1943, 39 morts civils) à quelques installations du
1 Les forces aériennes françaises disposaient en 1940, avant les constructions décidées par R. Dautry, de moins de 500
chasseurs modernes, et d’aucun bombardier récent. La production prévue était de 400 appareils nouveaux par an. Les
Britanniques en étaient au même point avec une production prévue annuelle de 220 bombardiers. Mais ils n’en
disposaient d’aucun en France, et de 130 chasseurs seulement. Au total, alors que les Allemands disposaient de plus de
1 500 bombardiers et de 1 000 chasseurs lors de la campagne de France, les Alliés ne totalisaient que 700 appareils,
toutes catégories confondues. Quant aux chasseurs bombardiers capables d’attaques en piqué, 342 Allemands
s’opposaient à 54 Français et aucun Anglais (voir bibliogr. [15]).
2 Boulogne-sur-Mer a vu 52 attaques aériennes se succéder sur le port et les installations ferroviaires du 12 juin 1940 à
fin 1941. Mais le premier raid contre une gare SNCF se place le 4 avril 1942 à Saint-Omer, où 12 Boston et 4
Wellington obtiennent un effet heureusement nul sur la gare, bâtiment patrimonial, mais avec déjà des morts civils. De
nouvelles attaques suivent donc. La R.A.F. s’essaie aussi, toujours en vain, sur Cherbourg (15 avril 1942), Hazebrouk
(13 avril et 29 juin 1942) et même Lille (20 juillet 1942), opérations suivies d’un répit de près de 6 mois.
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Nord, telles Abbeville, Saint-Omer, et jusqu’à Amiens et Tergnier (attaqués d’avril 1942 à juillet
1943).
Devant le peu de résultats de ces raids légers dits “ tactiques ”, le Bomber Commandlourd ”
reprend les opérations, qu’il conforme à sa pratique des arrosages “ punitifs ” de grandes surfaces,
comme sur les villes allemandes, puisque selon son propre chef, Harris, “ c’est la seule chose qu’ils
sachent faire 3. Ajoutons que cette décision du cabinet de guerre britannique, qui est essayée
d’avril 1942 au 8 mars 1943 sur 29 objectifs ferroviaires en France, est déjà contestée par les
américains de l’U.S. Air Force arrivant en Grande Bretagne pour établir leurs propres bases
d’attaques aériennes. Mais leurs débuts se révèlent désastreux : Rennes-triage, le 8 mars 1943, 10 %
d’impacts sur le site SNCF et 300 morts civils ou Rouen-Sotteville et, pour servir la vanité d’Ira
Eaker et de sa 8
e U.S.A.F., les essais infructueux de coupure de la liaison vers l’Italie
Marseille-Vintimille, par des attaques multiples du viaduc d’Anthéor. Il faudra 6 expéditions
successives à partir 1943, relayées par la R.A.F. tout aussi malhabile, pour finir par encadrer le
viaduc d’Agay, pris pour celui d’Anthéor le 12 février 1944 ! Si, au sol, les dégâts civils sont
relativement minimes, il en est de même du point de vue ferroviaire, puisque quelques cratères sur
la voie interrompent seulement de quelques heures à quelques jours la liaison majeure
germano-italienne.
De tels résultats conduisent à l’abandon de toute idée d’attaques sur les ouvrages d’art. Il sont
trop difficiles à atteindre par les bombardiers lourds à haute altitude et on ne pense pas à développer
les attaques en piqué en utilisant les bimoteurs rapides existants.
Qu’en est-il de la défense passive des installations de la SNCF ?
