2.2.2 La légitimité comme outil de mesure de la puissance[16]

Colloque organisé par le GREITD, l’IRD
et les Universités de Paris I (IEDES), Paris 8 et Paris 13
«Mondialisation économique et gouvernement des sociétés :
l’Amérique latine, un laboratoire ? »
Paris, 7-8 juin 2000
Session I : MONDIALISATION MARCHANDE ET FINANCIERE. (7 juin, 10-13 h.)
Stéphanie Gaudron
Mondialisation : la dimension politique
La mondialisation exprime alors un changement dans la distribution du pouvoir entre
différents acteurs au niveau mondial. Cela nous amène à nous interroger sur quatre
points : Quelle est la place de l’ Etat- nation dans l’ économie mondiale ? Quels sont
les acteurs les plus puissants dans l’économie mondiale ? Dans quel cadre juridique
et politique évoluent les différents acteurs du SEM, et qui en fait les règles ?
Comment expliquer les différences de puissance entre les acteurs ?
Ainsi, notre réflexion s’organisera autour de deux axes principaux : la distribution
observée du pouvoir parmi les acteurs du SEM (1), puis l’explication de ces
inégalités de puissance (2).
Pour répondre à ces questions, nous allons dans un premier temps, observer la
nouvelle distribution de pouvoir entre les FMN et les Etats au sein de l’ économie
mondiale pour réaliser que les Etats ont perdu de leur pouvoir alors que les FMN
l’ont accru. Dans un deuxième temps, nous tenterons de montrer qu’il est nécessaire
de porter une vision « politique » sur la nouvelle distribution de pouvoir, c’est à dire
voir comment d’après la nature du pouvoir des deux acteurs étudiés, il est possible
de déterminer les causes qui ont provoqué un changement dans la distribution
mondiale du pouvoir. Nous nous appuierons sur les théories de l’ Economie Politique
Internationale pour montrer que l’ Etat n’est plus au centre des décisions
internationales et que sa marge de manœuvre a diminué au profit de celle des FMN.
Nous dégagerons enfin un outil de mesure de la puissance de ces deux acteurs : la
légitimité qui explique intrinsèquement comment les FMN, n’étant pas légitimes,
peuvent développer leur pouvoir qui est par conséquent presque illimité
contrairement à l’ Etat.
1. La nouvelle structure économique mondiale : Etat versus
multinationales
1.1 La place de l’ Etat- nation dans le Système Economique Mondialisé
L'internationalisation des échanges, des savoirs, des techniques, de la finance, de la
main d'œuvre ... ne se fait pas sans cadre politique défini par des puissances
inégales toujours en évolution. La mondialisation exige aujourd'hui de s'intéresser à
l'évolution du cadre dans lequel elle se déroule : les acteurs changent, l'État n'est
plus au centre de la structure politico-économique. Mais cela ne veut pas pour autant
dire que le marché gagne du terrain. L'opposition Etat- Marché n'est plus
systématique, les Organisations non gouvernementales et gouvernementales, les
Firmes MultiNationales (FMN), les banques sont les nouveaux acteurs qui agissent
directement sur le marché mondial au même titre que les États. Ils constituent avec
leurs stratégies de croissance et de développement la structure économique et
dessinent grâce à leur puissance (inégale et évolutive) la structure politique du SEM.
Les relations entre État et marché ne sont pas à somme nulle comme le sous-entend
l'opposition Etat- Marché. En effet, les stratégies des FMN par exemple malgré leur
marge de manœuvre de plus en plus grande profitent indirectement aux Etats-
nations d’origine. En effet, les FMN, malgré leur mobilité, gardent la nationalité du
pays d’origine.
Ainsi, le pouvoir de l’ Etat, même s’il est loin de disparaître, tend à diminuer. Cela
pose un problème conceptuel. Le pouvoir économique mondial est redistribué entre
divers acteurs outre les Etats. L’Etat n’est plus le seul acteur du SEM impliqué dans
la politique. Bertrand De Jouvenel, philosophe politique français définit la politique
comme une action menée par un ensemble de personnes qui veulent atteindre un
objectif commun Autrement dit toute personne -ou groupe de personnes-
influençant d’autres individus et ayant une responsabilité dans une activité du
secteur de la production, de la sécurité, de la finance ou du savoir, fait de la politique.
Ainsi, un club de tennis, la Mafia italienne, les syndicats ou les barons de la drogue
colombiens font de la politique. Les limites de la politique sont repoussées ; elle ne
concerne plus seulement l’ Etat et les fonctionnaires du gouvernement.
