Colloque organisé par le GREITD, l’IRD et les Universités de Paris I (IEDES), Paris 8 et Paris 13 «Mondialisation économique et gouvernement des sociétés : l’Amérique latine, un laboratoire ? » Paris, 7-8 juin 2000 Session I : MONDIALISATION MARCHANDE ET FINANCIERE. (7 juin, 10-13 h.) Stéphanie Gaudron Mondialisation : la dimension politique La mondialisation exprime alors un changement dans la distribution du pouvoir entre différents acteurs au niveau mondial. Cela nous amène à nous interroger sur quatre points : Quelle est la place de l’ Etat- nation dans l’ économie mondiale ? Quels sont les acteurs les plus puissants dans l’économie mondiale ? Dans quel cadre juridique et politique évoluent les différents acteurs du SEM, et qui en fait les règles ? Comment expliquer les différences de puissance entre les acteurs ? Ainsi, notre réflexion s’organisera autour de deux axes principaux : la distribution observée du pouvoir parmi les acteurs du SEM (1), puis l’explication de ces inégalités de puissance (2). Pour répondre à ces questions, nous allons dans un premier temps, observer la nouvelle distribution de pouvoir entre les FMN et les Etats au sein de l’ économie mondiale pour réaliser que les Etats ont perdu de leur pouvoir alors que les FMN l’ont accru. Dans un deuxième temps, nous tenterons de montrer qu’il est nécessaire de porter une vision « politique » sur la nouvelle distribution de pouvoir, c’est à dire voir comment d’après la nature du pouvoir des deux acteurs étudiés, il est possible de déterminer les causes qui ont provoqué un changement dans la distribution mondiale du pouvoir. Nous nous appuierons sur les théories de l’ Economie Politique Internationale pour montrer que l’ Etat n’est plus au centre des décisions internationales et que sa marge de manœuvre a diminué au profit de celle des FMN. Nous dégagerons enfin un outil de mesure de la puissance de ces deux acteurs : la légitimité qui explique intrinsèquement comment les FMN, n’étant pas légitimes, peuvent développer leur pouvoir qui est par conséquent presque illimité contrairement à l’ Etat. 1. La nouvelle structure économique mondiale : Etat versus multinationales 1.1 La place de l’ Etat- nation dans le Système Economique Mondialisé L'internationalisation des échanges, des savoirs, des techniques, de la finance, de la main d'œuvre ... ne se fait pas sans cadre politique défini par des puissances inégales toujours en évolution. La mondialisation exige aujourd'hui de s'intéresser à l'évolution du cadre dans lequel elle se déroule : les acteurs changent, l'État n'est plus au centre de la structure politico-économique. Mais cela ne veut pas pour autant dire que le marché gagne du terrain. L'opposition Etat- Marché n'est plus systématique, les Organisations non gouvernementales et gouvernementales, les Firmes MultiNationales (FMN), les banques sont les nouveaux acteurs qui agissent directement sur le marché mondial au même titre que les États. Ils constituent avec leurs stratégies de croissance et de développement la structure économique et dessinent grâce à leur puissance (inégale et évolutive) la structure politique du SEM. Les relations entre État et marché ne sont pas à somme nulle comme le sous-entend l'opposition Etat- Marché. En effet, les stratégies des FMN par exemple malgré leur marge de manœuvre de plus en plus grande profitent indirectement aux Etatsnations d’origine. En effet, les FMN, malgré leur mobilité, gardent la nationalité du pays d’origine. Ainsi, le pouvoir de l’ Etat, même s’il est loin de disparaître, tend à diminuer. Cela pose un problème conceptuel. Le pouvoir économique mondial est redistribué entre divers acteurs outre les Etats. L’Etat n’est plus le seul acteur du SEM impliqué dans la politique. Bertrand De Jouvenel, philosophe politique français définit la politique comme une action menée par un ensemble de personnes qui veulent atteindre un objectif commun … Autrement dit toute personne -ou groupe de personnesinfluençant d’autres individus et ayant une responsabilité dans une activité du secteur de la production, de la sécurité, de la finance ou du savoir, fait de la politique. Ainsi, un club de tennis, la Mafia italienne, les syndicats ou les barons de la drogue colombiens font de la politique. Les limites de la politique sont repoussées ; elle ne concerne plus seulement l’ Etat et les fonctionnaires du gouvernement. La mondialisation exprime alors un changement dans la distribution du pouvoir entre différents acteurs au niveau mondial. Dans un premier temps, afin de souligner la nécessité de prendre en compte la dimension politique dans l’analyse économique du SEM, nous utiliserons les théories de l’ Economie Politique Internationale, qui étudient les relations de pouvoir au sein de l’économie mondiale depuis les années 70. Dans un deuxième temps, nous tenterons de voir comment et pourquoi la puissance de l’ Etat a tendance à diminuer. Enfin, dans un dernier temps, nous verrons au profit de quels acteurs l’ Etat voit son pouvoir diminuer. Selon M. Shaw (1997, Review of International Political Economy), l’ Etat national ne disparaît pas, il s’agrandit pour devenir un « Etat global » ou western state. L’Etat global représente un regroupement de puissances nationales occidentales, plus précisément celles des Etats-Unis, de l’Europe de l’Ouest, du Japon et de l’Australie. L’Etat global de M. Shaw et le Régime international de Krasner sont proches. Ces deux notions définissent une mondialisation de l’ Etat et de sa force militaire. L’Etat global forme un échappatoire à l’hégémonie américaine (en effet, s’il y a hégémonie pour Shaw, il s’agit d’une hégémonie « occidentale » ou de l’ouest, et pour Krasner le régime international est un échappatoire à l’hégémonie tout court. Comment expliquer alors que pendant la guerre irakienne, les interventions de 1991 furent menées par les Etats-Unis ? Martin Shaw (1997, p.505) justifie ceci par le fait que les Etats-Unis représentent le centre de l’ Etat global ou du western state. Et les relations politico-économiques « rayonnent » du centre par l’intermédiaire de l’OCDE, de OIT, des Nations Unies en autres. Qu’est-ce qu’un Etat global où les Etats nationaux qui le composent sont sensés se substituer à l’ Etat global ? Selon Shaw, les Etats-Unis agissaient en fonction de l’intérêt global. Pour Shaw, le SEM serait polycentrique et se composerait de trois pôles ou trois Etats globaux : le pôle des Etats post-modernes (les pays de l’Ouest), les Etats modernes (les pays semi-industrialisés) et les Etats qui n’ont pas atteint la maturité d’ Etat -nation (Afrique). Ainsi, l’ Etat reste toujours au centre de leurs théories, il est seulement transformé et « agrandi » au-delà des frontières d’une nation sous l’effet de la mondialisation. La présence d’autres acteurs économiques tels que les FMN (firmes multinationales), les banques internationales sont peu évoquées. En réalité, le pouvoir économique mondial compris au sens global du terme, est diffus (Strange, 1988) et se partage entre ces acteurs et les Etats. Le domaine de la sécurité (où s’exerce la force militaire) s’accompagne des domaines financier, bancaire, productif (et technologique) et des savoirs. Autrement dit plus qu’un pouvoir relationnel (entre Etats), il règne sur le SEM un pouvoir structurel (Strange, 1988 et 1996) que Strange définit comme le pouvoir de saisir et de déterminer les structures de l’économie politique internationale à l’intérieur desquelles des Etats, leurs institutions politiques, leurs entreprises économiques, leurs scientifiques et leurs professionnels ont à opérer. L’étude des relations politico-économiques au sein du SEM et par delà voir quels acteurs gagnent ou perdent le plus, ne peut se résoudre à l’étude des guerres inter étatiques étant donné que les violences et dommages sur un individu, groupe d’individus ou autre acteur du SEM peuvent être causés par d’autres moyens que les guerres entre les Etats. Le nombre de moins en moins grand de guerres interétatiques nous renforcent dans l’idée de refuser le stato- centrisme de l’EPI orthodoxe. Les guerres civiles, les conflits ethniques, les crimes causent autant de dommages que les guerres entre les Etats. Toutefois les acteurs ne sont pas en concurrence pure et parfaite dans le SEM, et S. Strange le présente plutôt comme reflétant une concurrence oligopolistique. Autrement dit certains acteurs sont plus forts que d'autres. On peut citer par exemple l'influence des organisations internationales sur les Etats du sud et leurs entreprises. Ces influences ne doivent pas être perçues comme "un triomphe de la raison" (M.C. Smoots, 1998, p.268) mais plutôt comme le résultat de pressions financières. A l’affaiblissement du rôle de l’ Etat, Susan Strange avance l’argument selon lequel, les citoyens d’un pays en général