Le théorème du corps convexe de Minkowski 1. Réseaux Un réseau de Rn est un Z-module L ⊂ Rn engendré par les éléments e1 , . . . , en d’une base de Rn . On peut démontrer (exercice) qu’un réseau est un Z-module discret L ⊂ Rn de rang maximal. On rappelle que Rn est muni d’un produit scalaire canonique (x1 , . . . , xn ) · (y1 , . . . , yn ) = x1 y1 + · · · + xn yn Un homomorphisme entre deux réseaux L1 ⊂ Rn et L2 ⊂ Rm est une application linéaire ϕ : Rn → Rm telle que x · y = ϕ(x) · ϕ(y) et ϕ(L1 ) ⊂ L2 En particulier, ϕ est injective et donc n ≤ m. La somme directe (orthogonale) de deux réseaux L1 ⊂ Rn et L2 ⊂ Rm est définie de manière naturelle : c’est le réseau L1 ⊕ L2 ⊂ Rn+m . Etant donné un réseau L ⊂ Rn engendré par e1 , . . . , en , on lui associe sa matrice de Gram GL = (ei · ej ) ∈ Matn (R). Un réseau est entier si sa matrice de Gram est à coefficients entiers. On vérifie facilement que cette définition ne dépend pas du choix de la base. Comme pour les espaces bilinéaires, le déterminant det(L) d’un réseau L est le déterminant d’une matrice de Gram associée. Lemme 1.1. — Soit L un réseau de Rn . 1. Le déterminant de L ne dépend pas du choix de la base. 2. Deux réseaux sont isomorphes si et seulement si leurs matrices de Gram sont congruentes. 3. Si L = L1 ⊕ L2 alors det(L) = det(L1 ) det(L2 ). 4. Si L0 ⊂ L est un sous-Z-module d’indice fini alors c’est un réseau et det(L0 ) = [M : N ]2 det(L) Soit L ⊂ Rn un réseau. Un domaine fondamental pour L est une partie FL de Rn telle que l’application canonique Fλ → Rn /L soit bijective. En d’autres termes, pour tout y ∈ Rn , il existe un et un seul x ∈ FL tel que x − y ∈ L. Exemple 1.2. — Si L est engendré par les vecteurs e1 , . . . , en alors on peut considérer le domaine fondamental standard FL = {x1 e1 + · · · + xn en | 0 ≤ xi < 1 ∀ i = 1, . . . , n} 1 2 2. Volumes On rappelle que l’espace euclidien Rn est muni de la mesure de Lebesgue dx = dx1 . . . dxn n Si V ⊂ R est mesurable, son volume Vol(V ) est défini par la relation Z Z Vol(V ) = dx = χV dx Rn V où χV est la fonction caractéristique de T , i.e. χV (x) = 1 si x ∈ V et χV (x) = 0 sinon. Exemple 2.1. — Pour tout réel positif r, soit D(r) = {x = (x1 , . . . , xn ) ∈ Rn | x21 + · · · + x2n ≤ r2 } la boule fermée de rayon r. On a alors Vol(D(r)) = ωn rn avec ωn = π n/2 rn Γ(1 + n/2) où Γ(t) désigne la fonction gamma d’Euler. De manière plus explicite, on obtient n/2 π si n est pair, (n/2)! ωn = n (n−1)/2 ((n − 1)/2)! 2 π sinon. n! Soit ϕ : Rn → Rn un difféomorphisme. En écrivant ϕ = (ϕ1 , . . . , ϕn ), la matrice jacobienne Jϕ est définie par la relation Jϕ = (∂ϕi /∂xj )i,j Soit maintenant V ⊂ Rn un ensemble mesurable, f : Rn → R une fonction intégrable et posons W = ϕ(V ). Lemme 2.2. — Les notations et hypothèses étant comme ci-dessus, on a l’identité Z Z f dx = | det(Jϕ )|f ◦ ϕ dx W V n Soit maintenant L ⊂ R un réseau. Son volume est par définition le volume d’un domaine fondamental standard de L, Z Vol(L) = dx FL Lemme 2.3. — Soit {e1 , . . . , en } une base de L. Si B ∈ Mn (R) est la matrice ayant les ei comme vecteurs colonne (par rapport à la base standard de Rn ) alors Vol(L) = | det(B)| En particulier, Vol(L)2 = det(L). 3 Démonstration. — On vérifie facilement que l’application linéaire ϕ : Rn → Rn définie par ϕ(x1 , . . . , xn ) = x1 e1 + · · · + xn en est un difféomorphisme et que B = Jϕ (cf. paragraphe 1). De plus, en posant L0 = Zn , on obtient ϕ(L0 ) = L. Si F0 = {(x1 , . . . , xn ) ∈ Rn | 0 ≤ x1 < 1} désigne le domaine fondamental de L0 , alors F = ϕ(F0 ) est un domaine fondamental pour L. En appliquant le lemme 1.3 on ontient alors Z Z Vol(F ) = dx = | det(Jϕ )| dx = | det(B)| Vol(F0 ) = | det(B)| F F0 La dernière égalité provient de l’identité GL = τ BB. Le corollaire suivant est immédiat : Corollaire 2.4. — On a les propriétés suivantes : 1. Le volume d’un réseau est indépendant du choix de la base. 2. Soient L1 ⊂ L2 deux réseaux de Rn . Alors Vol(L1 ) = [L2 : L1 ] Vol(L2 ). 