les Européens - Au fil de l`Info

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RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS
10 au 12 octobre 2008
LES EUROPEENS
1- Migrations, immigrations, diasporas : d’où viennent les Européens ?
2- La Méditerranée, une frontière ?
3- Un vecteur de la montée de l’individualisme européen : les confréries
4- Les strates historiques de la construction européenne
5- L’identité européenne
6- Les émeutes de la faim
7- Chrétiens, les Européens ?
8- La Bible dans la conscience des Européens du 17ème au 19ème siècle
9- 1492-1945 : pourquoi l’Europe s’est-elle imposée au monde ?
10-Les frontières sont-elles le malheur de l’Europe ?
11-Les Québécois se sentent-ils plus Européens qu’Américains ?
12-Québec, terre d’accueil ! Terre d’écueil ! 4 siècles dans l’histoire de la
migration européenne vers l’Amérique
13-La Grande Guerre, entre pacifisme et patriotisme
14-Les Turcs sont-ils Européens
Alain RENIE
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS
10 au 12 octobre 2008
Migrations, immigrations, diasporas : d’où viennent les
Européens ?
Claire SATINEL, professeur à l’Université de Tours
Jean-Jacques AILLAGON, commissaire de l’exposition Rome et les Barbares
Alessandro BARBERO : professeur à l’Université de Turin
Philippe RYGIEL, professeur à Paris-I
Claire Satinel :doit-on parler de déplacements de populations ou de racines ?on a les grand
mythes de l’Antiquité : Ulysse, Gilgamesh, Abraham… Y a-t-il des moments importants de
migrations dans l’histoire ?
Jean-Jacques Aillagon : on peut dire que le 1er millénaire de notre ère est marqué par une
« mobilité en tous sens » ; c’est l’époque de la migration absolue ; on a les normands et les
Magyars qui se sédentarisent à la fin du millénaire. L’Europe est née du démembrement de
l’empire romain ; c’est le compromis de tous les systèmes. Le 2ème millénaire est marqué par
l’exportation de l’Europe ; le 3ème sera-t-il un nouveau cycle d’importation ?
Alessandro Barbero : on constate des temps forts dans les migrations avec des groupes
entiers qui vont dans la même direction : les invasions barbares, le départ vers l’Amérique au
19ème et 20ème siècles. Mais les migrations ce sont aussi des gens qui vont du village à la ville
ou dans une autre région ; on a aussi parfois les migrations saisonnières de la montagne vers
la ville. Dans les villes du Moyen Age, de nombreux habitants sont nés ailleurs. Dans tous les
villages, la mobilité existe au moins pour une minorité. La Venise du 15ème siècle compte des
milliers d’Allemands. Le plus souvent, on a un brassage dans l’espace. Parfois, un groupe
laisse une empreinte très forte : les Francs vers la Gaule aux 4ème et 5ème siècles (ils donnent
même le nom de France) ; les Lombards s’implantent en Italie du Nord au 6ème mais ne sont
que 100 à 200.000 personnes dans un pays de 5 millions d’habitants. En démographie, les
évolutions ne sont pas considérables, mais les changements sont durables.
Philippe Rygiel : il faut faire attention aux mots ;en Europe (les 27 de l’Union Européenne)
on a sur les migrations au mieux une idée avec des contours très flous. De plus, pendant très
longtemps, personne ne compte les mouvements de population, parce qu’il faut pour cela des
fonctionnaires et un Etat (cela coûte cher…). Jusqu’en 1914, on quitte l’Europe pour les
colonies, le nouveau Monde, l’Australie; mais de très nombreux Italiens reviennent des Etats
Unis. Après 1914-1918, l’Europe n’est plus une zone de départ ; c’est un espace qui se
remplit avec les migrations post-coloniales (fin des empires britannique et français).
Actuellement, l’Europe est attractive pour ses anciennes colonies mais aussi pour d’autres
régions (Turquie, Caucase, Chine qui n’ont jamais été des colonies européennes).
Dans l’espace européen, la circulation des populations est ancienne et permanente : à la fin du
13ème la cathédrale d’Uppsala (suède) est construite par des maçons creusois ; on parlait des
langues très diverses sur les chantiers. La guerre de 30 ans a amené des départs massifs de
populations des zones dévastées (et donc la question des réfugiés). Aux 17ème et 18ème on a
des migrants économiques : les Auvergnats vers l’Espagne (maçons, boulangers, artisans…)
et cela s’arrête avec Napoléon. Au 19ème de nombreux Italiens sont sur les chantiers
industriels ; en 1848 à Paris on trouve de nombreuses émeutes xénophobes contre les
Allemands.
Claire Satinel : l’empire romain a connu de nombreux mouvements de population à
l’intérieur de ses frontières ; les migrations externes (Germains, Parthes..) sont peu
nombreuses en quantité. Au 4ème siècle, on a un important afflux venus de l’extérieur
(Alamans, Sarmates…) ; sont-ils extérieurs à l’Europe ?
Jean-Jacques Aillagon : la question est qu’est-ce que l’Europe ? C’est un morceau de
l’Eurasie avec des limites convenues (Oural, Atlantique, Arctique). C’est plus complexe au
Sud où l’Afrique du nord a souvent été amarrée à l’Europe ; c’est aussi très complexe avec le
Bosphore.
L’empire romain connaît une double fracture : Nord et sud de la Méditerranée , orient grec et
occident latin. L’Europe a une réalité confessionnelle : territoire qui n’est pas grec ni
orthodoxe. Cette Europe est catholique latine a se reconnait dans une identité partagée. En
2008, l’Union Européenne déborde ce territoire (Grèce, Roumanie, Bulgarie…). Clovis est roi
des Francs, mais son royaume est peuplé de Gallo-Romains ; parfois des petits groupes
peuvent imposer leur influence (cf. aussi l’Afrique de l’Ouest aux 19ème et 20ème siècles…).
L’idée d’Europe a donc un caractère très mouvant.
Claire Satinel : les Francs viennent d’où avant d’être en Gaule ? Sont-ils Européens ? Peuton comparer l’établissement des Francs et des Huns ?
Jean-Jacques Aillagon :les Francs sont les moins nomades des peuples barbares ; ce sont des
Belges…
Philippe Rygiel : il faut distinguer les réalités spatiales et politiques ; il faut voir le discours
d’où émerge l’idée que l’Europe a des ancêtres : l’empire romain, la chrétienté occidentale, ce
qui ne correspond pas aux mêmes espaces topographiques ; mais les musulmans sont aussi les
successeurs de l’empire romain.
En France, on compte de très nombreux immigrés belges ; à la fin du 19ème à Roubaix, on a de
nombreuses émeutes contre les Belges. En fait, il y a les nationaux et les autres : on fait la
« chasse » aux Belges, Italiens… et il y a des morts. Les Européens sont des gens pour
lesquels la 3ème génération antérieure venait d’ailleurs. La « vague conscience d’appartenir à
un ensemble est très récente ».
Alessandro Barbero : d’où viennent les Francs avant ? En fait ils n’existent pas avant de
venir en Gaule (comme les Huns). Le peuple se forme au moment de son déplacement ; les
tribus sont en contact avec les Romains ; elles se confédèrent et s’organisent avec un chef (on
peut faire la comparaison avec les Indiens en Amérique du Nord) ; les peuples se donnent un
nom nouveau, s’inventent une identité avec des ancêtres mythiques (par exemple les Francs se
disent descendants de Troie) ; ils veulent s’emparer de la civilisation romaine et non la
détruire ; ils veulent récupérer la notion d’impôt et la gloire. Les peuples qui ont du succès
restent en place : les Francs ; les Huns ; les Avars disparaissent parce qu’ils sont battus ; les
gens cherchent alors d’autres chefs. En fait les peuples n’ont pas d’identité biologique.
Philippe Rygiel :les Européens sont en train de naître à partir des tribus germaniques qui
s’inventent un passé, des ancêtres…Au 19ème, on a ainsi créé les Lituaniens. Les Européens
seront ce que nous en ferons.
Claire Satinel : les Goths se sont installés au 6ème siècle en Italie, mais ils ont été vaincus par
les Byzantins en 580 et ils disparaissent de l’histoire. Or, on a déjà à l’époque une réflexion
sur ce qu’ils deviennent ; en fait ils fabriquent ce que deviendront les Goths dans la mémoire
future ; ils ne sont pas exterminés (cf les documents de l’Eglise de Ravenne). On a des
migrations qui aboutissent à des assimilations en quelques générations et parfois ces migrants
donnent une identité nouvelle : les Lombards forment la Lombardie, les Francs donnent
Francia.
Jean-Jacques Aillagon : les Goths connaissent un phénomène d’acculturation rapide ; ils
rêvent de devenir des « gens du cru » (cf l’évolution des rites funéraires de l’Aquitaine
wisigothique).
Alessandro Barbero : l’identité nationale et ethnique est quelque chose qu’on choisit, même
si ce choix n’est pas très conscient au Moyen Age. Après la conquête byzantine en 580, il
vaut mieux ne pas être Goth…C’est la même chose au Nord de la Loire où il vaut alors mieux
être Franc que Gallo-Romain (je vis en Francia, j’obéis au roi des Francs, je donne un nom
franc à mes enfants, j’adopte la coutume franque comme la loi salique…) ; avec
Charlemagne, tout le monde au nord de la Loire se dit Franc ( les chroniqueurs de
Charlemagne ont le sentiment que les Romains ne sont plus là…).
Philippe Rygiel :à l’époque contemporaine, c’est plus compliqué parce que nous avons de
nombreuses sources. La migration est un déplacement de population qui a toujours des
implications politiques (cf le Far West avec les immigrants et les pionniers qui étaient des
immigrants…).
On voit des transformations d’une génération à l’autre : habitudes alimentaires, la présence
des femmes debout pendant les repas…En France, les migrants les moins assimilés sont les
Polonais dans le Nord : ils pratiquent la langue polonaise dans la vie privée, mais ils se
sentent français.
Claire Satinel : parler migrations, c’est aussi parler des frontières. Les frontières sont faites
pour être passées. Les Européens sont formés d’une population pour qui le mouvement
compte en permanence ; ils sont le fruit de migrations permanentes ; il n’y a jamais eu de
frontières complètement closes.
Jean-Jacques Aillagon : il faut avoir l’idée de fouiller son histoire familiale ; l’idée que les
gens ne seraient que du cru est un mythe. L’identité européenne est une identité construite.
Les rois barbares (Chilpéric ou Théodoric qui restaure l’aqueduc à Ravenne) voulaient vivre
comme des empereurs romains. Nous avons intérêt à nous construire une culture pour éviter
les préjugés.
Alessandro Barbero :les historiens cherchent à sortir des lieux communs ; on n’a pas
d’histoire immobile, on n’a pas de sang particulier…dans toutes les réalités, on a rencontré la
haine de ceux qui viennent d’ailleurs, la difficulté de les intégrer, la fatigue de la migration.
Philippe Rygiel :l’Europe, c’est une histoire politique, donc une histoire conflictuelle ; on a
des violences ; en 1840 on a à paris des batailles rangées entre des Auvergnats et des creusois,
des anciens du Finistère et des anciens des Côtesd’Armor. On a aussi des groupes en
reconstruction.
Alessandro Barbero : nous n’avons pas parlé des Arabo-musulmans parce que ce n’est pas le
sujet. Les Arabes ont des racines dans la civilisation gréco-romaine ; ils ont intégré la culture
hellénique ; au 3ème siècle, il y a un empereur romain qui s’appelle Philippe l’Arabe ; on a eu
du christianisme sur des populations fixes arabes. L’Islam n’existerait pas sans le judaïsme et
le christianisme. Ensuite l’Islam a pu se passer des apports de l’Europe occidentale. En Sicile
et en Espagne, les musulmans ont été battus ; à la défaite ils ont été expulsés parce qu’on ne
peut pas être musulman et vivre dans la chrétienté au 15ème siècle.
Claire Satinel : l’Islam est une migration de conquête militaire avec une installation
quantitativement peu importante ; dans l’Espagne arabe, on peut réussir en étant chrétien.
Philippe Rygiel :au Moyen Age et à l’époque moderne, l’Islam est l’adversaire ou l’ennemi.
