ANNEXE 3 : Au monde de l'esprit convient la compréhension
Les sciences morales se distinguent tout d'abord des sciences de la nature en ce que celles-ci ont pour objet des faits qui se pré-
sentent à la conscience comme des phénomènes donnés isolément et de l'extérieur, tandis qu'ils se présentent à celles-là de l'intérieur, comme
une réalité et un ensemble vivant originaliter. Il en résulte qu'il n'existe d'ensemble cohérent de la nature dans les sciences physiques et
naturelles que grâce à des raisonnements qui complètent les données de l'expérience au moyen d'une combinaison d'hypothèses ; dans les
sciences morales, par contre, l'ensemble de la vie psychique constitue partout une donnée primitive et fondamentale. Nous expliquons la
nature, nous comprenons la vie psychique.
Wilhelm Dilthey, Idées concernant une psychologie descriptive et analytique, in Le monde de l’esprit.
ANNEXE 4 : La compréhension permet de saisir le sens d’une conduite humaine
L’homme est pour lui-même et pour les autres un être signifiant puisqu'on ne peut jamais comprendre le moindre de ses gestes sans
dépasser le présent et l'expliquer par l'avenir. C'est en outre un créateur de signes dans la mesure où, toujours en avant de lui-même, il utilise
certains objets pour désigner d'autres objets absents ou futurs. Mais l'une et l'autre opération se réduisent au pur et simple dépassement :
dépasser les conditions présentes vers leur changement ultérieur, dépasser l'objet présent vers une absence, c'est une même chose. L’homme
construit des signes parce qu’il est signifiant dans sa réalité même et il est signifiant parce qu'il est dépassement dialectique de tout ce qui est
simplement donné. Ce que nous nommons c'est l'irréductibilité de l'ordre culturel à l'ordre naturel.
Pour saisir le sens d'une conduite humaine, il faut disposer de ce que les psychiatres et les historiens allemands ont nommé
« compréhension ». Mais il ne s'agit là ni d'un don particulier, ni d'une faculté spéciale d'intuition : cette connaissance est simplement le
mouvement dialectique qui explique l'acte par sa signification terminale à partir des conditions de départ.
Sartre, Question de méthode.
ANNEXE 5 : Tout est vanité et poursuite du vent
Paroles de l'Ecclésiaste, fils de David, roi de Jérusalem.
Vanité des vanités ! dit l'Ecclésiaste,
Vanité des vanités !
Tout est vanité.
Quel avantage revient-il à l'homme
De toute la peine qu'il se donne sous le soleil ?
Une génération passe, une autre vient,
Et la terre subsiste toujours.
Le soleil se lève, le soleil se couche,
Et il se hâte de retourner à sa demeure,
D'où il se lève de nouveau.
Le vent va au midi, tourne vers le nord ;
Puis il tourne encore et reprend les mêmes circuits.
[…]
On ne se souvient pas de ce qui est ancien,
Et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir
Chez ceux qui vivront plus tard.
Moi, l'Ecclésiaste, je suis depuis longtemps roi d'Israël à Jérusalem,
Et j'ai appliqué mon esprit à rechercher et à sonder par la sagesse
Tout ce qui se fait sous les cieux :
Occupation pénible
A laquelle Dieu soumet les enfants des hommes.
J’ai examiné tout ce qui se fait sous le soleil :
Oui, tout est vanité et poursuite du vent.
L’Ecclésiaste.
ANNEXE 6 : Le sens n'apparaît que par la considération d'une totalité
Nous connaissons une très petite partie d'une éternité à prolonger au-delà de toute mesure. Combien peu, en effet, représente le souvenir
des quelques milliers d'années que l'histoire nous transmet ! Et cependant, à partir d'une si petite expérience, nous jugeons témérairement de
l'immense et de l'éternel ! Comme feraient des hommes qui, nés et élevés en prison, ou si l'on préfère, dans les mines de sel souterraines de
Pologne, penseraient qu'il n'y a pas d'autre lumière au monde sinon celle des méchantes lampes qui leur suffit à orienter péniblement leurs
pas. Considérons une très belle peinture ; cachons-la tout entière, sauf une infime petite partie : que verrons-nous d'autre en elle, malgré
l'examen le plus approfondi, ou mieux : d'autant plus qu'on l'examinera de plus près, sinon un amas confus de couleurs sans choix, sans art?
Et cependant quand, le voile une fois retiré, on considérera tout le tableau d'un centre de perspective convenable on comprendra que ce qui
paraissait appliqué au hasard sur la toile a été pour l'auteur l'œuvre d'un art suprême. Ce que les yeux saisissent dans la peinture, les oreilles
le font pour la musique. De remarquables compositeurs mêlent très souvent des dissonances aux consonances, afin d'exciter et pour ainsi
dire d'aiguillonner l'auditeur ; et pour qu'il se réjouisse d'autant plus, une fois tout rentré dans l'ordre, qu'il s'était trouvé comme dans une
attente anxieuse.
Leibniz, De l’origine radicale des choses.
ANNEXE 7 : Les sens du mot « sens »