Partie 1 PARTIE 1 La fonction de caroténoïdes chez les hirondelles de cheminée 1. Les caroténoïdes en tant que pigments Les caroténoïdes représentent un groupe de plus de 600 pigments colorés. Ils intègrent 40 atomes de carbone et s’agencent selon un système de doubles liens qui détermine leur couleur et s’avère responsable de leur action biologique (Straub 1987 ; Kull et al. 1995). Les caroténoïdes sont produits par les plantes, les algues, les bactéries et les champignons (Goodwin 1980 ; Hirschberg 1998). La production et l’accumulation de caroténoïdes dans les plantes représentent un processus fortement régulé et affecté par l’intensité de la lumière (Lessin et al. 1997 ; Cunningham & Gantt 1998). Les caroténoïdes sont divisés en deux catégories : carotènes et xanthophylles (Weedon & Moss 1995). Les molécules de xanthophylles sont caractérisées par la présence d’oxygène, dont la position détermine la couleur du tissu (Cunningham & Gantt 1998). Les caroténoïdes avec un anneau ‘beta’, comme par exemple le beta-carotène, peuvent être convertis en rétinol, et sont ainsi des précurseurs de la vitamine A (Ulrey 1972). Les animaux diffèrent dans leur capacité à convertir le beta-carotène en vitamine A : en particulier, les oiseaux sont parmi ceux qui le convertissent le plus facilement (Shaffer et al. 1988). Pendant le processus d’ingestion des caroténoïdes, l’efficacité d’absorption dépend fortement du type de nourriture, de la façon de la traiter, de la quantité de lipides présents et des caractéristiques de chaque individu (Paive & Russel 1999 ; van het Hof et al. 2000). Les caroténoïdes sont transportés uniquement par les lipoprotéines. Chacun d’eux est régi par un principe d’absorption, de transport et de métabolisme particulier (Olson 1994). On doit cependant souligner les nombreuses lacunes dans la connaissance de ces mécanismes (Parker 1996 ; Castenmiller & West 1998). 12 Partie 1 Les premières études qui quantifièrent les caroténoïdes concernaient le jaune d’œuf, le plasma et le plumage. Les poulets ont été utilisés en tant que modèles pour les études sur la disponibilité et l’absorption des caroténoïdes. Les nutritionnistes ont établi depuis plusieurs décades que la quantité de caroténoïdes dans les œufs dépend partiellement des caroténoïdes présents dans la nourriture (Marusich et al. 1961 ; Martin-Garmendia et al. 1981 ; Tyczkowsi & Hamilton 1986a, b). Plus récemment, on a pu mesurer la quantité de caroténoïdes dans les tissus de différentes espèces d’oiseaux (e.g. Surai and Speake 1998; Surai et al. 1998, 2000; Speake et al. 1999; Negro and Garrido-Fernadez 2000; Negro et al 2001a; Blount et al. 2002; Faivre et al. 2003). Partali et al. (1987) ont montré que les principaux caroténoïdes présents dans le plumage sont ceux ingérés avec la nourriture. Plus récemment, Stradi et ses collaborateurs ont identifié non seulement les caroténoïdes dans le plumage de nombreuses espèces (Stradi et al. 1995a,b), mais aussi le chemin suivi par ces pigments, de l’acquisition jusqu’à la coloration des plumes (Stradi et al. 1996, 1997, 1998, 2001; McGraw et al. 2001, 2002). Les caroténoïdes provenant de l’alimentation peuvent être utilisés directement pour la coloration, ou subir des transformations avant l’incorporation dans les tissus (Straub 1987). L’intégration au tissu dépend principalement de trois facteurs : la quantité de caroténoïdes disponibles dans l’alimentation ; la capacité des oiseaux à digérer et absorber des caroténoïdes spécifiques et à les transformer en forme chimique correcte ; et la capacité des tissus spécifiques (plumes, follicules, cellules épidermiques et adipocytes) à capter et insérer les pigments dans la structure des tissus en développement. Les oiseaux absorbent quasi exclusivement des xanthophylles, même si les carotènes sont fournis avec la nourriture (Brush 1990 ; Hudon 1994 ; Haq et al. 1995, 1996 ; Slifka et al. 1999). Souvent, ils devront transformer les caroténoïdes ingérés pour obtenir la coloration des plumes ou d’autres tissus. Plusieurs caroténoïdes peuvent être transformés pour donner le même pigment qui sera finalement inscrit par exemple dans le plumage (Stradi et al. 1996). Le jaune est souvent dû au dépôt de caroténoïdes non modifiés, comme la lutéine, la zeaxanthine ou la