font plus confiance à la loyauté de leur famille, de leur parti politique ou de leur club de football qu’ à celle de l’ Etat de leur pays. Et elle précise : « A part des soldats professionnels, les citoyens d’ une société politique stable, n’espèrent pas avoir à sacrifier leur vie pour quiconque peut-être exceptées leurs familles » (S. Strange, 1996, p.72). Cependant, même si le poids des Etats diminue dans les relations politicoéconomiques du SEM, cela ne veut pas dire que les actions et décisions des FMN des Organisations et Banques Internationales sont séparés des intérêts des Etats. Les FMN ont une nationalité : la multinationale IBM est américaine, Nestlé est suisse, Fiat Spa est italienne…Ces acteurs dont le rôle est croissant dans l’économie mondiale, ne sont pas libres de tout lien territorial et de toute régulation politique. De plus, encore beaucoup d’activités des FMN restent situées sur le territoire d’origine, près de la maison mère. C’est le cas notamment des activités de recherche qui soumises au secret professionnel n’ont pas intérêt à s’éloigner du centre de décision. Les firmes multinationales japonaises gardent les emplois de cadres pour des japonais et certaines activités liées directement aux stratégies des entreprises et à leurs recherches et développements sont préservées sur le territoire japonais. C’est pourquoi la part des ouvriers non qualifiés embauchés dans les entreprises japonaises industrielles en France est très importante. Les Etats et les FMN ont de nombreux points en commun. C’est pourquoi les premiers et les seconds n’ont plus intérêt à agir l’un contre l’autre. Les Etats -nations ne voyaient pas sous cet œil l’arrivée des FMN il y a encore quelques années (fin des années 70, début des années 80). Les politiques des Etats-Unis visant à agir contre les FMN étrangères installées aux Etats-Unis étaient nombreuses. Au milieu des années 70, les Etats-Unis, plus précisément le Président Nixon, ont promu l’expansion japonaise sur le sol américain et ont toléré l’exclusion des investissements américains sur le sol japonais (R. Gilpin, 1975, p.145). Mais actuellement, les Etats entendent se servir des FMN comme des instruments économiques. Les Etats sont par exemple prêts à accorder certains avantages fiscaux à leurs FMN pour que celles-ci améliorent leur compétitivité, et par delà la compétitivité du territoire national. Les FMN savent influencer également les Organisations internationales telles que l’OMC sur la propriété intellectuelle. Les FMN américaines ont imposé un accord international obligeant les Etats du Sud à empêcher l’imitation des produits importés (processus utilisé par les pays du sud- est asiatique pour se développer). Par conséquent, plus que l’ Etat, c’est son autonomie et dons sa puissance absolue qui disparaît peu à peu avec l’influence des divers autres acteurs économiques déjà cités. Ainsi, le développement des Investissements Directs à l’ Etranger (IDE) est une décision qui n’appartient plus seulement à la nation qui souhaite répondre à ses avantages comparatifs selon la notion du classique de David Ricardo, mais les IDE sont des politiques d’entreprises autonomes, souvent favorisées par les politiques publiques du pays d’origine. Elles sont par ailleurs de mieux en mieux acceptées par le gouvernement et le peuple d’accueil. En effet, les travailleurs du Brésil, d’Indonésie dans les FMN implantées dans leurs pays par exemple estiment leur avenir professionnel plus prometteur que celui de leur grand-père. Ainsi, les pays hôtes mettent en place des mesures pour attirer les FMN, même si certains pays continuent de les réglementer.1 D’ailleurs ce sont les pays en développement dans lesquels la politique de substitution aux importations était la plus importante qui ont adopté une politique de promotion aux IDE des plus actives (Daniel Van Den Bulcke, Revue Tiers-Monde n°113, vol.XXIX). Parmi ces pays : l’Argentine, le Brésil, le Chili, l’Indonésie, la Corée du Sud, le Mexique et le Venezuela. Les avantages à l’ accueil des FMN par les PVD peuvent être nombreux. Celles-ci contribuent à l’augmentation de l’offre de certains biens et services et par conséquent d’en baisser le prix. Les consommateurs voient alors leur surplus augmenter. En effet, les FMN peuvent permettre une production plus efficace que la L’utilisation simultanée de restrictions et de stimulants envers les IDE et l’installation des FMN dans certains PVD rend les évaluations ambigües. 1 production nationale avant leur implantation. Leur action est également positive si elles substituent leur production aux importations initiales ; dans ce cas l’effet sur la balance commerciale est positif2. Mais ces avantages ne sont pas sans inconvénients. La production des FMN se substitue le plus souvent à la production nationale dans les pays en développement. De plus, l’augmentation des recettes d’ exportations profite directement aux firmes étrangères, non au pays d’accueil. En outre, augmenter le taux d’exportation traduit une véritable stratégie pour les FMN ; en effet, ceci implique une volonté de ces firmes à exporter leurs productions vers les pays voisins au pays d’accueil3. Un des seuls avantages à l’installation des FMN dans un pays étranger, que celui-ci soit industrialisé ou non, serait la création d’emplois. C’est une des raisons qui motive effectivement le gouvernement mexicain à attirer les capitaux étrangers sur son territoire, mais aussi les gouvernements français et ses voisins européens. Cependant, d’après une étude de l’ INSEE, les FMN japonaises emploient peu de main d’œuvre locale : 50 % d’entre elles emploient moins de 50 salariés, et ¾ d’entre elles en emploient moins de 200. En contrôlant la production, souvent avec l’accord des gouvernements d’accueil 4, leurs coûts, le capital qu’elles utilisent, ce sont les FMN qui décident de la répartition des revenus du pays d’accueil. Ce sont elles qui décident dans quels secteurs elles vont investir et si elles vont le faire… Il ne s’agit pas non plus d’occulter le rôle de l’ Etat au niveau national dans le développement des PVD et notamment lors du « Miracle asiatique », mais il faut reconnaître que les politiques économiques publiques et notamment industrielles dans le cadre des cinq plans quinquennaux entre 1962 et 1986 ont été prises en accord avec les entreprises coréennes les plus puissantes du secteur textile. Ainsi, vient-on de le voir, les Etats n’ont plus une place centrale dans l’étude du SEM du fait du développement du rôle des FMN, des organisations et des banques internationales. La diminution du poids de l’ Etat est aussi dû au développement du secteur financier qui défie l’Etat. Les avancées dans les systèmes financier et de communication ont contribué à augmenter la vitesse de circulation de la monnaie. Les taux de change sont flottants actuellement, ainsi la valeur de la monnaie est plus déterminée par les marchés que par les Etats. L’idéologie anglo-américaine s’est servi de la diminution du poids de l’ Etat dans le SEM pour prôner la doctrine selon laquelle moins l’ Etat intervient, mieux l’économie s’en portera. Les Etats-Unis les premiers tentent de répandre cette idée au travers des organisations internationales telles que l’OMC, le GATT et en particulier leurs politiques concernant l’ AMI notamment qui diffuse, grâce à des codes d’investissement internationaux la libéralisation des échanges, et ce à la demande des FMN. Egalement au travers des institutions internationales comme le FMI (Fonds Monétaire International) ou la BM (Banque Mondiale) qui exercent une tutelle importante dans les pays en développement. Enfin, au travers de leurs FMN ellesmêmes dont la marge de manœuvre et le poids s’agrandissent au sein du SEM. C’est ce que nous allons voir dans la partie suivante. Le Mexique se réjouit d’une balance commerciale de plus en plus bénéficiaire qui est due aux exportations des maquillas (installées au Mexique) vers les Etats-Unis. 3 En Europe, par exemple, le taux d’exportation des FMN japonaises est supérieur à 50 %, pour conquérir le marché européen. 4 La Chine a été un des premiers pays à autoriser l’établissement de joint ventures dans le début des années 80 et à cette époque beaucoup de pays en développement ont abandonné leur politique de substitution aux importations (souvent liée à des mesures restrictives envers les entreprises étrangères). 