Si les Alliés n’ont développé leurs moyens de bombardement qu’à partir de 1943, en revanche
le continent avait renforcé ceux de sa défense passive depuis 1939 et parfois dès 1937. En France,
avant même la création de la SNCF en 1937, les autorités militaires demandent aux réseaux
d’effectuer des “ travaux de protection des carrefours ferroviaires contre les attaques aériennes, car
ils sont essentiels pour la continuité des transports militaires ”. C’est ainsi que des installations
importantes sont pourvues, en 1938 et 1939, d’abris bétonnés d’urgence, enterrés ou en surface,
généralement de petite surface (4 à 20 m², soit pour 4 à 20 hommes). Le toit, d’environ 1 m à 1,5 m
d’épaisseur, ne peut résister qu’aux bombes explosives de 300 kg (considérées comme le maximum
de l’époque !) ; en revanche ces abris sont équipés le plus souvent pour résister aux attaques
chimiques par gaz de combat. Des variantes, abris simplifiés dits individuels, préfabriqués, à toiture
conique, aussi bien que des abris plus importants, pour 20 à 40 personnes, sur les sites où la
main-d’œuvre est plus nombreuse (bâtiments administratifs, ateliers) apparaîtront de 1939 à 1944
(figure 31)4.
Les conséquences des tergiversations de la R.A.F. et de l’U.S.A.F. et le rapport “ Butt ”
Les résultats désastreux des attaques aériennes de jour à haute altitude de l’U.S.A.F. en 1943,
même si la chasse adverse est faible, conduisent la R.A.F. à essayer de son côté quelques raids de
jour, avec des bombardiers moyens et rapides accompagnés de chasseurs jusqu’à ce que la maîtrise
de l’air sur la Manche leur soit assurée. En principe complémentaires des raids “ lourds ” de nuit, ils
concernent des objectifs ferroviaires très divers, comme à Caen (10 février 1943) puis à Tours
(février 1943) où interviennent des formations de Mosquitos à très basse altitude. Devant le peu de
résultats obtenus, la R.A.F. revient aussi aux bombardiers lourds sur Modane (17 septembre et 11
novembre 1943) avec non moins de 340 appareils. Ici encore les résultats sont ambivalents, sinon
nuls : interruptions de circulation allant de 1 à 4 jours, au prix de nombreuses vies humaines, tant
3 Voir Florentin [1] et Regan [17], confirmant les déclarations peu nuancées de Hastings [11]. Voir aussi Jones [14].
4 Comme il en existe encore des vestiges de nos jours, à Narbonne ou Dijon par exemple, avec la fonction de magasin
pour matières dangereuses ! Signalons la tentative d’installations protégées beaucoup plus complètes, et complexes,
dont l’abri de poste de commandement et régulation du trafic Est parisien dénommé de nos jours le Bunker ” réalisé
en juillet 1939 sous les quais 2 et 3 de la gare de l’Est à Paris. Cet abri de défense unique sur le réseau français, qui fut
opérationnel, offrait 120 m² protégés, et pouvait abriter 72 personnes.
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cheminotes que civiles, et d’équipages5. Le comble est atteint avec le raid avorté de 548 appareils
du 5 décembre 1943, dont 3 seulement trouvent l’une de leurs multiples cibles, au coût de 9
appareils disparus pour rien. A la suite de ces résultats qui commencent à se savoir, Churchill
demande un rapport “ civil ” qui porte le nom de son auteur principal “ D. N. Butt ”, basé sur les
résultats des raids de nuit de toutes catégories mais principalement sur l’Allemagne. Ses
conclusions sont d’une sévérité sans appel pour le Bomber Command britannique. Elles révèlent les
défauts de principe d’une stratégie qui consiste en flux opérationnels longs, de ce fait très risqués
pour les derniers avions, ainsi que l’inefficacité complète du Carpet bombing (“ en tapis ” ou “ de
surface ”), d’une dispersion et d’une imprécision faciles à constater sur les reconnaissances
photographiques postérieures malgré la précision des “ marquages ”6. Churchill, début 1943, se pose
donc sérieusement la question : continuer ou arrêter ? La question d’éthique des représailles de
terreur sur des objectifs civils n’est guère abordée, bien que les voix de quelques Lords et de
l’évêque de Chichester s’élèvent en ce sens. Churchill est presque contraint par l’état-major de la
R.A.F. qui n’a aucun autre moyen d’attaque, et en l’absence d’alternative disponible que seraient
des chasseurs-bombardiers légers et rapides, de persister dans la voie de “ l’arrosage ” nocturne,
approximatif, “ de surface ”. Harris “ the Bomber ” gagne ainsi le maintien officiel de l’espoir
d’atteindre le moral des troupes par la destruction des maisons et par la “ terreur des familles ”.
