RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
BLOIS
10 au 12 octobre 2008
LES EUROPEENS
1- Migrations, immigrations, diasporas : d’où viennent les Européens ?
2- La Méditerranée, une frontière ?
3- Un vecteur de la montée de l’individualisme européen : les confréries
4- Les strates historiques de la construction européenne
5- L’identité européenne
6- Les émeutes de la faim
7- Chrétiens, les Européens ?
8- La Bible dans la conscience des Européens du 17ème au 19ème siècle
9- 1492-1945 : pourquoi l’Europe s’est-elle imposée au monde ?
10-Les frontières sont-elles le malheur de l’Europe ?
11-Les Québécois se sentent-ils plus Européens qu’Américains ?
12-Québec, terre d’accueil ! Terre d’écueil ! 4 siècles dans l’histoire de la
migration européenne vers l’Amérique
13-La Grande Guerre, entre pacifisme et patriotisme
14-Les Turcs sont-ils Européens
Alain RENIE RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
Lycée Saint Grégoire BLOIS 10 au 12 octobre 2008
Lycée Sainte Ursule
TOURS
Migrations, immigrations, diasporas : d’où viennent les
Européens ?
Claire SATINEL, professeur à l’Université de Tours
Jean-Jacques AILLAGON, commissaire de l’exposition Rome et les Barbares
Alessandro BARBERO : professeur à l’Université de Turin
Philippe RYGIEL, professeur à Paris-I
Claire Satinel :doit-on parler de déplacements de populations ou de racines ?on a les grand
mythes de l’Antiquité : Ulysse, Gilgamesh, Abraham… Y a-t-il des moments importants de
migrations dans l’histoire ?
Jean-Jacques Aillagon : on peut dire que le 1er millénaire de notre ère est marqué par une
« mobilité en tous sens » ; c’est l’époque de la migration absolue ; on a les normands et les
Magyars qui se sédentarisent à la fin du millénaire. L’Europe est née du démembrement de
l’empire romain ; c’est le compromis de tous les systèmes. Le 2ème millénaire est marqué par
l’exportation de l’Europe ; le 3ème sera-t-il un nouveau cycle d’importation ?
Alessandro Barbero : on constate des temps forts dans les migrations avec des groupes
entiers qui vont dans la même direction : les invasions barbares, le départ vers l’Amérique au
19ème et 20ème siècles. Mais les migrations ce sont aussi des gens qui vont du village à la ville
ou dans une autre région ; on a aussi parfois les migrations saisonnières de la montagne vers
la ville. Dans les villes du Moyen Age, de nombreux habitants sont nés ailleurs. Dans tous les
villages, la mobilité existe au moins pour une minorité. La Venise du 15ème siècle compte des
milliers d’Allemands. Le plus souvent, on a un brassage dans l’espace. Parfois, un groupe
laisse une empreinte très forte : les Francs vers la Gaule aux 4ème et 5ème siècles (ils donnent
même le nom de France) ; les Lombards s’implantent en Italie du Nord au 6ème mais ne sont
que 100 à 200.000 personnes dans un pays de 5 millions d’habitants. En démographie, les
évolutions ne sont pas considérables, mais les changements sont durables.
Philippe Rygiel : il faut faire attention aux mots ;en Europe (les 27 de l’Union Européenne)
on a sur les migrations au mieux une idée avec des contours très flous. De plus, pendant très
longtemps, personne ne compte les mouvements de population, parce qu’il faut pour cela des
fonctionnaires et un Etat (cela coûte cher…). Jusqu’en 1914, on quitte l’Europe pour les
colonies, le nouveau Monde, l’Australie; mais de très nombreux Italiens reviennent des Etats
Unis. Après 1914-1918, l’Europe n’est plus une zone de départ ; c’est un espace qui se
remplit avec les migrations post-coloniales (fin des empires britannique et français).
Actuellement, l’Europe est attractive pour ses anciennes colonies mais aussi pour d’autres
régions (Turquie, Caucase, Chine qui n’ont jamais été des colonies européennes).
Dans l’espace européen, la circulation des populations est ancienne et permanente : à la fin du
13ème la cathédrale d’Uppsala (suède) est construite par des maçons creusois ; on parlait des
langues très diverses sur les chantiers. La guerre de 30 ans a amené des départs massifs de
populations des zones dévastées (et donc la question des réfugiés). Aux 17ème et 18ème on a
des migrants économiques : les Auvergnats vers l’Espagne (maçons, boulangers, artisans…)
et cela s’arrête avec Napoléon. Au 19ème de nombreux Italiens sont sur les chantiers
industriels ; en 1848 à Paris on trouve de nombreuses émeutes xénophobes contre les
Allemands.