2 1.2 Le poids des FMN dans le SEM : vérification empirique. Les FMN prennent de plus en plus d’importance dans le système économique mondial. Les flux d’IDE5 accomplis par les 60 000 FMN plus importantes dans le monde représentent 640 milliards de dollars ; ce qui correspond à une hausse de 40 % par rapport à 1997. Les IDE se multiplient, c’est une première chose à noter, mais ce qui augmente le poids des FMN dans le SEM c’est plus la tendance à la formation d’un oligopole mondial par ces FMN. Une critère pour mesurer ce phénomène est la valeur des fusions acquisitions. Celles-ci représentent 411 milliards de dollars en 1998, soit une hausse de 74 % en 1998, alors que la hausse en 1997 était de 45 % (Libération du 28 septembre 1999). Le pouvoir des FMN a pour source la multiplication des IDE et il s’amplifie avec la concentration au sein de quelques FMN, celles qui pèsent le plus au niveau mondial. Cette partie s’oriente autour de deux axes : dans un premier temps, montrer grâce à la valeur (capitalisation boursière, le chiffre d’affaires et les bénéfices) que les FMN américaines dominent, ensuite tenter de dégager de ces observations les implications politiques, c’est à dire en terme de pouvoir sur les économies d’accueil et d’origine. 1.2.1 Domination des FMN américaines Il se trouve que les FMN américaines ont le poids le plus grand dans le SEM. Nous allons le vérifier suivant plusieurs critères : par l’importance de l’actif, par l’importance de la capitalisation boursière, et par le montant du chiffre d’affaire. Les multinationales par importance de l’actif : Entreprises General Electric Ford General Motors Exxon IBM Shell/Royal Dutch Daimler-Benz AG Fiat Spa Volswagen Nestlé Pays d’origine secteur Etats-Unis Ventes (milliards de $) 90,8 Nombre d’employés Electronique Actifs totaux (milliards de $) 304,0 Etats-Unis Etats-Unis Automobile Automobile 275,4 228,9 153,6 178,2 364 000 608 000 Etats-Unis Etats-Unis Royaume Uni/ Pays Bas Allemagne Pétrole Ordinateurs Pétrole 96,1 81,5 115,0 120,3 78,5 128,0 80 000 269 000 105 000 Automobile 76,2 69,0 300 000 276 000 Italie Allemagne Suisse Automobile 69,1 50,6 242 000 Automobile 57,0 65,0 279 000 Agro37,7 48,3 225 800 alimentaire Source : Alternatives Economiques, Hors -série n°43, p.29 (d’après le « World Investment Report 1999 »). Investissement Direct à l’ Etranger : prise de participation de plus de 10 % dans le capital d’une entreprise située sur le territoire d’accueil, en vue d’un contrôle ou du moins de l’exercice d’une influence sur la gestion de l’entreprise. L’IDE peut prendre la forme d’un investissement ex-nihilo, d’une fusion-acquisition ou d’une jointventure (société à capital mixte). 5 Ce tableau a pour but de montrer le rôle que les FMN jouent en matière d’emploi à la fois dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil. Nous l’avons déjà dit, la principale raison, commune aux économies industrialisées ou semi-industrialisées, d’attirer les filiales des FMN sur un territoire étranger est la création des emplois. En effet, même si les PME (Petites et Moyennes Entreprises) nationales embauchent beaucoup, les FMN, quand elles décident d’employer, le font à une plus grande échelle. Dans le domaine de l’emploi, ce sont les firmes américaines (General Electric, Ford, General Motors, Exxon et IBM avec une valeur des actifs totaux à hauteur de 985,9 milliards de dollars) qui ont la plus grande influence par rapport à leurs concurrents étrangers ( l’Allemagne avec Volswagen et Daimler-Benz AG pour 133,2 milliards de $ ; le Royaume-Uni avec Shell/Royal Dutch pour 115 milliards de $ ; l’ Italie avec 69,1 milliards de $ et la Suisse avec 37,7 milliards de $). En terme de valeur boursière, les FMN américaines représentent 71,8 % des capitalisations boursières des 50 premières FMN mondiales. La capitalisation boursière (ou valeur boursière) d’une FMN s’obtient en multipliant le cours de l’action de cette FMN avec le nombre d’actions qui composent son capital social. Evaluons grâce au tableau suivant ce que pèsent les FMN américaines dans les 50 premières FMN mondiales, en valeur et en pourcentage du total : Nombre de FMN parmi les 50 premières Pays classées selon la valeur de la capitalisation boursière Etats-Unis 33 Royaume-Uni 5 Suisse 3 Japon 3 Allemagne 2 France 1 Autres 3 Total 50 Pourcentage Capitalisation boursière en milliards de $ Capitalisation boursière en % 66* 10 6 6 4 2 6 100 4901,2 591,6 249 478 199,2 73,6 329,9 6822,5 71,8* 8,7 3,6 7 2,9 1,2 4,8 100 Source : Le Monde Diplomatique de décembre 1999. *Lecture : 66 % des 50 premières firmes mondiales proviennent des Etats-Unis. Et 71,8 % de la capitalisation boursière totale (c’est à dire des 50 premières firmes mondiales) a pour origine des Etats-Unis. Cela nous donne une idée de la puissance des FMN américaines dans le paysage économique et financier mondial. En outre, Il serait intéressant, étant donné qu’il s’agit de FMN et non de firmes locales nationales, de rapprocher leur influence en terme d’actifs et de capitalisation boursière avec leur degré d’internationalisation, que l’on mesurera par l’indexe de transnationalité. L’influence au niveau mondial sera d’autant plus importante que l’indexe sera fort. L’indexe de transnationalité est une moyenne entre trois ratios : la part des capitaux étrangers dans l’ensemble des capitaux d’une FMN, la part des ventes à l’étranger dans le total des ventes à l’étranger et la part de l’emploi dans l’emploi total de la firme. Firmes Indice de transnationalité (en %) Part des capitaux étrangers sur le total des capitaux de la firme (en %) Part des ventes à l’étranger sur le total des ventes de la firme (en %) Part de l’emploi à l’étranger sur le total de l’emploi par la firme (en %) General 33,1 32 26,9 Electric Ford 35,2 26,3 31,25 General 29,3 0 29,3 Motors Exxon 65,9 56,8 87,1 IBM 53,7 48,9 62,2 Shell/Royal 58,9 60,8 53,9 Dutch Daimler-Benz 44,1 40,5 66,8 AG Fiat Spa 40,8 43,4 39,9 Volswagen 56,8 NC 65,6 Nestlé 93,2 83,8 98,5 Source : World Investment Report, 1999, United Nations. *dans ce cas, l’indice de transnationalité est calculé sans la part de l’étranger sur le total de l’emploi. 40,2 47,8 NC* NC 50 61,9 24,9 39,1 47,8 97,2 l’emploi à Notons que les indices de transnationalité des firmes américaines sont assez bas (trois des 5 plus grandes firmes américaines sont inférieurs à 40 %). Cependant, l’influence des firmes multinationales américaines en ce qui concerne l’emploi au niveau mondial est vérifiée par les parts importantes de l’emploi à l’étranger dans l’emploi total effectué par les firmes américaines. De plus ce fait est compensé par le nombre des FMN américaines dans le classement. Un dernier élément peut nous aider à démontrer le poids des firmes américaines dans le SEM, il s’agit des bénéfices sur les ventes et du chiffre d’affaires. En ce qui concerne ces critères, les FMN représentent 36,5 % du chiffre d’affaire total des 200 premières FMN, laissant le Japon, l’Allemagne, la France, le RoyaumeUni, la Suisse, l’Italie et les Pays-Bas se partager environ le reste : Pays nombre Etats-Unis Japon Allemagne France Royaume-Uni Suisse Italie Pays-Bas 74 41 23 19 13 6 5 4 Chiffre d’affaire en milliards de $ 2776 1830 958 610 399 217 179 158 Chiffre d’affaire en % du total 36,5 24,1 12,6 8 5,3 2,8 2,4 2,1 Bénéfices en milliards de $ Bénéfices en % du total 183 39 29 20 28 13 8,9 12 52,7 11,2 8,4 5,8 8,2 3,9 2,6 3,5 Royaume2 138 Uni/Pays-Bas Corée du Sud 3 82 Chine 3 76 Suède 2 49 Belgique/ 1 31 Pays Bas Venezuela 1 25 Brésil 1 25 Mexique 1 20 Espagne 1 19 Total 200 7592 Dont les 6 176 premières des 6790 (88%) pays cités PIB mondial 28654 Les « 200 » en % du PIB mondial Source : Le Monde Diplomatique de décembre 1999 1,8 3 1 1,1 1 0,7 0,068 1,7 2,7 0 0,4 0,8 0,4 1,5 0,4 0,3 0,3 0,3 0,3 100 0,6 0,7 1,1 1,4 345,7 0,2 0,2 0,3 0,4 100 89,3 312 90,2 26,3% Notons que les économies semi-industrialisées représentées par 9 FMN sur les 200 plus grandes FMN mondiales dans le tableau, décrivent à elles cinq (Corée du Sud, Chine, Venezuela, Brésil et Mexique) 1,1 % des bénéfices des 200 premières FMN mondiales, c’est à dire l’équivalent des Pays-Bas / Royaume-Uni. Aussi, pour montrer son importance, notons qu’ IBM (International Business Machines) possède un chiffre d’affaire de 78,5 milliards de dollars soit l’équivalent du PIB de l’ Egypte (75,95 milliards de dollars). En terme de nombres de fusions et acquisitions, les Etats-Unis dominent aussi. Depuis le 1er janvier 99, les Etats-Unis ont créé 11 opérations de fusion ou d’acquisition6 pour une valeur de 204,5 milliards de dollars. La Grande-Bretagne ayant réalisé 5 opérations pour une valeur totale de 120,1 milliards de dollars. La France, 8 opérations pour 190,9 milliards de dollars. 