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PARTIE 1
La fonction de caroténoïdes chez les hirondelles de cheminée
1. Les caroténoïdes en tant que pigments
Les caroténoïdes représentent un groupe de plus de 600 pigments colorés. Ils intègrent 40
atomes de carbone et s’agencent selon un système de doubles liens qui détermine leur couleur
et s’avère responsable de leur action biologique (Straub 1987 ; Kull et al. 1995). Les
caroténoïdes sont produits par les plantes, les algues, les bactéries et les champignons
(Goodwin 1980 ; Hirschberg 1998). La production et l’accumulation de caroténoïdes dans les
plantes représentent un processus fortement régulé et affecté par l’intensité de la lumière
(Lessin et al. 1997 ; Cunningham & Gantt 1998). Les caroténoïdes sont divisés en deux
catégories : carotènes et xanthophylles (Weedon & Moss 1995). Les molécules de
xanthophylles sont caractérisées par la présence d’oxygène, dont la position détermine la
couleur du tissu (Cunningham & Gantt 1998).
Les caroténoïdes avec un anneau ‘beta’, comme par exemple le beta-carotène, peuvent
être convertis en rétinol, et sont ainsi des précurseurs de la vitamine A (Ulrey 1972). Les
animaux diffèrent dans leur capacité à convertir le beta-carotène en vitamine A : en
particulier, les oiseaux sont parmi ceux qui le convertissent le plus facilement (Shaffer et al.
1988).
Pendant le processus d’ingestion des caroténoïdes, l’efficacité d’absorption dépend
fortement du type de nourriture, de la façon de la traiter, de la quantité de lipides présents et
des caractéristiques de chaque individu (Paive & Russel 1999 ; van het Hof et al. 2000). Les
caroténoïdes sont transportés uniquement par les lipoprotéines. Chacun d’eux est régi par un
principe d’absorption, de transport et de métabolisme particulier (Olson 1994). On doit
cependant souligner les nombreuses lacunes dans la connaissance de ces mécanismes (Parker
1996 ; Castenmiller & West 1998).
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Les premières études qui quantifièrent les caroténoïdes concernaient le jaune d’œuf, le
plasma et le plumage. Les poulets ont été utilisés en tant que modèles pour les études sur la
disponibilité et l’absorption des caroténoïdes. Les nutritionnistes ont établi depuis plusieurs
décades que la quantité de caroténoïdes dans les œufs dépend partiellement des caroténoïdes
présents dans la nourriture (Marusich et al. 1961 ; Martin-Garmendia et al. 1981 ; Tyczkowsi
& Hamilton 1986a, b). Plus récemment, on a pu mesurer la quantité de caroténoïdes dans les
tissus de différentes espèces d’oiseaux (e.g. Surai and Speake 1998; Surai et al. 1998, 2000;
Speake et al. 1999; Negro and Garrido-Fernadez 2000; Negro et al 2001a; Blount et al. 2002;
Faivre et al. 2003).
Partali et al. (1987) ont montré que les principaux caroténoïdes présents dans le
plumage sont ceux ingérés avec la nourriture. Plus récemment, Stradi et ses collaborateurs ont
identifié non seulement les caroténoïdes dans le plumage de nombreuses espèces (Stradi et al.
1995a,b), mais aussi le chemin suivi par ces pigments, de l’acquisition jusqu’à la coloration
des plumes (Stradi et al. 1996, 1997, 1998, 2001; McGraw et al. 2001, 2002).
Les caroténoïdes provenant de l’alimentation peuvent être utilisés directement pour la
coloration, ou subir des transformations avant l’incorporation dans les tissus (Straub 1987).
L’intégration au tissu dépend principalement de trois facteurs : la quantité de caroténoïdes
disponibles dans l’alimentation ; la capacité des oiseaux à digérer et absorber des caroténoïdes
spécifiques et à les transformer en forme chimique correcte ; et la capacité des tissus
spécifiques (plumes, follicules, cellules épidermiques et adipocytes) à capter et insérer les
pigments dans la structure des tissus en développement.
Les oiseaux absorbent quasi exclusivement des xanthophylles, même si les carotènes
sont fournis avec la nourriture (Brush 1990 ; Hudon 1994 ; Haq et al. 1995, 1996 ; Slifka et al.
1999). Souvent, ils devront transformer les caroténoïdes ingérés pour obtenir la coloration des
plumes ou d’autres tissus. Plusieurs caroténoïdes peuvent être transformés pour donner le
même pigment qui sera finalement inscrit par exemple dans le plumage (Stradi et al. 1996).
Le jaune est souvent dû au dépôt de caroténoïdes non modifiés, comme la lutéine, la
zeaxanthine ou la beta-cryptoxanthine (Stradi et al 1997, 1998, 2001).