beta-cryptoxanthine (Stradi et al 1997, 1998, 2001). Les caroténoïdes n’étant pas synthétisés par les animaux, leur disponibilité dans la nourriture semble déterminer la variabilité observée dans la coloration (Endler 1980 ; Hill 1993a). Les individus aux signaux les plus forts seront ceux qui réussissent le mieux à trouver les caroténoïdes dans la nourriture. Plusieurs études ont lié la variation de la coloration d’un tissu au contenu en caroténoïdes de la nourriture (Slagsvold & Lifjeld 1985 ; Hill 1992, 13 Partie 1 1993b ; Negro & Garrido-Fernandez 2000 ; Negro et al. 2000 ; Blount et al. 2002A, 2003 ; Saino et al. 2002A ; McGraw et al. 2001, 2002a). Plus récemment, les différences physiologiques entre individus ont été admises comme responsables de la variabilité de la coloration de plusieurs tissus (Bortolotti et al. 1996 ; Negro et al. 1998 ; Figuerola & Gutierrez 1998 ; Negro et al. 2001a), alors que la capacité des caroténoïdes à stimuler le système immunitaire et à neutraliser les radicaux libres (Møller et al. 2000, Chapitre 3) suscitait un fort intérêt. Lozano (1994) a entre-temps décrit un nouveau mécanisme qui pourrait expliquer la variabilité dans la coloration de nombreux tissus : un trade-off pourrait exister entre la fonction immunitaire et les signaux honnêtes caroténoïdedépendants, et cela pourrait être contrôlé par les caroténoïdes. Bien qu’une étude ait souligné que les oiseaux présentent une teneur importante en caroténoïdes indépendamment du contenu de l’alimentation (Slifka et al. 1999 ; Hill 1999a), l’idée que la disponibilité des caroténoïdes est limitée pour les oiseaux s’est répandue (Olson & Owens 1998). Elle est maintenant à la base de nombreuses études, en particulier liées à l’hypothèse de l’existence d’un trade-off entre développement des signaux caroténoïdedépendants et activité anti-oxydante (Lozano 1994, 2001 ; Saino et al. 1999 ; von Schantz et al. 1999 ; Møller et al. 2000 ; Blount et al. 200a, 2003 ; Faivre et al. 2003). 2. Les fonctions physiologiques des caroténoïdes Hormis leur rôle dans la communication, les caroténoïdes sont extrêmement importants dans de nombreux processus physiologiques concernant les systèmes nerveux, immunitaire, digestif, endocrinien et reproducteur (Bendich 1988, 1989 ; Chew 1993, 1996 ; Olson & Owens 1998 ; Møller et al. 2000). Les études des fonctions physiologiques ont été conduites principalement chez les humains et autres mammifères (Mathews-Roth 1982 ; Lee et al. 1999 ; Hughes 2000 ; Kostoglu et al. 2000 ; Terry et al. 2001), mais nous disposons aussi aujourd’hui d’informations relatives à d’autres classes d’animaux, comme les poissons et les oiseaux (Amar et al. 2000 ; Matsuno 2001 ; Møller et al. 2000). Les actions principales des caroténoïdes assurant la fonctionnalité et la maintenance du système immunitaire sont d’accroître la prolifération des lymphocytes et cytokines, et l’activité de phagocytose de neutrophiles et macrophages (revue dans Bendich 1989 ; Chew 1993 ; Edge et al. 1997 ; Møller et al. 2000). 14 Partie 1 Une autre fonction essentielle des caroténoïdes est liée à leur propriété de neutralisation des radicaux libres. Les radicaux libres sont des atomes ou des molécules qui contiennent un électron non apparié. En biologie, la famille la plus importante de radicaux libres est celle où l’oxygène est présent (Punchard & Kelly 1996). Les radicaux libres sont potentiellement très dangereux, car leur nature très réactive peut les faire combiner avec d’autres molécules, provoquant ainsi l’oxydation et donc l’inactivation ou l’inhibition des fonctions normales des ces molécules. Les lipides, les protéines et l’ADN sont particulièrement sensibles aux attaques des radicaux libres (Papas 1999 ; Haegele et al. 2000 ; Collins 2001 ; Nordberg & Arnér 2001). Ils sont produits naturellement par le métabolisme, mais une concentration exceptionnelle d’oxygène ou l’exposition normale à l’oxygène avant que les défenses antioxydantes soient développées peut produire des réactions toxiques et un endommagement des tissus (Sies 1997). Les antioxydants naturels sont la vitamine A et son précurseur le betacarotène, la vitamine C, E, les caroténoïdes et l’ubiquinone (Papas 1999). Lozano (1994) fut le premier à émettre l’idée selon laquelle les caroténoïdes sont