3. Le théorème du corps convexe Nous allons commencer par un lemme concernant les ouverts bornés de Rn . Lemme 3.1. — Soit V ⊂ Rn un ouvert borné de volume strictement supérieur à 1. Alors il existe x, y ∈ V tels que x − y ∈ Zn . Démonstration. — Soit F = {(x1 , . . . , xn ) ∈ Rn | 0 ≤ xi < 1} le domaine fondamental standard associé au réseau Zn . C’est un ensemble mesurable de Rn . Pour tout g ∈ Zn , soit F + g le translaté de F par g. On a clairement (F + g) ∩ (F + g 0 ) = ∅ pour g 6= g 0 et Rn = ∪g (F + g). L’ensemble Vg = V ∩ (F + g) est mesurable et V est l’union disjointe des Vg . De plus, il existe un nombre fini de g ∈ Zn tels que Vg 6= 0. On en déduit l’identité X Vol(V ) = Vol(Vg ) g∈Zn Soit finalement Vg0 = Vg − g = {x ∈ F | x + g ∈ V }. Si l’on avait Vg0 ∩ Vg00 = ∅ pour tout g 6= g 0 , on obtiendrait X X Vol(V ) = Vol(Vg ) = Vol(Vg0 ) ≤ 1 g g qui est en contraddiction avec l’inégalité Vol(V ) > 1. Il existe donc g, g 0 ∈ Zn , g 6= g 0 tels que Vg0 ∩ Vg00 6= ∅. En d’autres termes, il existe x ∈ F tel que u = x + g, v = x + g 0 ∈ V et u − v est alors un élément de Zn , ce qui achève la démonstration. 4 Un sous-ensemble V ⊂ Rn est convexe s’il est non vide et si pour tout x, y ∈ V , le segment joignant x et y est contenu dans V . En d’autres termes, on a la relation x, y ∈ V ⇒ tx + (1 − t)y ∈ V pour tout 0 ≤ t ≤ 1. Un corps convexe est un ouvert borné convexe V ⊂ Rn . Un point O ∈ Rn est un centre pour V si pour tout P ∈ V , le point P 0 obtenu par symétrie centrale par rapport à O appartient lui aussi à V . Théorème 3.2 (Minkowski). — Soit V ⊂ Rn un corps convexe ayant l’origine comme centre. Si Vol(V ) > 2n alors V contient un point à coordonnées entières différent de l’origine. Démonstration. — L’ouvert V 0 = 21 V obtenu par homothétie de centre l’origine et de facteur 1/2 est un corps convexe de volume Vol(V 0 ) = 2−n Vol(V ) > 1. On applique alors le lemme 3.1 pour en déduire l’existence de deux éléments distincts x, y ∈ V 0 tels que g = x − y ∈ Zn . Par construction, 2x, 2y ∈ V et, le corps convexe V ayant l’origine comme centre, on en déduit que −2y appartient à V . Finalement, toujours par convexité, le milieu du segment joignant 2x à −2y appartient à V . Ce dernier étant égal à g, le thèorème est démontré. Corollaire 3.3. — Soient L un réseau et V un corps convexe (ayant l’origine comme centre) de Rn . Si Vol(V ) > 2n Vol(L) alors V contient un point de L différent de l’origine. Démonstration. — Fixons une fois pour toutes une base {e1 , . . . , en } de L et considérons l’isomorphisme ϕ : Rn → Rn défini par ϕ(x1 , . . . , xn ) = x1 e1 + · · · + xn en On vérifie facilement que ϕ(Zn ) = L et que V 0 = ϕ−1 (V ) est un corps convexe de volume strictement supérieur à 2n ayant l’origine comme centre. Le théorème 4.3 affirme alors que V 0 contient un point de Zn différent de l’origine ; limage de ce dernier par ϕ est alors un point de L ∩ V différent de l’origine. Corollaire 3.4. — Les hypothèses étant celles du corollaire précédent, si Vol(V ) ≥ 2n Vol(L) alors il existe un point de L différent de l’origine appartenant à V ou à ∂D. Corollaire 3.5. — Tout réseau L ⊂ Rn possède un point x tel que 0 < x · x ≤ 4(ωn−1 Vol(L))2/n Démonstration. — Considérons la boule fermée D(r) centrée en l’origine et de rayon r = 2(ωn−1 Vol(L))1/n . Son volume étant égal à ωn rn = 2n Vol(L), le théorème du corps convexe de Minkowski affirme que D(r) contient un point de L différent de l’origine. 5 Lemme 3.6 (Eisenstein, Hermite). — Soient n et d deux entiers. Alors il existe un nombre fini de classes d’isomorphisme de réseaux entiers de rang n et de déterminant d. Démonstration. — On procède par récurrence sur le rang n. Pour n = 1 le résultat est clair, il existe un seul réseau de déterminant d (à isomorphisme près). Soit donc L ⊂ Rn √ un réseau de déterminant d, de telle sorte que Vol(L) = d. D’après le corollaire précédent, il existe une constante c = c(n, d) telle que L contienne un élément x avec 0 < N = x·x < c. Considérons le sous-Z-module L0 = {y ∈ L | x · y ≡ 0 (mod x · x) On a alors la suite exacte 0 → L0 → L → Z/N Z En particulier, L0 est d’indice fini dans L. C’est donc un réseau et, clairement, on obtient [L : L0 ] ≤ c. De plus, on a la décomposition en somme directe orthogonale L0 = Zx ⊕ (Zx)⊥ En particulier, L0 = (Zx)⊥ est un réseau de Rn−1 de déterminant det(L0 ) = det(L0 )/[L0 : L0 ] = [L : L0 ]2 det(L)/[L0 : L0 ] ≤ c2 d et, par hypothèse de récurrence, il existe un nombre fini de choix pour L0 , à isomorphisme près, et donc un nombre fini de choix pour L0 . Le lemme est démontré en remarquant que L ⊂ 1/N L0 et qu’un réseau admet un nombre fini de sous-réseaux d’indice borné.