Le 2 novembre 2002.
Monsieur le Ministre,
Vos propos publiés dans « L’Echo » de ce 2 novembre nous laissent pantois. Où sont donc
passés les 5.100 euros de suppléments que vous avez généreusement donnés aux généralistes ; car
autour de nous, personne n’en a vu la couleur.
Ces montants sont virtuels et accessibles qu’avec des SI :
Si le patient demande de gérer son dossier médical global ou
Si on est prêt à lui mendier cet honoraire
Si on emploie un logiciel labellisé et
Si on en paie la maintenance régulière
Si on participe à une garde population reconnue
Si on s’associe avec d’autres confrères
Si on ne prescrit pas trop d’examens
Si on ne prescrit pas trop de médicaments
Si on participe à une formation continue reconnue
Si on participe aux groupes locaux d’évaluation médicale
Si on ne dépasse pas son enveloppe
Si on ne fait pas exploser le budget
Si on est docile
Si on est sage
Si …
Avec des SI le politique a mis trop longtemps le corps médical en bouteille…mais le bouchon qui
occultait sa colère vient de sauter…
Quel syndicat de travailleurs accepterait une augmentation de salaire avec autant d’improbables SI ?
Peut-être faites vous référence à l’honoraire de disponibilité que vous avez promis pour les gardes?
Personne ne l’a perçu. Ou alors aux 23 millions d’euros pour la généralisation du dossier médical
global ? Vous savez que ce budget n’est pas utilisé, et que le taux de pénétration du DMG est inférieur
à 10 % . Pour rappel, la demande expresse doit émaner du patient. Peut-être pensez-vous aux subsides
pour l’informatisation des cabinets médicaux ? Vous savez également que le prix des contrats de
maintenance des logiciels agréés a subitement grimpé pour atteindre le montant dudit subside. Cet
argent n’a donc fait que transiter temporairement dans la poche des médecins.
Vous êtes fier d’annoncer que vous avez obtenu l’accord total de l’Absym et du Cartel sur
votre projet de loi relatif à la responsabilisation des prestataires. Vous oubliez de mentionner que vous
avez ouvert la réunion du 14 octobre dernier en déclarant que l’actuelle version était à prendre ou à
laisser, sinon vous ressortiez la première mouture de votre projet qui est parfaitement exécrable. Nos
syndicats n’ont eu d’autre choix que d’engranger les quelques améliorations mineures par rapport au
premier projet. Et pourtant, vous êtes bien conscient que ce projet n’avait aucune chance de passer le
cap du Conseil d’Etat. Vous semblez être un très habile bluffeur pour oser utiliser la menace de
promulguer des lois contraires aux principes élémentaires du droit belge et de la déclaration
universelle des droits de l’homme. Vous affirmez qu’en principe, votre projet de loi ne devrait
concerner que ceux qui, de manière importante, systématique et manifeste ne partagent pas vos
préoccupations. Pourquoi alors ne pas mettre ces garanties dans le texte de loi, au lieu de laisser au
service de contrôle médical de l’INAMI les prérogatives de déterminer la norme, d’instruire le dossier,
et de fixer le montant des amendes qui doivent être versées …à l’INAMI ? Imaginez-vous qu’un
policier puisse unilatéralement verbaliser un contrevenant et fixer seul le montant de l’amende qu’il se
met ensuite en poche ? En France, une loi similaire a été successivement abrogée par le Conseil
d’Etat, puis par le Conseil Constitutionnel.
Monsieur le Ministre, les médecins en ont assez d’être jetés en pâture dans l’opinion publique
et qualifiés de mauvais élèves qui ne savent que dépenser l’argent que la collectivité met à leur
disposition. Etes vous capable de raisonner votre département autrement qu’en termes purement
économiques, et d’utiliser des critères scientifiques ou de santé publique ? Lorsque, par exemple, nous
prescrivons un IEC à un patient décompensé cardiaque, nous induisons une dépense mensuelle de
11,66 euros à charge de la collectivité ; mais pourquoi ne pas envisager qu’en ce faisant, on évite au
patient un décompensation grave avec œdème pulmonaire aigu qui nécessiterait plusieurs jours
d’hospitalisation en unité de soins intensifs ? Nos autorités scientifiques ne cessent de répéter que
l’hypertension artérielle, l’asthme, le diabète ou la dépression sont sous-diagnostiqués et à fortiori
sous-traités. Le véritable danger de votre projet réside moins dans le risque d’amendes aveugles et
arbitraires qu’en une véritable peur panique de prescrire induite dans le chef des médecins, dont
l’intérêt personnel sera mis en concurrence directe avec celui de ses patients. En matière de soins de
santé, si la surconsommation coûte de l’argent, la sous-consommation, que votre projet ne manquera
pas de provoquer, coûtera des vies humaines.