partagés entre développement des caractères sexuels secondaires et action d’immunostimulation et de neutralisation des radicaux libres. En sélectionnant son partenaire sur la base de traits caroténoïdes-dépendants, la femelle choisira un mâle capable de se nourrir correctement et d’échapper aux prédateurs. De plus, selon l’hypothèse de Lozano (1994), la femelle augmentera la possibilité d’avoir un partenaire en bonne santé et capable de la conserver. Ainsi, le risque d’obtenir des pathogènes de la part du partenaire est réduit, alors que la chance de voir ce partenaire fournir des soins parentaux adéquats augmente (Lozano 1994). Cette hypothèse reprend la théorie qui s’intéresse aux parasites dans le cadre de la sélection sexuelle, proposée à l’origine par Hamilton & Zuk (1982). Seuls les mâles en bonne santé seront capables de développer les caractères sexuels secondaires les plus exagérés et en particulier le plumage le plus évident. Leurs gènes, dans lesquels est inscrite la résistance aux parasites, seront transmis à la progéniture et se répandront donc grâce à la préférence de la femelle pour le mâle ornementé. L’hypothèse de Lozano (1994) pointe la capacité des individus à résister aux parasites et à conserver un bon état de santé, tout en réduisant au minimum les effets négatifs des radicaux libres. Il existe deux différents types de caractères dépendants des caroténoïdes, selon que les caroténoïdes sont fixes, comme dans le plumage ou qu’ils sont mobilisables. Dans le premier cas, la couleur est fixée au moment de la mutation, bien avant que la femelle effectue son choix. Si, pendant la saison de reproduction, la femelle choisit le mâle selon la couleur de son 15 Partie 1 plumage, celle-ci devra être positivement corrélée avec la quantité de caroténoïdes inscrits dans les tissus d’où ces pigments peuvent être mobilisés (Lozano 1994). Si des coûts plus importants sont imposés aux mâles d’une population, dus par exemple à des impératifs immunitaires, le choix de la femelle sera plus aigu que dans le cas ou la défense immunitaire est moins coûteuse. De plus, les caractères colorés par des caroténoïdes mobilisables verront décroître leur coloration quand les pigments seront utilisés pour combattre une infection. Dans le cas d’infections importantes, on s’attendra aussi à une plus grande variabilité dans ces caractères, car cela reflète les coûts différents payés par les individus de qualité différente (Zahavi 1975). Toutes ces hypothèses prévoient à la base que les caroténoïdes ne sont pas disponibles ad libitum, et que les oiseaux sont obligés de partager leur investissement dans les activités liées à la santé et le développement des signaux colorés. Dans ce cas uniquement, les caractères déterminés par les caroténoïdes seront coûteux, et donc des signaux honnêtes de qualité (Zahavi 1975 ; Gray 1996). Plusieurs études sont en accord avec cette théorie (Milinski & Bakker 1990 ; Zuk et al.. 1990a ; Houde & Torio 1992). Les infections parasitaires réduisent l’éclat du plumage, dépendant des caroténoïdes, des roselin familier (Carpodacus mexicanus) et d’une espèce de carduélines américains (Carduelis tristis) (Hill 1999a ; Brawner er al. 2000 ; McGraw & Hill 2000a). Bortolotti et al. (1996 ; 2000) ont montré une corrélation positive entre la quantité de caroténoïdes présents dans le sang et la concentration des protéines qui reflète la condition physique du faucon crécerelle américain (Falco sparverius). Bien qu’il reste à démontrer que la concentration des caroténoïdes dans le sang est un indicateur fiable de la quantité de ces pigments dans d’autres tissus, et comment les caroténoïdes sont assimilés pour leurs différentes activités, la variation de concentration des caroténoïdes dans le sang pourrait indiquer le besoin en caroténoïdes à court terme. La concentration dans le plasma reflète sûrement la présence de caroténoïdes dans la nourriture. Cela a été mis en évidence chez le goéland brun (Larus fuscus) (Blount et al. 2002a) et chez les mâles du diamant mandarin (Taeniopygia guttata) (Blount et al. 2003). Les deux études sont en accord avec l’hypothèse selon laquelle les caroténoïdes peuvent accroître la réponse immunitaire et jouer un rôle dans la défense contre les stress oxydatifs des radicaux libres. Enfin, certaines