L La lutéine et la zéaxanthine : de futures vitamines ? Lutein and zeaxanthin: new vitamins?

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XV - n° 6 - juin 2011
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Les vitamines
La lutéine et la zéaxanthine :
de futures vitamines ?
Lutein and zeaxanthin: new vitamins?
P. Borel*
»
La lutéine et la zéaxanthine, des micronutriments non synthétisés par
l’homme, s’accumulent préférentiellement dans la région centrale
de la rétine humaine, la macula lutea.
»
Ces micronutriments de la famille des caroténoïdes semblent avoir
un rôle protecteur vis-à-vis du stress oxydatif généré par la lumière
bleue au niveau des photorécepteurs.
»
La consommation et les teneurs sanguines en ces caroténoïdes
sont associées à une diminution du risque de dégénérescence
maculaire liée à l’âge et de cataracte.
»
Ces caroténoïdes semblent améliorer certains paramètres de la
fonction visuelle.
Mots-clés : Caroténoïdes – Œil – Vision – Dégénérescence maculaire
liée à l’âge – Cataracte.
Keywords: Carotenoids – Eye – Vision – Age-related macular degene-
ration – Cataract.
Points forts
* Inra, UMR1260
“nutriments lipidiques
et prévention des maladies
métaboliques” ; Inserm,
ERL U1025 “biodisponi-
bilité des micronutri-
ments” ; université d’Aix-
Marseille, Marseille.
La lutéine et la zéaxanthine sont deux pigments
végétaux appartenant à la famille des caroté-
noïdes, plus particulièrement à la sous-famille
des xanthophylles, qui sont les caroténoïdes possé-
dant des groupements oxygénés (hydroxyle et cétone,
notamment). Du fait de la présence de groupements
hydroxyles sur les cycles β-ionone de ces 2 molé-
cules, ces caroténoïdes n’ont pas dactivité provitami-
niqueA, comme le bêtacarotène, l’alphacarotène, la
β-cryptoxanthine ou d’autres caroténoïdes possédant
au moins un groupement β-ionone non substitué.
On a longtemps cru que l’intérêt nutritionnel des caro-
ténoïdes se limitait à leur activité provitaminiqueA. Au
moment où la théorie radicalaire du vieillissement a
été proposée, la mise en évidence de leurs propriétés
antioxydantes a soulevé un grand engouement. On
supposait en e et qu’un excès non contrôlé de radicaux
libres (stress oxydatif) était à l’origine de nombreuses
pathologies (cancers, maladies cardio-vasculaires, etc.).
Bien que le rôle de ces molécules tenues pour des
antioxydants directs (c’est-à-dire pour des molécules
ayant la capacité d’arrêter la propagation de la réac-
tion radicalaire en réagissant avec les radicaux libres)
soit maintenant remis en cause, notamment du fait de
leurs très faibles concentrations sanguine et tissulaire
relativement à celles d’autres molécules antioxydantes,
il y a un intérêt renouvelé pour les caroténoïdes. Des
travaux récents ont en e et montré qu’ils étaient, entre
autres, capables de moduler lexpression génique (1)
et l’expression d’adipokines pro-in ammatoires (2).
L’intérêt pour la lutéine et la zéaxanthine vient notam-
ment du fait que ce sont quasiment les seuls caroté-
noïdes d’origine alimentaire retrouvés au niveau de l’œil
humain, les autres étant retrouvés à l’état de traces (3).
Or, la plupart des autres tissus de l’organisme contien-
nent un pro l de caroténoïdes proche de celui du sang
(bêtacarotène, lycopène et lutéine majoritaires et autres
caroténoïdes en proportions similaires à celles retrou-
vées dans l’alimentation). Cela montre que l’œil, par
un mécanisme non encore totalement élucidé, mais
impliquant apparemment les récepteurs membranaires
SR-BI (4, 5) et ou CD36 (6), ne lectionne que ces 2 caro-
ténoïdes. D’un point de vue  naliste, cette sélectivité
laisse penser que ces caroténoïdes exercent dans l’œil
une fonction biologique bien spéci que qui ne peut pas
être exercée par les autres caroténoïdes. On retrouve
ces 2 caroténoïdes aussi bien dans l’humeur aqueuse
que dans la macula lutea (tache jaune au centre de
la rétine, aussi appelée pigment oculaire) [7], où il y a
aussi de la méso-zéaxanthine. La méso-zéaxanthine
est issue du métabolisme de la lutéine (8).
