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neutre. C'est toujours prendre un risque.
Interpréter, c’est remonter d’un signe à sa signification ou, plus largement encore, c’est tâcher de
rendre compréhensible, saisissable par la pensée, des objets, des faits et des problèmes qui se
présentent comme complexes, énigmatiques, évanescents, vastes, etc.
Mais il faut remarquer que les théorèmes mathématiques et les faits de la nature, bien qu’en
certaines circonstances on puisse dire qu’ils sont interprétés, sont soumis le plus souvent à des
procédés non interprétatifs : les théorèmes mathématiques font l’objet de démonstration, les faits
naturels font l’objet d’explication en vertu d’une application des lois de la physique.
En ce sens, on aimerait peut-être dire que l’interprétation n’est rien d’autre qu’une connaissance de
second rang, possédant un faible degré de scientificité et se situant d’une certaine manière entre
l’opinion et la science. Un tel jugement sur l’interprétation, qui prendrait comme modèles les
sciences naturelles, ne comprendrait cependant son objet que négativement, par référence à ce qui
est lui est supérieur sous un aspect déterminé.
Or, il faut porter une grande attention à la diversité des usages de l’interprétation : on peut ainsi
penser à l’interprétation d’une loi, qui en détermine le champ d’application, interprétation
indispensable à toute jurisprudence devant ramener l’universel de la loi à la singularité du cas à
juger, ou encore à l’interprétation en linguistique, et notamment l’interprétation sémantique
permettant d’attribuer un sens à une structure profonde. D’une manière générale, ce qui distingue,
cette fois-ci positivement, l’interprétation d’autres formes de connaissance, c’est qu’elle n’est pas
exclusive ou unique en ce sens, premièrement, qu’il est possible qu’existe une multiplicité
d’interprétations sans qu’il y ait là une anomalie ou une insuffisance et, deuxièmement, qu’une
interprétation n’est jamais close, autrement dit qu’elle appelle sans cesse de nouvelles
interprétations, la tâche interprétative étant infini. Nous débuterons ce cours en exposant les
conceptions de l’interprétation de l’Antiquité grecque au Moyen-Âge avant de nous concentrer sur
le sens et la fonction de l’interprétation à l’époque moderne dans laquelle elle joue un rôle de
premier ordre dans cette discipline qu’est l’herméneutique ainsi que dans les sciences humaines.
Bref aperçu sur l’histoire de l’interprétation
« Donc, repris-je, il est alors nécessaire, dans de tels cas, que l'âme soit dans l'embarras sur ce que
ce sens peut bien signaler comme « le dur », si en effet il dit que la même chose est aussi molle ; et
avec celui du léger et du lourd, qu'en est-il du léger et lourd, s'il signale aussi bien le lourd comme
léger que le léger comme lourd ? Et en effet, dit-il, ces interprétations sont vraiment insolites pour
l'âme et ont besoin d'une enquête. Vraisemblablement donc, repris-je, dans de telles situations, l'âme
tente tout d'abord, en faisant appel au raisonnement et à l'intelligence, d'examiner si chacune des
choses qui lui sont dénoncées est une ou deux. » Platon, La République.
Le mot grec qui a été traduit en latin par interpretatio, puis en français par
interprétation est le mot herméneia. Platon l’utilise notamment désigner chacune des multiples
impressions (sensibles) opposées qui sont causées par certains objets, ces derniers se distinguant des
objets saisissables dans leur unité par l’intelligence. Il n’y a donc d’interprétation qu’à partir du
moment où il y a des interprétations. De plus, ce sont les sens qui interprètent les phénomènes, en
donnent une traduction à l’âme. Les sens produisent des signes ou des signaux à destination de
l’intelligence. En un autre sens, Platon évoque les poètes en tant qu’ils sont des interprètes des
dieux ou encore ceux qui interprètent les oracles. L’art interprétatif se rapproche ici d’un art
consistant à décoder des messages. Aristote quant à lui intitule l’un de ses traités De
l’interprétation (Peri hermeneias). Selon lui, la langue est l’interprète des pensées en ce sens