Les caroténoïdes n’étant pas synthétisés par les animaux, leur disponibilité dans la
nourriture semble déterminer la variabilité observée dans la coloration (Endler 1980 ; Hill
1993a). Les individus aux signaux les plus forts seront ceux qui réussissent le mieux à trouver
les caroténoïdes dans la nourriture. Plusieurs études ont lié la variation de la coloration d’un
tissu au contenu en caroténoïdes de la nourriture (Slagsvold & Lifjeld 1985 ; Hill 1992,
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1993b ; Negro & Garrido-Fernandez 2000 ; Negro et al. 2000 ; Blount et al. 2002A, 2003 ;
Saino et al. 2002A ; McGraw et al. 2001, 2002a).
Plus récemment, les différences physiologiques entre individus ont été admises comme
responsables de la variabilité de la coloration de plusieurs tissus (Bortolotti et al. 1996 ; Negro
et al. 1998 ; Figuerola & Gutierrez 1998 ; Negro et al. 2001a), alors que la capacité des
caroténoïdes à stimuler le système immunitaire et à neutraliser les radicaux libres (Møller et
al. 2000, Chapitre 3) suscitait un fort intérêt. Lozano (1994) a entre-temps décrit un nouveau
mécanisme qui pourrait expliquer la variabilité dans la coloration de nombreux tissus : un
trade-off pourrait exister entre la fonction immunitaire et les signaux honnêtes caroténoïde-
dépendants, et cela pourrait être contrôlé par les caroténoïdes.
Bien qu’une étude ait souligné que les oiseaux présentent une teneur importante en
caroténoïdes indépendamment du contenu de l’alimentation (Slifka et al. 1999 ; Hill 1999a),
l’idée que la disponibilité des caroténoïdes est limitée pour les oiseaux s’est répandue (Olson
& Owens 1998). Elle est maintenant à la base de nombreuses études, en particulier liées à
l’hypothèse de l’existence d’un trade-off entre développement des signaux caroténoïde-
dépendants et activité anti-oxydante (Lozano 1994, 2001 ; Saino et al. 1999 ; von Schantz et
al. 1999 ; Møller et al. 2000 ; Blount et al. 200a, 2003 ; Faivre et al. 2003).
2. Les fonctions physiologiques des caroténoïdes
Hormis leur rôle dans la communication, les caroténoïdes sont extrêmement importants dans
de nombreux processus physiologiques concernant les systèmes nerveux, immunitaire,
digestif, endocrinien et reproducteur (Bendich 1988, 1989 ; Chew 1993, 1996 ; Olson &
Owens 1998 ; Møller et al. 2000). Les études des fonctions physiologiques ont été conduites
principalement chez les humains et autres mammifères (Mathews-Roth 1982 ; Lee et al.
1999 ; Hughes 2000 ; Kostoglu et al. 2000 ; Terry et al. 2001), mais nous disposons aussi
aujourd’hui d’informations relatives à d’autres classes d’animaux, comme les poissons et les
oiseaux (Amar et al. 2000 ; Matsuno 2001 ; Møller et al. 2000).
Les actions principales des caroténoïdes assurant la fonctionnalité et la maintenance du
système immunitaire sont d’accroître la prolifération des lymphocytes et cytokines, et
l’activité de phagocytose de neutrophiles et macrophages (revue dans Bendich 1989 ; Chew
1993 ; Edge et al. 1997 ; Møller et al. 2000).
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Une autre fonction essentielle des caroténoïdes est liée à leur propriété de neutralisation
des radicaux libres. Les radicaux libres sont des atomes ou des molécules qui contiennent un
électron non apparié. En biologie, la famille la plus importante de radicaux libres est celle
l’oxygène est présent (Punchard & Kelly 1996). Les radicaux libres sont potentiellement très
dangereux, car leur nature très réactive peut les faire combiner avec d’autres molécules,
provoquant ainsi l’oxydation et donc l’inactivation ou l’inhibition des fonctions normales des
ces molécules. Les lipides, les protéines et l’ADN sont particulièrement sensibles aux attaques
des radicaux libres (Papas 1999 ; Haegele et al. 2000 ; Collins 2001 ; Nordberg & Arnér
2001). Ils sont produits naturellement par le métabolisme, mais une concentration
exceptionnelle d’oxygène ou l’exposition normale à l’oxygène avant que les défenses anti-
oxydantes soient développées peut produire des actions toxiques et un endommagement des
tissus (Sies 1997). Les antioxydants naturels sont la vitamine A et son précurseur le beta-
carotène, la vitamine C, E, les caroténoïdes et l’ubiquinone (Papas 1999).