La présence de fortes concentrations de lutéine et
de zéaxanthine dans la macula lutea a conduit à se
demander quel(s) rôle(s) ces molécules pourraient y
exercer. La focalisation des rayons lumineux au centre
de lœil, la nocivité de certains de ces rayonnements
(notamment ceux compris entre 400 et 450nm dans le
bleu) vis-à-vis des photorécepteurs, la forte teneur de
la rétine en acides gras polyinsaturés très oxydables, la
capacité de ces pigments à absorber la lumière bleue,
et les propriétés antioxydantes de ces caroténoïdes,
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Les vitamines
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24-28 juin 2011
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ont conduit à supposer quils ont été sélectionnés par
la nature pour protéger cette région de l’œil, ainsi que le
cristallin, des dommages photo-oxydatifs. Cette hypo-
thèse semble véri ée par les études épidémiologiques,
qui suggèrent que ces xanthophylles protégeraient des
pathologies oculaires ayant pour origine des dommages
photo-oxydatifs.
Les dommages photo-oxydatifs seraient impliqués
dans létiologie de 2 maladies oculaires liées à l’âge :
la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) et la
cataracte (opaci cation du cristallin). Une réduction du
risque de DMLA chez les individus ayant des concentra-
tions sanguines élevées de lutéine et de zéaxanthine a
été observée dans 5 études épidémiologiques (9-13).
Ainsi, dans létude POLA (Pathologies oculaires liées à
l’âge), le risque de DMLA était diminde 79 % chez les
sujets ayant des concentrations plasmatiques élevées
de lutéine et de zéaxanthine (13). L’association était
encore plus forte avec la seule zéaxanthine (diminu-
tion de 93 % du risque pour les concentrations élevées),
ce que rapporte également une autre étude (12). Ces
sultats sugrent mais cela reste à con rmerque la
axanthine pourrait être plus importante que la luine
dans la protection contre la DMLA. Pour ce qui est de la
cataracte, plusieurs études indépendantes ont rapporté
des résultats similaires, témoignant d’une duction du
risque de cataracte chez les sujets ayant un statut éle
(apports alimentaires, concentrations sanguines) en xan-
thophylles (13-23). Bien que les résultats des études épi-
démiologiques et des études sur les modèles cellulaires
et animaux permettent déchafauder une hypothèse
plausible concernant le le protecteur de ces xantho-
phylles vis-à-vis de ces pathologies oculaires, seules des
études dintervention, randomisées, en double aveugle
avec placebo, permettront de démontrer de manière
nitive leur le dans la prévention de ces pathologies.
S’il était prouvé que la lutéine et/ou la zéaxanthine sont
absolument indispensables pour prévenir la survenue
des pathologies oculaires précédemment décrites, on
ne serait pas loin de leur attribuer la dénomination de
“vitamines”. En e et une vitamine est, par dé nition,
une molécule organique, apportée en faible quan-
tité dans l’alimentation (<1 g/j), non synthétisée par
l’organisme (ou dont la synthèse endogène n’est pas
su sante pour subvenir aux besoins de l’organisme,
comme cest le cas pour la vitamineD) et indispen-
sable à certaines fonctions biologiques. Aujourd’hui,
la lutéine et la zéaxanthine satisfont à tous ces critères,
à lexception d’un seul : le dernier. Démontrer un rôle
essentiel dans la fonction visuelle est di cile, car il nest
pas possible, pour des raisons d’éthique, de carencer des
sujets en ces composés qui sont retrouvés de manière
ubiquitaire dans les fruits et légumes. Peut-être que
les futures études dintervention nutritionnelles de
supplémentation de xanthophylles versus placebo per-
mettront non seulement de voir un e et béné que sur
les pathologies oculaires, mais aussi de démontrer un
rôle biologique, sur l’acuité visuelle par exemple, de
ces composés. Si c’est le cas, on sera bien proche de
les quali er de “vitamines”.
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