Claire Satinel : l’empire romain a connu de nombreux mouvements de population à
l’intérieur de ses frontières ; les migrations externes (Germains, Parthes..) sont peu
nombreuses en quantité. Au 4ème siècle, on a un important afflux venus de l’extérieur
(Alamans, Sarmates…) ; sont-ils extérieurs à l’Europe ?
Jean-Jacques Aillagon : la question est qu’est-ce que l’Europe ? C’est un morceau de
l’Eurasie avec des limites convenues (Oural, Atlantique, Arctique). C’est plus complexe au
Sud l’Afrique du nord a souvent été amarrée à l’Europe ; c’est aussi très complexe avec le
Bosphore.
L’empire romain connaît une double fracture : Nord et sud de la Méditerranée , orient grec et
occident latin. L’Europe a une réalité confessionnelle : territoire qui n’est pas grec ni
orthodoxe. Cette Europe est catholique latine a se reconnait dans une identité partagée. En
2008, l’Union Européenne déborde ce territoire (Grèce, Roumanie, Bulgarie…). Clovis est roi
des Francs, mais son royaume est peuplé de Gallo-Romains ; parfois des petits groupes
peuvent imposer leur influence (cf. aussi l’Afrique de l’Ouest aux 19ème et 20ème siècles…).
L’idée d’Europe a donc un caractère très mouvant.
Claire Satinel : les Francs viennent d’où avant d’être en Gaule ? Sont-ils Européens ? Peut-
on comparer l’établissement des Francs et des Huns ?
Jean-Jacques Aillagon :les Francs sont les moins nomades des peuples barbares ; ce sont des
Belges…
Philippe Rygiel : il faut distinguer les réalités spatiales et politiques ; il faut voir le discours
d’où émerge l’idée que l’Europe a des ancêtres : l’empire romain, la chrétienté occidentale, ce
qui ne correspond pas aux mêmes espaces topographiques ; mais les musulmans sont aussi les
successeurs de l’empire romain.
En France, on compte de très nombreux immigrés belges ; à la fin du 19ème à Roubaix, on a de
nombreuses émeutes contre les Belges. En fait, il y a les nationaux et les autres : on fait la
« chasse » aux Belges, Italiens… et il y a des morts. Les Européens sont des gens pour
lesquels la 3ème génération antérieure venait d’ailleurs. La « vague conscience d’appartenir à
un ensemble est très récente ».
Alessandro Barbero : d’où viennent les Francs avant ? En fait ils n’existent pas avant de
venir en Gaule (comme les Huns). Le peuple se forme au moment de son déplacement ; les
tribus sont en contact avec les Romains ; elles se confédèrent et s’organisent avec un chef (on
peut faire la comparaison avec les Indiens en Amérique du Nord) ; les peuples se donnent un
nom nouveau, s’inventent une identité avec des ancêtres mythiques (par exemple les Francs se
disent descendants de Troie) ; ils veulent s’emparer de la civilisation romaine et non la
détruire ; ils veulent récupérer la notion d’impôt et la gloire. Les peuples qui ont du succès
restent en place : les Francs ; les Huns ; les Avars disparaissent parce qu’ils sont battus ; les
gens cherchent alors d’autres chefs. En fait les peuples n’ont pas d’identité biologique.
Philippe Rygiel :les Européens sont en train de naître à partir des tribus germaniques qui
s’inventent un passé, des ancêtres…Au 19ème, on a ainsi créé les Lituaniens. Les Européens
seront ce que nous en ferons.
Claire Satinel : les Goths se sont installés au 6ème siècle en Italie, mais ils ont été vaincus par
les Byzantins en 580 et ils disparaissent de l’histoire. Or, on a déjà à l’époque une réflexion
sur ce qu’ils deviennent ; en fait ils fabriquent ce que deviendront les Goths dans la mémoire
future ; ils ne sont pas exterminés (cf les documents de l’Eglise de Ravenne). On a des
migrations qui aboutissent à des assimilations en quelques générations et parfois ces migrants
donnent une identité nouvelle : les Lombards forment la Lombardie, les Francs donnent
Francia.
Jean-Jacques Aillagon : les Goths connaissent un phénomène d’acculturation rapide ; ils
rêvent de devenir des « gens du cru » (cf l’évolution des rites funéraires de l’Aquitaine
wisigothique).
Alessandro Barbero : l’identité nationale et ethnique est quelque chose qu’on choisit, même
si ce choix n’est pas très conscient au Moyen Age. Après la conquête byzantine en 580, il
vaut mieux ne pas être Goth…C’est la même chose au Nord de la Loire où il vaut alors mieux
être Franc que Gallo-Romain (je vis en Francia, j’obéis au roi des Francs, je donne un nom
franc à mes enfants, j’adopte la coutume franque comme la loi salique…) ; avec
Charlemagne, tout le monde au nord de la Loire se dit Franc ( les chroniqueurs de
Charlemagne ont le sentiment que les Romains ne sont plus là…).