A l’époque contemporaine, c’est différent ; une partie de l’Europe est sous domination
musulmane (l’empire Ottoman) ; Au 19ème, la Turquie est appelée « l’homme malade de
l’Europe ». En 1918, la Turquie perd pied en Europe. Vers 1945-1950, les pères de l’Europe
sont démocrates-chrétiens, donc l’Islam est en dehors de l’Europe ; mais la Turquie entre dès
1949 au Conseil de l’Europe.
Claire Satinel : quelle est la place de la langue dans la mouvance des populations ? Pourquoi
certaines langues ont-elles résisté (polonais, basque…) ? dans le monde romain, le latin et le
grec sont la langue des élites ; cela permet les échanges et la culture savante. En fait le
bilinguisme est très répandu : latin ou grec avec la langue locale. On a en fait une langue
dominante et des langues locales ; cela facilite les déplacements : voir les textes de Saint
Augustin. On assiste aussi à des transformations de langues.
Jean-Jacques Aillagon : avec la carte linguistique de l’Europe actuelle, on voit les mondes
romanisées, germaniques et slaves. En Belgique, on a une frontière très douloureuse qui est le
reste d’influences très anciennes. L’anglais devient une langue d’usage commun en Europe
aujourd’hui.
Philippe Rygiel : les langues sont aussi des constructions historiques ; elles naissent et
disparaissent. Par exemple, l’italien n’existe pas avant le 19ème siècle. La linguistique et les
hommes ne se superposent pas toujours : Canada, Suisse. Le multilinguisme est une norme
ancienne : voir les nombreuses langues parlées dans la France du 19ème siècle.
Alain RENIE
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
La Méditerranée, une frontière ?
Jamaa BAIDA, professeur à l’Université de Rabat
Brahim BOUTALEB, professeur à l’Université de Rabat
Maurice SARTRE, professeur émérite à l’Université de Tours
Brahim Boutaleb : il y a 2 entrées possibles sur un tel sujet : la Méditerranée et les
Européens ; qu’est-ce qu’une frontière ? La Méditerranée est notre berceau commun mais les
clivages et les luttes sont toujours présents. Nous devons revoir ces notions dans une
perspective longue.
Maurice Sartre : les Européens ont pris l’habitude aujourd’hui qu’il n’y ait plus de
frontières. Dans l’Antiquité, la frontière c’est l’extrémité du territoire, c’est un espace pour
l’intégration des jeunes. Aujourd’hui, on coupe le monde entre Nord et Sud ; la coupure passe
par la Méditerranée et non par le Sahara. A l’échelle de la terre, la Méditerranée est un « petit
lac » qui nous réunit. L’empire romain est la seule époque où toute la Méditerranée est sous
une seule autorité. Il a duré plusieurs siècles et a réuni tous les peuples ; c’est une période
d’unité politique et économique, même s’il y a aussi une diversité culturelle et religieuse.
La Méditerranée est un bien commun qui procure les ressources de la vie. Toute l’Europe est
bâtie sur des civilisations qui ont des racines dans la Méditerranée : le développement urbain,
la philosophie politique…
Jamaa Baida :la question de frontière pose des problèmes complexes. Pour certains, la
Méditerranée est un creuset de civilisations, un lac commun, une frontière (il est plus difficile
d’avoir aujourd’hui un visa en venant du Maroc que dans les années 1970 pour un étudiant
marocain). Il y a actuellement des murs qui s’érigent : les barbelés de Ceuta et Melilla, les
cadavres collectés en Espagne et Sicile, les émigrants qui viennent mourir. L’Union
Européenne s’élargit vers l’Est et élargi le fossé avec le Sud. Il y a la famille européenne et les
voisins du Sud : qu’est-ce qui fait qu’on est dans la famille ou avec les voisins. Le processus
de Barcelone en 1995 a fait de la Méditerranée un partenaire privilégié. On constate une
tendance à valoriser l’élément religieux ; le fossé s’est encore creusé depuis le 11 septembre.
Quelle place la religion prend-elle dans la relation Nord-Sud ?Au Moyen Age, la religion est
une passerelle et cela est devenu une fracture culturelle. En juillet 2008 le projet d’Union Pour
la Méditerranée n’est pas partagé par les 27 de l’Union Européenne et ressemble à une
tentative pour remodeler les rapports Nord-Sud.
Brahim Boutaleb : la notion de frontière est plus complexe dans le monde arabe ; la
frontière, c’est « garder ses limites » selon le Coran. Pour le peuple, « l’Europe, c’est les
Nazaréens ». Mais aussi, on peut voir qu’il y a plusieurs Maroc (musique, cuisine….). Est-ce
que les frontières existent plus dans les têtes que dans la nature ?Il faut faire un effort
considérable de changer dans nos têtes ; il faut donc multiplier les contacts. Des gens du Nord
disent : « faites comme nous, mais ne soyez pas chez nous »… On peut être inquiet de voir le
déclin actuel de l’école arabisante française ; la langue arabe est peu apprise en France. Le
Maroc compte environ 10.000 Français, la France compte 700 à 800.000 Marocains…Cela
devrait être un échange formidable ; les Français n’ont pas besoin de visa pour aller au Maroc,
mais les Marocains doivent en avoir un pour venir en France. Et pourtant, il y a actuellement
moins d’hostilité contre les Français que dans les années 1950.
Maurice Sartre :les frontières sont dans nos têtes ; ce sont des notions relatives et des
constructions humaines qui peuvent évoluer. Des deux côtés du Bosphore, on a toujours le
même pouvoir ; Gibraltar n’est une frontière que depuis 1492. Les théories des néoconservateurs américains empoisonnent nos esprits en créant des frontières là où elles
n’existent pas et cela pousse au désespoir des populations. « Je suis bien accueilli au Maroc et
dans les autres pays d’Afrique et d’Asie ; mais en France, il y a au moins 3 contrôles au
départ… ». Cela crée un déséquilibre, de l’amertume. On durcit les frontières.
En histoire, les frontières naturelles n’existent pas. Il faut faire l’inventaire de tout ce que
l’Europe doit à l’Islam ; au 19ème siècle, l’empire ottoman est « l’homme malade de
l’Europe ». La diversité est aussi en Europe. Il ne faut pas confondre Union Européenne et
Europe. Les continents sont une création humaine. Les Grecs avaient fait une construction
mathématique de trois ensembles (Asie, Europe, Afrique) ; ils estimaient que l’Europe était le
plus grand et l’Afrique le plus petit.
Jamaa Baida : la Méditerranée est un accident géographique qu’on peut dévier. En
septembre 2008, le Maroc et l’Espagne ont relancé un projet de tunnel (qui existe depuis la fin
du 19ème siècle). Des efforts sont nécessaires de part et d’autre de la Méditerranée et ils
doivent être communs. Pour des musulmans, il y a le « dar-islam »(la maison de la paix) et la
maison du mécréant. Qu’apprenons-nous dans nos manuels scolaires ? Il faut mettre l’accent
sur l’enseignement parce que cela forme l’avenir et les citoyens de demain.
Brahim Boutaleb :je suis optimiste dans le long terme et pessimiste dans le court terme. La
Méditerranée est un carrefour et j’ai du mal à imaginer une frontière dans un carrefour. La
Méditerranée a inventé les trois monothéismes pour faire le bien ; il faut lire ensemble le
Coran et la Bible ; toute religion a pour but de faire le bien.
Maurice Sartre :on trouve un art de vivre tout autour de la Méditerranée, qui dépasse le
religieux. On trouve des comportements sociaux semblables à Alexandrie, Izmir,
Barcelone…même s’il y a des différences. Il faut développer les voyages et les rencontres. Il
faut prendre du recul avec les constats de l’immédiat et se remettre dans la longue histoire.
Brahim Boutaleb : qu’en est-il de la frontière de la femme enfermée ? Est-ce seulement une
question d’éducation ? En fait c’est une frontière mentale.
Jamaa Baida :le Nord a aussi des frontières mentales. En portant le voile, on érige une
frontière.
Maurice Sartre :dans les années 1970, les femmes grecques se cachaient dans les maisons à
l’arrivée d’un étranger. On constate aussi un recul dans certains pays ; c’est une crise de
désespoir et un problème de modernité. La frontière a aussi un rôle de formation civique dans
l’intégration des nouveaux citoyens. Y a-t-il encore des rites d’initiation dans nos sociétés ?
L’Europe actuelle n’a pas de frontières de fait ; mais on a des frontières linguistiques, des
frontières culturelles vivantes ; c’est bien parce que les groupes ont besoin de se retrouver
dans une identité.
Alain RENIE
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
Un vecteur de la montée de l’individualisme européen
Les confréries
Marie-Hélène FROESCHLE-CHOPARD, professeur d’Université
On peut penser que l’individualisme européen est ancien ; il remonte aux 17ème et
18
siècles avec la montée vers les droits de l’homme. La religion a été un élément
important de l’inconscient ; au 18ème, la très grande majorité de la population est catholique ;
comment le catholicisme a-t-il contribué à cette notion d’individualisme ? Faut-il prendre les
textes de l’époque ? la religion du peuple (les « superstitions » selon les évêques) ? La réalité
est probablement entre les deux.
ème
Dans ce cadre, les confréries sont un groupe intermédiaire entre les
ecclésiastiques et le peuple. Elles connaissent des transformations de la fin du Moyen Age
jusqu’à la fin du 18ème .
Les confréries sont des groupes volontaires de fidèles, dans un cadre choisi,
contrairement à la famille ou à la paroisse. Elles répondent aux besoins de l’âme et du corps ;
c’est une société à part avec la fraternité (on s’appelle « frère » par référence aux Actes des
Apôtres et au psaume 223), la piété (on fait des œuvres de piété pour tous et par tous pour
aller vers le salut, donc des prières, des messes). Ces sociétés sont confrontées à des pouvoirs
méfiants : l’Etat qui a peur des séditions et l’Eglise qui craint les hérésies.
Les confréries médiévales pratiquent l’intercession, avec la protection d’un saint. Elles
ont une assemblée annuelle avec des rites précis et obligatoires : à la fête annuelle, on assiste
à une messe solennelle, suivie d’un repas et d’une messe de requiem le lendemain pour les
défunts ; après le repas, on rend les comptes, on accepte les nouveaux membres, on désigne
les nouveaux responsables, on exalte le saint protecteur. Il n’y a pas de différence entre la
messe et le repas, c’est la même communion. La présence y est obligatoire sous peine
d’amende. Par exemple, les confréries du Saint Esprit ont leur fête à la Pentecôte, le repas doit
être un festin (signe de la fonction spirituelle du banquet) ; la confrérie organise le
déroulement des funérailles de ses membres. La confrérie est le moyen du salut ; l’humanité
est solidaire de toutes les fautes ; le Christ rachète les fautes ; on accumule les messes, les
bonnes œuvres. La confrérie est un groupe solidaire et Dieu est pour tous.
Aux 15ème et 16ème siècles, on trouve les confréries de Pénitents ; elles se réfèrent aux
flagellants anciens. La dévotion est influencée par l’imitation du Christ dans sa passion. On a
donc des obligations ; il faut se confesser et communier au moins 4 fois par an à des dates
précises ; le pénitent a des obligations morales : pas de blasphème, pas de luxure, ne pas
fréquenter les tavernes… La confrérie est le lieu privilégié du laïcat chrétien ; on conserve
des aspects médiévaux : le repas (qui a lieu le jeudi Saint). Le recrutement se fait par
cooptation et il n’y a pas d’intervention du clergé. La confrérie est un corps politique qui se
gouverne lui-même. La chapelle de la confrérie est souvent en dehors des églises. Cela amène
la réaction des évêques ; en 1549, Charles Borromée demande à contrôler tous les livres des
confréries de Pénitents pour vérifier que leur action est conforme à leurs statuts. Les Pénitents
se conforment aux demandes épiscopales tout en essayant de garder leur autonomie. On voit
se développer les images de la Vierge, la dévotion de la Passion (voir les tableaux, les textes,
les livres de piété…).
Les statuts évoluent ; la communion est plus fréquente, le prieur de la confrérie
continue à être élu, mais il y a une présence permanente du clergé, la flagellation est
abandonnée, la présence du prêtre (nommé par l’évêque) est indispensable pour les
sacrements.