études sur des oiseaux nourris avec une alimentation uniforme et contrôlée (Bortolotti et al. 1996 ; Negro et al. 1998 ; Negro et al. 2001b) apportent un soutien 16 Partie 1 indirect à l’idée de fonctions physiologiques déterminant la variabilité des caractères caroténoïdes-dépendants. L’hypothèse selon laquelle les caroténoïdes contrôlent la capacité de réponse immunitaire et le développement des signaux colorés a été récemment mise à l’épreuve expérimentale chez deux espèces d’oiseaux, le merle (Turdus merula) (Faivre et al. 2003) et le diamant mandarin (Blount et al. 2003). Cette dernière étude démontre que les femelles qui choisissent les individus à caractères caroténoïdes-dépendants les plus développés sélectionnent ainsi ceux qui ont le plus de capacité à activer leur système immunitaire. Excepté ces deux cas, les mécanismes concernant l’action des caroténoïdes en tant que médiateurs de l’expression des signaux colorés et du maintien d’un bon état de santé sont encore inconnus. 3. Les signaux colorés dépendants des caroténoïdes Nous considérons ici les signaux colorés visibles. Chez les oiseaux, les traits les plus colorés sont le bec, la peau, l’œil, l’intérieur du bec, et surtout le plumage (Massa and Stradi 1999). Depuis l’époque de Charles Darwin, les caractères colorés des oiseaux, en particulier le dichromatisme, ont servi de principal support pour l’étude de la sélection sexuelle (Hamilton and Zuk 1982; Andersson 1994; Møller 1994; Hill 1999; Senar 1999). Hors la sélection sexuelle, ils sont à la base de la communication entre parents et progéniture et des interactions prédateur-proie (Kilner 1997; Théry and Casas 2002). Selon la théorie du handicap proposée par A. Zahavi (1975, 1977), pour pouvoir évoluer et se répandre, les signaux colorés doivent être coûteux et transmettre un message honnête aux récepteurs. Lors des interactions sexuelles, le sexe qui choisit un partenaire évalue la qualité des individus en sélectionnant celui qui exhibe le caractère sexuel secondaire le plus remarqué. Le sexe appelé développe les signaux colorés à un niveau maximum pour orienter le choix du sexe demandeur, tout en minimisant les coûts de survie associés à la production et au maintien en bonne santé. Les caractères sexuels secondaires qui dépendent des caroténoïdes sont très nombreux. Comme nous l’avons déjà souligné, les caroténoïdes doivent être ingérés avec la nourriture (Goodwin 1984) et peuvent donc être disponibles en quantité limitée. Une fois absorbés, ils seront répartis entre plusieurs fonctions tendant à modifier la valeur reproductive (Lozano 1994, Chapter 3). Ces caractéristiques, qui rendent uniques les caroténoïdes en tant que 17 Partie 1 déterminants des signaux colorés, font de ces mêmes caractères des signaux honnêtes quant à la condition physique des individus. On parlera donc de signaux ‘condition-dépendants’ dans le cas où la relation entre développement du signal et condition physique est assurée par un handicap. Les caractères caroténoïdes-dépendants semblent être affectés par la disponibilité en caroténoïdes, le degré d’infection parasitaire et la réponse immunitaire (Hill 1999). L’étude la plus complète concernant le lien entre la coloration du plumage déterminée par les caroténoïdes et le choix de la femelle a été effectuée chez le roselin familier (Carpodacus mexicanus) par G. Hill et ses collaborateurs. (Hill 1990, 1991; Hill et al. 1999). Il a été établi, lors d’études empiriques et expérimentales, que le plumage rouge, déterminé par les caroténoïdes, représentait le caractère utilisé par la femelle pour choisir son partenaire. Le plumage est donc ici un signal honnête de qualité en tant que caractère conditiondépendant. D’autres caractères caroténoïdes-dépendants ont été objet d’étude dans le cadre de la sélection sexuelle : la couleur de l’œil du coq sauvage (Gallus gallus) (Zuk et al. 1990a), la couleur du bec du diamant mandarin (Blount et al 2003). L’acquisition des caroténoïdes semble être responsable de la variabilité en coloration des plusieurs espèces de Carduelis (C. tristis) (McGraw et al. 2001, 2002b), (C. carduelis) (Senar and Escobar 2002), du cardinal (Cardinalis cardinalis) (McGraw et al. 2001, 2002b), et du roselin familier (Hill 1993b; Hill et al. 2002), mais