La mondialisation exprime alors un changement dans la distribution du pouvoir entre
différents acteurs au niveau mondial. Dans un premier temps, afin de souligner la
nécessité de prendre en compte la dimension politique dans l’analyse économique
du SEM, nous utiliserons les théories de l’ Economie Politique Internationale, qui
étudient les relations de pouvoir au sein de l’économie mondiale depuis les années
70. Dans un deuxième temps, nous tenterons de voir comment et pourquoi la
puissance de l’ Etat a tendance à diminuer. Enfin, dans un dernier temps, nous
verrons au profit de quels acteurs l’ Etat voit son pouvoir diminuer.
Selon M. Shaw (1997, Review of International Political Economy), l’ Etat national ne
disparaît pas, il s’agrandit pour devenir un « Etat global » ou western state. L’Etat
global représente un regroupement de puissances nationales occidentales, plus
précisément celles des Etats-Unis, de l’Europe de l’Ouest, du Japon et de l’Australie.
L’Etat global de M. Shaw et le Régime international de Krasner sont proches. Ces
deux notions définissent une mondialisation de l’ Etat et de sa force militaire. L’Etat
global forme un échappatoire à l’hégémonie américaine (en effet, s’il y a hégémonie
pour Shaw, il s’agit d’une gémonie « occidentale » ou de l’ouest, et pour Krasner
le régime international est un échappatoire à l’hégémonie tout court.
Comment expliquer alors que pendant la guerre irakienne, les interventions de 1991
furent menées par les Etats-Unis ? Martin Shaw (1997, p.505) justifie ceci par le fait
que les Etats-Unis représentent le centre de l’ Etat global ou du western state. Et les
relations politico-économiques « rayonnent » du centre par l’intermédiaire de l’OCDE,
de OIT, des Nations Unies en autres. Qu’est-ce qu’un Etat global où les Etats
nationaux qui le composent sont sensés se substituer à l’ Etat global ? Selon Shaw,
les Etats-Unis agissaient en fonction de l’intérêt global.
Pour Shaw, le SEM serait polycentrique et se composerait de trois pôles ou trois
Etats globaux : le pôle des Etats post-modernes (les pays de l’Ouest), les Etats
modernes (les pays semi-industrialisés) et les Etats qui n’ont pas atteint la maturité d
Etat -nation (Afrique).
Ainsi, l’ Etat reste toujours au centre de leurs théories, il est seulement transformé et
« agrandi » au-dedes frontières d’une nation sous l’effet de la mondialisation. La
présence d’autres acteurs économiques tels que les FMN (firmes multinationales),
les banques internationales sont peu évoquées.
En réalité, le pouvoir économique mondial compris au sens global du terme, est
diffus (Strange, 1988) et se partage entre ces acteurs et les Etats.
Le domaine de la sécurité (où s’exerce la force militaire) s’accompagne des
domaines financier, bancaire, productif (et technologique) et des savoirs. Autrement
dit plus qu’un pouvoir relationnel (entre Etats), il règne sur le SEM un pouvoir
structurel (Strange, 1988 et 1996) que Strange définit comme le pouvoir de saisir et
de déterminer les structures de l’économie politique internationale à l’intérieur
desquelles des Etats, leurs institutions politiques, leurs entreprises économiques,
leurs scientifiques et leurs professionnels ont à opérer.
L’étude des relations politico-économiques au sein du SEM et par delà voir quels
acteurs gagnent ou perdent le plus, ne peut se résoudre à l’étude des guerres inter
étatiques étant donné que les violences et dommages sur un individu, groupe
d’individus ou autre acteur du SEM peuvent être causés par d’autres moyens que les
guerres entre les Etats. Le nombre de moins en moins grand de guerres inter-
étatiques nous renforcent dans l’idée de refuser le stato- centrisme de l’EPI
orthodoxe. Les guerres civiles, les conflits ethniques, les crimes causent autant de
dommages que les guerres entre les Etats.
Toutefois les acteurs ne sont pas en concurrence pure et parfaite dans le SEM, et S.
Strange le présente plutôt comme reflétant une concurrence oligopolistique.
Autrement dit certains acteurs sont plus forts que d'autres. On peut citer par exemple
l'influence des organisations internationales sur les Etats du sud et leurs entreprises.
Ces influences ne doivent pas être perçues comme "un triomphe de la raison" (M.C.
Smoots, 1998, p.268) mais plutôt comme le résultat de pressions financières.