Mais il atteint aussi ses équipages, qui découvrent que la D.C.A. n’est pas réservée à des zones
militaires quasi inaccessibles comme la base de Cherbourg, presque jamais attaquée.
L’année 1944
Les grandes opérations préparatoires au débarquement : mars à juin 1944
Quel est exactement le plan allié ? Le général Eisenhower le précise : “ C’est la dislocation
des lignes de communications ennemies sur une zone bien plus étendue que la région même du
débarquement […] Durant la période de préparation, soit seulement en mai 1944, des forces
aériennes tactiques seront utilisées contre les objectifs ferroviaires. ”
Ceci n’est pas du goût du Bomber Command Harris car ces forces aériennes tactiques
représentent environ 2 400 chasseurs ou chasseurs-bombardiers et 700 bombardiers légers (alors
qu’existaient déjà 4 000 bombardiers lourds).
Par ailleurs, ce n’est pas de gaieté de cœur que le général Eisenhower se décide à détruire le
système des communications françaises, dont il espère bien pouvoir se servir, à son tour, pour
progresser vite.
Je me rendais compte, écrit-il, que les attaques contre les gares de triage et les centres
ferroviaires par les forces stratégiques et tactiques entraîneraient de nombreuses pertes de vies
françaises. En outre, une très importante part de l’économie française serait incapable de
5 La plupart des objectifs du rail français, sauf au Nord, étaient assez éloignés des terrains de la chasse de nuit
allemande, plutôt outre-Rhin, et surtout restaient en avant de la célèbre “ ligne Kammhuber ”, véritable barrage
d’interception combinant radars, projecteurs, et contrôle des chasseurs de nuit, très redouté des bombardiers alliés, dont
seuls les secteurs marginaux sud, dits zones 7, 8 et 9, intéressaient la France, de Givet à Troyes par Rethel. De jour bien
des cibles étaient proches de terrains actifs comme Laon (2 terrains de chasse), Cambrai (3), Longueau (2), Caen (2)
sans parler des 64 terrains du Nord et de la Picardie ou de l’Oise. Ce fut, en partie, à l’origine des désastres de Rennes,
Rouen, Lille-Lomme. Citons, plus tard, en 4 opérations avec 617 appareils, les pertes de 19 avions et plus de 150
hommes d’équipage dans la nuit du 10 au 11 avril 1944, sur Tours-St Pierre, Tergnier, Laon et Aulnoye. Ces 3 % de
pertes s’accompagnent évidemment d’un nombre anormalement élevé de bombes dispersées en dehors des objectifs.
6 Il semble encore aujourd’hui difficile à concevoir que les ordres de formation des vagues de bombardiers sur raids
ferroviaires comportaient encore 7 à 12 appareils de front, soit une couverture d’au moins de 500 à 800 m, pour
atteindre, en long, des gares de largeur allant de 100 m à 300 m au plus… Même en cas de faible vent latéral, la surface
arrosée ” est toujours au moins le double de celle des objectifs, même correctement ciblés. De plus, dans le cas de
vagues successives, si les premiers lâchers sont bien marqués, la fumée obscurcit complètement l’objectif et dès la 3e (il
y en avait jusqu’à 10 !) les lâchers étaient faits au jugé et au plus vite. On constate d’ailleurs des résultats encore plus
mauvais si l’attaque est perpendiculaire à l’objectif (exemples du viaduc d’Anthéor et de certains ponts sur la Seine et la
Loire).
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fonctionner pendant un laps de temps considérable […] Néanmoins, pour des raisons purement
militaires, j’ai considéré que le système des communications françaises devait être disloqué. ” Et il
obtient gain de cause, cette fois, contre Churchill.
Reportons-nous en mars 1944. Ce qu’il faut obtenir, c’est “ l’encagement du champ de
bataille ”. Les états-majors allemands, mais non la Luftwaffe, sont persuadés que l’invasion se fera
par le Pas-de-Calais. Ils y ont maintenu et concentré la 15e armée, tandis qu’en Normandie ils n’ont
groupé que dix divisions dont une blindée.