1.2.2 Le poids des FMN : implications politiques - FMN versus Etat d’origine : un jeu à somme nulle ? Robert Gilpin écrivait en 1975 que l’investissement à l’étranger provoquait un déplacement du pouvoir industriel du centre vers la périphérie : les FMN transfèrent la technologie américaine à leurs filiales et sapent ainsi les bases de la croissance économique des Etats-Unis puis elles privent le Trésor américain de revenus. Comment expliquer alors la situation de croissance économique que connaissent les Etats-Unis depuis plus de vingt ans ? Aujourd’hui, le nombre de FMN américaines augmente chaque année, celles-ci voient leur taille augmenter, et participent ainsi à la croissance américaine. Il semble que la répartition des coûts et des bénéfices de l’investissement à l’étranger fait par les Etats-Unis ne leur est pas défavorable. L’étude de cette répartition présente des avis divergents : certains pensent que les entreprises multinationales américaines augmentent l’emploi aux Etats-Unis alors que d’autres sont d’avis qu’elles le font diminuer ; certains croient que ces 6 Exxon a absorbé Mobil, Travelers group : Citicorp, SBC Communication : Americatech, Bell Atlantic : GTE, AT&T : Media One. entreprises augmentent le budget américain alors que d’autres croient qu’elles le font plutôt diminuer. Concernant la croissance de l’emploi aux Etats-Unis, depuis le début des années 90, les Etats-Unis ont créé 19,4 millions d’emplois7, soit environ 200 000 par mois essentiellement dans les services. Le taux de chômage est finalement situé à 4,2 % en mars 1999, c’est le taux le plus bas qu’aient connu les Etats-Unis depuis trente ans. Ces emplois ont été créés dans des branches où le salaire médian est supérieur au salaire médian total, et les postes créés sont principalement des postes à plein temps. Concernant le développement technologique, il ne semble être pas sapé par le transfert technologique des FMN américaines à leurs filiales localisées dans les PVD. En effet, la position des Etats-Unis en matière de recherche et développement (R&D) est solide : les Etats-Unis représentent près de la moitié de la R&D mondiale (207 milliards de dollars). Cette situation confortable se retrouve dans l’excédent des échanges de technologie dans la balance courante : environ 24 milliards de dollars en 1998. La production industrielle des Etats-Unis, quant à elle, a connu un taux de croissance de 2,4 % de septembre 1998 à septembre 1999. Elle a progressé de 38 points en 9 ans (base 100 en 1990). L’ Allemagne, la France, le Japon, l’Italie et la GrandeBretagne ayant progressé respectivement de : 5 ; 8 ; -2 ; 11 ; 10. En ce qui concerne le budget américain, celui-ci est pour la deuxième année consécutive positif : 140 milliards de dollars en 1999 (il était au niveau de 100 milliards de dollars en 1998, et aux environs de – 300 milliards de dollars en 1992). La seule ombre au tableau est celle du déficit commercial qui croît chaque mois. Dans les analyses économiques, il est souvent attribué aux emplois précaires créés depuis les quinze dernières années aux Etats-Unis et qui auraient amoindri la qualité de la production américaine. Rien est moins sûr. Le déficit commercial peut être attribué aux importations des nombreuses filiales américaines qui produisent avantageusement à l’étranger et rapatrient leur production aux Etats-Unis. Ainsi, il semble que les Etats-Unis aient pu concilier le développement de leur FMN avec une économie forte et stable qui fait le caractère dominant des Etats-Unis. Voyant ces résultats, il est difficile d’établir un corrélation négative entre le développement des IDE et le développement des exportations, de l’emploi et de la production industrielle du pays créant ces IDE. Mais y a -t- il pour autant une corrélation positive ? Autrement dit il faudrait arriver à savoir si la multiplication des activités des FMN à l’étranger sont autant d’emplois, d’exportations et de technologie en moins dans le pays d’origine. Ou plus précisément savoir combien d’emplois auraient été créés s’il n’y avait pas eu ces IDE… Dans tous les cas, il faut préciser que les IDE ne sont pas des activités qui se substituent aux activités sur le terrain national. Elles peuvent être au contraire tout à fait complémentaires. Les FMN américaines qui investissent à l’étranger, ne font pas que produire des biens qu’elles auraient pu produire aux Etats-Unis, mais elles se livrent aussi à une variété d’activités non manufacturières dans le but de « conditionner » le pays d’accueil à recevoir les exportations américaines, par la publicité, par l’adaptation des produits américains à la consommation du pays d’accueil, par la négociation de lois permettant de baisser la protection commerciale du pays d’accueil… Il ne faut pas sous-estimer les activités non productives des FMN en général et des FMN 7 Problèmes Economiques n°2.642, 1er décembre 1999, p.7 américaines en particulier, qui servent les intérêts américains au lieu de les desservir. Le développement des IDE américains, le poids des FMN américaines et la bonne santé de l’économie des Etats-Unis démontrent que les gains du « privé » (FMN) ne sont pas toujours les pertes du « public » (Etat du pays d’origine). Selon Ohmae8, dans un système économique actuel, où l’information tient une place déterminante dans le SEM, l’ Etat en général ne peut avoir l’importance qu’il avait étant donné le caractère volatile de l’informationnel qui échappe aux privilèges de l’ Etat. D’où la marginalisation de l’ Etat selon Ohmae. Cependant, nous ne pouvons contester le fait que l’ Etat développe des stratégies qui favorisent l’expansion ses FMN, et ce dans le but, on l’a vu, d’ en récupérer les avantages. Autrement dit, l’expansion des FMN ne se fait pas au détriment des Etats d’origine ni des pays d’accueil. L’économie de l’information, il est vrai, et comme le dit Ohmae, a tendance à autonomiser l’économique par rapport au politique, et par conséquent diminue la marge de manœuvre de l’ Etat dans l’élaboration de politiques économiques. Les échanges sont plus nombreux parce que plus rapides, et concernent différents domaines et plus de pays. Cependant, les Etats l’ont compris et commencent à utiliser l’information. Les Etats -nations et notamment les Etats-Unis dans ce cas précis, ont compris que les FMN pouvaient devenir des alliées plutôt que des acteurs concurrentiels. Ainsi, pour récupérer les surplus financiers des FMN et leur notoriété, les Etats nations leur cèdent une place de plus en plus important. C’est ce que font les Etats-Unis en accordant aux grandes firmes d’audit un pouvoir énorme dans le SEM. Susan Strange (The Retreat of the State, 1998), s’interpelle sur le rôle des six plus grandes firmes d’audit mondiales, à savoir : Arthur Andersen, la leader mondiale (Etats-Unis), Coopers and Lybrand (réseau mondial formé par trois cabinets leaders aux Etats-Unis, Royaume-Uni et Canada respectivement), Price Waterhouse (Grande-Bretagne, mais dont les sièges principaux se situent à Londres et New-York), Ernst and Young, Peat Marwick (anglosaxonne) et Deloitte Touche Tohmatsu. Les revenus combinés de ces six firmes représentent environ 30 milliards de dollars (soit l’équivalent du PIB de l’Irlande). En outre, elles auditent les plus importantes firmes multinationales (494 des 500 citées par la revue Fortune). Les « Big Six », comme on a coutume de les nommer, ont formé et continuent de le faire des réseaux dans beaucoup de pays étrangers notamment les pays en développement. Ainsi, par le biais de ces filiales, les maisons –mères citées précédemment développent leur réseau de clientèle. Le métier d’audit consiste à vérifier les comptes de firmes et de banques et d’émettre un avis sur les résultats puis de conseiller les dirigeants dans l’avenir des activités de ces firmes ou de ses banques. Il est intéressant de noter quelques différences concernant le travail d’audit en France et aux Etats-Unis. Celles-ci ne sont pas sans importance sur la méthodologie de ce travail. En France, le métier d’audit est organisé par l’Ordre des Experts Comptables (organisme sous le contrôle du ministère des finances) et la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (sous l’autorité du Ministère de la Justice). Ces deux organismes sont donc publics et empêchent les auditeurs de contrôler et de conseiller à la fois : les deux activités doivent être indépendantes l’une de l’autre. Aux Etats-Unis, les sociétés d’audit sont autonomes, et leurs auditeurs sont aussi conseillers. Il arrive également que l’auditeur ou le consultant soit aussi actionnaire de la firme qu’il audite. La démarche de l’audit perd alors toute 8 Ohmae, The bordeless World, New-York, Harper Business, 1990. son objectivité. Le fait que les six grandes sociétés internationales d’audit soient anglo-saxonnes et la plus grande américaine (Arthur Andersen ; qui s’est scindée en deux entreprises : Arthur Andersen et Andersen Consulting) n’est pas anodin. Il se trouve que les plus grandes firmes mondiales sont conseillées et contrôlées par des firmes anglo-saxonnes et souvent américaines. A l’origine le besoin de vérifier les comptes d’une entreprise émanait des actionnaires des firmes qui voulaient être tenus au courant de l’évolution financière de l’entreprise dont ils possédaient une participation. C’est