CHAPITRE 2: LES LOIS ETHNIQUES DES FRANCS, DU V°s AU X°s S0. Introduction P1. Nature des sociétés germaniques Peuples nomades, cette instabilité les empêchent d'être liés à un quelconque système politique élaboré: ainsi la Germanie ne forme pas un E, mais une simple agrégation de tribus. A leur tête, un roi, chef à la fois religieux & judiciaire. L'autorité militaire revient au "dux" désigné par l'£ des H libres de la tribu. Le véritable pouvoir appartient à l'£ des H libres qui se réunissent en assemblée, le "concilium". Par contre, la structure sociale joue un rôle prépondérant. La hiérarchie a pour sommet les "princeps", véritable noblesse de naissance à laquelle s'ajoutent les H les plus valeureux au combat. En-dessous, les H libres, puis les H semi-libres (affranchis). Enfin, les esclaves, qui se consacrent surtout aux travaux agricoles. Les rapports sociaux s'organisent à un triple niveau: - familial. Notion plus large que la simple famille nucléaire: elle comprend les "clients", aux intérêts protégés. - militaire. Compagnonnage guerrier qui prend forme dans le "comitatus", où des jeunes guerriers se lient à des plus anciens; apparaissent ainsi des relations de fidélité & de dépendance. En effet, le chef équipe ses compagnons & leur fournit des ressources (généralement en provenance des butins). - judiciaire. Le Di pénal est considéré comme du Di privé: une affaire uniquement de personnes. Les liens personnels sont cruciaux, =/= relation impersonnelle de sujétion. P2. L'arrivée des germains en Gaule Les invasions Huns forcent les germains à migrer vers l'Ouest. Les 1ers arrivés, les Wisigoths, s'installent assez pacifiquement à partir de 376 (ils pilleront tout de même Rome en 410), suivis des Burgondes en 435. Ils concluent des "foedus" (traités) qui font d'eux des "federatis" disposant des terres. Les Francs préfèrent une conquête belliqueuse. Les Francs saliens sont dirigés par Clovis (petit-fils de Mérovée) qui pérennise leur installation. Roi de 481 à 511, il se convertit au christianisme vers 496 & devient le seul roi chrétien de tout l'Occident. À sa mort, pratiquement toute la Gaule est sous sa domination: c'est le "regnum francorum", le royaume franc. S1. Du pouvoir personnalisé des mérovingiens à la restauration politique éphémère des carolingiens (481-888) Certes période de confusion, mais aussi de création car les civilisations romaines, chrétiennes & germaniques se rencontrent et fusionnent même. En premier lieu, le Di romain s'efface et les mérovingiens sont relativement "primitifs" au point de vue politique. Ensuite, les carolingiens restaurent un système plus raffiné: l'E. P1. La royauté mérovingienne: un pouvoir guerrier fondé sur les liens personnels A. Un pouvoir basé sur la puissance militaire 1) L'influence germanique a. L'accession au pouvoir : grâce aux conquêtes militaires, suivies de l'annexion des territoires conquis. Puis, à partir de Clovis, par hérédité: le pouvoir se transmet de père en fils, bien que cela ne soit pas institutionnalisé et ce n'est que par son charisme & sa force, certes hérités du père, que le fils peut s'imposer. De fait, chez les germains, le roi doit être le garant de l'harmonie et de la paix (mission défensive donc, face aux ennemis et avec les plus faibles de la tribu). b. La règle du partage: chez les germains, pas de notion d'E. Le territoire conquis entre dans le patrimoine privé du roi. En conséquence, à la mort du roi, le royaume est partagé à parts égales entre ses fils. Ainsi, en 511, le royaume est divisé entre les 4 fils de Clovis. 2) Les influences romaines & chrétiennes Persistance de la tradition romaine en matière administrative. De même, le vocabulaire est conservé: les rois germains s'attribuent des titres romains. Ex: Clovis se fait "consul" & ses successeurs reprennent le titre de "princeps", ils veulent faire revivre l'Empire. L'Eglise est un appui constant, comme l'atteste la politique conciliante de Clovis illustrée par la légende du vase de Soisson. Cette attitude marque le point de départ d’une relation privilégiée entre l'Eglise & le royaume franc. 