LA GESTION INTEGREE DES RISQUES : Y A-T-IL DES ENSEIGNEMENTS A TIRER DE L’EXPERIENCE BANCAIRE ? par Jean-François Casta, Professeur à l’université Paris-Dauphine L’objet de cette intervention est de savoir si nous pourrions tirer parti d’expériences menées depuis environ une décennie au plan international. Je partirai d’un point qui est la dualité du risque : d’abord le risque pur ou risque assurable et au contraire, le risque d’affaires qui peut aussi bien engendrer des bénéfices que des pertes mais encore faut-il être capable de comprendre le lien entre rentabilité et risque. Cette relation rentabilité / risque est présente dans tous nos enseignements mais n’est pas si facile à mettre en œuvre dans des outils opérationnels. C’est ce qui me paraît intéressant dans la revue que je vais vous présenter des avancées dans le domaine bancaire. Il faut noter que ces avancées ont été faites dans un contexte de mondialisation et de complexité croissance des opérations bancaires, dans un contexte de prévention des risques systémiques dans le cadre de réglementations initiées par le comité de Bâle et relayées par les instances nationales. C’est le contexte macroéconomique qui est à l’origine de règles prudentielles qui correspondent à un très vaste chantier développé sur plus de 10 ans et qui n’est pas achevé puisque nous sommes encore dans une période de transition dans la mise en place de Bâle II. Ce qui me semble intéressant, c’est de voir comment il est possible de relier cette prévention du risque systémique à la gestion du risque global. Quelles procédures a-t-on mis en place, quelle métrique du risque a-t-on appliqué dans un domaine qui a été plus limité ? Proposition d’une typologie reconnue des risques J’ai relevé cinq avancées dans le domaine bancaire. La première est de se fonder sur une typologie des risques dans le domaine bancaire : cette typologie devait être partagée au niveau du secteur et c’est ce que l’on observe actuellement. Aujourd’hui, cette typologie reconnue retient les risques de crédit liés au risque de défaut, les risques de marché (risques de taux, de cours, de change…), les risques opérationnels qui sont le grand chantier des banques (internes ou externes, qui résultent des défaillances de processus, de systèmes ou de personnes, fraudes, incendies, attentats…). A cela s’ajoutent les risques juridiques. Cette typologie va servir à voir à quoi correspond le risque au niveau des impacts possibles, en terme d’occurrence et de gravité. Généralement, on considère que les risques de crédit correspondent approximativement à 80-85% des pertes potentielles et les risques opérationnels à 10-15%. Les risques de marchés constituent les risques restants. Il sera intéressant d’observer les mesures appliquées à ce gisement de risques auxquels vont s’attaquer les instances de tutelle dans un but de prévention des risques systémiques. Elaboration de normes prudentielles contraignant les banques à procéder à une allocation de fonds propres pour couvrir les risques identifiés Le deuxième axe qui nous intéresse est l’élaboration de normes prudentielles qui servent de garde-fous. Il s’agit de “ barrières ” qui contraignent les banques à procéder à des allocations de fonds pour couvrir les risques identifiés. Cela est assez nouveau puisqu’on associe à des risques des fonds propres qui vont servir de couverture en cas de risques supérieurs au risque normalement supportable au niveau de l’exploitation. Ici, il s’agit d’un problème de modélisation des risques d’exploitation qui, en ce moment, occupe beaucoup les banques. C’est un point qui renvoie à des bases de données à constituer avec des historiques de faits de même nature. Ces bases de données renvoient à des retours d’expérience mais dans un domaine tout de même circonscrit. En fait, le comité de Bâle a mis une “ carotte ” qui permet de faire converger les démarches. Par des processus forfaitaires d’allocation des fonds propres qui sont extrêmement coûteux pour les banques car elles auront du mal à les rémunérer au taux requis, il oblige les banques à faire la preuve qu’elles ont des modèles internes (à valider bien sûr) conçus sur des période suffisamment longues (au moins 3 ans) et validés