Lozano (1994) fut le premier à émettre l’idée selon laquelle les caroténoïdes sont
partagés entre développement des caractères sexuels secondaires et action d’immuno-
stimulation et de neutralisation des radicaux libres. En sélectionnant son partenaire sur la base
de traits caroténoïdes-dépendants, la femelle choisira un mâle capable de se nourrir
correctement et d’échapper aux prédateurs. De plus, selon l’hypothèse de Lozano (1994), la
femelle augmentera la possibilité d’avoir un partenaire en bonne santé et capable de la
conserver. Ainsi, le risque d’obtenir des pathogènes de la part du partenaire est réduit, alors
que la chance de voir ce partenaire fournir des soins parentaux adéquats augmente (Lozano
1994). Cette hypothèse reprend la théorie qui s’intéresse aux parasites dans le cadre de la
sélection sexuelle, proposée à l’origine par Hamilton & Zuk (1982). Seuls les mâles en bonne
santé seront capables de développer les caractères sexuels secondaires les plus exagérés et en
particulier le plumage le plus évident. Leurs gènes, dans lesquels est inscrite la résistance aux
parasites, seront transmis à la progéniture et se répandront donc grâce à la préférence de la
femelle pour le mâle ornementé.
L’hypothèse de Lozano (1994) pointe la capacité des individus à résister aux parasites et
à conserver un bon état de santé, tout en réduisant au minimum les effets négatifs des radicaux
libres. Il existe deux différents types de caractères dépendants des caroténoïdes, selon que les
caroténoïdes sont fixes, comme dans le plumage ou qu’ils sont mobilisables. Dans le premier
cas, la couleur est fixée au moment de la mutation, bien avant que la femelle effectue son
choix. Si, pendant la saison de reproduction, la femelle choisit le mâle selon la couleur de son
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plumage, celle-ci devra être positivement corrélée avec la quantité de caroténoïdes inscrits
dans les tissus d’où ces pigments peuvent être mobilisés (Lozano 1994). Si des coûts plus
importants sont imposés aux mâles d’une population, dus par exemple à des impératifs
immunitaires, le choix de la femelle sera plus aigu que dans le cas ou la défense immunitaire
est moins coûteuse. De plus, les caractères colorés par des caroténoïdes mobilisables verront
décroître leur coloration quand les pigments seront utilisés pour combattre une infection. Dans
le cas d’infections importantes, on s’attendra aussi à une plus grande variabilité dans ces
caractères, car cela reflète les coûts différents payés par les individus de qualité différente
(Zahavi 1975).
Toutes ces hypothèses prévoient à la base que les caroténoïdes ne sont pas disponibles
ad libitum, et que les oiseaux sont obligés de partager leur investissement dans les activités
liées à la santé et le développement des signaux colorés. Dans ce cas uniquement, les
caractères déterminés par les caroténoïdes seront coûteux, et donc des signaux honnêtes de
qualité (Zahavi 1975 ; Gray 1996).
Plusieurs études sont en accord avec cette théorie (Milinski & Bakker 1990 ; Zuk et al..
1990a ; Houde & Torio 1992). Les infections parasitaires réduisent l’éclat du plumage,
dépendant des caroténoïdes, des roselin familier (Carpodacus mexicanus) et d’une espèce de
carduélines américains (Carduelis tristis) (Hill 1999a ; Brawner er al. 2000 ; McGraw & Hill
2000a).
Bortolotti et al. (1996 ; 2000) ont montré une corrélation positive entre la quantité de
caroténoïdes présents dans le sang et la concentration des protéines qui reflète la condition
physique du faucon crécerelle américain (Falco sparverius). Bien qu’il reste à démontrer que
la concentration des caroténoïdes dans le sang est un indicateur fiable de la quantité de ces
pigments dans d’autres tissus, et comment les caroténoïdes sont assimilés pour leurs
différentes activités, la variation de concentration des caroténoïdes dans le sang pourrait
indiquer le besoin en caroténoïdes à court terme.
La concentration dans le plasma reflète sûrement la présence de caroténoïdes dans la
nourriture. Cela a été mis en évidence chez le goéland brun (Larus fuscus) (Blount et al.
2002a) et chez les mâles du diamant mandarin (Taeniopygia guttata) (Blount et al. 2003). Les
deux études sont en accord avec l’hypothèse selon laquelle les caroténoïdes peuvent accroître
la réponse immunitaire et jouer un rôle dans la défense contre les stress oxydatifs des radicaux
libres.
Enfin, certaines études sur des oiseaux nourris avec une alimentation uniforme et
contrôlée (Bortolotti et al. 1996 ; Negro et al. 1998 ; Negro et al. 2001b) apportent un soutien
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