Exception faite des activités exclusivement sociales définies de façon très restrictive par la Cour de Justice
des Communautés européennes, les prestataires de services sociaux, et surtout les autorités publiques,
devront choisir leur camp :
Soit ils relèvent des activités économiques classiques et appliquent les règles communes de
concurrence et du marché intérieur applicables à l’ensemble des acteurs et des activités
économiques ;
Soit ils relèvent, en tant que « chargés de la gestion d’un SIEG » et obligés de fournir le service en
référence aux « obligations de service public » définis par l’Etat, des dispositions dérogatoires
relatives aux articles 16 et 86.2 TCE et à la protection de leurs missions d’intérêt général.
En droit communautaire, il n’y a pas de troisième voie. L’enjeu consiste donc pour les Etats-membres à
établir une frontière dans le tiers secteur, dans l’économie sociale et à séparer ce qui relève de
l’accomplissement d’une mission d’intérêt général et dont les prestataires doivent être explicitement chargés
de la gestion d’un SIEG, de ce qui ne relève pas de l’intérêt général et ne nécessite pas une protection
particulière au regard des règles de concurrence et du marché intérieur.
Cette frontière devra être établie par les Etats-membres courant 2008 dans le cadre de la transposition dans
leur droit interne de la directive services et au plus tard le 19 décembre 2008 dans le cadre du rapport qu’ils
devront adresser à la Commission européenne sur l’effectivité des « actes de mandatement » liés aux SIEG
et à la compatibilité de leur mode de financement par ressources publiques (en application de la décision
communautaire de novembre 2005 sur les aides d’Etat sous la forme de compensation de SIEG).
De l’emplacement de cette frontière, et de l’existence effective d’un mandatement par l’Etat des prestataires
de services sociaux de la gestion d’un SIEG, dépendront à titre d’exemple :
La compatibilité ou non du financement de ces services au moyen de ressources d’Etat, notamment
la capacité de qualification de ces aides de compensation de SIEG (art.86.2 TCE) ou leur notification
à la Commission européenne au titre des aides incompatibles (art.87 TCE),
L’application ou non des dispositions de la directive sur les services dans le marché intérieur
(contrôle des régimes d’autorisation et libre prestation de services). Seuls les prestataires de 3
catégories de services sociaux pourront être totalement exclus du champ d’application de cette
directive s’ils sont effectivement « mandatés » par l’Etat au sens de l’obligation de fournir les
services sociaux en question.
L’application des dispositions de la directive sur les services dans le marché intérieur relatives à la
libre prestation de services, les SIEG en étant exclus mais bien entendu au sens de l’art.86.2 et du
cadre légal relatif à ces SIEG explicitement qualifié comme tel en droit interne. Les cadres légaux
relatifs aux services sociaux n’induisant ni un mandatement, ni une qualification explicite de SIEG,
tombent dans le champ d’application de la directive services et de la libre prestation de services.
Ces trois exemples illustrent parfaitement les enjeux en présence. Plus globalement, c’est la protection
générale du bon accomplissement des missions d’intérêt général des services sociaux contre les
éventuelles entraves du droit de la concurrence et du marché intérieur qui est en jeu.
Conformément à leur positionnement au sein du Conseil, les Etats-membres ne disposent que d’une seule
alternative sauf à alimenter le contentieux communautaire qui se développe spontanément compte tenu de
l’insécurité juridique existante :
Soit ils appliquent effectivement aux services sociaux le cadre communautaire qu’ils soutiennent à
Bruxelles au niveau du Conseil et établissent cette frontière en mandatant explicitement les
prestataires de services sociaux de la gestion d’un SIEG et de l’accomplissement d’une mission
d’intérêt général dans leur droit interne,
Soit ils récusent cette approche binaire et imposent une troisième voie législative par une adaptation
des dispositions de l’article 86.2 aux spécificités propres aux services sociaux et à l’économie
sociale, ce qu’ils se sont refusés de faire jusqu’à présent malgré le mandat du Parlement européen.
Quelle que soit l’option politique retenue, les Etats-membres n’échapperont pas à leurs responsabilités en
2008, ni au débat politique dans leurs Parlements nationaux. La transposition de la directive sur les services
dans le marché intérieur dans les Etats-membres constituera un moment privilégié du débat politique,
premier test grandeur réelle du positionnement du curseur et de l’inscription effective des services sociaux
dans le champ des SIEG ou dans le champ de droit commun de la concurrence et du marché intérieur.
Un débat éminemment politique en perspective, quand on connaît la sensibilité toute particulière des
services concernés (Education, Formation, Logement, Santé, Insertion…), les masses budgétaires en
présence, autant de « biens sous tutelle » au cœur du modèle social européen et du processus d’inclusion
active.