par les autorités de tutelle, qui montreront que le risque opérationnel n’est pas aussi élevé que ne le suppose le système d’allocation forfaitaire. Ainsi, face à une allocation forfaitaire de l’ordre de 15% du PNB (Produit Net Bancaire), on obtiendrait au contraire environ 9% pour les banques qui ont commencé à mettre en œuvre des modèles. Derrière cette logique de prévention, il y a bien sûr, l’amélioration du risque opérationnel qui se met en place, du fait d’une incitation financière : la rémunération des fonds. Il s’agit d’une dynamique enclenchée pour veiller à la qualité des procédures. Amélioration du contrôle interne Une troisième dynamique est également enclenchée, visant à améliorer le contrôle interne. Cela a commencé déjà avec le règlement 97-02 du CRBF (Comité de Réglementation Bancaire et Financière) qui se montre assez strict sur les aspects de suivi et de contrôle des opérations de marché. On le voit aussi, aujourd’hui dans la mise en place du point précédemment évoqué avec la réduction des risques opérationnels qui passe par l’amélioration du contrôle interne. C’est un point sur lequel on a déjà beaucoup insisté : ce sont des acquis qui ont été imposés et qui ont commencé à porter leurs fruits dans le domaine des opérations de marché. Incitation à la construction de métriques des risques : la Value At Risk En quatrième lieu, ce qui est extrêmement intéressant, c’est l’incitation à la construction de métriques des risques pour le suivi et pour le reporting interne mais aussi pour la communication sur l’exposition au risque. Un exemple en est la fameuse Value At Risk. Dans le monde bancaire et dans le monde corporate aussi, on communique sur la Value At Risk (VAR) : c’est devenu un standard. Elle mesure la perte maximale à laquelle on peut s’attendre sur un horizon donné dans des conditions de marché normales et avec un niveau de confiance fixé à l’avance. Cela renvoie à des modèles statistiques complexes qu’il faut valider. Aujourd’hui, c’est un standard au niveau des opérations de marché, mais cela a largement dépassé le cadre des opérations de marché. La VAR a aussi dépassé le cadre bancaire pour les grandes entreprises qui ont des instruments financiers mais elle a aussi largement dépassé le cadre des instruments financiers dans la mesure où la SEC impose aux entreprises cotées aux Etats-Unis une obligation du reporting de l’exposition au risque qui peut se faire à travers la VAR ou ses dérivés comme les cash flows at risk. Donc, on a une logique de perte maximale dans un environnement donné, à un horizon donné, pour un niveau de risque donné. C’est important car cela crée des réflexes de mesure de risques en termes monétaires et donc agrégeables, ce qui est très intéressant au niveau statistique. Elaboration d’un indicateur de rentabilité corrigé du risque En cinquième lieu, on observe la création d’indicateurs de rentabilité corrigés du risque. Précédemment, nous évoquions la relation rentabilité et risque mais ici, avec les nouveaux modèles de risques intégrés à la rentabilité, comme les modèles RAROC, nous nous trouvons dans une logique où l’on essaie de corriger la performance du risque que l’on a accepté de prendre. Ce n’est pas pareil de rechercher une rentabilité de 15% avec un risque extrêmement fort et de rechercher une rentabilité de 10% avec un risque extrêmement faible. Encore faut-il pouvoir quantifier le risque fort ou faible en termes d’impact sur la rentabilité. Dans ce domaine, les modèles RAROC ont été très loin et ils sont très utilisés dans l’aide à la tarification. Est-ce qu’on tarifie correctement le client pour tenir compte du risque normal qu’on va assurer ? Si le risque est anormal, il faudra prévoir des fonds propres supplémentaires pour pouvoir supporter la perte exceptionnelle. En conclusion, je voudrais souligner cette capacité à construire des métriques de risque en termes monétaire et agrégeables, à construire des indicateurs de performance corrigés du risque et totalement intégrés, à construire des outils de reporting de l’exposition au risque qui soient eux-mêmes globalisants et enfin à lier cette logique de prise de risque avec l’allocation à prévoir pour couvrir le risque que l’on prend.