Geography in motion
1952 1990 2007
Carte G2.1 En Europe, les divisions se sont progressivement estompées
Étapes de l’intégration économique
Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2009.
Géographie en mouvement
Vaincre la division en Europe de l’Ouest
L’on se moqua de Victor Hugo lorsqu’il
fit cette déclaration, tout comme l’on
avait ri de plusieurs de ceux qui, avant
lui, avaient défendu l’idée d’une intégration
européenne. Il fallut deux guerres mondia-
les dévastatrices pour que les gens prennent
cette idée au sérieux et que les responsables
politiques soient prêts à un changement
de direction radical. L’ampleur des ravages
et de la misère fut la clé de la compréhen-
sion de l’élan d’intégration : outre un bilan
effroyable en pertes humaines, la guerre
causa des dommages économiques gigantes-
ques. Elle coûta au moins quatre décennies
de croissance à l’Allemagne et à l’Italie et fit
retomber les produits intérieurs bruts (PIB)
de l’Autriche et de la France à leurs niveaux
du 19e siècle. 1
Vaincre la division et ses conséquen-
ces dramatiques fut l’objectif des diri-
geants européens après la Seconde guerre
mondiale. Le nationalisme destructeur et
sa composante économique le protec-
tionnisme furent en effet tenus pour
partie responsables du désastre. L’intégra-
tion économique fut donc perçue comme
le meilleur moyen de prévenir une nouvelle
guerre. Le fait que cette entreprise devait
ne recourir qu’à des moyens pacifiques et
avait pour objectif principal de préserver la
paix était — et reste — un effort unique. À
cet égard, lintégration européenne est un
réel sucs. Toutefois, il n’était pas certain,
dans les années 40 et 50, que cette vision
de la « paix par l’intégration » serait cou-
ronnée de succès, car elle arrivait en même
temps qu’une nouvelle division, celle de la
guerre Froide entre l’Est et l’Ouest.
Sous la pression des États-Unis, 13
pays européens créèrent lOrganisation
européenne de coopération économique
(OECE) en 1948, en vue de lancer le plan
Marshall. Sa mission était de réduire les
obstacles au commerce, notamment les res-
trictions sur les quotas. Dans les premières
années de laprès-guerre, l’Europe fut une
économie débarrassée des quotas et des
tarifs douaniers. La suppression des bar-
rières commerciales favorisa la croissance
rapide des échanges commerciaux. Entre
1950 et 1958, les exportations manufactu-
rières augmentèrent de près de 20 % par an
en Allemagne de l’Ouest, 9,2 % en Italie et
3,8 % en France. En outre, la croissance
rapide du PIB était de 7,8 % en Allemagne
de Ouest, 5 % en Italie et 4,4 % en France.
La corrélation n’est pas la causali, et la
reconstruction fut un moteur puissant de
croissance. La croissance rapide qui accom-
pagna la libéralisation du commerce euro-
péen fit évoluer la vision des responsables
politiques européens. Lintégration euro-
péenne n’était pas qu’un projet politique :
Un jour viendra vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos
qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité
européenne.
Victor Hugo, extrait d’un discours prononcé lors du Congrès international de la paix en 1849
sa composante économique prenait tout
son sens.
La Communauté européenne du char-
bon et de lacier (CECA) fut lancée par
la France et lAllemagne, qui invitèrent
dautres pays à placer ces deux secteurs
sous son autorité supranationale. Ce pro-
jet était tant politique et économique car il
exerçait une supranationalité sur deux sec-
teurs considérés comme stratégiques pour
des raisons économiques et militaires. La
Belgique, lItalie, le Luxembourg et les
Pays-Bas intégrèrent le projet en 1951 et ce
groupe de six pays devint alors le moteur de
lintégration européenne (voir carte G2.1).
La CECA démontra que la faisabilité de la
coopération économique était plus grande
que celle de lintégration politique ou
militaire.
La Communauté économique euro-
enne (CEE), comptant ces six nations,
fut cée par le Trai de Rome en 1957.
Cette mesure engagea ces pays dans une
intégration économique sans pcédent.