A l’affaiblissement du rôle de l’ Etat, Susan Strange avance l’argument selon lequel,
les citoyens d’un pays en général font plus confiance à la loyauté de leur famille, de
leur parti politique ou de leur club de football qu’ à celle de l’ Etat de leur pays. Et elle
précise : « A part des soldats professionnels, les citoyens d’ une société politique
stable, n’espèrent pas avoir à sacrifier leur vie pour quiconque peut-être exceptées
leurs familles » (S. Strange, 1996, p.72).
Cependant, même si le poids des Etats diminue dans les relations politico-
économiques du SEM, cela ne veut pas dire que les actions et décisions des FMN
des Organisations et Banques Internationales sont séparés des intérêts des Etats.
Les FMN ont une nationalité : la multinationale IBM est américaine, Nestlé est suisse,
Fiat Spa est italienne…Ces acteurs dont le rôle est croissant dans l’économie
mondiale, ne sont pas libres de tout lien territorial et de toute régulation politique. De
plus, encore beaucoup d’activités des FMN restent situées sur le territoire d’origine,
près de la maison mère. C’est le cas notamment des activités de recherche qui
soumises au secret professionnel n’ont pas intérêt à s’éloigner du centre de décision.
Les firmes multinationales japonaises gardent les emplois de cadres pour des
japonais et certaines activités liées directement aux stratégies des entreprises et à
leurs recherches et développements sont préservées sur le territoire japonais. C’est
pourquoi la part des ouvriers non qualifiés embauchés dans les entreprises
japonaises industrielles en France est très importante.
Les Etats et les FMN ont de nombreux points en commun. C’est pourquoi les
premiers et les seconds n’ont plus intérêt à agir l’un contre l’autre.
Les Etats -nations ne voyaient pas sous cet œil l’arrivée des FMN il y a encore
quelques années (fin des années 70, début des années 80). Les politiques des
Etats-Unis visant à agir contre les FMN étrangères installées aux Etats-Unis étaient
nombreuses. Au milieu des années 70, les Etats-Unis, plus précisément le Président
Nixon, ont promu l’expansion japonaise sur le sol américain et ont toléré l’exclusion
des investissements américains sur le sol japonais (R. Gilpin, 1975, p.145). Mais
actuellement, les Etats entendent se servir des FMN comme des instruments
économiques.
Les Etats sont par exemple prêts à accorder certains avantages fiscaux à leurs FMN
pour que celles-ci améliorent leur compétitivité, et par delà la compétitivité du
territoire national.
Les FMN savent influencer également les Organisations internationales telles que
l’OMC sur la propriété intellectuelle. Les FMN américaines ont imposé un accord
international obligeant les Etats du Sud à empêcher l’imitation des produits importés
(processus utilisé par les pays du sud- est asiatique pour se développer).
Par conséquent, plus que l’ Etat, c’est son autonomie et dons sa puissance absolue
qui disparaît peu à peu avec l’influence des divers autres acteurs économiques déjà
cités. Ainsi, le développement des Investissements Directs à l’ Etranger (IDE) est une
décision qui n’appartient plus seulement à la nation qui souhaite répondre à ses
avantages comparatifs selon la notion du classique de David Ricardo, mais les IDE
sont des politiques d’entreprises autonomes, souvent favorisées par les politiques
publiques du pays d’origine. Elles sont par ailleurs de mieux en mieux acceptées par
le gouvernement et le peuple d’accueil. En effet, les travailleurs du Brésil,
d’Indonésie dans les FMN implantées dans leurs pays par exemple estiment leur
avenir professionnel plus prometteur que celui de leur grand-père. Ainsi, les pays
hôtes mettent en place des mesures pour attirer les FMN, même si certains pays
continuent de les réglementer.
1
D’ailleurs ce sont les pays en développement dans
lesquels la politique de substitution aux importations était la plus importante qui ont
adopté une politique de promotion aux IDE des plus actives (Daniel Van Den Bulcke,
Revue Tiers-Monde n°113, vol.XXIX). Parmi ces pays : l’Argentine, le Brésil, le Chili,
l’Indonésie, la Corée du Sud, le Mexique et le Venezuela.
Les avantages à l’ accueil des FMN par les PVD peuvent être nombreux. Celles-ci
contribuent à l’augmentation de l’offre de certains biens et services et par
conséquent d’en baisser le prix. Les consommateurs voient alors leur surplus
augmenter. En effet, les FMN peuvent permettre une production plus efficace que la
1
L’utilisation simultanée de restrictions et de stimulants envers les IDE et l’installation des FMN dans certains
PVD rend les évaluations ambigües.
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