encore le cas actuellement. Nous nous trouvons alors face à un double phénomène : d’un côté les FMN américaines sont dominantes dans le SEM, de l’autre les plus grandes sociétés d’audit sont anglo-saxonnes et américaines pour à peu près la moitié d’entre elles. Il se crée alors des relations spécifiques entre les FMN et les auditeurs américains, ce que Strange appelle une certaine « familiarité ». Ceci nous amène à un cercle vicieux ou vertueux selon le côté duquel on se situe. Six sociétés d’audit dominent le secteur de l’information comptable et financière, et contrôlent les 500 plus importantes Firmes, banques et organisations internationales. Ceci étant connu, les gros actionnaires, on peut l’imaginer, vont plutôt se diriger vers les FMN qui auront été « auditées » par Andersen Consulting ou Price Waterhouse. Tout simplement parce qu’ils refusent le risque. La domination de la place financière de New York avec le dollar renforce la position des sociétés d’audit. Quelle est la conséquence de ceci ? La responsabilité des sociétés d’audit est très grande. Le choix de révéler ou non et à temps ou en retard la détresse financière de telle banque ou FMN agit dans une grande mesure sur la situation financière des actionnaires et sur le système financier international. La question intéressante que l’on peut se poser à ce niveau est celle-ci : pourquoi le développement de ces FMN (y compris les sociétés d’audit) est permis à la fois par les Etats d’accueil ? Autrement dit quel est l’avantage pour les Etats -nations d’accueil de contribuer au développement des FMN sur leur territoire ? Les pays industrialisés peuvent profiter, on l’a dit, des surplus financiers des FMN dans la balance des paiements (en plus des avantages que procure le dollar) et de la notoriété de celles-ci. En aidant à répandre la tradition de libre entreprise et le transfert de la technologie des FMN américaines à leurs filiales à l’étranger, les Etats-Unis tentent de créer un monde à leur image : pluraliste (coexistence d’individus libres et différents) et libéral (qui prône l’individualisme). Il y a aussi des avantages au développement des FMN pour les pays d’accueil, et plus particulièrement en développement. En effet, ils laissent une place de plus en plus importante aux FMN, et ce pour au moins trois raisons que l’on peut tenter de regrouper ici : - en premier lieu parce qu’ étant donné que la plupart des pays d’accueil se trouvent être des pays en développement, ceux-ci sont conscients du gap technologique qu’ils connaissent par rapport aux pays dits développés. Les avancées technologiques étant de plus en plus rapides surtout avec l’économie de l’information, le recours à l’investissement direct étranger apparaît comme le recours le plus rapide et le plus efficace. - En deuxième lieu, parce qu’il y a une prise de conscience du poids de la dette extérieure. Le service de la dette assèche les bases de l’accumulation nationale et limitent l’importation de biens d’équipement. L’accumulation des FMN sur leur sol peut être un substitut (au pire) ou un complément (au mieux) non négligeable. En troisième lieu, parce que le FMI oblige dans le cadre des politiques d’ajustement les pays en développement ou les économies semi-industrialisées qui ont signé avec l’organisme international pour pallier à leurs crises financières (le Mexique au début des années 90 mais plus récemment l’Indonésie en 1998) : -à trouver des ressources financières. Une des façons d’augmenter les ressources budgétaires est d’augmenter les exportations, pour favoriser cette politique les FMN ont été sollicitées. -à privatiser l’économie. Cette privatisation s’est traduite par l’entrée de capitaux étrangers. - Le Mexique est un exemple des économies semi-industrialisées qui est ouvert aux filiales étrangères. D’après les chiffres de la revue de la CEPAL de 1998, le pays accueillait dans les années 80, 60 % des IDE provenant des Etats-Unis, la situation à la fin des années 90 est restée exactement la même. En outre, la valeur investie par les Etats-Unis a été multipliée par 3. En effet, on a investi dans les années 80 (investissement cumulé) au Mexique 2608 millions de dollars (donc 1564,8 millions de dollars par les Etats-Unis9) et 7980 millions de dollars en 1997 (soit 4788 millions de dollars par les Etats-Unis (60 % de 7980). Au Mexique, General Motors, Ford, IBM General Electric et nous pouvons ajouter Chrysler, ont créé leurs filiales dont elles possèdent sans exception 100 % du capital. Le choix de créer la forme juridique filiale n’est pas innocente, cela permet de garder la maison-mère dans le pays d’origine, la filiale échappe ainsi aux politiques fiscales du pays d’accueil. Il en est de même au Venezuela où Ford Motor Exxon General Electrics et General Motors possèdent 100 où du capital de leurs filiales. Dans ce pays, la valeur des IDE en provenance des Etats-Unis est passée de 160,65 millions de dollars valeur cumulée de 1992 à 1996) à 239,94 millions de dollars en 1997, elle a donc été multipliée par 1,5. En outre, au Venezuela, quatre entreprises locales sur onze ont été acquises pour investissement étranger en 1997 par les Etats-Unis, les autres étant été partagées par le Mexique, la Suisse, le Canada et l’ Espagne. - Le développement des multinationales en terme de pouvoir : conséquences. Les FMN ont une influence considérable sur la politique économique du pays d’origine et du pays d’accueil. En effet, les FMN et autres grandes entreprises américaines ont les moyens de payer des individus chargés de suivre les travaux du congrès des Etats-Unis et/ou des autorités locales. La tâche de ces individus est de rechercher les arguments nécessaires favorables ou défavorables au projet selon que ceux-ci servent ou desservent les intérêts de la FMN. Afin de réussir à convaincre les autorités américaines de faire en fonction des intérêts des FMN, plusieurs moyens sont utilisés. Souvent, elles aident le gouvernement à se faire élire ou à rester en place. La contribution financière offerte par Sheraton Corp, filiale d’ITT à la Convention nationale républicaine de 1972 est un des nombreux exemples ( Jocelyne Barreau, 1980 ). Mais les FMN pèsent également sur les décisions gouvernementales des pays d’accueil. La souveraineté des FMN s’exprime par le fait qu’elles diminuent la marge de manœuvre des Etats d’accueil dans leurs politiques de répartition des revenus. En effet, les FMN financent très souvent leur entrée dans le pays d’accueil en voie de 9 60 % de 2608 représentent environ 1564 millions de dollars. développement au moyen de capital de dette emprunté dans ce pays10 ; et la société -mère garde la majorité (ou la totalité) du capital – actions. En ce sens, elles détournent l’épargne accumulée dans le pays d’accueil de l’investissement productif qui pourrait être accompli par les industriels nationaux. L’exemple d’ITT avec l’ Equateur est à noter (Business Week, 31 mars 1973, p.29) : « En 1970, l’ Equateur décide de nationaliser All American Cables & Radio, une filiale d’ITT établie à Quitto. ITT demande un dédommagement de 1,3 million de dollars mais descend à 600 000 dollars au cours des négociations à condition de se voir octroyer des terrains de valeur. L’Equateur cependant se refuse à verser plus de 575 000 dollars. ITT demande alors au Département d’ Etat de recourir à des sanctions (utilisées une fois seulement auparavant par les Etats-Unis et en dernier recours) : la suppression de tout prêt et aide aux pays qui nationalisent des entreprises américaines et n’offrent pas un dédommagement suffisant et immédiat. Jack Neal, collaborateur d’ITT à Washington et vétéran du Département d’ Etat , commence alors sa tournée de visites auprès du Département d’ Etat, auprès de « l’Agence pour le Développement International », auprès du ministère des Finances, qui guide la politique de la Banque pour le Développement Interaméricain. Il invoque les noms des personnalités de l’administration Nixon. Devant les protestations de certains fonctionnaires, Neal profère des menaces : les dirigeants d’ITT rapporteront ce manque d’enthousiasme au secrétaire d’ Etat, William Rogers, et au Ministre des Finances, John Connaly. Le résultat des pressions d’ITT fut la suspension, pendant deux ans, d’une aide de 15,8 millions de dollars accordée à l’ Equateur en juin 1970 par l’Agence Internationale de Développement et la menace d’annuler un prêt de 14,3 millions accordé par la Banque de Développement Interaméricain, si l’ Equateur n’accordait pas les 600 000 dollars réclamés par ITT. En janvier 1972, l’ Equateur versa les 600 000 dollars à ITT mais refusa de lui céder les terrains. De plus, l’ Equateur s’adressa à une entreprise japonaise pour la construction d’une station -relais de satellite alors que l’armée américaine espérait que ce contrat