3) Les liens personnels Le roi, guerrier, exerce son pouvoir en vertu de : - le « mundium ». La protection personnelle du roi accordée à des individus ou des groupes, voire même à certains lieux. Contenu très large, soit protection physique + judiciaire = le roi est garant de la paix. - le « bannum ». Pouvoir de ban, soit de commandement sans limite, le roi légifère & peut exiger des prestations de ceux qu'ils lui sont soumis. La désobéissance est très lourdement punie par le "forisbanitio", car l'exclusion est pire que la mort. - l'armée. Soutien crucial au roi: troupe de guerriers constituée de ses fidèles, les "leudes", qui prêtent un serment unilatéral au roi. Au lieu d'un serment réciproque, le roi offre nombre de récompenses (terres, butin) à ses H afin de s'assurer leur fidélité personnelle, plus efficace pour sa gloire personnelle que s'ils étaient au service d'une It. Il organise cette fidélité au sein du "palacium" (le palais), où apparait la F° essentielle du "major domus", le maire du palais. De simple intendant, il devient petit à petit un acteur politique incontournable. B. L'échec de la dynastie mérovingienne Le dernier grand roi mérovingien, Dagobert (629-639), réussit à rassembler tous les pays francs. Mais après sa mort, la dynastie ne peut plus lutter contre son inexorable chute: 1) D'importantes difficultés économiques La sécurité n'étant plus assurée en Méditerranée (invasion arabe), l'économie se replie sur des petits centres, le plus souvent ruraux. De plus, l'Empire romain d'Orient se détourne définitivement de l'Occident. 2) Les difficultés politiques Les derniers rois, appelés "rois fainéants", refusent de véritablement gouverner le royaume dont ils confient la garde au maire du palais. Le royaume se divise alors entre l'Austrasie, la Neustrie, la Burgundia, l'Aquitaine. La menace principale pour la royauté est la famille Pippinide à laquelle appartient Pépin de Herstal. Il conquiert & rassemble sous son autorité les 4 régions. Son descendant, Pépin le Bref, fils de Charles Martel, le repousseur des Arabes à Poitiers en 735, reçoit l'appui du pape pour devenir roi (légitimité religieuse), ce dernier étant militairement menacé par les Lombards. Il se fait élire roi par l'assemblée des grands personnages du royaume (légitimité élective). En 751, Pépin le Bref reçoit le premier sacre: il devient roi des francs. À sa mort, en 758, lui succède son fils Charlemagne. P2. La renaissance fugitive d'un véritable système politique sous les Carolingiens Se déroule en 3 phases: A. Le temps de la restauration politique (751-822) Ascension, puisqu'il n'y a que des grands rois: après Charlemagne, Louis le Pieux règne. Depuis Pépin le Bref, le système de gouvernance est une théocratie royale. Les gouvernants sont investis par Dieu, le roi étant alors considéré comme tirant son pouvoir de la volonté de Dieu : "le roi est roi par la grâce de Dieu". Le roi règne en vertu des valeurs chrétiennes. Puis, Charlemagne ressuscite la notion d'E. Il réunifie une imposante partie de l'Europe par ses victoires militaires et unifie autour de lui le monde chrétien. Surtout que l'Empire d'Orient connaît une grave crise politique. De plus, le pape Hadrien se trouve dans la même situation que celui sous Pépin le Bref, menacé militairement par les Lombards donc, et contre sa protection Charlemagne exige de se faire sacrer Empereur à Noël 800. Hadrien se prosterne. B. Le temps des crises (822-888) 1) Les dernières années de l'unité retrouvée Bien que partisan de la "res publica", l'idée de partage demeure avec Charlemagne. Heureusement, seul un ses fils survit à sa mort en 814: Louis le Pieux. En 817, il prend l'acte "ordinatio imperii", ce texte législatif décide qu'à sa mort, seul son fils aîné Lothaire recevra le titre d'Empereur à son tour. Ses frères Louis & Pépin seront uniquement "rex", sous la tutelle de Lothaire. Suite à la naissance d'un 4° fils non prévu dans ce partage, Charles le Chauve, guerre fratricide & parricide qui aboutit au traité de Verdun en 843, entérinant le partage entre les 3 fils survivants: à l'Est du Rhin, Louis; à l'Ouest, Charles (une bonne partie de l’actuelle France) ; Lothaire une fine parcelle entre les deux. L'unité disparaît. 2) Le maintien des liens personnels: la constitution de réseaux vassaliques Entre les H libres, de véritables contrats apparaissent, les "commendatio" (recommandations). Obligations bilatérales: de la part de celui qui est recommandé, le contrat implique soumission & respect; et de la part du maître, la fourniture des moyens de subsistance en sus de la protection. Sous les Carolingiens, s'y ajoute un serment prêté sur les Evangiles ou des reliques. Se constituent des réseaux de vassaux: des seigneurs au roi, des plus petits seigneurs aux grands seigneurs. Fonctionne parfaitement tant que le roi, au sommet donc, est puissant: il peut ainsi transmettre son autorité jusqu'aux échelons les plus bas. Mais lorsque le roi s'affaiblit, les petits seigneurs préfèrent réserver leur fidélité aux intermédiaires, devenant alors un obstacle au pouvoir royal. C. Le glissement vers la féodalité (jusqu'à la fin du X°s) Après le traité de Verdun, l'Empire se désagrège à cause du partage du royaume & de la pression extérieure (en particulier de la part des Vikings & des germains). Charles le Chauve (devenu Charles II) renonce à jouer le rôle du chef, il endosse un rôle seulement d'arbitre. En conséquence, réapparition des particularismes ethniques & reconstitution de véritables principautés territoriales. Ex: Bourgogne, Provence, Normandie. La France se prépare à entrer dans la féodalité. S2. De la personnalité des lois à la territorialité du Di P1. La dualité des sources du Di A. Les lois barbares "Lex" désigne à l'origine la loi nationale d'un peuple. 