Les Américains doivent donc empêcher la 15e Armée et les autres réserves de se déplacer vers
la Normandie durant les opérations ou du moins retarder leur progression et maintenir les
Allemands dans le doute sur le lieu du débarquement, tout en coupant l’accès aux installations de
V1 et V2 qui viennent d’être identifiées.
La campagne s’ouvre, en mars 1944, par des bombardements sur le réseau ferroviaire du
Nord-Ouest de l’Europe. L’état-major de l’Air allié a établi l’ordre de priorité suivant :
1° Ponts principaux ;
2° Nœuds ferroviaires et installations ;
- dépôts, plaques tournantes [sic] ;
- postes d’aiguillage ;
- commande-signaux [sic] ;
- gares de triage.
3° Trains (mitraillage).
A partir de la mi-avril, les bombardiers des forces aériennes stratégiques abandonnent les
objectifs lointains allemands pour concentrer leurs attaques sur les réseaux ferroviaires français et
belge. Les points visés sont en premier lieu Liège, Namur, Mons, Charleroi, Arras, d’une part, les
gares de triage de la région parisienne, d’autre part.
Le commandement allié a, en outre, prévu l’établissement d’une “ ligne d’interdiction ” par la
rupture des ponts sur la Seine entre Paris et le Havre. A partir du 27 mars, ce plan entre en
application. Afin de tromper les Allemands sur le lieu de débarquement, cette première ligne
d’interdiction est bientôt doublée d’une seconde qui longe le canal Albert et la Meuse.
L’attaque des objectifs ferroviaires et routiers doit atteindre son paroxysme au mois de mai.
Elle porte sur quatre secteurs distincts :
- entretien des destructions sur la ligne Liège, Mons, Arras et attaques dans le quadrilatère
Rouen, Paris, Mézières, Dunkerque (servant aussi d’accès aux installations V1 et V2) ;
- rupture des ponts routiers et ferroviaires sur la Meuse et la Seine ;
- bombardements sur les centres ferroviaires de l’Allemagne Occidentale (Hamm,
Aix-la-Chapelle, Trèves, Mannheim), du Luxembourg et de l’Est de la France (Epinal, Thionville,
Belfort, Mulhouse, Strasbourg) ;
- attaques des installations ferroviaires dans la région de la Loire (Orléans, Tours, Nantes,
Saumur) et dans le Sud-Est de la France (Nice, Avignon, Nîmes) dont le but est la destruction
systématique de tout matériel roulant, sans discernement.
On note cependant, que ce programme fait l’objet de vives controverses, très directes, entre les
principaux responsables anglais et américains, y compris entre Churchill et Eisenhower.
Hésitations tactiques et résultats
La conception américaine du bombardement dit de précision ” parce qu’il était supposé
devoir atteindre son but, à haute altitude et de jour, en formation serrée et sans escorte, est vite
réduite à néant par la chasse de la Luftwaffe. Outre les effets des attaques sur le moral des civils
touchés, elle entraîne des pertes excessives en appareils et équipages : en octobre 1943, un tiers du
8e Bomber Command U.S.A.F. fut détruit en une semaine. La R.A.F. reprend alors des opérations
nocturnes, relayant ou remplaçant l’U.S.A.F. Jusqu’en juin 1944, les opérations menées par les
deux armées de l’air concurrentes dont entièrement distinctes, la coordination ne venant qu’après le
débarquement ! Ce qui ne suffit pas à expliquer certaines incohérences des raids ferroviaires.
A quoi aboutissent ces débats, vus du rail et du sol, dans la réalité des faits ?
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En février-mars 1944, les Anglais doivent renforcer, sous le nom de leurre de Fortitude, leur
protection contre les armes de représailles en cours d’installation au Nord-Ouest de la France. Un
débarquement en Pas-de-Calais devient incertain. Ils doivent aussi assurer avec les Américains la
préparation de la tenaille d’Overlord entre Seine et Loire.
La réponse à ces obligations tient dans les premier raids aériens massifs sur les cibles
ferroviaires désignées par le nom, très générique, de “ triages ” français, regroupant des installations
de la SNCF aussi diverses, en dehors des triages eux-mêmes, que faisceaux de garage, ateliers
d’entretien du matériel roulant, dépôts de locomotives, mais aussi gares de marchandises,
bifurcations, ensuite seulement les ouvrages d’art. Cette première vague de préparatifs pour
Overlord est censée brouiller les pistes et éviter de dévoiler les véritables zones choisies pour le
débarquement.