serait passé avec une entreprise américaine. En février 1973, le Président Ibarra fut remplacé par le Général Rodriguez Lara. Des négociations « cordiales » s’engagèrent aussitôt entre le nouveau dictateur et ITT à propos des terrains. Par la suite, les restrictions quant aux prêts et aides à l’ Equateur furent levées. ». Nous avons vu que l’ Etat nation avait une place de plus en plus restreinte dans le système économique mondialisé, actuellement. Les FMN connaissent la situation inverse. Afin d’en expliquer les raisons, qui est l’objet de la seconde partie, il est nécessaire de montrer dans un premier temps que l’analyse de la structure du SEM ne peut se faire qu’à partir d’une double dimension : économique et politique, d’où l’importance des théories de l’ Economie Politique Internationale (EPI), en étant conscients des différences entre les différents courants qui composent ces théories. Dans un second temps, il nous faut voir en quoi la nature du pouvoir de l’ Etat est spécifique par rapport à celui des FMN et en quoi il peut expliquer la nouvelle structure de pouvoir entre ces deux acteurs. Enfin, d’étudier les relations entre la légitimité et le pouvoir qui découlent de l’étude du pouvoir spécifique de l’ Etat. La part de l’endettement dans le financement de l’accumulation du capital devient de plus en plus importante : la dette cumulée mondiale est passée de 97 à 99 : de 33 100 à 37 100 milliards de dollars, soit une croissance exponentielle de 6,2 % par an (le triple de celle du PIB mondial). Ces sommes dopent la bourse mondiale. 10 2. L’analyse de l’économie mondialisée : une dimension politique 2.1 la nécessité de prendre en compte la dimension politique dans l’analyse du Système Economique Mondialisé L’Economie Politique Internationale (EPI) fait le lien entre les relations marchandes et les relations de pouvoir pour ne plus voir les relations économiques comme un "emboîtement de marché" (Kebabdjian, 1999). Le besoin de créer un lien entre le politique et l'économique diffère selon les théories de l'EPI. L’Economie Politique Internationale s’est toujours efforcé de lier le domaine politique et ses relations de pouvoir avec le domaine économique depuis le début de sa création dans les années 70. Ces théories ont vu le jour aux Etats-Unis et peu de temps après en Angleterre. Elles ont pour ligne de conduite de refuser la domination des relations marchandes sur les relations de pouvoir et vice versa. Cependant, au sein de l’ EPI, il faut distinguer différentes théories qui s’opposent. Deux grands courants se dessinent : l’EPI orthodoxe et l’ EPI hétérodoxe. La première se divise en trois théories : la théorie réaliste de l’économie politique internationale avec en chefs de file Waltz et Gilpin, la théorie des régimes internationaux de Krasner et l’école de l’interdépendance complexe de Nye et Keohane. La seconde a été impulsée en Angleterre par Susan Strange, Gramsci et suivie par Stopford et Cox. L'EPI étudie depuis bientôt trente ans les liens entre les relations de pouvoirs et les relations économiques. La question remonte à bien plus longtemps. Les marxistes, et Marx le premier, les structuralistes, les tenants du libéralisme économique et le néoclacissisme s'y sont intéressés avant l'EPI. Toutes ces théories nous ont permis et nous permettent encore de réfléchir sur le débat État/Marché, les ouvrages dont le titre contient l'un des termes ou les deux : states or markets, states and markets etc. foisonnent. En effet, les théories de l’ impérialisme (Boukharine, Lénine, Hilferding, Luxembourg) avaient pour objectif de transposer au niveau international leurs études sur les relations de pouvoir au niveau national. Ainsi, le débat interne entre les courants orthodoxe (Waltz, Krasner, Ruggie, Nye et Keohane) et hétérodoxe de l'EPI (Strange, Cox, Gramsci) nous ont permis d'avancer dans notre réflexion théorique. La question qui vient immédiatement est dans quels termes pouvons-nous concevoir un rapprochement des sphères politique et économiques si souvent éloignées ? L’intérêt du courant réaliste de l'EPI illustré par les théories de Waltz et de Krasner, pour ne citer qu'eux est qu’il lie les variables économiques aux variables politiques mais leurs études du SEM sont caractérisées par une autonomisation du politique vis à vis de l'économique. En effet, l’EPI Orthodoxe fonde ses études sur les questions de sécurité et du pouvoir coercitif des Etats, qui sont les acteurs principaux du SEM. Etant donné que nous avons montré l’importance des FMN, et la diminution du poids de l’ Etat dans le SEM, il nous paraît alors impossible d’expliquer la structure du SEM par des théories qui supposent la supériorité de l’ Etat sur les autres acteurs du SEM, ou pis encore, qui excluent de leurs analyses l’existence des autres acteurs que l’ Etat. C’est pourquoi, nous allons tenter de montrer que les théories orthodoxes de l’ EPI ne permettent pas d’expliquer le changement dans la structure du SEM, contrairement à la théorie que nous nommerons « strangiste ». 2.1.1 L’analyse erronée de l’EPI orthodoxe L'intérêt de l'EPI est d'offrir une vision neuve à l'économie internationale. En effet, même s'il ne faut pas confondre leurs théories Krasner, Strange, Kehoane, Nye, Ruggie, Young, Gilpin, Cox... se sont efforcés de rapprocher les domaines économique et politique. L'EPI orthodoxe offre un caractère confus, vue la multiplicité des théories qui la forment. L'EPI orthodoxe est américaine. Elle est née dans les années 70. Les nombreux auteurs américains, tenants du courant orthodoxe, offrent tout un tas d'analyses plus floues les unes que les autres. Certains chercheurs français les opposent entre elles. Kebabdjian (1998 et 1999) a même extrait la Théorie des Régimes Internationaux de l’EPI orthodoxe pour la comparer et la rapprocher de la Théorie de la Régulation (Boyer, 1996 et Aglietta, 1991) française et hétérodoxe. Et ce, au nom d’une seule et unique notion commune aux deux courants : le régime.11 Les théories qui composent le courant de l'EPI orthodoxe ne s'opposent pas véritablement. Elles sont fondées sur des hypothèses identiques et se complètent. Distinguons trois théories de l'EPI orthodoxe : - le réalisme "pur" de K.N. Waltz et de R. Gilpin l’institutionnalisme libéral américain qui se compose de deux théories : la Théorie des Régimes Internationaux de S.D. Krasner (l’Ecole des Régimes Internationaux), suivie par O.R. Young et J.G. Ruggie et l' École de l'Interdépendance Complexe de J.S. Nye Jr et R.O. Keohane (le Structuralisme modifié). L’apport de ces théories est grand. Elles montrent que la mondialisation est un phénomène plus construit que subi et pose alors le problème de la maîtrise de la mondialisation. La théorie de K.N. Waltz est née dans les années 70 en réaction aux théories des relations internationales précédentes. Elle est construite selon un ensemble de lois politico-économiques observées qui reflètent les actions des différents États et qui servent à les prédire. Selon lui sa théorie (et une théorie en général) doit servir plus qu'elle ne doit expliquer la réalité (K.N. Waltz, 1986). Ainsi, mettre au centre de son analyse l'État comme acteur unique au sein du SEM doit servir à comprendre les stratégies internationales étatiques. Celles-ci sont donc extraites du SEM et sont considérées comme exogènes et uniques. Les relations entre les États vont déterminer entièrement le système économique. La conquête de nouveaux territoires par la force militaire permet l’accroissement de la production nationale. Ses études ont pour principal objectif de chercher un équilibre général optimal entre les États par la maximisation de leurs intérêts individuels. Ce principe de rationalité est la base de ses travaux et des études de l'EPI orthodoxe en général. Cette hypothèse qui sera reprise dans les autres courants de l’orthodoxie peut être remise en cause. Avec la 11 Le régime pour les régulationistes internationalistes représente les normes et les institutions qui orientent les décisions des agents privés, qui fixent des règles aux interventions étatiques et qui se prêtent à la régulation internationale. Les principes représentant les croyances aux faits, les normes sont le comportement standard (droits et obligations), les règles sont les prescriptions ou proscriptions et les procédures représentent les pratiques pour faire un choix collectif. Pour l’EPI institutionnaliste (Krasner, Keohane et Nye), le régime « est un ensemble de principes, de normes, de règles et de procédures de prise de décision qui assurent la stabilité et la cohérence des comportements des différents acteurs de la vie internationale, et qui se mettent en place pour éviter les conflits coûteux ». mondialisation, les décisions des Etats sont conditionnées par les volontés d’autres acteurs économiques. La