1) La loi des Wisigoths: le Code d'Euric (V & VI°s) Influence germanique prépondérante vis-à-vis du Di romain (on y trouve certes quelques références, comme les règles d'hospitalité ou d'exposition des enfants). Les règles de la vie civile ne sont envisagées que sous l'angle de leurs déviations: place cruciale du Di pénal. Influence chrétienne aussi: asile possible dans les églises, sanctuaires divins. 2) La loi des Burgondes: la loi gombette Rédigée à l'initiative du roi Gondebaud, loi fortement influencée par le Di romain: testament remplace le partage inéluctable. Traditions germaniques se maintiennent toutefois: achat de la femme par le mari, tarification des crimes & délits (évite la vengeance). 3) Les lois franques: salique & ripuaire La loi salique perdure très longtemps (plusieurs siècles pour certaines dispositions): rédigée pour la 1ère fois sous Clovis avant sa conversion en respectant l'avis des grands de son royaume. Rédigée en latin, bien que celui-ci soit médiocre, aussi est-il expliqué plus en détails en dialecte francique (les "gloses malbergiques" car utilisée le plus souvent devant le malberg/malus qui est le tribunal de Di commun). Très peu de Di romain, les francs étant d'ailleurs éloignés de Rome, le Di pénal tient la plus grande place de ce système archaïque, il est privatiste: ce qui est important c'est l'indemnisation de la victime plus encore que la seule répression du trouble à l'ordre public. Ex: le prix de l'H = wergelt, varie en F° de la gravité des faits & de la qualité sociale de la victime. Principe de la responsabilité personnelle est certes acquis, mais la solidarité familiale est importante: la famille participe au payement de la compensation. La loi ripuaire est similaire, rédaction plus tardive (VIII°s par Dagobert). De plus, les rois francs promulguent des actes législatifs (les "capitulaires"), très peu sous les mérovingiens (10 en 2 siècles) mais alors très importants: règlent des questions d'ordre politique & marquent une volonté de garantir paix & ordre social grâce à une sévère répression. B. Les lois romaines Réunies dans des compilations, Di simplifié. Di romain peu présent, superficiel, l'influence la plus marquée après le Di germain vient des conceptions chrétiennes. 1) La loi romaine des Burgondes Autre initiative du roi Gondebaud. Les questions sont regroupées par matière. Même si les infractions y tiennent la majeure partie, quelques prescriptions de Di privé: donation, contrats divers. Toutefois, aussi bien la technique que l'esprit est en recul. 2) / des Wisigoths Le "bréviaire d'Alaric" (début du VI°s, bien que l'expression date seulement du XVI°s). Loi + évoluée car on y trouve d'assez longs extraits de textes des jurisprudents, ainsi que de nombreuses C° impériales du Code théodosien. Cette mise en ordre, plus qu'une opération juridique, est une opération politique: le chef barbare Alaric tente ainsi d'assoir son autorité face aux gallo-romains qui le méprisent. Rencontre un immense succès sur pratiquement l'£ du territoire gallo-romain, même chez les Francs. P2. Le système mérovingien de la personnalité des lois Les mérovingiens ont conquis =/= peuplades, posant de délicats débats juridiques. Seule l'organisation du pouvoir est unique. A. Définition La loi applicable est celle de la nationalité de la personne concernée: "sous quelle loi vis-tu ?". Conflits de loi si =/= nationaux. Ex : mariage mixte entre une burgonde & un wisigoth. Varie souvent au cas par cas. De fait, il n'y a que dans le secteur politique & administratif que le roi impose ses propres normes. Se dégrade tout d'abord par sa très difficile application, puis par la fusion des =/= peuples, ensuite l'unification progressive du territoire, et enfin les progrès du christianisme. Alors, le principe de territorialité se revivifie. B. La dualité de la procédure (publique ou privée) 1) Publique Exercée d'office par l'autorité publique, principalement dans les cas touchant au roi (sa personne ou ses biens). Le juge demande au défendeur de comparaître & dirige la procédure: il rassemble les preuves, et une fois l'£ des preuves réunies le coupable est puni selon une stricte échelle des peines. 