d’autres caractéristiques sont apparemment aussi importantes, comme la présence de gras dans une nourriture riche en caroténoïdes (Hill 2000). En 1982, Hamilton et Zuk, (1982) ont suggéré que les parasites pouvaient jouer un rôle important dans la garantie de l’honnêteté du message, via le coût qu’ils imposent aux individus. Le sexe qui choisit orientera sa préférence vers les individus les plus ornementés, dont la parure témoigne d’une charge parasitaire mineure et d’une résistance aux parasites plus efficace (Hamilton & Zuk 1982). Les tissus très colorés d’un mâle pourraient ainsi témoigner d’une activité immunitaire efficace, et prouver qu’il saura réduire les effets négatifs dus aux radicaux libres, entre autre, lors de la production de cellules associées à la réponse immunitaire (Bendich 1989 ; Chew 1990 ; Møller et al. 2000). Les infections provoquées par des parasites internes comme la coccidiose intestinale atténuent, la couleur déterminée par les caroténoïdes, alors que celle déterminée par la mélanine n’est pas affectée (Carduelis tristis, McGraw & Hill 2000). Le même affadissement est observé chez le roselin familier (Browner et al. 2000 ; Thompson et al. 1997), chez les 18 Partie 1 mésanges bleues (Hõrak et al. 2001), ou chez le bruant zizi (Emberiza cirlus) (Figuerola et al. 1999). Dans ce dernier cas, la réponse immunitaire est positivement corrélée à la brillance du plumage (Dufva & Allander 1995). En revanche, en étudiant les mésanges bleues, Fitze & Richner (2002) n’ont pas observé d’effet sur la coloration caroténoïde-dépendante lors d’une infection par des ectoparasites. Les signaux colorés ont été l’objet de travaux visant à évaluer les interactions intraspécifiques en général et mâle-mâle en particulier, pour tester l’hypothèse selon laquelle le plumage est un symbole de dominance chez les oiseaux. Chez les Euplectes ardens la couleur du plumage semble avoir cette fonction chez les mâles (Pryke et al. 2002), mais pas chez les roselin familier (McGraw & Hill 2000). Très peu d’études se sont intéressées, pour un même individu, à la signification comparée des signaux caroténoïdes-dépendants et ceux déterminés par la mélanine (Gray 1996). McGraw & Hill (2000) ont cherché si les deux types de pigments avaient un rôle différent en ce qui concerne le plumage: les caractères mélanine-dépendants semblent être plus importants lors d’interactions mâle-mâle et comme signaux de dominance. De nombreux autres travaux entérinent ces résultats (Hill and Brawner 1998; Figuerola et al. 1999; Gonzales et al. 1999; Senar et al. 1999; Badayev and Hill 2000; Senar et al. 2003). Toutefois, comme précédemment reporté, Pryke et al. (2002) ont indiqué que le plumage caroténoïdesdépendant peut aussi avoir une fonction de dominance chez les Euplectes ardens. Enfin, dans le cadre de l’étude de l’évolution et de la signification des signaux colorés, un chapitre particulièrement intéressant concerne le rôle de ces caractères lors du choix de la femelle, lorsque d’autres caractères sexuels secondaires sont présents chez la même espèce (Møller & Pomiankowski 1993 ; Johnstone 1996 ; Pryke et al. 2001). 19 Partie 1 4. Résumé de l’Article 1 Disponibilité et absorption des caroténoïdes chez les hirondelles de cheminée : implications pour la fonction des signaux dépendants des caroténoïdes Avant de considérer le partage des caroténoïdes entre les tissus colorés ou une activité physiologique, il est nécessaire d’étudier la disponibilité des pigments dans l’environnement, et en particulier dans l’alimentation de l’espèce considérée. Cela permettra de formuler des hypothèses quant à la variabilité des caractères caroténoïdes-dépendants. Par exemple, la nourriture des carnivores semble peu riche en caroténoïdes (Gray 1996 ; Olson & Owens 1999 ; Hill 1999b), alors que les granivores et les frugivores ont accès à une grande quantité de ces pigments. La probabilité que la production de caractères déterminés par les caroténoïdes soit coûteuse est donc réduite (Hudon 1994 ; Gray 1996). Bien que les insectivores puissent facilement obtenir des caroténoïdes avec la nourriture, il est probable qu’ils connaissent des limites quantitatives et qualitatives dans l’ingestion de ces pigments (Gray 1996). Pour analyser si les caroténoïdes représentent une