On aboutit aux confréries du Saint Sacrement avec une importante dévotion
personnelle (communions fréquentes). Cela permet d’aller peu à peu vers les confréries
dévotes des 17ème et 18ème siècles. Il y a une forte augmentation des actes religieux
individuels, un examen de conscience quotidien, des confessions et communions de plus en
plus fréquentes. La vie associative recule ; par exemple, le repas de la confrérie tend à
disparaître. Dieu est pour tous, mais sur un mode personnel ; on arrive à la piété individuelle :
Dieu est pour soi.
Ces confréries dévotes réaffirment les dogmes du catholicisme ; elles se développent
après le concile de Trente (Contre Réforme) avec une forte dévotion à la Vierge, à la présence
réelle de Jésus Christ dans l’Eucharistie. Ces confréries sont cependant très diverses.
Les confréries du Rosaire sont un bon exemple. La première est attestée vers 1470 à
Douai, créée par un dominicain ;c’est une communauté de prières ; chacun s’engage à réciter
chaque semaine le Rosaire (15 Pater et 150 Ave). C’est le passage du couvent au monde laïc ;
la prière est universelle ; la promesse du salut est pour tous. La prière doit aussi être
méditation avec les 15 mystères du Rosaire, qui devient une sorte d’Evangile en images. La
confrérie se développe par la diffusion des images.
La victoire de Lépante (1571) est attribuée aux mérites du Rosaire ; c’est donc un
important travail contre toutes les hérésies, y compris les protestants. Les Frères Prêcheurs
jouent les intermédiaires entre les confréries et Dieu.
Au 17ème, il y a évolution ; le Rosaire protège des flammes du Purgatoire et œuvre au
salut. C’est une protection. Peu à peu les confréries ne sont plus considérées comme
nécessaires. Au 18ème apparaissent les confréries du Saint Sacrement où la participation se
réduit à une inscription et à des pratiques individuelles ; ce ne sont plus des confréries ; vers
1750-1770, plus de 10% des créations sont des confréries du Saint Sacrement.
En conclusion, la dévotion s’est transformée du Moyen Age à la Révolution. La vie
associative recule ; on développe l’importance de la relation personnelle à Dieu. Tout cela
facilite l’apparition d’un état d’esprit favorable à l’affirmation de l’individu.
Alain RENIE
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
Les strates historiques de la construction européenne
Jacques LE GOFF, professeur émérite des Universités
Dans les grands traits de l’histoire de l’Europe, il faut prendre en compte 3
considérations :
- l’histoire est à la base de l’Europe ; les Etats considèrent l’histoire comme une
matière essentielle ;
- il n’y a pas de déterminisme historique : l’Europe unie doit être un choix libre ;
- l’histoire est lente.
On a donc une succession de strates qui laissent des héritages et constituent
un socle consolidé et modifié.
La strate préhistorique existe ; il faudrait la préciser.
La strate gréco-romaine est importante ; l’histoire commence avec la Grèce ;
au début, il y a le mythe de Zeus qui enlève la princesse phénicienne Europe et l’emmène en
Occident. Par ce mythe, les Grecs soulèvent déjà la question des rapports avec l’Orient :
échanges, réceptions, conflits…On a tendance à oublier dans l’héritage grec la notion de
l’esprit critique (Socrate…) pour le relier à la démocratie. L’esprit critique est une des
grandes particularités de l’esprit européen.
Rome a donné en héritage la langue latine, qui reste enseignée très longtemps ;
il y a bien le problème des langues pour des gens qui vivent ensemble. On peut se résigner à
user de la langue anglaise « qui n’est pas une langue ». Il faut garder les langues nationales,
parce que c’est l’Europe des nations. Il faudrait enseigner dans chaque pays une autre langue
européenne.
Rome a aussi légué les types d’architecture (classique, néo classique) qu’on
trouve dans l’art contemporain. Rome a aussi apporté la nécessité primordiale du droit ;
l’activité des hommes, des états doit être régie par le droit.
Le christianisme est important ; il est né au Proche-Orient et se diffuse en
Europe sur un terreau favorable. La diffusion est lente et se fait par les guerres et les missions.
Puis le christianisme s’est séparé en deux (grec et romain), ce qui a donné une division
importante de l’Europe. Le christianisme latin semble avoir été le plus important avec une
capitale, un dirigeant (le pape). La perte de Byzance (1453), puis des colonies a resserré
l’Europe et facilité l’unité. La christianisation a permis d’éviter la théocratie (« rendez à Dieu
ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César »), ce qui n’est pas le cas dans le judaïsme et
l’Islam. On a aussi un héritage barbare qui enrichit l’Europe (par exemple dans les lois).
Le Moyen Age donne à l’Europe l’université et l’éducation supérieure avec les
créations au 12ème siècle des universités de Bologne, Paris, Cambridge, Salamanque,
Cracovie, Uppsala…Les bourses Erasmus sont un héritage lointain de ces universités.
Le Moyen Age a aussi apporté l’Europe des saints ; ce sont des héros qu’on
glorifie : voir la toponymie de saint Martin dans toute l’Europe. Le 4ème concile de Latran en
1215 rend la confession obligatoire au moins une fois par an ; cela développe la pratique de
l’examen de conscience et on arrive à la psychanalyse…
La perte de l’empire byzantin permet à l’Europe de mieux s’unir ; cela enlève un
obstacle à l’union européenne.
Ensuite, avec Fernand Braudel, on parle de « l’Europe-monde » ; les Européens
s’étendent par le commerce, la colonisation ; elle s’éparpille et sort de son territoire initial. La
Réforme, au 16ème siècle, ne change pas la marque chrétienne sur l’Europe ; mais en 1570, par
l’Union d’Utrecht, les Provinces-Unies constituent un important espace de liberté. L’Europe
développe la connaissance du monde (Copernic, Galilée…).
Le 17ème siècle est un siècle de guerres européennes ; les traités de Westphalie
(1648) et d’Utrecht (1713) simplifient la carte de l’Europe et sont une « pré-démocratie ».
L’Angleterre avec ses révolutions de 1628, 1649, 1680 et surtout l’Habeas Corpus de 1679
donne un premier instrument de liberté.
Les Turcs sont définitivement arrêtés devant Vienne en 1683 ; mais ils restent dans
les Balkans jusqu’en 1914.
Le 18ème est le « beau siècle européen » avec les Lumières : Newton,
l’Encyclopédie, Voltaire…C’est la recherche d’un savoir universel et précis et ce sera le
début de la révolution industrielle avec la machine à vapeur de Watt en 1762. Mais en 1787,
la constitution des Etats-Unis ne se fait pas en Europe.
La Révolution Française est un moment essentiel pour l’Europe et le monde ; elle
apporte les modèles de la démocratie et de la terreur ; le texte essentiel est la Déclaration
des Droits de l’Homme de 1793. Avec Napoléon Bonaparte, l’Europe est unie, mais est
dominée par un seul homme ce qui n’est pas bon (comme avec Hitler).
L’Europe du 19ème tâtonne sur son unité (voir le Congrès de Vienne).Il faut
construire une Europe progressiste face à une Europe réactionnaire. L’Europe romantique
facilite l’Europe culturelle. On a en 1848 le printemps des peuples. En 1863, la création de la
Croix-Rouge, première organisation humanitaire, montre le dévouement de l’Europe pour les
autres nations (Henri Dunant a en 1901 le premier prix Nobel de la Paix).
Le Traité de San Stefano, à la fin du 19ème, passe les Balkans (Roumanie, Bulgarie,
Serbie, Bosnie) sous domination russe ou autrichienne, donc de l’Europe. Mais on aura
l’émancipation de la Russie après 1917. En 1878, le congrès de Berlin précise que seuls les
pays d’Europe peuvent avoir des colonies et l’Europe se disperse. La décolonisation des
années 1960 favorise l’unité de l’Europe. Les deux guerres mondiales sont marquées par
l’horreur des souvenirs d’une véritable guerre civile ; il faut donc mettre en place une
Europe unie pour bannir la guerre, ce qui se fait actuellement. Le Traité de Rome en 1957
puis la chute du Mur de Berlin en 1989 facilitent l’Europe.
Il ne faut pas faire l’Europe trop vite, parce que cela risque de la déstabiliser ;
l’Europe doit renoncer à la loi de l’unanimité ; le referendum n’est pas la meilleure forme de
la démocratie (cf l’Allemagne de Hitler…). Pour Jacques Delors, l’Europe qui se construit est
l’Europe des nations ; ce doit être une Europe de la diversité des Etats ; il faudra
abandonner certains points ; mais il faut aussi garder la diversité (par exemple alimentaire). Il
faut avoir une Europe plus sociale, plus démocratique, plus consciente de son histoire.
Alain RENIE
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
L’identité européenne
François BAYROU, homme politique, président du MODEM
Etre européen, c’est à la fois une appartenance et une conviction. Il faut réinventer
l’idée européenne. Dire sa vision est forcément subjectif.
Le nom d’Europe est lié à la mythologie : une princesse phénicienne enlevée par
Zeus, puis transformée en taureau et emmenée à l’Ouest ; c’est déjà l’est qui va vers l’ouest.
Pour Denis de Rougemont, « l’Europe c’est le cap de l’Asie plus une culture intensive ». La
princesse avait 5 frères qui sont allés la chercher vers tous les horizons (Carthage, Espagne, le
Caucase, Rhodes et la Pythie de Delphes). On peut avoir 2 analyses : chercher l’Europe, c’est
découvrir le monde et renoncer à la chercher c’est fonder un monde. La légende judéochrétienne, par les Pères de l’Eglise, part des 3 fils de Noé qui se sont dispersés et partagés le
monde : Cham a l’Afrique (avec l’esclavage), Sem a l’Orient et Japhet a l’Europe avec
l’esprit de conquête. Donc l’Europe se projette à l’extérieur.
En 441 avant Jésus-Christ, on a un évènement fondateur : la pièce de Sophocle,
Antigone. C’est une histoire inouïe à l’époque où la cité est tout ; Antigone se dresse devant le
roi avec sa conscience ; il n’y a pas de loi de la cité qui soit supérieure à la conscience ; la
conscience est donc supérieure à la cité, c’est une question européenne.
Le judaïsme est aussi une source de l’identité européenne avec en particulier le
rapport entre la loi et la foi, mais aussi le rapport au temps. La Bible apporte un rapport à un
dieu personnel et au temps (le début et la fin, l’alpha et l’oméga). Le temps est cyclique. Il
faut avoir un temps ouvert pour construire le destin.
Rome est aussi une source importante de l’Europe avec la notion d’Etat (les
préfets…), le droit romain, le découpage administratif (les diocèses). Le tribun de la plèbe est
quelqu’un qui n’a pas d’autre fonction et qui représente les faibles auprès des forts. Rome est
aussi la matrice des langues et un système de pensée.
Le christianisme apporte à nouveau de l’orient en occident. L’homme est créé à
l’image de Dieu ; le fils de Dieu s’est fait homme et donc tout homme est d’égale dignité.
Avec la communion des saints, aucun homme n’est étranger au salut de l’autre ; l’autre peut
faire mon salut et nous sommes tous frères. C’est une différence de fond avec l’Inde des
castes.
La Réforme, au 16ème siècle, est aussi un évènement constitutif de l’identité
européenne. L’Eglise est une création humaine et est différente du christianisme. L’Eglise
obéit à un principe hiérarchique ; la vérité, la légitimité vient d’en haut. Or la Réforme dit que
la vérité vient de chacun d’entre nous, que chacun a légitimité à construire sa vérité.
Laïcité est aussi une pierre d’angle en France et très probablement eu Europe.
Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Pour Blaise Pascal, il y a une
distinction des ordres du religieux, des sciences, du pouvoir. C’est un fondement de la laïcité.
Cette laïcité se développe avec les Lumières ; c’est l’émancipation et la notion de
séparation des pouvoirs. Le pouvoir ne doit pas faire de loi sur l’histoire ou sur la science ;
c’est le prélude à un pouvoir totalitaire. L’Edit de Nantes est une démarche de laïcité où les
sujets sont égaux devant la loi même s’ils n’ont pas la même religion.
On passe d’une Europe héritière de courants venus d’ailleurs à une Europe fille de
ses œuvres et qui va éclabousser l’humanité. L’Europe est alors conquérante (découvertes,
innovations…). Einstein bouleverse la physique universelle en 4 articles en 1905 et Freud fait
aussi des changements radicaux.