multiplicité des acteurs interdépendants (les FMN sont impliquées dans les marchés financiers, qui ne sont pas sans rapport avec les Etats qui eux-mêmes subissent les pressions des lobbies…) intervenant dans le SEM rend quasiment impossible la prévision de leurs actions. La rationalité est une hypothèse qui a permis uniquement aux auteurs de l’EPI orthodoxe de modéliser les comportements des Etats et d’utiliser la théorie des jeux à cet effet. L'autre hypothèse principale qu'il postule est l'état de nature anarchique du système étant données les relations conflictuelles entre les États. Seule une guerre hégémonique partagera le pouvoir entre les plus puissants. Le passage de l'état de nature (anarchie) à l'hégémonie (ordre taxinomique) est appelé "balance des pouvoirs". Il se fait par la force qui est le seul moyen de réguler le système international. En effet, pour Waltz le droit de guerre comme moyen de survie est une cause de l'état de nature donc de l'anarchie mais c'est aussi une conséquence puisque, en raison de l'anarchie aucun autre État ne peut obliger l'État hégémon à respecter sa parole quelle qu'elle soit. C’est pourquoi pour Waltz, c’est l’anarchie qui prévaut à long terme. La force militaire explique le changement de l’ordre économique en temps de guerre (Gilpin, 1981 et 1987), mais comment la théorie réaliste expliquerait-elle que des pays semi-industrialisés tels que le Mexique ou le Chili ou la Corée du Sud renforcent leur pouvoir économique et s’intègrent dans l’ordre économique international actuel dans un climat de paix ? Dans l’économie mondiale actuelle, le gain attendu en accédant aux capitaux étrangers et à une certaine main d’œuvre (peu chère, très qualifiée ou peu revendicatrice) est plus recherché que le gain attendu d’une expansion territoriale. Pour Susan Strange, il existe d’autres moyens de régulation de l’ordre économique international qui sollicitent l’intervention des divers acteurs autres que les Etats tels que les FMN, les banques internationales et les organisations internationales… Strange parle de bargaining ou de marchandage entre ces acteurs. Le rôle des Etats étant amoindri et celui des autres acteurs augmenté, il s’en suit le développement d’un soft power au détriment du hard power (force militaire). Krasner et Ruggie, dans le début des années 80 reprendront l’hypothèse de Waltz que Strange qualifie de stato -centrisme (Ruggie, 1983, p.196). Mais Krasner ne part pas du même état de nature que Waltz. Pour celui-ci c'est l'anarchie, pour Krasner l'état de nature du système est caractérisé par l'existence de régimes internationaux (RI). Le fait que les régimes internationaux soient une hypothèse évite à Krasner d'expliquer la naissance d'un régime, sa mort, son évolution et sa nature. L’existence de RI a pour conséquence de produire un ordre de long terme (contrairement aux accords qui doivent être considérés comme des accords de court terme et ad hoc), stable sans hégémonie. C'est pourquoi il insiste sur le fait qu'il se produit un déclin de l'hégémonie américaine depuis plus de vingt ans. L'équilibre général de long terme obtenu sera donc un optimum de second rang. Toutefois, la multitude de régimes internationaux formant le SEM n'exclut pas l'existence d'une hiérarchie des puissances étatiques comme dans la théorie du réalisme pur, mais celle-ci est contenue à l'intérieur d'un régime. Les États vont obéir aux règles et procédures formant le régime limitant ainsi leur rationalité (bounded rationality). Il existe pour Krasner une multitude de régimes internationaux. Par exemple il existerait un régime international dans le domaine de la pêche maritime mais pas de régime international monétaire ni de régime de sécurité internationale (étant donné les assassinats des hommes politiques). Autrement dit, Krasner et plus généralement les tenants de l’Ecole des Régimes Internationaux évacuent de leur théorie tous les domaines économiques qui ne peuvent fonctionner sous l’existence d’un RI (drogue, crimes, corruption…) (Strange,1982). Pourtant comment expliquer la création de règles qui prévalent sur les marchés financiers et monétaires et dans l’ordre politique international (droit d’ingérence…) et les contraintes qu’elles exercent sur les décisions des FMN, des Etats et des individus ? Young et Ruggie ont tenté de compléter sa définition en créant deux critères de mesure d'un régime : l'efficacité et la robustesse. En citant deux autres exemples de régimes internationaux : le libéralisme orthodoxe (avant la deuxième guerre mondiale) et le libéralisme enchâssé (après 1945), Ruggie nous donne un peu plus d'explications sur la nature de ces régimes et leur transformation. En effet, le second (embedded liberalism) est caractérisé par la poursuite d' un objectif social ( la stabilité domestique) qui unit tous les États qui y participent. Dans la période de l'Entre-deux guerres régnait le désordre parce qu'il manquait selon lui cet objectif social. Par exemple, il explique que la tentative de création d'un régime monétaire a échoué à cette période parce qu'il était incompatible avec l'objectif de stabilité domestique. La nature du régime international dans la théorie institutionaliste libérale américaine reste floue, le régime peut à la fois concerner la pêche maritime et le libéralisme enchâssé. Par conséquent, le régime international dans ce courant de l’EPI peut rassembler des Etats autour d’une idéologie (le libéralisme) et autour d’une activité économique (la pêche maritime), mais il n’existe pas de monnaie qui rassemble des Etats actuellement selon Krasner. L’institutionnalisme libéral américain est à rapprocher avec la théorie économique de l’échange pur ou le modèle de Ricardo (la théorie des avantages comparatifs) où il existe un gain mutuel pour les Etats qui participent à un échange : le jeu n’est pas à somme nulle. Alors que dans la théorie réaliste de Waltz, si un Etat renforce son pouvoir par la force il le fera au détriment des autres Etats. Seule l'École de l'Interdépendance Complexe a donné l'impression de s' éloigner du réalisme, mais elle reste proche de la théorie de Waltz. Les auteurs expliquent eux-mêmes que leur théorie complète celle de Waltz. Nye et Keohane (1972) ont entamé trois pistes de recherche jusque là inédites en EPI : s'il existait d'autres moyens que la force de régler les conflits entre les États, s'il y avait d'autres acteurs que les États sur la scène économique internationale et si les relations internationales bénéficiaient à des États en particulier. Malgré cela Nye et Keohane ne s'opposent pas au réalisme pur et encore moins à l'EPI orthodoxe en général. Nous pouvons justifier les ressemblances entre l’école de l’interdépendance complexe et la théorie réaliste en avançant trois raisons : - les évocations d'acteurs nouveaux (FMN...) sont présentes mais l'État reste l'acteur privilégié du SEM et plus précisément les États-Unis. Le terme utilisé pour nommer les relations économiques est d'ailleurs transnational relations, autrement dit la nation est toujours au centre de l'analyse. - Au pluralisme des acteurs évoqués par les auteurs s'ajoute le pluralisme des domaines internationaux du SEM. Ceux-ci n'avaient jamais été spécifiés avant Nye et Keohane ; quatre types de flux intéressent les auteurs : les flux d'information, d'échange, de monnaie et de personnes. Pourtant, les moyens de régulation du SEM ne sont pas plus diversifiés que dans les théories - précédentes. La force c’est à dire le pouvoir coercitif de l’ Etat (le "warfare") domine quelque soit le domaine étudié (Nye et Keohane, 1972, p. xii). Ainsi, comme pour Krasner et Waltz, la sécurité des Etats- nations reste au centre de leurs analyses. A la question qu’ils posent de savoir qui bénéficierait des relations internationales, ils n'y répondent pas. La notion de régime est très présente dans la théorie de Nye et Keohane. Trois régimes internationaux sont cités : le régime monétaire, le régime commercial et le régime pétrolier. Autrement dit selon les deux auteurs, les États ont intérêt à créer des régimes, mais contrairement à Krasner , les régimes internationaux ne sont pas le point de départ de leur théorie. C'est l'hégémon qui va favoriser la création du régime à sa demande. Toutefois, la définition du régime international n'est pas plus explicite. Ainsi, des notions intéressantes chez Nye et Keohane sont suggérées mais non traitées. Et celles-ci ne s’éloignent pas beaucoup des autres théories orthodoxes qui mettent en avant l’ Etat comme acteur unique du SEM. Seule, la théorie de Strange qui, au contraire de l’ EPI orthodoxe, insiste sur le caractère diffus du pouvoir au sein du SEM. 2.1.2 Adoption de la théorie « strangiste » pour expliquer nature du SEM L'internationalisation des échanges, des savoirs, des techniques, de la