Nous ne vous comprenons pas, Monsieur le Ministre, lorsque vous vous acharnez à subsidier
les tracasseries administratives et les structures, plus que les soins dont bénéficient directement les
patients. Si dans les plus de cent fédérations mutuellistes, 5 personnes sont chargées de traiter tous les
jours les tonnes de demandes de remboursement, supprimer le chapitre IV des médicaments dégagerait
environ 25 millions d’euros d’économie de frais administratifs. Et voilà maintenant que votre collègue
de la santé publique a trouvé des sommes importantes pour financer les pratiques de groupe ! Votre
frénésie à vouloir organiser, structurer, hiérarchiser sur un mode collectiviste les soins de première
ligne nous fait peur. Nous craignons que la dilution des responsabilités n’engendre automatiquement
une diminution de la motivation. Nous sommes persuadés que, petit à petit, c’est la médecine libre que
vous voulez tuer, alors que la qualité de notre système de soins est internationalement reconnue, et
cela bien que les médecins y soient les moins bien payés d’Europe occidentale. Vous devez
comprendre que nous considérons les labyrinthes administratifs qu’on nous impose, et les nouveaux
projets comme une injure à notre dignité de médecins, et à notre diplôme. Nous ne nous laissons pas
abuser par la politique spectacle que vous affectionnez lorsque vous déclarez devant les caméras que
vous remboursez dorénavant les traitements de l’Alzheimer, alors que vous assortissez cette mesure
d’un véritable dédale administratif, parcours du combattant parfaitement inaccessible, et qui nous
oblige à hospitaliser à plusieurs reprises nos patients âgés. De même, lorsque vous refusez de
rembourser aux patients en dessous de 65 ans les anti-inflammatoires de nouvelle génération qui
n’altèrent pas la muqueuse digestive, vous considérez cette prescription comme un traitement de
confort. Vous analysez des chiffres, des profils et des coûts ; nous, nous prodiguons nos soins à des
personnes humaines. Nous sommes bien engagés dans une médecine à deux vitesses, seuls les mieux
nantis peuvent se payer les soins les plus performants. Alors que vous voulez réduire les soins, sans en
assumer la responsabilité, nous sommes persuadés que les prestataires sont encore les meilleurs
défenseurs des acquis sociaux de nos patients ; nous nous battons en effet pour préserver leur libre
choix, et garantir l’accessibilité de tous à des soins de qualité.
A Couvin, Mons, Chênée, Charleroi, Tournai, Auvelais et bientôt à Liège et La Louvière, les
professionnels de la santé manifestent spontanément dans les rues. En effet, vous avez réussi l’exploit
d’exaspérer tous les prestataires de la première ligne. Après avoir racketté leurs ristournes, vous
diminuez les marges des pharmaciens, et les obligez à devenir des délateurs des médecins distraits. Les
infirmiers, qu’on estime aujourd’hui incapables d’injecter un vaccin, voient leurs actes déqualifiés, et
se perdent dans les projets de hiérarchisation irréaliste. Allez-vous leur distribuer des galons de 1ère
classe, 2ième classe, adjudant-chef …? Vous vous plaisez à répéter que les kinés peuvent continuer au
delà des 18 séances, en omettant de signaler que c’est virtuellement pour rien. Accepteriez-vous de
voir votre salaire amputé sous le prétexte que vous exercez votre fonction depuis plus de trois ans ?
Vous leur proposez 900.000 francs pour leur reconversion. Les citoyens belges pensent qu’il y
pléthore de ministres ; accepteriez vous 900.000 francs pour vous reconvertir en infirmier ?
Un fossé d’incompréhension vous sépare des prestataires de soins. Les mouvements de grogne
fusent de partout, les différents types d’action vont se durcir progressivement. On annonce une
manifestation nationale à Bruxelles, plusieurs zones préparent des grèves de garde, des grèves d’un
jour par semaine, ou des grèves totales. L’incendie se propage, Monsieur le Ministre, et vous êtes le
seul pompier à pouvoir le maîtriser. Référez-vous au consensus Nord-Sud, supprimez le chapitre IV
des médicaments, mettez à la poubelle vos projets de responsabilisation des prestataires et de
financement des pratiques de groupe, et consacrez les économies ainsi directement et indirectement
réalisées à une juste rémunération des prestataires, tenant compte du niveau de leur formation et de
leur compétence. Vous pourrez ainsi terminer votre mandat ministériel dans le calme et la sérénité.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, nos salutations distinguées.
Dr C . DAWANCE Dr J-F. MOREAU Dr J-F. SOUPART Dr P. VOLLEMAERE
4870 Trooz 7540 Tournai 7170 Manage 1082 Bruxelles
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