Nous sommes les héritiers de notre histoire et nous devons assumer. L’Europe, c’est
l’ouverture aux autres, le pluralisme (à tous les niveaux : mairie, église, école…) ; chacun est
indépendant des autres ; le pouvoir politique n’a pas tous les pouvoirs : information, le
marché dans le village (c’est la démocratie). Pour Denis de Rougemont, « l’identité
européenne, c’est une aventure décisive au service de l’humanité toute entière ».
Alain RENIE
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
Les émeutes de la faim
François ERNENWEIN, journaliste à La Croix
Sylvie BRUNEL, professeur à Paris-Sorbonne
Catherine COQUERY-VIDROVITCH, professeur émérite des Universités
Boureima Alpha GADO, maître de conférences à l’université de Niamey
Stevzen KAPLAN, professeur à Cornell University
François Ernenwein: de mars à mai 2008, des émeutes ont eu lieu en Afrique avec une
explosion des prix alimentaires. La question des échanges Nord-Sud n’est pas suffisante ; il
faut réfléchir aux causes profondes, aux remèdes éventuels ; il n’y a pas d’unanimité sur ce
sujet. On invoque la question des aides occidentales, de la mauvaise gouvernance ; quelles
seront les conséquences de la crise financière sur l’aide au développement ? La faim fait
environ 10 millions de morts chaque année ; cela reste une question très politique et
dérangeante.
Sylvie Brunel :en 2008, une trentaine de pays ont été touchés par des émeutes de la faim ; des
urbains sont descendus dans les rues pour crier contre la cherté de la vie (cf les révoltes
frumentaires de l’Ancien Régime). On a la persistance d’une malnutrition chronique : 850 à
925 millions de personnes concernées selon la F.A.O., soit 17 à 18% de la population du Sud.
Les habitants des villes consacrent au moins 50 à 60% de leurs revenus à leur alimentation ;
or, on a eu de mauvaises récoltes de céréales en Australie, Argentine, plus la flambée des prix
du pétrole (donc coût du transport), plus le transfert vers les agrocarburants et les
changements d’habitudes alimentaires (3 repas par jour avec lait, viande …) et les
spéculations sur le blé et le riz. Tout cela a posé des problèmes dans les pays qui avaient
l’habitude de s’approvisionner pas cher sur le marché international. Les pays du Sud ont
sacrifié leurs agricultures.
Les émeutes se sont ralenties parce que la récolte 2008 est bonne, que le prix du pétrole baisse
et qu’il y a un certain retour à l’agriculture.
Boureima Alpha Gado :les manifestations ont eu lieu contre la vie chère sur des produits de
première nécessité (riz, mil, maïs, huile, sucre…) dont les prix ont pu être multipliés par 2 à
4.Ces émeutes ont eu un caractère violent en particulier au Sahel. On peut avoir trois séries de
pays ;la hausse des prix s’est effectuée sur une situation antérieure de conflits (Côte d’Ivoire,
Nigéria) ; les émeutes ont pu être très spontanées (Cameroun, Guinée, Mauritanie) ; les
émeutes ont eu lieu dans des pays avec une insécurité alimentaire chronique où les revenus
paysans sont déjà insuffisants en période normale (Niger, Burkina-Faso). Au Niger, un foyer
de 10 personnes (1 homme, 2 femmes, 7 enfants) a besoin d’un sac de mil plus un sac de maïs
plus un sac de riz par mois ; or le sac est monté à 30 Euros, soit le SMIC mensuel…
Sylvie Brunel : on assiste à la résurgence de discours néo-malthusiens ; on a la possibilité de
mobiliser les ressources pour diminuer la crise. Ces émeutes sont la revanche des paysans.
Catherine Coquery-Vidrovitch : les émeutes ne sont pas finies (voir le Sénégal en
septembre) ; elles ont surtout lieu dans les pays non pétroliers ; dans le cadre de la
mondialisation, il y a une filiation à faire entre la crise pétrolière, les émeutes de la faim, la
crise financière…Dans une étude faite sur la crise de 1929 en Afrique, il y a des éléments qui
apparaissent : dès 1926-28, la crise agraire apparait fortement (donc avant la crise de 1929) ;
la crise devient très grave après 1932, moment où elle se stabilise ailleurs ; c’est aussi le
problème aujourd’hui. Il y a eu la hausse du pétrole. Dès 2003, des spécialistes annoncent la
hausse du pétrole, qui peut amener une crise mondiale ; on se lance dans des produits de
remplacement : 30% de la production de maïs se fait pour des ressources énergétiques.
Aujourd’hui, les émeutes de la faim sont urbaines, ce qui est nouveau ; elles ont démarré au
moment de la soudure ; cela devrait aller mieux avec les récoltes en octobre, décembre.
L’Afrique va moins souffrir de la crise financière et bancaire ; mais le risque de misère
sociale augmente avec la récession ; cette misère va augmenter pendant 5 à 6 ans.
Steven Kaplan : la faim n’est pas seulement africaine. Toute l’histoire de l’Europe est
scandée par des problèmes alimentaires. En France en 1947, on compte plus de 1.000 émeutes
de la faim, parfois très violentes.
Dans les émeutes, on a souvent la présence des femmes (c’est le signe pour un pouvoir que
c’est important), la connivence entre des autorités locales et les manifestants (on envoie un
message au pouvoir) ; l’émeute exprime aussi la question de la qualité des produits. Les
émeutes ont une dimension politique avec une prise de conscience (« on a droit à l’existence,
à l’expression ») ; l’économie morale c’est le droit de manger, qui ne passe pas forcément par
l’économie de marché. On doit être très attentif à la distribution de la récolte ou à l’arrivée des
produits venus de l’étranger. Il y a besoin de remettre en question tous les modèles de
développement parce qu’on est toujours dans une notion de dépendance.
Catherine Coquery-Vidrovitch :il y a une exigence politique de ces émeutes ; les urbains
sont aujourd’hui aussi nombreux que les ruraux en Afrique ; on a l’expression d’un profond
malaise politique ; il faudra des restructurations fondamentales dans les 10 ans à venir ; il faut
que l’Afrique constitue une entité auto-responsable.
François Ernenwein : l’Afrique doit-elle être dépendante ou non ? Faut-il lui envoyer de
l’aide ou pas ?
Boureima Alpha Gado : au Niger en 2005 on a eu la sécheresse et les criquets ; mais aussi le
gouvernement a fait une loi créant une TVA de 20% sur les produits de première nécessité ;
cela a provoqué des émeutes et le gouvernement a retiré la loi.
Sylvie Brunel : qu’est-ce qui permet la sécurité alimentaire ? L’autosuffisance n’est plus
possible dans la mondialisation ; l’Afrique demande du blé, du maïs… La sécurité alimentaire
c’est les échanges à tous les niveaux ; ils doivent être équitables ; les réserves de production
existent ; on souffre de la faim à côté d’entrepôts pleins (il y a aussi la question des
spéculations). En Ethiopie, une année de bonne récolte est suivie de pénuries alimentaires
parce que les paysans se sont repliés sur l’autosubsistance et redeviennent vulnérables.
Actuellement, beaucoup de personnes rurales ne vivent pas de l’agriculture ; elles sont
endettées et partent vers la ville. C’est le problème de la rémunération, quelque soit le
produit ; est-ce que votre travail est reconnu ? il faut une bonne distribution et une
sécurisation foncière. Il faut que l’Etat intervienne : il stocke en période de bonne récolte et
redistribue en cas de besoin ; il faut aussi des organisations paysannes (syndicats,
coopératives…) comme les producteurs de coton du Mali qui se sont fait entendre à l’O.M.C..
On doit avoir aussi une mobilisation des investissements, des moyens agronomiques ; il faut
protéger les frontières (l’Afrique n’y arrive pas). Dans la lutte contre la faim, tous les acteurs
sont nécessaires, y compris les O.N.G. ou le Programme Alimentaire Mondial.
Steven Kaplan : il faut réussir à articuler la technologie, la production et la gouvernance
globale. Dans l’esprit des hommes, il n’y a guère de différences entre famine, disette et cherté.
Il faut prendre en compte les structures sociales. Lors de la révolution verte des années 1970,
les agronomes étaient très bons, mais n’ont pas pris en compte les conséquences sociales.
Quelle régulation faut-il trouver ? avec quels moyens ? avec quelle gouvernance ? Après
1945, la France a donné à l’O.N.I.C. (Office National Interprofessionnel des Céréales) un
pouvoir énorme qui ne réussissait pas ; on peut aussi s’interroger sur les despotismes locaux,
régionaux, nationaux.
Boureima Alpha Gado : comment se fait-il que l’Afrique n’aie pas constitué depuis 20 ans
une sorte de P.A.C. et qu’il n’y ait pas de politique régionale africaine ? Il y a des initiatives
régionales ; le comité de lutte contre la sécheresse au Sahel existe ; la C.D.A.O. a une
politique agricole…Mais il n’y a pas d’applications concrètes au moment des crises.
Sylvie Brunel : les Africains se posent la question depuis longtemps ; l’Afrique sort d’une
« décennie du chaos » avec de nombreux conflits ; les paysans ont subi de nombreuses
prédations. Les famines en Afrique de l’Ouest ne sont plus dans les pays traditionnels de la
faim. On trouve des tensions éleveurs-cultivateurs sur les zones de front pionnier. La
consommation de viande augmente dans le monde ; les animaux consomment du grain, il y a
concurrence avec les hommes. 25% des céréales mondiales sont pour l’alimentation du
bétail ; pendant longtemps, on a eu surproduction avec même les pays du Nord qui réduisaient
leur production. Sommes-nous prêts tous à nous contenter d’un bol de mil par repas ?? Dans
les pays en difficulté, on a une monotonie alimentaire et donc des carences et des maladies.
Steven Kaplan : aujourd’hui, 4 à 5 sociétés contrôlent 80% du marché des grains ; elles
échappent à tout contrôle et peuvent stocker et spéculer. Mais aussi on peut dire que les prix
relèvent autant du politique que de l’économie. Aux Etats-Unis, on a des coûts très élevés à
terme ; il faudra une régulation internationale.
Sylvie Brunel :15% de la production mondiale est échangée sur le marché mondial ; donc
85% restent sur le marché local ; les grandes entreprises sont relativement loin. Le clivage
dans l’agriculture se fait entre une agriculture moderne (machines, engrais, lobbiyng..) et une
agriculture familiale ; on trouve les deux sortes au Nord et au Sud. Il faut les deux systèmes.
Catherine Coquery-Vidrovitch : c’est le problème de la quadrature du cercle ; les citoyens
du Nord doivent repenser les échanges Nord-Sud ; il ne faut pas désespérer. Vers 1960, le
point de départ des pays d’Afrique était très bas (production, compétences…). Un gros travail
a déjà été fait, qu’il faut continuer. Les difficultés vont accroître les problèmes sociaux,
imposer des restructurations politiques ; il y a aussi la question des échelons intermédiaires
avec la corruption, le manque de formation ; actuellement, le taux de scolarisation diminue en
Afrique, ce qui est un problème.
Alain RENIÉ
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
Chrétiens, les Européens ?
Dominique BORNE, président de l’Institut Européen en Sciences des Religions
Hubert BOST, Ecole Pratique des Hautes Etudes
Daniel KONIG, chercheur à l’Institut Historique Allemand
Jean-Paul WILLAIME, sociologue à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
Dominique Borne : en 2007, le pape Benoît 16 s’est demandé comment l’on peut exclure le
christianisme, comme un élément essentiel de l’identité européenne ; en 2004, l’archevêque
de Varsovie dénonçait le laïcisme idéologique. Dans son livre, « l’Europe frigide », Elie
Barnavi dit que l’Europe a été chrétienne et qu’on ne comprendrait rien à l’Europe si on
gomme cet aspect essentiel de son identité. En 2007, Paul Veyne dit que l’Europe n’a pas de
racines chrétiennes ou d’autres racines, elle s’est faite par étapes imprévisibles. Qu’est-ce
qu’être chrétien en Europe ? Depuis quand et comment y a-t-il une histoire des chrétiens ? Et
les autres religions ? Et le rationalisme ?...
Daniel König : au Moyen Age, être baptisé, c’est pratiquer le culte et ne pas être juif. Etre
chrétien est aussi une question de pouvoir.