Philippe Rygiell’époque contemporaine, c’est plus compliqué parce que nous avons de
nombreuses sources. La migration est un déplacement de population qui a toujours des
implications politiques (cf le Far West avec les immigrants et les pionniers qui étaient des
immigrants…).
On voit des transformations d’une génération à l’autre : habitudes alimentaires, la présence
des femmes debout pendant les repas…En France, les migrants les moins assimilés sont les
Polonais dans le Nord : ils pratiquent la langue polonaise dans la vie privée, mais ils se
sentent français.
Claire Satinel : parler migrations, c’est aussi parler des frontières. Les frontières sont faites
pour être passées. Les Européens sont formés d’une population pour qui le mouvement
compte en permanence ; ils sont le fruit de migrations permanentes ; il n’y a jamais eu de
frontières complètement closes.
Jean-Jacques Aillagon : il faut avoir l’idée de fouiller son histoire familiale ; l’idée que les
gens ne seraient que du cru est un mythe. L’identité européenne est une identité construite.
Les rois barbares (Chilpéric ou Théodoric qui restaure l’aqueduc à Ravenne) voulaient vivre
comme des empereurs romains. Nous avons intérêt à nous construire une culture pour éviter
les préjugés.
Alessandro Barbero :les historiens cherchent à sortir des lieux communs ; on n’a pas
d’histoire immobile, on n’a pas de sang particulier…dans toutes les réalités, on a rencontré la
haine de ceux qui viennent d’ailleurs, la difficulté de les intégrer, la fatigue de la migration.
Philippe Rygiel :l’Europe, c’est une histoire politique, donc une histoire conflictuelle ; on a
des violences ; en 1840 on a à paris des batailles rangées entre des Auvergnats et des creusois,
des anciens du Finistère et des anciens des Côtesd’Armor. On a aussi des groupes en
reconstruction.
Alessandro Barbero : nous n’avons pas parlé des Arabo-musulmans parce que ce n’est pas le
sujet. Les Arabes ont des racines dans la civilisation gréco-romaine ; ils ont intégré la culture
hellénique ; au 3ème siècle, il y a un empereur romain qui s’appelle Philippe l’Arabe ; on a eu
du christianisme sur des populations fixes arabes. L’Islam n’existerait pas sans le judaïsme et
le christianisme. Ensuite l’Islam a pu se passer des apports de l’Europe occidentale. En Sicile
et en Espagne, les musulmans ont été battus ; à la défaite ils ont été expulsés parce qu’on ne
peut pas être musulman et vivre dans la chrétienté au 15ème siècle.
Claire Satinel : l’Islam est une migration de conquête militaire avec une installation
quantitativement peu importante ; dans l’Espagne arabe, on peut réussir en étant chrétien.
Philippe Rygiel :au Moyen Age et à l’époque moderne, l’Islam est l’adversaire ou l’ennemi.
A l’époque contemporaine, c’est différent ; une partie de l’Europe est sous domination
musulmane (l’empire Ottoman) ; Au 19ème, la Turquie est appelée « l’homme malade de
l’Europe ». En 1918, la Turquie perd pied en Europe. Vers 1945-1950, les pères de l’Europe
sont démocrates-chrétiens, donc l’Islam est en dehors de l’Europe ; mais la Turquie entre dès
1949 au Conseil de l’Europe.
Claire Satinel : quelle est la place de la langue dans la mouvance des populations ? Pourquoi
certaines langues ont-elles résisté (polonais, basque…) ? dans le monde romain, le latin et le
grec sont la langue des élites ; cela permet les échanges et la culture savante. En fait le
bilinguisme est très répandu : latin ou grec avec la langue locale. On a en fait une langue
dominante et des langues locales ; cela facilite les déplacements : voir les textes de Saint
Augustin. On assiste aussi à des transformations de langues.
Jean-Jacques Aillagon : avec la carte linguistique de l’Europe actuelle, on voit les mondes
romanisées, germaniques et slaves. En Belgique, on a une frontière très douloureuse qui est le
reste d’influences très anciennes. L’anglais devient une langue d’usage commun en Europe
aujourd’hui.
Philippe Rygiel : les langues sont aussi des constructions historiques ; elles naissent et
disparaissent. Par exemple, l’italien n’existe pas avant le 19ème siècle. La linguistique et les
hommes ne se superposent pas toujours : Canada, Suisse. Le multilinguisme est une norme
ancienne : voir les nombreuses langues parlées dans la France du 19ème siècle.
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