ressource limitée pour les hirondelles, nous avons comparé la quantité de caroténoïdes inscrits dans les insectes capturés par les adultes et emmenés au nid, avec un échantillon d’insectes récoltés au hasard des lieux où les hirondelles se nourrissent. Cet examen permet d’apprécier deux hypothèses. Si les proies emmenées au nid présentent une teneur en caroténoïdes plus élevée que les échantillons des champs, on pourra estimer que les hirondelles préfèrent les insectes à haute teneur en caroténoïdes. D’autre part, en considérant que les caroténoïdes représentent des éléments fondamentaux pour les hirondelles à cause de leurs fonctions physiologiques, si les proies capturées par les adultes avaient une teneur en caroténoïdes inférieure aux échantillons récoltés au hasard, cela pourrait indiquer que la disponibilité d’insectes riches en caroténoïdes est limitée. Chez les hirondelles, les caroténoïdes principalement identifiés dans le plasma, les plumes rouges de la gorge des adultes et dans la bouche des poussins sont la lutéine et la 20 Partie 1 zeaxanthine (Saino et al.1999, 2000, Stradi 1998). Ces deux caroténoïdes étaient présents, comme prévu, dans les insectes capturés par les adultes et emmenés au nid, et dans les insectes capturés au hasard dans les champs. Résultat principal de l’étude : les hirondelles ne capturent pas les insectes disposant d’un taux de caroténoïdes plus élevé que celui observé en moyenne chez les insectes collectés au hasard dans leur domaine d’alimentation, mais plus bas. Selon la deuxième hypothèse, cela indique que les caroténoïdes sont disponibles en quantité limitée. Pourquoi les hirondelles ne capturent-elles pas des insectes plus riches en caroténoïdes ? Nous pensons que cela vient des contraintes alimentaires. Les hirondelles pourraient néanmoins éviter la capture de certains types d’insectes, à cause de leur toxicité éventuelle. Les coûts semblent, en tout cas, représenter la contrainte majeure. En accord avec cette hypothèse, nous avons mis en évidence une moindre variance dans le taux de caroténoïdes inscrits dans les proies d’un même nid, comparé au taux de pigments de plusieurs nids. La capacité à capturer des insectes riches en caroténoïdes varie considérablement, même si les hirondelles se reproduisent dans la même colonie et ont accès aux mêmes ressources d’alimentation. En conclusion, un point particulièrement intéressant soulevé par l’étude concerne la distribution des différents caroténoïdes dans les proies de l’hirondelle. Il est établi que la possibilité d’absorption des caroténoïdes varie avec la teneur en lipides de la nourriture et la présence d’autres caroténoïdes. Cela implique que pour l’assimilation d’un caroténoïde, chaque étape, de l’ingestion au dépôt dans un tissu, peut être influencée par la présence d’autres de ces pigments. 21 Partie 1 5. Résumé de l’Article 2 Antioxydants et dépendance de la condition physique de la date d’arrivée chez une espèce migratrice Dans cette partie de la thèse, nous étudions si les caroténoïdes interviennent dans la détermination de la date d’arrivée au site de reproduction après la migration des hirondelles de cheminée, via leurs fonctions physiologiques et en particulier leur activité anti-oxydante. Comme toutes les activités coûteuses, la migration témoigne d’une grande variabilité entre les individus. Les hirondelles rejoignent le site de reproduction pendant une période d’environ deux mois (Møller 1994a). Les bénéfices d’une arrivée précoce sont liés essentiellement à la reproduction, ils concernent en particulier l’acquisition d’un partenaire, la qualité du partenaire, le succès reproductif. Les coûts d’une arrivée précoce dépendent des conditions météorologiques, imprévisibles au début du printemps. Elles influencent la sortie des insectes proies (Møller 1994a,b). Les hirondelles mâles à queue la plus longue arrivent d’abord au site de reproduction. La date d’arrivée et la longueur de la queue sont ainsi deux caractères dépendant de la condition physique, qui varient indépendamment du succès reproductif. Chez les oiseaux, les caroténoïdes peuvent être impliqués dans de nombreuses activités physiologiques. Explorant cette hypothèse, nous avons mesuré la variabilité de la concentration en caroténoïdes dans le sang au moment de