Hubert Bost : à l’époque moderne, on oscille entre la conviction personnelle et le regard
extérieur ; on est chrétien de plus en plus individuellement.
Jean-Paul Willaime : aujourd’hui, on a des références avec des enquêtes sur des
identifications. 70 à 75% de la population s’identifie au christianisme avec des niveaux très
différents d’adhésion, de pratiques… Chez les 20-29 ans, cela devient parfois minoritaire.
Dominique Borne :comment les Européens sont devenus chrétiens ?
Daniel König : on trouve des activités missionnaires autour de la Méditerranée dès le 1er
siècle ; la structure de l’empire romain a favorisé la diffusion ; à partir de 313, la diffusion est
encouragée par l’Etat qui donne des avantages fiscaux, de la fonction publique…Au 4ème
siècle, les autres cultes sont défavorisés. Au 5ème , les évêques administrateur de leur diocèse
deviennent l’interlocuteur avec les peuples germaniques ; ces derniers adoptent la foi arienne,
puis se rallient au Concile de Nicée ; on a aussi une expansion à l’extérieur de l’empire
romain. Au 11ème siècle, l’Europe est devenue chrétienne. On a aussi un processus de
construction institutionnelle : évêques, monastères…On a une standardisation topographique
avec la construction des églises. On a peu à peu l’exclusion des groupes non chrétiens. Tout
cela se fait aussi en interaction avec le monde juif et la philosophie grecque. Il y a plusieurs
christianismes qui s’adaptent ; l’environnement devient progressivement chrétien ; la pensée
grecque reste importante pour la théologie chrétienne ; on a la transmission de ce qu’il y avait
avant.
Hubert Bost : il n’y a pas de christianisme en soi ; on a une alchimie entre la culture qui
reçoit et le message qui s’adapte ; on va avoir des christianismes avec des territoires divers.
Au 15ème et 16ème siècles, avec les changements techniques (imprimerie, papier), les idées se
diffusent plus vite. La vision du monde change ; on n’est plus au centre de l’univers ; cela
modifie la vision qu’ils ont d’eux-mêmes. Cela a des conséquences sur le domaine religieux.
Aux 14ème et 15ème, la poussée critique du peuple de l’Eglise entraîne la Réforme. Luther
conserve l’idée que la société est chrétienne ; être chrétien ce n’est pas forcément être
européen, on a des « micro-dissidences ». Etre chrétien relève d’une décision personnelle ;
c’est la montée de l’individualisme.
Dominique Borne : et que faut-il dire et penser des chrétiens grecs orientaux ? C’est le
problème de la définition de l’Europe.
Daniel König : au Moyen Age, on parle de l’Occident ; le monde grec est dans Byzance.
Hubert Bost : le monde oriental n’a pas le même rapport à l’histoire, surtout après 1453 ; il
est plus immobile dans ses rites. La ligne de fracture Orient-Occident pose des problèmes
spécifiques.
Jean-Paul Willaime : l’Europe est très marquée par la territorialisation des appartenances
religieuses ; on a des influences culturelles (paysage, calendrier…). Au 21ème siècle, le
développement du christianisme est ailleurs en Amérique, Océanie. On assiste à une
multiculturalisation dans les terres d’Europe ; on trouve des christianismes africains et
asiatiques. On passe du religieux par héritage au religieux par choix et les frontières entre les
groupes sont floues.
Dominique Borne : les nations marquent le christianisme, par exemple les anglicans. En
Grèce, on vient tout juste d’enlever la mention de la religion sur la carte d’identité, ce qui
permet d’arriver à une standardisation européenne; la constitution fait toujours référence à la
Sainte Trinité.
Hubert Bost : c’est le résultat d’une pression politique.
Daniel König :c’est le problème des discours ; on est chrétien parce qu’on est contre l’Islam
au Moyen Age. Est-ce que les autres religions marquent l’Europe ? Le judaïsme est important
pour le christianisme. Au Moyen Age, les juifs ont un statut spécial mais il y a les
persécutions des 11ème et 13ème siècles. L’Islam a un rôle important avec le transfert du savoir
grec par l’Espagne ; il apparaît comme une alternative au christianisme.
Dominique Borne :les juifs restent présents en Europe même s’ils sont expulsés (cf le
Comtat Venaissin). En 1492 avec l’expulsion des juifs d’Espagne, l’Europe s’affirme-t-elle
chrétienne ? On commence à parler de « pureté de la race ».
Hubert Bost :en 1492, les juifs sont expulsés d’Espagne ; en 1685, Louis 14 révoque l’édit de
Nantes contre les protestants ; ce sont des décisions politiques, mais les faits résistent.
Spinoza fait dans ses œuvres une critique de la religion et pose de nombreuses questions ; il
est exclu de la synagogue. Le paganisme reste une question complexe. En 1978 Jean
Delumeau publie « le christianisme va-t-il mourir ? » Cela pose la question des critères pour
définir les chrétiens. A la fin du 17ème siècle, Pierre Bayle écrit un « dictionnaire historique et
critique » ; il y écrit des articles sur des « mal pensants » comme Averroès, Maimonide… au
moment où a lieu le siège de Vienne par les Turcs (1683). Ce qui l’intéresse, c’est la manière
de chacun de raisonner.
Jean-Paul Willaime : l’Europe est très marquée par des héritages conflictuels comme les
guerres de religion, l’antisémitisme, ou l’interaction avec l’Islam. Le mouvement des
Lumières se fait avec des différences entre la France, l’Allemagne, l’Angleterre ou l’Ecosse.
On voit aussi la question du traitement des sans religion ; en Belgique, ils sont considérés
comme un véritable groupe institutionnel. Les institutions européennes sont une fédération
humaniste européenne. Actuellement, de nombreux Européens sont sans appartenance
religieuse claire.
Dominique Borne :pour Elie Barnavi, la laïcité est le produit du christianisme.
Daniel König : il est difficile de juxtaposer rationalisme et religiosité. L’Europe chrétienne
invente le pape et l’empereur, mais pas la théocratie. En fait, il y a lien et rupture ; « tout
pouvoir vient de Dieu ».
Jean-Paul Willaime : les conflits pour délimiter le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel
font partie de l’Europe. C’est le problème du rapport du politique au religieux. On a vu des
accaparements politiques du spirituel, par exemple l’athéisme d’Etat en Europe orientale. Les
religions peuvent aussi dire des éléments aux politiques. On a bien des influences culturelles
des religions.
Alain RENIE
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
La Bible dans la conscience des Européens
Du 17ème au 19ème siècle
Benoit DE SAGAZAN, journaliste au Monde de la Bible
Dominique BOURREL, directeur de recherches au C.N.R.S.
Thomas ROMER, professeur de la Bible hébraïque à Lausanne
Dominique Bourrel : la Bible s’est retrouvée au centre d’un conflit d’interprétation entre la
France (catholique) et l’Allemagne (protestante) au 17ème siècle. Jusque là, on parle de
« parole divine, parole révélée ». Avec Spinoza apparaissent des difficultés d’interprétation.
On peut dire qu’au 17ème, la Bible « nous tombe dessus ». Les catholiques, les protestants, les
juifs rencontrent des problèmes avec les traductions. La Réforme a permis le retour de
l’apprentissage de l’hébreu, de l’arabe. Les savants juifs allemands du 19ème ont une très forte
érudition et une culture énorme. Dans le monde juif, il n’y a pas d’analphabètes, parce qu’il
faut lire la Torah. Ils sont entrés dans les universités allemandes. Dans le monde protestant, on
facilite l’accès direct aux livres (voir les bibliothèques des universités). Dans le monde
catholique, on a des fiches dans les bibliothèques et on n’a pas d’accès direct aux livres. De
plus la théologie catholique arrive d’en haut ; l’école de Jerusalem se forme progressivement
avec le Père Lagrange. Du 17ème au 19ème siècle, la Bible rentre dans le monde de la culture ;
on bénéficie d’une science biblique. Le consul de Prusse à Jerusalem en 1838 est un
orientaliste, celui de la France se contente de porter le drapeau…Or Jerusalem est le
fondement de l’humanité.
Thomas Römer : au 19ème, la Bible est une affaire européenne et d’interprétation. Avec le
romantisme, on veut trouver les origines, aller en Terre Sainte ; les voyages savants ne sont
pas seulement des pélérinages ; ils donnent lieu à 400 publications aux 18ème et 19ème .
L’archéologie est plus récente ; elle commence au 19ème mais se développe sérieusement après
1950. Pendant longtemps, l’archéologie biblique avait un aspect apologétique.
Les voyages sont nombreux ; la reine Victoria voulait vérifier que l’histoire biblique est
l’histoire réelle afin de parer à l’incroyance. Des découvertes sont faites par hasard : la stèle
de Mesha est le premier récit biblique en dehors de la Bible. Beaucoup de découvertes en
Mésopotamie, en Egypte mettent le texte de la Bible en question. On a des documents du 5ème
siècle avant Jésus Christ qui précisent que des Judéens ont plusieurs dieux. Les textes de
Assurbanipal, de Gilgamesh donnent une description du déluge identique à la Bible. Peu à
peu, on a l’idée que la Bible n’est pas l’élément premier, qu’elle reprend des textes de
Mésopotamie et d’Egypte, qu’elle serait un « plagiat ».Tout cela provoque de grandes
polémiques vers 1900 en Allemagne avec des départs de professeurs, le refus de l’empereur
Guillaume II. Ces textes remettent en question l’autorité de la Bible et son importance, cela
bouleverse l’Europe.
L’archéologie est une affaire européenne au 19ème ; on trouve des trésors et on a perdu des
travaux sérieux. A partie de 1890 commence une archéologie sérieuse avec des couches, une
méthode historique. L’archéologie interpelle le lecteur de la Bible aujourd’hui.
Benoit de Sagazan :comment la communauté juive du 19ème siècle accueille-t-elle ces
découvertes ?
Dominique Bourrel : les juifs sont dans la même position que les catholiques parce que le
Livre dit autre chose ; ils sont étonnés. Les jeunes juifs se réapproprient leur patrimoine : en
1925, 2 juifs traduisent la Bible en allemand en partant du travail de Luther. Les discussions
sont difficiles des uns vers les autres. On peut voir le problème actuel avec Israël où on a des
laïcs (Elie Barnavi) qui disent n’avoir rien à voir avec David et l’histoire de la Bible.
Thomas Römer : les juifs traditionnels s’intéressent au Talmud et n’ont donc pas de
problèmes. Il y a plus de soucis pour les juifs assimilés et ouverts. Le protestantisme est aussi
très divers ; on y trouve aussi un fondamentalisme très rétrograde.
Dominique Bourrel : tous travaillent la Bible, c’est ce qui fait encore son actualité. La
volonté de rationaliser le texte biblique montre la difficulté et le fait de prendre le texte sans
plus. Il fallait expliquer les miracles, la traversée de la Mer Rouge, or on ne peut pas prouver.
Benoit de Sagazan :quelle est la façon de recevoir la Bible aujourd’hui ?
Thoma Römer : il y a encore des décalages entre la science et le texte. Dans
communautés religieuses il faut voir les chefs spirituels pour la prise en compte. Pour
scientifiques, il est normal que les questions existent. Les chercheurs doivent expliquer
contextes des textes, les recherches. Les fondamentalistes refusent de faire un effort
réflexion. Pour la communauté croyante, la Bible est un livre vivant.
les
les
les
de
Benoit de Sagazan : qu’est-ce que l’archéologie pose comme problème en Israël ?
Thomas Römer : les récits bibliques ont été utilisés pour forger l’identité de l’état d’Israël en
1948 ; la Bible est toujours lue comme un livre d’histoire et elle forge l’identité. Des
universitaires israéliens posent des questions, ce qui provoque des polémiques, des
amalgames. Il est difficile de remettre en question des récits fondateurs. En 1948, on
revendique l’archéologie et la Bible comme outil politique. Ytzach Rabin demandait de faire
attention à ceux qui prennent la Bible comme un document foncier.
La lecture critique historique de la Bible a commencé en Allemagne au 18ème avec les
hellénistes ; c’est devenu un genre littéraire jusqu’au début du 20ème siècle. On peut admettre
de définir des strates différentes dans la Bible avec une évolution des textes, de la tradition
orale. La Bible est un livre mythologique et intéressant ; on peut préciser que l’hébreu
biblique est une langue qui n’a jamais été parlée.