L’offensive commence par “ 27 triages ”. Après les essais précédents, regrettables à tous
points de vue, y compris leur inutilité, qui ont marqué 1943, c’est Le Mans-triage qui débute la série
en mars 1944. Bien que l’objectif soit réputé facile à atteindre parce que les habitations sont
éloignées, que la défense au sol et la chasse allemande sont réduites, le succès reste douteux7.
Les destructions ferroviaires utiles à court terme du point de vue militaire sont presque nulles,
les relevés aériens le prouvent dans ce cas comme dans les suivants. Malgré tout la répétition de ces
raids lourds devient impossible à éviter. Comme ils sont difficiles à organiser, donc espacés en
temps, la reconstruction partielle des itinéraires de voies essentielles peut être menée à bien entre
deux raids ce qui ne gêne guère les transports militaires sinon en ralentissant de quelques jours les
ravitaillements. Curieusement, à la même époque, des raids extrêmement précis sont effectués
contre les stations de radars allemands (40 sur 47), dispersés de Cherbourg à la Belgique, dans le
but d’entretenir la confusion sur les zones de débarquement. Effectuées par des
chasseurs-bombardiers (Typhoon ou Spitfire, ou Mosquitos) parfois pourvus de fusées-bombes,
elles se révèlent extrêmement efficaces et peuvent se répéter et harceler l’adversaire sans risques
majeurs. Quoique la résistance française et belge connaisse, approuve et aide ces opérations, il ne
semble pas, à cause du cloisonnement et des luttes intestines entre états-majors, que l’on ait pensé à
les utiliser contre les voies ferrées avant plusieurs mois. En ce qui concerne les attaques de trains,
les cheminots n’y étaient guère préparés : ils connaissaient leurs risques, mais ne soupçonnaient pas
encore l’absence de discernement des attaquants qui allaient confondre convois militaires et civils,
voies normales et voies étroites. Quant aux bombardements de gares, ils n’étaient pas plus
efficaces : dans le cas de 30 % des objectifs atteints, la SNCF pouvait remettre en service quelques
voies de traversée en quelques heures, sinon en quelques jours en dépit des bombes à retardement
(figure 32).
Ces constats sont valables pour tous les raids de mars à juillet 1944 car, malgré les
perfectionnements du ciblage par radar (H2S notamment), les radios de bord et d’identification
(I.F.F.) sont trop bavardes, et permettent aux radars allemands de diriger avec plus de précision la
chasse nocturne. Celle-ci est pourvue, dès février 1944, de radars de pistage précis (SN2) qui
équipent 480 appareils JU88 et ME110 en avril et de nouveaux canons obliques qui tiennent compte
des angles morts des bombardiers britanniques. S’ensuivent des pertes atteignant, selon l’aveu
même des Anglais, une “ quantité presque insupportable ”, qui vont durer jusqu’à la mise en service
7 Un des griefs les plus notables et les plus répétés des informateurs alliés était l’absence de prise en considération des
rapports du sol par les états-majors des forces aériennes concernées. On constate même avec surprise, connaissant
l’existence de telles observations, et la certitude de leur transmission, l’absence de leur mention par les War Diaries de
la R.A.F. (agendas de combat et bombardements, publiés en 1985 seulement, voir bibliogr. [13]). Plus curieusement
encore, dans le cas d’opérations douteuses ou ayant mal tourné, il semble qu’au lieu des rapports précis et souvent
protestataires, émanant d’agents britanniques travaillant en France avec la résistance, on trouve seulement la mention :
pas de rapport local émanant du sol ”. C’est le cas des raids les plus meurtriers de civils, comme Rennes, Nantes,
Rouen, Lille, Saint-Etienne, Besançon, Lyon-Vaise. Une exception : Ambérieu, où après une première attaque inutile, la
Résistance obtient de Londres l’arrêt des raids aériens, après avoir fait la preuve de l’efficacité locale des sabotages, qui
avaient coûté de nombreux otages et déportés.
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