Non seulement une union douanière sup-
primerait tous les tarifs douaniers sur les
échanges commerciaux intra-CEE et éta-
blirait un tarif exrieur commun, mais
une zone économique unifiée favoriserait
également la libre circulation de la main-
dœuvre, les marchés nanciers intégs,
le libre-échange dans les services et un
ensemble de politiques communes. Ce
degdintégration économique n’était pas
alisable sans une profonde intégration
politique. Rétrospectivement, donc, « luti-
lisation de léconomie comme cheval de
Troie de lintégration politique fonctionna
à merveille ». 2 En tant que « gardiennes
du Traité », la Cour et la Commission
européennes devaient contrôler les pays
(notamment la France, lorsque de Gaulle
revint au pouvoir) qui en arrivaient à reje-
ter le niveau de supranationalité impliqué
par le Trai. anmoins, entre 1966 et
1986, lintégration profonde promise par
le Traité de Rome stagna (voir figure G2.1).
Les Européens se mirent à dresser des bar-
rres sous forme de règlementations et
normes techniques, divisant les marcs
une réaction classique de la part des
industries faisant pression pour défendre
leurs loyers.
LActe unique européen (1986) relaa
le processus dapprofondissement de lin-
gration économique, qui fut dautant
plus surprenant du fait de la lente désin-
gration des anes 70. Mettant laccent
sur la mobilité du capital, l’Acte unique fut
aussi, en partie, à lorigine de la création de
lUnion monétaire européenne (UME). En
effet, les taux de change xes du Sysme
monétaire européen impliquaient, outre la
libre circulation des capitaux, la perte de la
souveraineté monétaire. Cela rendit l’UME
plus séduisant sur le plan politique pour
les pays concers par les taux de change
xes.
Effacer les divisions signifie réduire
limpact des frontières sur les flux déchan-
ges commerciaux. En a-t-il été ainsi au sein
de l’Union européenne (UE) ? Une manière
de répondre à cette question est de compa-
rer le volume des échanges commerciaux
à lintérieur des frontières par rapport au
volume des échanges bilatéraux entre les
pays. Le rapport entre les deux est l« effet
frontre ». Fontag, Mayer et Zignago
(2005) proposent cette analyse pour l’Eu-
rope des 9, soit les six pays fondateurs plus
le Danemark, lIrlande et le Royaume-Uni.
Leffet frontre concernant les échanges
intra-européens relevés passa de 24 à la fin
des années 70 à 13 à la n des anes 90,
reflétant une augmentation considérable
de lintégration (voir gure G2.2), sans
1957 199719921987
Union monétaire (1999)
Marché commun (1993)
SME (1979)
Union douanière (1968)
PAC (1962)
Indice institutionnel pour l’intégration de la CEE 6
19821977197219671962 2002
0
10
20
30
40
90
80
70
60
50
100
Année
Figure G2.1 L’ascension vers le succès
L’indice institutionnel d’intégration pour la Communauté économique européenne des six
Source : Équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2009.
Frontière UE-9 États-Unis
Frontière Etats-Unis UE-9 – Intra-UE-9
Within EU9
1980
Rapport du commerce à l’intérieur des frontières au commerce à travers les frontières
1985 1990 1995 2000
10
20
30
40
50
60
70
80
Année
Figure G2.2 Les effets de frontière entre l’Union européenne et les Etats-Unis restent deux fois
supérieurs à ceux des frontières intra-UE
Source : Fontagné, Mayer & Zignago, 2005.
Note : L’effet de frontière est l’inverse du volume d’échanges à l’intérieur de frontières naturelles par rapport au
volume à travers les frontières.
Géographie en mouvement 123
Geography in motion
pareille dans le monde. Leffet frontière
entre l’Europe des 9 et les États-Unis, alors
qu’il avait churapidement durant cette
période, se maintient plus de deux fois plus
éleque le rapport intra-UE. Les frontiè-
res à lintérieur de l’UE se sont amincies
mais n’ont pas disparu.
Le processus dintégration régionale
européenne s’est étendu. À mesure que
l’UE s’approfondissait et s’élargissait, le
ct du traitement discriminatoire (la
conséquence naturelle de tout processus
124 RAPPORT SUR LE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE 2009
dintégration régionale) à l’égard des pays
tiers augmenta, créant une « dynamique de
régionalisme à effet de domino ». 3 Même
les pays européens qui tenaient le plus à
leur souveraine ont fait leur demande
dadhésion. Le fait que l’UE et sa suprana-
tionalité exceptionnelle suscitent tant din-
térêt de la part de pays tiers est lévidence
d’un succès durable.
Source : Contribution de Philippe Martin.
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