Dominique Bourrel : la Bible est un ensemble de documents très divers ; il y a eu des débats,
des discussions dans la Bible, le Talmud, les interprétations…Les textes que nous avons sont
des copies de copies de copies…
Alain RENIE
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
1492-1945 : pourquoi l’Europe s’est-elle
imposée au monde ?
Laurent TESTOT, journaliste à Sciences Humaines
David COSANDEY, essayiste, analyste de risques financiers, suisse
Christian GRATALOUP, géographe
Laurent Testot: l’Europe s’est imposée au monde et a développé son hégémonie; on a une
notion d’histoire globale. Comment l’Occident a-t-il fait la mondialisation ? Il faut regarder
les relations société-environnement.
Christian Grataloup : l’Europe s’est étendue dur des espaces maritimes. Pour Diamond, il y
a des dotations en éléments naturels différents selon les lieux ; par exemple, les animaux
domesticables sont peu nombreux ; au 16ème siècle, les Indiens domestiquent rapidement le
cheval. Il faut prendre en compte la taille des espaces, la disposition des grands axes de
circulation : l’Amérique est orientée Nord-Sud, ce qui donne une grande diversité des milieux
(climats) ; l’Eurasie, orientée Est-Ouest donne une continuité des milieux. Les courants
marins sont importants pour comprendre les grandes découvertes.
David Cosandey :avec l’hypothèse thalassographique, on a une interpénétration entre le
milieu marin et continental. L’Eurasie apparaît mieux équipée et donc a plus de succès.
L’Europe a le progrès et le succès ; le littoral y est plus découpé qu’au Proche-Orient et en
Inde ; cela a favorisé dans le long terme l’essor de petits états stables et concurrents, ce qui est
une condition pour que la science progresse.
Laurent Testot : il y a plusieurs étapes dans l’histoire occidentale : la Grèce avec la
naissance de la démocratie et de la raison, la défense de la cité et la guerre rigoureuse (la
phalange est efficace et on s’impose par la violence) ; Rome apporte le droit et l’essor de la
propriété privée ; le christianisme apporte la morale et le souci de l’autre ; la sécularisation
permet la séparation des pouvoirs (cf saint Augustin). Vers l’an 1.000, l’Europe connait un
dynamisme démographique, urbain, économique… qui permet en 1492 le Nouveau Monde.
Christian Grataloup :les civilisations ne sont pas des éléments éternels. L’Europe a du sens
avec la chrétienté médiévale, avec l’héritage romain sur toute la Méditerranée. Pour l’Europe,
1914 est une date charnière de fin. L’Europe est pionnière en 1492 ; elle est en avantage ;elles
est tempérée et recherche des produits tropicaux, donc avoir la mainmise sur d’autres (cf
l’histoire du sucre). Au 15ème ,les Européens ont inventé les routes maritimes ; il y a plusieurs
états en concurrence (Portugal, Espagne, France…) ; on a un polycentrisme de l’Europe. A la
même époque, les Chinois font de grands voyages au début du 15ème, mais en 1434
l’empereur décide la fin de ces voyages (donc phénomène de repli). Ainsi les Européens sont
les mieux placés ; ils sont les premiers à s’emparer de l’Amérique. Là bas, ils gagnent la
guerre bactériologique : en 70 ans les Incas perdent 90% de leur population. Les Européens
ont eu des terres qui se sont vidées ; il faut donc importer de la main d’œuvre : colons,
esclaves. La force des Européens est d’avoir réussi à dominer l’Amérique. Au 16ème siècle,
l’Europe a des liquidités financières par l’Amérique ce qui lui donne une position nouvelle
dans les échanges. D’ailleurs ils ne s’imposent pas en Afrique et Asie jusqu’au 18ème siècle.
Au 19ème, la politique de la canonnière fait la colonisation.
David Cosandey :les Portugais ont colonisé le Brésil quand ils ont vu les Français se
rapprocher des côtes d’Amérique du Sud.
Laurent Testot : il est intéressant de faire une histoire comparée de l’Europe et de la Chine :
par exemple, la révolution démographique a eu lieu en Chine avant l’Europe. Il faut croiser
les regards disciplinaires. La Révolution industrielle est le pivot de la domination de
l’Occident : la main d’œuvre et les matières premières (charbon, fer) et les innovations. La
Chine apparaît plus avancée que l’Europe au temps de Jésus-Christ. En 1100, la Chine produit
autant d’acier que l’Europe de 1750. Elle a parfois eu un développement supérieur à l’Europe.
David Cosandey : la Chine a réalisé ses plus grands progrès quand elle était divisée ; les
savants vont alors d’un royaume à un autre, cela développe l’émulation, la concurrence.
Quand il y a unification, les savants et les marchands deviennent les ennemis du pouvoir.
Christian Grataloup :on a tendance à expliquer les éléments après coup. Plusieurs facteurs
interviennent dans les évènements. La position relative des sociétés explique tout. L’Europe
est fractionnée depuis plus de 1.000 ans tout en ayant une unité. Depuis le11ème siècle, il y a
en Europe des lieux où les marchands et savants sont les maîtres (cités flamandes, Italie…) ;
ils ont une autonomie que ne peuvent pas briser les monarchies terriennes. Le fractionnement
est à la fois un atout et un handicap. On peut souvent prendre les explications en positif et en
négatif.
David Cosandey : ces explications ressemblent à une influence de l’idéologie néo-libérale.
En fait, il faut penser monde. L’Europe unifiée serait en concurrence avec les Etats-Unis, la
Chine ; on peut voir la concurrence actuelle sur les très grands télescopes, les accélérateurs de
particules…La concurrence entre les Etats doit conduire l’Etat à soutenir l’économie, à y
intervenir, à soutenir les entreprises : voir le projet TGV ; il n’est donc pas néo-libéral ; il faut
une limite à la concurrence.
Alain RENIÉ
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
Les frontières sont-elles le malheur de l’Europe ?
Michel FOUCHER, professeur à l’E.N.S. et diplomate
Henri LAURENS, professeur au Collège de France
Pierre MILZA, professeur émérite à Paris-I
Maurice SARTRE, professeur émérite à l’université de Tours
Laurent THEIS, société d’histoire du protestantisme
Laurent Theis : quelle idée et réalité a-t-on de l’Europe ? Quand les frontières se mettentelles en place ? quelles sont les perspectives des frontières internes et externes ?
Michel Foucher : au Moyen Age, on parle de chrétienté et pas d’Europe. L’adjectif
« européen » est utilisé par le pape Jules II contre l’empire Ottoman : « vous êtes tous
européens ». Le pape joue aussi un rôle dans le traité de Tordesillas en 1494 avec le Portugal
et l’Espagne. L’Oural est une représentation géopolitique ; Pierre le Grand veut moderniser la
Moscovie, dont il estime qu’elle n’est plus en Asie. L’Oural est le point de départ pour la
conquête de la Sibérie.
Henri Laurens : la limite de l’Europe se fait par les confrontations avec les Turcs, on a des
allers retours avec l’Orient. Au 17ème siècle, on a un relatif équilibre en Méditerranée. Les
Balkans sont dans l’empire Ottoman, donc l’Europe s’arrête à Trieste. La frontière se fait
aussi avec l’orthodoxie ; les Croates (catholiques) sont en Autriche et les Serbes (orthodoxes)
dans l’empire Ottoman ; on peut y voir les tragédies du 21ème siècle. La frontière avec l’Islam
est visible et étanche ; on a un cordon sanitaire pour enrayer les épidémies ; on ne
communique plus avec l’Islam, sauf par des sas maritimes (Livourne, Marseille, Barcelone) et
des espaces terrestres (avec des forces de cavalerie). Ces sas disparaissent vers 1840.
Pierre Milza : au 19ème on a un espace multipolaire et le mouvement des nationalités avec le
congrès de Vienne (1815) et le traité de Versailles (1919). Au 18ème siècle, être européen,
c’est parler le français et connaitre la civilisation française : Frédéric II, Catherine de
Russie…Cela ne concerne que la classe dirigeante. Voltaire est en contact et reçoit, à Ferney
toute l’Europe. Le partage au congrès de Vienne se fait sur des idées d’avant la Révolution à
la convenance des souverains qui s’échangent des territoires ; il y a un équilibre entre les
puissances et il n’y a pas trop de guerres entre 1815 et 1914.
Laurent Theis :pendant longtemps les frontières sont synonymes de limite ; le limes de
Rome est-il défensif ?
Maurice Sartre : l’empire romain est plein de frontières intérieures ; le limes concerne les
limites extérieures ; par nature l’empire romain est sans limites, sauf l’affrontement à l’Est
avec les Parthes, puis les Perses. Les murs romains sont un système de défense en profondeur
avec un espace administré ; la frontière se construit peu à peu, c’est aussi une zone
d’échanges.
Michel Foucher : en 1648, la souveraineté d’Etat passe par la frontière ; le mot frontière
apparaît au 14ème siècle ; c’est le lieu par lequel l’ennemi va survenir, elle a un sens militaire ;
c’est la limite d’état au 19ème . La frontière est liée à la notion d’Etat et de souveraineté
exclusive. En 1648, on reconnait la souveraineté de l’autre. Les premiers traités avec des
limites cartographiques sont entre la Russie et l’empire Ottoman sur la Bessarabie et le
Caucase. La frontière est une limite (articulée avec l’extérieur) et une borne (on ferme) ; on
met en place le système des places fortes de Vauban.
Pierre Milza : comment se font les frontières ? avec les traités de Paris en 1856 et Versailles
en 1919. En 1919, on a des experts qui préparent le terrain et vont en mission sur place avec
les questions des frontières naturelles, des droits historiques…Chacun donne des arguments et
la décision est prise ensuite par le conseil des quatre ; mais on peut avoir des soucis : le Haut
Adige (revendiqué par l’Italie) et le Sud Tyrol (Autriche) sont le même espace… En 1871,
Thiers et Bismarck ont eu des discussions sur Metz et Belfort ; chacun en a gardé une qui est
devenue une place forte.
Henri Laurens : les Européens ont projeté leur conception des frontières dans la
colonisation ; au 19ème on a un équilibre européen dans le monde ; on se divise le monde, avec
des frontières coloniales dont certaines sont toujours en place (voir l’Afrique). L’Islam ne
colonise pas les chrétiens dans les Balkans ; mais on va multiplier les frontières avec des états
nombreux et cela donne la purification ethnique au 21ème siècle. La colonisation du Maghreb
se fait parce qu’il y a des musulmans et des juifs. Les chrétiens existent dans l’empire
Ottoman qu’on se propose de réformer au 19ème ; l’empire Ottoman se définit donc comme
européen : le khédive Ismaël en Egypte.
Laurent Theis : de quelle Europe parlons-nous depuis 1945 ?
Michel Foucher :il y a confusion entre l’Europe et l’Union Européenne. L’U.E. est une
forme organisée d’une partie du continent. Le Conseil de l’Europe, créé en 1949, a défini en
1994 son périmètre d’intervention : la Turquie est un pays fondateur, la Russie est dans
l’Europe, l’Afrique du Nord n’en fait pas partie ; il y a eu débat à propos du Caucase et ce fut
positif parce qu’il y avait la volonté de se rapprocher ; mais le Kazakhstan n’est pas tourné
vers l’Europe. La question des limites de l’U.E existe ; c’est une association volontaire de
regrouper certaines compétences. Vue de Chine ou d’Inde, l’U.E. apparaît comme incarnant le
continent.
Maurice Sartre : il y a de multiples critères de limites ; on assiste à des confusions ; il faut
faire coïncider les critères.
Henri Laurens : l’empire Ottoman était balkanique, donc européen ; les Turcs ont le même
héritage que la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie ; ils peuvent donc être européens. En 1995 le
processus de Barcelone rapproche les rives Nord ( dans l’U.E.) et Sud, ce qui amène en 2008
l’Union Pour la Méditerranée… Mais il y a le monde arabe qu’on ne veut pas nommer.
Pierre Milza : la multiplication des frontières au 20ème siècle ne fait pas beaucoup avancer la
question. Qu’en pensent les Européens ? La frontière crée une culture importante. Au 19ème
les unités de l’Italie et de l’Allemagne ne se sont pas faites d’un seul coup. La langue italienne
se codifie au 19ème.