l’arrivée au site de reproduction puis quelques semaines plus tard, pour vérifier si les caroténoïdes étaient concernés par le mécanisme qui détermine l’arrivée des hirondelles. Nous avons utilisé des données morphologiques, hématologiques et biochimiques recueillies sur le site de reproduction au moment de l’arrivée des hirondelles, pendant deux années. La deuxième année, les oiseaux arrivèrent environ deux semaines plus tôt que la première. La condition physique générale des migrants était meilleure que l’année précédente. Comme cela a été prévu par un modèle théorique (Kokko 1999) et confirmé par des observations empiriques (Møller 1994b), les coûts pour une arrivée précoce sont plus importants les années aux conditions environnementales médiocres et la sélection donc plus forte. Bien que les coûts imposés aux hirondelles de moins bonne qualité paraissent supérieurs 22 Partie 1 la première année, nos données témoignent que certains individus n’ont pas pu, l’année suivante, anticiper leur date d’arrivée, malgré des conditions plus favorables. D’après l’analyse des individus adultes, nous avons obtenu que la date d’arrivée étai répétable à 50%. Cela indique que certains coûts ne sont pas évitables, et que les individus les plus retardataires quand les conditions sont médiocres ne peuvent pas anticiper leur arrivée quand les conditions sont plus favorables. L’analyse des données sur les deux années consécutives établit que les premières hirondelles arrivées au site de reproduction avaient une concentration de caroténoïdes dans le sang inférieure à celles qui y accédèrent en milieu de saison. La deuxième année, nous avons mesuré la concentration en caroténoïdes dans plusieurs mâles une semaine après leur arrivée. La variation de la concentration obtenue nous donne une indication sur l’acquisition et l’usage fait des caroténoïdes par les mâles après installation sur le site. Ainsi, les individus arrivés en milieu de saison voyaient leur concentration sanguine en caroténoïdes plus réduite que celle des mâles arrivés initialement. Cela tend à montrer que les antioxydants ont un rôle dans la réduction des effets négatifs liés à l’effort physique de la migration, et peut être aussi lors des activités de displays sexuels et des interactions intra-sexuelles que les mâles entament dés l’arrivée au site de reproduction. Le variation de la concentration de caroténoïdes dans le sang décrit pendant la deuxième saison pourrait indiquer un trade-off entre l’anticipation de la date d’arrivée et d’autres fonctions physiologiques liées à l’état de santé (Lozano 1994). Les individus les plus retardataires, de moins bonne qualité, nécessiteraient une quantité de caroténoïdes plus grande pour faire face à des stress oxydatifs plus importants, et seraient dans l’incapacité d’arriver plus tôt. Que les conditions de migration soient favorables ou pas, les variations de concentration en caroténoïdes chez les hirondelles mâles, en reflétant les coûts de protection contre les risques oxydatifs, pourraient contribuer à la variabilité de la date d’arrivée au site de reproduction, et à assurer que ce caractère est honnête. 23 Partie 1 6. Résumé de l’Article 3 Dépendance de la condition physique de la coloration et succès reproductif chez l’hirondelle de cheminée Cet article s’intéresse à la fonction de la coloration caroténoïde-dépendante des plumes de la gorge des hirondelles de cheminée. Le but est étudier si les caroténoïdes modulent l’expression de la coloration de cette espèce via un trade-off entre la production du signal et la capacité de conserver un bon état de santé (Lozano 1994). Une première étude a concerné une population du nord de l’Italie (Saino et al. 1999, Annexe 1). Nous avons corrélé la coloration des plumes rouges de la gorge à la concentration de la lutéine dans le sang et à la concentration de différents types de leucocytes et gamma globulines. Nous avons montré une corrélation positive entre la coloration des plumes, quantifiée par l’absorbance de la lumière autour de la longueur d’onde où la lutéine présente son maximum (450 nm, ‘bande de la lutéine’ : 445-455 nm, Saino et al. 1999, Annexe 1), et la concentration de la lutéine circulant dans le sang. Ce résultat est en accord avec l’hypothèse de Lozano (1994) selon laquelle