2) Privée Concerne aussi bien la matière civile que criminelle. Civile: demandeur + défendeur; criminelle: accusateur + accusé. Pas de poursuite automatique. Procédures de type accusatoire: il faut obligatoirement un accusateur =/= type inquisitoire où l'autorité publique peut poursuivre d'office. L'action en Ju commence par une citation à comparaître que le demandeur adresse au défendeur. S'il ne comparaît pas dans les délais prévus: défaut de comparution, il est alors passible d'une amende & nouvelle émission d'une citation. Au 2nd refus, le défendeur encoure la confiscation des biens et la mise hors-la-loi. Pas de présomption d'innocence. Pour la prouver: - serment purgatoire par lequel le défendeur jure son innocence, il peut alors faire appel à des cojureurs (des proches) qui ne forment pas pour autant des témoins/alibis mais attestent de sa moralité. Commence à disparaître sous la période carolingienne - modes de preuve irrationnels. Le défendeur ou l'accusé peut accepter de se soumettre à des épreuves physiques en prenant à témoin la divinité (les "ordalies"). Ordalie unilatérale ou bilatérale pour confronter les deux parties (comme le duel par les armes). Recul considérable par rapport aux techniques romaines. L'influence germanique domine partout: procédures & peines. P3. Affirmation & déclin de l'unité législative sous les carolingiens A. Le perfectionnement de l'ordre juridique Extraordinaire essor du pouvoir législatif: en 150 ans, + de 200 actes législatifs. Exaltation de la volonté d'instaurer l'unité du peuple. La chrétienté unit les peuples divers: puisque tous les sujets communient dans la même foi, ils doivent obéir à la même loi (résurgence de la res publica). Ces textes se nomment toujours capitulaires (divisés en chapitres, les "capitula"), soit à portée générale (toute une catégorie de population ou un territoire), soit à portée particulière (modification d'une ou de plusieurs lois nationales). Celles-ci doivent être approuvées par le peuple concerné: cette approbation se nomme "consensus". Quelle que soit sa portée, le capitulaire tire son autorité de la volonté du souverain. Cette volonté s'exprime dans un ordre oral, le "verbum regis": l'ordre du roi, en sus de la promulgation écrite. C’est ainsi que la législation s'uniformise progressivement jusqu'à la division du royaume au traité de Verdun. L'unité législative disparaît elle aussi & réapparaissent des dI locaux. B. Vers l'émiettement du Di Le titre impérial échappe aux descendants de Charlemagne, seulement repris par Otton Ier en 962 qui fonde le St-Empire germanique. Insécurité totale: invasions vikings, hongroises, arabes. Les souverains s'affaiblissant, ils sont incapables d'assurer la protection de leurs sujets qui se tournent vers les chefs régionaux: comtes, ducs qui exercent peu à peu, pour leur propre compte, des prérogatives de puissances publiques (Ju, impôt). Et au X/XI°s apparaissent les seigneuries regroupées autour du château-fort. Le lieu devient donc crucial pour le Di: le Di applicable n'est plus celui de la nationalité mais de la territorialité. S3. La croissance du Di canonique Clergé séculier: haut & bas clergé (pape & évêques / £ des clercs subordonnés à l'évêque & chanoines). Clergé régulier: qui vit selon une règle, soit monastères & couvents, se dév surtout à partir u VII°s. La règle de St-Benoit domine avec les bénédictins. P1. Ses sources traditionnelles La Bible et les Evangiles sont perpétuellement valables. A partir du VI°s la législation pontificale s'amenuise considérablement, principalement à cause du fade des personnalités papales, sauf Grégoire le Grand (règne 590-604). Cependant, avec les décrétales, naissance d'un Di nouveau qui s'appuie sur la tradition. De même, les conciles ne cessent quant à eux de légiférer. S’ensuit que les canons conciliaires passent assez vite d'une portée relativement régionale à une autorité générale notamment grâce aux collections canoniques qui les rassemblent. P2. Ses nouvelles sources Les pénitentielles apparaissent entre le VI° & le XII°s: listes de pêchés assorties de tarifs de pénitence. Concerne principalement des fautes religieuses donc les sanctions appliquées sont de même nature (prières, jeûnes, pèlerinage). Cependant, beaucoup d'infractions sont aussi des pêchés. Donc les sanctions religieuses concernent dans une très large part la société civile. Les statuts épiscopaux, dont seuls ont été retrouvé des textes du IX°s = actes de législation de l'évêque pour son diocèse. Concerne principalement les devoirs des clercs mais aussi des laïcs (code de conduite chrétien). En quelques siècles, l'Occident passe de l'Empire romain très structuré et éclairé à l'Empire franc souvent qualifié de période confuse & obscure. Tout s'effondre mais demeure un terreau fertile pour l’avenir.