Michel Foucher : la notion d’une Europe sans frontières n’est pas bonne. Il faut transformer
les lignes de front en ressources. Dans l’U.E., les vieilles limites (par exemple la frontière
franco-allemande) sont des ressources. La diversité des peuples fait la force. Il y a un besoin
de limites qui permet de se projeter vers l’extérieur : voir Jean-Pierre Vernant. L’U.E. joue-telle l’émiettement de l’Europe de l’Est avec le Kosovo, le Monténégro, la Yougoslavie ?? On
a la tendance à ce que les groupes qui se perçoivent comme des nations veulent devenir des
Etats souverains. Les frontières sont liées à des rapports de force ; « la bonne frontière, c’est
la mienne ». Les Etats-Unis ont une vision claire de l’Europe : il faut finir le travail
commencé le 6 juin 1944 ; on v
a avoir l’Europe du Conseil de l’Europe sans la Russie. Il
faudra voir vers 2020-2025.
Alain RENIÉ
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
Les Québécois se sentent-ils plus Européens
qu’Américains ?
Raymonde LITALIEN, conservateur honoraire des archives du Canada
Yves DELOYE, professeur à Paris-I et à Rennes
Guy LACHAPELLE, professeur à l’université Concordia de Montréal
Christian RIOUX, journaliste canadien à Paris
Raymonde Litalien : on ne porte que peu d’attention aux acquis historiques. Jusque très
récemment, l’immigration au Québec est surtout européenne. Dans le droit, c’est la coutume
de Paris qui s’est imposée (voir la pratique notariale). L’implantation géographique s’est faite
le long du Saint Laurent ; les voies d’eau ont longtemps été les seules voies de
communication ; on y adjugeait les terres perpendiculairement à la voie d’eau (voir la
configuration de l’habitat). La toponymie rappelle la France ; les villes sont européennes avec
leurs fortifications, l’omniprésence des églises et édifices religieux surtout au 19ème siècle. Le
système d’éducation (et la langue) est resté français jusque vers 1970. Le Code Civil du
Québec tient beaucoup à la coutume de Paris. Le Québec a adopté le système métrique avant
les autres provinces. Mais aussi les institutions gouvernementales sont dérivées du système
britannique.
Guy Lachapelle : c’est le problème du concept de l’américanité du Québec. Vers 1840, on a
une grande réflexion sur la place du Québec en Amérique du Nord. Les idées de la révolution
américaine ont attiré des citoyens, mais pas les élites. Est-ce que l’ALENA va modifier nos
cultures ? On a encore cette réflexion sur l’identité. Dans 80% des sondages, les Québécois
disent qu’ils sont d’abord des Nord-Américains, et aussi des Européens. Le Québec se
retrouve plus près des valeurs européennes qu’américaines (voir l’image de George Bush) ; il
y a un refroidissement sur l’espace de l’ALENA. 17% des Québécois disent avoir de la
famille et/ou des proches aux Etats-Unis. Les différences entre les Québécois et les
Américains sont sur la langue, l’alimentation, l’importance des vacances ; mais ils ne sont pas
différents sur les valeurs familiales, les types d’habitation. On peut être contre les politiques
américaine et pas anti-américain. Le Québec est le moins anti-américain ; il ne se sent pas
menacé par la culture des Etats-Unis. En 1997, 85% des exportations vont vers les Etats-Unis,
en 2007, ce n’est plus que 78%. Les Québécois souhaitent un « gouvernement nordaméricain ». Ils sont favorables à une monnaie commune, à des liens plus étroits avec les
Etats-Unis ; 90% souhaitent aussi un traité de libre-échange avec l’Europe ; ils veulent
intensifier les liens dans l’éducation, la santé. Le Québec veut avoir un rôle plus actif dans le
domaine régional et international. L’influence du Québec augmente sur la scène
internationale.
Christian Rioux : les Québécois sont-ils Européens ? La question est surprenante ; ils sont
américains, ils se sont approprié le continent ; ils ont créé et enrichi les mythes fondateurs de
l’Amérique (Champlain). Ils ont l’héritage européen plus ou moins important selon les
époques, les groupes sociaux… Les Québécois n’ont pas rompu eux-mêmes le lien colonial
avec la France et la Grande Bretagne ; ils se sont coulés dans le Canada. Depuis 1997-1998,
on trouve une rupture avec la France dans l’imaginaire. Dans les livres scolaires, aucun accent
n’est mis sur les origines européennes, les auteurs français sont mis sur le même plan que les
autres dans le cadre du multiculturalisme ; on ne trouve pas de traces de la francophonie ; on
parle de « l’idée européenne large ». Dans les journaux, les critiques de romans français sont
placés dans la rubrique « littérature étrangère ». Le cinéma français est en forte baisse au
Québec.
Yves Deloye : le problème est que si on est « plus », c’est qu’un autre est « moins », il y a
donc souci. On peut avoir des identifications cumulatives ; on peut se projeter au-delà de son
Etat-nation. Dans les jeunes générations, on a dépassé le « mourir pour sa patrie ». On se
construit son identité, on ne la reçoit pas seulement en héritage. Les Québécois ont une image
claire de ce qu’est l’Européen ; mais il est difficile de définir l’identité européenne ; en
Europe, on a des réalités et on ne se projette pas forcément comme européen. Selon les
enquêtes, en Europe, l’Europe n’est pas le seul élément d’identification ; on se sent européen
à travers son identité nationale. Il y a actuellement deux facteurs constitutifs de l’identité
européenne : l’économie avec le libre échange, l’Euro (pour 66% des gens, il est le symbole
qui incarne le mieux l’Europe) et la culture (donc l’intérêt pour la diversité). Ainsi, le
politique n’est plus l’élément central de nos identités ; notre identité se construit par nousmêmes.
Guy Lachapelle : la notion de patrie évolue-t-elle ? On a un déclin des identités nationales ;
le sens patriotique a aussi diminué (voir le rôle du Parlement, des partis politiques…) ; c’est
l’effet de la mondialisation. Au Québec, comme en Europe, on voit la montée des identités
locales et régionales.
Quels sont les flux migratoires récents au Québec ? Au Québec, 66% des immigrants sont là
depuis moins de 25 ans. Seuls 25% des immigrants sont d’origine européenne ; les autres
viennent d’Afrique du Nord, d’Asie, des Antilles…Beaucoup ne parlent ni le français ni
l’anglais. Entre les 50 états des Etats-Unis et les 10 provinces du Canada, c’est l’Ontario qui
reçoit le plus d’immigrants (plus d’un million de personnes) ; le Québec se situe au 8ème
rang…C’est encore une terre d’accueil.
Alain RENIÉ
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
Le Québec, terre d’accueil ! terre d’écueil !
Jacques LACOURSIERE, historien canadien
En 4 siècles on passe d’une immigration sans restrictions à une immigration
avec des critères. Nous sommes tous des immigrants en Amérique.
Le premier contingent important d’immigrants européens arrive en 1541 avec
Jacques Cartier sur 5 navires, soit 1.000 à 1.500 personnes qui cherchent plus de liberté ; c’est
un échec et ne 1543 les survivants sont rapatriés. A partir de 1627, on a une vague
d’immigrants avec la Compagnie de la Nouvelle France : ce ne sont que des catholiques. La
Compagnie doit envoyer 4.000 colons en 15 ans, ce qu’elle n’arrivera pas à faire à cause de la
guerre franco-anglaise. Des protestants viennent uniquement sur l’été, mais ne restent pas en
hiver ; ils se spécialisent dans le commerce des fourrures. On trouve des soucis entre
catholiques et huguenots sur les bateaux. Pour s’installer, les protestants doivent abjurer. En
1660, on compte 70.000 habitants en Nouvelle France et 1,2 million en Nouvelle Angleterre.
La révocation de l’édit de Nantes en 1685 ne facilite pas l’arrivée des protestants.
En 1755, les protestants présents respectent les lois et font 75% du commerce ;
on a une certaine tolérance. Les juifs, eux, sont interdits par le roi. De 1620 à 1760, 70.000
Français traversent l’océan, seuls 10.000 s’établissent définitivement. L’immigrant idéal est
l’homme ni trop riche, ni trop pauvre qui travaille. Il n’y a pas beaucoup de possibilités pour
les riches. Vers 1660, on a surtout des hommes jeunes ; en 1676 on trouve sur le Saint Laurent
1.600 hommes de 16 à 40 ans et 45 femmes ; ils rencontrent trois risques : les Iroquois, l’hiver
et les maringouins (anglais). Le roi décide l’envoi de filles pour les marier. Au début du 17ème
on envoie de la population pénale qui deviennent de bons colons avec quelques fils de famille
qui repartent. En 1628, on compte un Grec, puis peu à peu d’autres nations, des Siciliens, un
chevalier de Malte. Certains prisonniers de Nouvelle Angleterre demandent la naturalisation ;
dans la première moitié du 18ème, des Irlandais, des Allemands, des Belges s’installent, mais
ne peuvent pas exercer certains métiers (marchands, courtiers,…). On a aussi environ 4.000
esclaves dont une majorité d’Indiens et 1.100 Noirs.
Le traité de Paris en 1763 met fin à la Nouvelle France. En fait, elle coûte
beaucoup et rapporte peu, alors c’est l’inverse pour les Antilles. La France préfère garder les
Antilles. Les sources d’immigration évoluent ; des militaires, administrateurs anglais et
écossais viennent pour s’enrichir ; on a aussi l’arrivée de juifs. Vers 1780, on a l’arrivée au
Québec de 7 à 8.000 Britanniques qui quittent les futurs Etats-Unis et qui ont l’auréole des
martyrs ; environ 5.000 soldats allemands viennent et certains s’installent.
En 1815, l’immigration contribue fortement au développement démographique.
On a alors peu d’immigrants français, sauf quelques religieux vers 1792-1793. Le 14 juillet
1855, un navire français accoste à Québec, c’est le premier depuis 1760… Le consulat général
de France ouvre à Québec en 1859 et rouvre la porte à une immigration française. On a aussi
une forte immigration irlandaise : 436.000 entre 1831 et 1860 avec 90.000 pour la seule année
1847. Certains vont ensuite en Ontario ou aux Etats-Unis. En 1832, les Irlandais ont apporté
le choléra, l’épidémie fait 10.000 morts ; on trouve alors le premier texte contre les
immigrants : « opposer une digue au torrent de l’immigration ».
Au recensement de 1871, on compte 8.000 citoyens d’origine allemande, ils étaient
350 en 1850 ; on trouve 1.700 Hollandais, 500 Italiens… Depuis 1867, l’immigration devient
plus simple avec la constitution du Canada ; le gouvernement fédéral, avec le Québec, établit
une agence de l’immigration en Europe ; elle recherche de futurs agriculteurs avec un capital
si possible ; on a de nombreux documents pour aider à choisir les immigrants. A la fin du
19ème plus de 6.000 juifs russes s’installent à Montréal, à la suite de pogroms. En 1907, à la
chambre d’Ottawa, on proteste contre l’arrivée « massive » de Japonais. En 1909,
Clemenceau, ministre de l’Intérieur, dans une circulaire aux préfets, dit de se méfier des
besoins déclarés du Canada.
De 1901 à 1910, le Canada reçoit 1,7 million d’immigrants dont seulement 16.000
de France. DE 1920 à 1930 ils ne sont que 5.000 Français sur un total d e 1,2 million. Vers
1930, le Québec est encore une terre d’écueil. On voit même un important courant antisémite
contre les juifs. En 1940, le Canada est plutôt favorable à Pétain. Les Canadiens sont prêts à
libérer la France, mais pas l’Angleterre. Vers 1960 le Québec ouvre une délégation générale
en France et on développe les échanges d’enseignants et culturels.
Les Irlandais semblent avoir eu une forte influence au Québec (folklore,
expressions populaires…) ; des enfants dont les parents sont morts dans les épidémies ont été
adoptés par des Canadiens français.
On peut se poser la question de savoir pourquoi à la fin du 19ème les Français ont du
mal à immigrer au Québec. En fait, il s’agit de ne pas dépeupler la France pour peupler la
Nouvelle France (voir déjà Sully ou Colbert) ; de plus le Français ne migre plus et il y a de la
place en France. La France est alors une terre d’immigration, donc il n’y a pas
d’enthousiasme pour des départs.