les caroténoïdes investis dans des caractères caroténoïdedépendants d’où ils ne peuvent être mobilisés doivent être positivement corrélés avec les caroténoïdes mobilisables (comme ces du plasma) pendant la saison de la reproduction (Lozano 1994). Les variables immunologiques mesurées n’étaient pas corrélées à l’absorbance dans la bande de la lutéine. Cela suggère que les mâles qui investissent une quantité plus importante de caroténoïdes dans les plumes pendant la mutation ne payent pas le coût d’une réduction de la réponse immunitaire pendant la saison de reproduction. Si les caractères caroténoïde-dépendants sont des traits coûteux qui signalent honnêtement la qualité de l’individu, le choix des femelles peut avoir déterminé l’évolution du plumage coloré chez les mâles. Nous suggérons que la coloration des plumes est un caractère condition-dépendant (voir paragraphe 3) chez les hirondelles, et que les caroténoïdes agissent en tant que médiateurs de l’honnêteté du signal via leurs actions physiologiques liées 24 Partie 1 au système immunitaire. Ainsi, un dichromatisme sexuel est attendu entre les mâles, qui investissent une quantité plus importante de pigments dans la coloration, et les femelles. De plus, selon l’hypothèse de Zahavi (1975, 1977), le développement de ces caractères doit être plus coûteux pour les mâles que pour les femelles. Nous avons donc vérifié s’il existait un dimorphisme dans la couleur des plumes de la gorge des hirondelles. Pour cela, nous avons comparé la coloration des plumes des mâles et des femelles d’hirondelle de trois populations européennes (Italie, Danemark, Espagne). En étudiant l’absorbance dans la bande de la lutéine, la teinte et la saturation de la coloration des plumes, nous montrons que les mâles développent une couleur s’orientant davantage vers le rouge, plus saturée et avec une absorbance majeure dans la bande de la lutéine que les femelles. Ce résultat est stable entre les populations et pendant les années d’étude. Ainsi, nous appuyons l’hypothèse selon laquelle ce trait a évolué par sélection sexuelle (Andersson 1994 ; Møller 1994a). Selon l’hypothèse du handicap (Zahavi 1975), les traits sexuels secondaires évoluent et se répandent à condition qu’ils soient honnêtes, le handicap imposé aux individus qui développent ces caractères empêche la tricherie. Pour établir s’il existe un coût de développement de la coloration des plumes rouges, nous avons mesuré le degré de pigmentation de la plume. Nous avons rencontré une grande variabilité entre les individus pour ce qui concerne la taille des plumes et l’étendue de leur surface pigmentée. En particulier, les mâles étudiés avaient des plumes plus petites que les femelles, et leur pigmentation recouvrait une portion relativement plus grande. De plus, les individus qui disposaient d’une plus grande portion pigmentée de la plume utilisaient une plus grande quantité de pigments, obtenant ainsi une couleur plus saturée et une teinte plus rouge que la moyenne des individus. Nous avons finalement recherché si les mâles à plume largement pigmentée arrivaient au site de reproduction en meilleure condition que les autres, nos résultats semblent en accord avec l’hypothèse selon laquelle la coloration des plumes rouge des hirondelles est un caractère ‘condition-dépendant’. Afin d’analyser si la femelle utilise ce caractère pour évaluer la qualité des mâles et ainsi choisir son partenaire, nous avons comparé a posteriori la coloration des mâles en couple avec celle des mâles qui ne se sont pas reproduits. Les pairs de mâles considérés dans l’analyse étaient caractérisés par une même date d’arrivée. Si la coloration est un signal honnête de qualité qui évolue par le choix de la femelle, les mâles en couple devraient avoir une coloration plus forte que celle de ceux qui ne se reproduisent pas. Nos résultats confirment l’hypothèse. 25 Partie 1 En conclusion, la couleur rouge des hirondelles semble être un caractère dépendant de la condition physique qui signale honnêtement la qualité de l’individu, et qui semble être maintenu par sélection sexuelle via le choix de la femelle. La coloration étant déterminée partiellement par les caroténoïdes, nous suggérons que l’investissement de pigments tels les caroténoïdes dans le plumage est coûteux. 26