On a aussi au Québec des mouvements contre les immigrants ; les violences se font
sur les questions d’emploi. 900.000 Français passent de Nouvelle Angleterre au Canada et
s’assimilent, surtout grâce au clergé.
Aujourd’hui, le Québec favorise l’immigration francophone en insistant sur la
connaissance de la langue ; 3.500 Français s’établissent chaque année, 7.000 étudiants
français sont dans les universités et une partie s’installe ; il y a entre les deux pays un projet
de cohérence des qualifications professionnelles. Aujourd’hui, sont québécois ceux qui vivent
au Québec ; il faut se méfier de l’expression « québécois de souche ».
Alain RENIÉ
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
La Grande guerre, entre pacifisme et patriotisme
Jean Maurice DE MONTREMY, journaliste
Nicolas BEAUPRE, université de Clermont-Ferrand
Philippe FORO, université de Toulouse et de Turin
Jean-Yves LE NAOUR, professeur en classes préparatoires
André LOEZ, professeur en classes préparatoires et à Sciences Po.
Jean-Maurice de Montrémy : on a deux éléments importants dans ce conflit : les foules
enthousiastes de 1914 et les mutineries ; qu’en est-il de l’engagement national ?
Jean-Yves Le Naour : en 1913 on n’oppose pas les deux notions de pacifisme et de
patriotisme. On a alors la faillite du pacifisme et on voit la montée des nationalismes ; le vote
de la loi des trois ans suscite un énorme débat ; le nationalisme profite du climat de peur de
l’Allemagne. Parmi les forces pacifistes, on trouve la S.F.I.O. qui se définit comme
internationaliste et la C.G.T. pour qui la guerre est le « produit des bourgeoisies nationales ».
La plupart des Français sont pacifistes ; la loi des trois ans est pour tenir l’Allemagne, pas
pour la provoquer. Les nationalistes français n’ont pas de volonté de conquête. Pour les
internationalistes, la question est de savoir jusqu’où. Veut-on la défaite de son pays ? En
Allemagne, s’il y a la grève générale, on imagine l’arrivée des Cosaques…En France, on
craint que la grève générale ne soit pas suivie aussi en Allemagne. Jaurès est patriote ; il
souhaite une armée populaire ; les Français ont le sentiment que l’Allemagne est l’agresseur ;
chacun pense que l’autre est le provocateur. Jaurès est mal vu dans la presse de droite : « il
faudra le tuer à la mobilisation », Jaurès c’est l’Allemand » dit Charles Maurras. L’assassinat
de Jaurès est l’œuvre d’un déséquilibré ( Raoul Villain) qui voulait aussi assassiner le même
jour Joseph Caillaux.
Nicolas Beaupré : En Allemagne, les deux notions de pacifisme et patriotisme se mélangent ;
en fait il faut justifier une guerre qui se passe en territoire étranger. Au début, on ne fait que
défendre sa patrie avec l’inquiétude de la Russie ; ensuite cela devient plus complexe. Emerge
en Allemagne, un courant pacifiste radical avec Karl Liebknecht et des milieux culturels ; le
1er mai 1916 on a une manifestation pacifiste en Allemagne qui montre que l’Allemagne mène
une guerre expansive. On assimile pacifisme et refus de la guerre : grèves, la « grève cachée
de 1918 » où l’on a à la fois des soldats qui pensent que la guerre est perdue et traînent pour
aller au front et des soldats qui se battent jusqu’au bout.
André Loez : le cas de l’Angleterre pose la question de la durée. En 1914, on pense que la
guerre sera courte et on a un pacifisme court qui fait qu’on peut passer outre. L’armée
britannique est une armée de métier qui fait appel au volontariat ; en 1916, le nombre de
volontaires diminue et on met en place la conscription. En 1914, les volontaires font référence
à la neutralité de la Belgique, garantie par la Grande Bretagne.
Philippe Foro : l’Italie entre en guerre le 24 mai 1915 ; le débat sur l’intervention a été rude
dans une partie de la population. Pour les neutralistes (Giolitti et les dirigeants), l’Italie ne
doit pas choisir ; elle doit négocier sa neutralité car elle n’a rien à gagner à entrer dans la
guerre ; on trouve aussi dans ce groupe les socialise au nom de l’internationalisme socialiste
et l’Eglise avec le pape Benoît 15 qui publie le 1er novembre 1914 une encyclique qui
dénonce la guerre. Dans les interventionnistes, on trouve les autres dirigeants pour qui la
guerre est un moyen de faire reconnaître l’Italie comme grande puissance ; il faut négocier au
plus haut, ce sera le traité de Londres ; on y trouve aussi les nationalistes traditionnels qui
veulent terminer l’unité italienne (le Trentin) et être une puissance en Méditerranée ; on a
aussi des artistes futuristes (soutenus par Apollinaire) qui veulent créer une autre Italie et pour
qui « la guerre est l’épreuve suprême » ; les républicains, héritiers de Mazzini et Garibaldi
voient la guerre comme l’aboutissement du Risorgimento et veulent défendre la république
par alliance avec la France ; pour certains socialistes, dont Mussolini, de la guerre va sortir un
autre monde.
André Loez : la question est de savoir ce que pense le peuple pendant la guerre ; ces débats
leur apparaissent lointains et très construits ; très peu sont des pacifistes militants. Les
combattants aspirent à la fin de la guerre, mais c’est compliqué à obtenir par les armes à partir
de 1915. il y a la volonté de rentrer chez soi. On compte sur les Alliés pour finir la guerre. Les
mutins souhaitent accélérer la fin de la guerre mais ne sont pas des pacifistes. Les embusqués
sont à la fois haïs par les combattants et enviés parce qu’on aimerait bien être à leur place. Les
mutins sont d’accord pour se battre mais pas n’importe comment. Les études sur les
mutineries se renouvellent ; il faut les replacer dans le contexte de la révolution de février en
Russie et des grèves à Paris. La mutinerie reste un acte illégal et transgressif (ce n’est pas
comme la grève) ; on a environ 30 soldats fusillés, 50.000 mutins actifs ; certains veulent aller
à Paris « faire un sale coup à la Chambre » ; il y a l’idée que le pouvoir politique n’est pas à la
hauteur des souffrances du peuple.
En 1918 et après la guerre, il y a l’idée que pacifisme et patriotisme ne sont plus la même
chose ; les pacifistes sont ceux qui ont fait la guerre, ils ont l’impression d’avoir été escroqués
(traité de Versailles, totalitarismes, haine très violente en 1919). ; ils veulent « tout plutôt que
la guerre » : Roger Martin du Gard, Giono, Céline… Le communisme est un fait nouveau et
est anti-militariste et anti-patriote jusqu’en 1934 ; l’anti-communisme propose « Hitler plutôt
que le Front Populaire », l’ennemi est idéologique.
Philippe Foro : vers 1919-1920, il y a la peur de la bolchevisation de l’Italie ; on a même une
république bolchevique proclamée à Florence (3 jours…). En 1920, Mussolini précise qu’il
est le « rempart contre le bolchevisme et pour laver l’affront de la victoire mutilée » ; il
obtient le soutien de la frange nationaliste (d’Annunzio). Mais les élections d e1919 donne la
victoire aux neutralistes de 1914 : en fait l’Italie est déboussolée et tombera dans le fascisme.
Nicolas Beaupré : en 1918-1919, la révolution menace l’Allemagne, qui a une situation
proche de l’Italie ; il y a l’humiliation et les traumatismes : défaite, traité de Versailles, chute
de l’empereur, révolution, les Spartakistes… On va séparer fortement patriotisme et
pacifisme. Un pacifisme radical se définit anti-patriote et anti-militariste, avec des procès dans
les années 1920 et 1930. On a aussi un pacifisme culturel dans les arts. Mais ce pacifisme se
heurte à la grosse humiliation qu’est le traité de Versailles.
Alain RENIÉ
Lycée Saint Grégoire
Lycée Sainte Ursule
37 TOURS
RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS 10 au 12 octobre 2008
Les Turcs sont-ils européens ?
Pierre CHUVIN, directeur de l’Institut d’Etudes anatoliennes
Cengiz AKTAR, professeur à l’université d’Istanbul
François GEORGEON, directeur de recherches au C.N.R.S.
Sylvie GOULARD, présidente du Mouvement Européen France
Ahmet INSEL, professeur à l’université de Paris-I et Galatasaray d’Istanbul
François Georgeon : en quoi les Turcs sont-ils ou ne sont-ils pas européens ? Ils ne sont pas
des indo-européens ; leur langue est d’origine asiatique ; ils ne sont pas chrétiens, mais
musulmans sunnites. Avant l’Islam, ils ont un passé asiatique ; ils sont alors animistes,
bouddhistes ; leur conversion à l’Islam se fait vers les 9ème-10ème siècles. Mais on a aussi des
Turcs de confession orthodoxe. Il y a des rapports étroits avec l’Europe depuis 7 siècles ; ils
ont envahi les Balkans au 14ème et ont un long passé européen de 1350 à 1913 ; ils ont laissé
des monuments, des populations islamisées…, voir la Yougoslavie des années 1990. Les
Turcs ont montré leur vocation européenne depuis deux siècles : les élites sont attirées, il y a
des réformes au 19ème, le mouvement Jeunes Turcs, Mustapha Kémal… Pour les Turcs, les
Balkans sont la Roumélie, le « pays des Romains ».
Sylvie Goulard : nos sociétés en Europe sont métissées ; l’adhésion à l’Union Européenne se
fait sur des principes ; l’U.E. a surmonté des différences. Dans le traité d’adhésion, il est dit
que « tout Etat peut demander à devenir membre de l’Union » ; c’est une éventualité et pas
une obligation. Des pays ne sont pas membres d el’U.E. et sont européens (Suisse, Norvège).
Il y a aussi la possibilité de sortir de l’U.E. En 1963, la perspective d’adhésion de la Turquie
est envisagée, de même en 2004. Le problème actuel est la perte de sens de ce qu’est l’Union
Européenne pour les divers pays. En 1993, à Copenhague, l’U.E. a établi des critères pour les
futurs candidats : être une démocratie avec un état de droit, avoir une économie de marché
résistant à la concurrence, accepter la reprise des acquis communautaires (donc s’adapter au
droit européen). Le problème est que la Turquie serait le plus grand Etat d el’U.E. et qu’il y a
de très grands contrastes entre les régions ; c’est difficile de le dire dans le projet européen
actuel ; est-ce que les Européens sont Européens ? Le processus de l’U.E. est très original au
niveau du monde e ta besoin de clarification.
Cengiz Aktar : les Turcs sont-ils Européens ? La réponse est presque prête dans la question
et c’est non. Il y a une européanité qui est une donnée immuable et acquise avec de nombreux
éléments qui font que c’est l’Europe.
Ahmet Insel : le fait de se connaître est important ; que les Européens définissent ce qui est
Européen. On ne se pose pas la question pour de nombreux pays, mais on la pose pour la
Turquie. La question européenne évoluera avec le temps. On voit par exemple le modèle de la
famille évoluer en Europe entre la famille « traditionnelle » et la famille « recomposée ». La
Turquie est européenne dans une dynamique de famille recomposée. Il y a la volonté de vivre
ensemble. La question et le débat ont lieu surtout en France et assez peu ailleurs ; c’est une
spécificité française. Le cas turc par son poids potentiel pose le cas limite de l’élargissement
européen ; la France se pose également la question de son identité européenne. Elle se
considère comme le père fondateur de l’Europe, la fille aînée de l’Eglise ; elle a peur que la
Turquie lui fasse de l’ombre et elle craint un couple Allemagne-Turquie. On ne posera pas le
problème de la même façon pour l’adhésion éventuelle de l’Ukraine, parce qu’ils sont
chrétiens, donc Européens. En 1949, la Turquie est entrée au Conseil de l’Europe après un
débat réel et sérieux qui a précisé que « la Turquie est un pays asiatique en Europe devenu un
pays européen en Asie ». Dans le débat actuel, il y a trois grands problèmes : le voile des
femmes, le port de la moustache, la présence de plus d’hommes que de femmes dans les lieux
publics. En fait, c’est la question du statut de la femme et des différences de niveau de vie.
« Je ne me sens pas étranger devant vous ». On ne peut cependant pas occulter les questions
de l’Arménie, des Kurdes et de l’armée. Les turcs sont-ils des gens du Proche Orient ?
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