finance, de la main d’œuvre etc. ne se fait pas sans cadre politique défini par des puissances inégales toujours en évolution. La mondialisation exige aujourd'hui de s'intéresser à l'évolution du cadre dans lequel elle se déroule : les acteurs changent, l'État n'est plus au centre de la structure politico-économique. La théorie de Susan Strange se construit autour de plusieurs points : - le pouvoir coercitif de l’ Etat tend à disparaître pour laisser place à un pouvoir qu’elle nomme structurel et l’oppose au pouvoir relationnel qu’ont les Etats entre eux. Le pouvoir structurel se partage entre les Etats et différents acteurs : les FMN, les organisations internationales (OI) telles que le FMI ou la BM, les zones d’intégration régionales (l’ Union Européenne par exemple) et les organisations non gouvernementales (ONG). Il est caractérisé par la volonté qu’ont ces acteurs d’acquérir des parts de marché dans les différents domaines : financier, commercial, informationnel, culturel, productif, et de sécurité, alors que le pouvoir relationnel qui prédominait encore dans la première partie du 20 ème siècle concerne la volonté qu’ont les Etats d’acquérir des territoires. Cependant, pour Strange, dire que l’ Etat n’est plus au centre des décisions qui se font au sein du SEM, ne veut pas dire que le marché gagne du terrain. L'opposition Etat- marché n'est plus systématique. - l’hégémonie américaine, à travers les Organisations non gouvernementales et internationales, les Firmes MultiNationales (FMN) et les banques et le dollar, est responsable du désordre qui règne dans le SEM. Elle s’oppose alors à l’EPI orthodoxe qui croît en une disparition progressive de l’hégémonie américaine 12. On peut citer plusieurs raisons à la croyance au déclin de l’ hégémonie américaine par l’ école de l’ interdépendance complexe : - les échanges internationaux s’intensifient et deviennent plus rapides, il est alors plus difficile de croire en une domination d’une puissance même américaine 12 - - - Celle-ci représente en même temps pour Strange une solution au désordre mondial, autrement dit, l’hégémonie peut être aussi bien malveillante (c’est le cas actuellement) que bienveillante (si elle offre une stabilité de l’ordre économique mondial). Susan Strange refuse l’existence de régimes internationaux (RI) pour plusieurs raisons : la première concerne le fait qu’ils s’organisent autour d’un acteur unique, l’ Etat, la seconde est qu’il existe différents domaines mondiaux où ces RI ne font pas autorité : la sécurité (beaucoup d’hommes politiques se font encore tués), la drogue, la mafia etc., la troisième raison tient au fait que les régimes internationaux sont un substitut au déclin de l’ hégémonie américaine que les théories orthodoxes de l’ EPI pensent effectif depuis l’affaire du WaterGate qui a affaibli le pouvoir des Etats-Unis, la quatrième raison concerne la nature même du RI qui est définie de manière imprécise, c’est à dire qu’on ne sait pas comment un RI est créé, s’il évolue, s’il peut être détruit, la cinquième et dernière raison de refuser l’existence du RI découle de la précédente, autrement dit Strange refuse la vision statique de l’ordre économique mondial qu’offrent les RI Au lieu de parler de RI, elle préfère parler de bargaining international ou d’arrangements multilatéraux ou bilatéraux entre les divers acteurs du SEM qu’elle nomme institutions. La multiplicité des acteurs et leur nature si différente augmente le degré de diversité des marchandages, augmente leur rapidité et les rend souvent impalpables. Ainsi, elle insiste sur l’importance du « dynamique » dans l’étude du SEM. Il existe un pouvoir de s’intégrer au sein de quatre structures déterminées (financière, de production, culturelle, et de sécurité) c’est le pouvoir structurel et celui-ci prévaut sur le pouvoir relationnel, détaché de la structure économique et politique du SEM et trop centré sur les relations de pouvoir en elles-mêmes. Nous avons compris que la théorie de Susan Strange était celle qui reflétait le mieux les observations faites à l’égard de la diminution du pouvoir de l’ Etat et de l’émergence d’acteurs nouveaux au sein du SEM. La question qui vient maintenant est de savoir comment utiliser cette théorie pour expliquer ces changements dans la structure du SEM depuis ces dernières années. Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de réfléchir sur la notion de pouvoir : pourquoi les Etats-Unis conservent un pouvoir important ? Pourquoi les Etats- nations voient leur puissance diminuer alors que celle des FMN augmente ? La réponse réside dans l’étude de la nature différente de ces pouvoirs. Quand un acteur a du pouvoir, cela veut dire qu’on lui obéit. Selon Ian Hurd (International Organization, 1999), on obéit selon trois raisons : soit parce qu’on est menacé par le pouvoir coercitif, soit parce qu’on trouve un intérêt à obéir, soit parce qu’on estime que le pouvoir du dominant est légitime. Transposée au plan international, l’étude du pouvoir devient plus délicat, surtout si l’on part du principe qu’il existe différents acteurs autres que les Etats. En effet, une FMN ne possède pas de pouvoir coercitif par exemple. Comment mesurer le pouvoir d’une FMN pour le comparer à celui d’un Etat ? Répondre à cette question est l’objectif que nous nous fixons dans la deuxième sous-partie. - le caractère de la puissance a changé, celle-ci est moins diplomatique actuellement qu’économique et financière, et comme un type de puissance ne peut être transférable en un autre type, les Etats-Unis qui possédaient la puissance mondiale de la diplomatie jusqu’à la fin des années 70, ne peuvent posséder la puissance mondiale économique et financière dans les années 80 et 90. Les divergences entre les principales théories de l’EPI dans les analyses du SEM : EPI orthodoxe Auteurs Waltz (réalisme pur) Krasner (théorie des régimes internationaux Caractéristiques du pouvoir relationnel relationnel Hégémonie Oui, à court terme. C’est une condition suffisante pour peser dans la balance des pouvoirs Non, car il y a présence des régimes internationaux Non, anarchie de long terme Oui, une multitude. Et c’est une hypothèse. Mais c’est un optimum de second rang Existence de régimes internationaux Rationalité des acteurs du SEM Instabilité du SEM Régulation du SEM EPI hétérodoxe Nye et Keohane (Ecole de l’Interdépendance Complexe) Coexistence du hard power et du soft power* Strange (Ecole du Pouvoir Structurel diffus) Pouvoir structurel diffus Oui, ce sont les Oui, c’est Etats-Unis. C’est une l’hégémonie qui crée condition nécessaire les régimes mais non suffisante internationaux pour la stabilité du SEM Oui, les principaux étant les régimes commercial, monétaire et pétrolier Non. Existence du bargaining entre les acteurs Rationalité absolue des Etats : ils maximisent leur Rationalité limitée Rationalité limitée utilité individuelle. des Etats. Les Etats des Etats. Les Etats Les Etats agissent agissent de telle agissent de telle de telle façon si c’est façon si c’est dans façon si c’est dans dans leur intérêt leur intérêt particulier leur intérêt particulier particulier ou s’ils se croient menacés Non rationalité des Etats et des autres acteurs : les Etats agissent de telle façon s’ils croient la cause légitime** Oui, car l’état de nature du SEM est l’énarchie par définition. La « balance des pouvoirs » est donc instable Oui en raison du déclin de l’hégémonie américaine Oui en raison du déclin de l’hégémonie américaine Oui en raison de la mauvaise gestion des capacités de l’hégémon, en l’occurrence les Etats-Unis qui n’ont pas perdu leur hégémonie sur le SEM Par la force. Le domaine de sécurité domine les autres S’il y a création de régimes internationaux c’est à dire créations de principes, normes, on n’a pas besoin de la force. Mais, on ne précise pas comment naissent les régimes internationaux. L’arbitrage entre l’utilisation du hard power et du soft power dépend de l’intérêt qu’a un Etat à utiliser l’un ou l’autre. Par le bargaining entre les divers acteurs du SEM, y compris les institutions (ONG, marchés, banques, FMN, OI et zones d’intégration régionales) Multiples. Les acteurs économiques tels les Multiples mais l’ Etat FMN, les OI, les Acteurs Unique : l’ Etat Unique : l’ Etat reste le plus ONG ont un poids de important plus en plus important dans le SEM *Nye a été le premier à distinguer le hard power du soft power et à énoncer le fait que l’utilisation pour un Etat de sa puissance économique et financière (soft power) au lieu de sa puissance coercitive (hard power) puisse être plus avantageuse, c’est à dire moins coûteuse. Ainsi, l’ Etat décidera d’utiliser telle ou telle sorte de pouvoir selon l’intérêt qu’il a d’utiliser la première sorte ou la deuxième. **C’est pourquoi le leader hégémonique sera suivi s’il est jugé bienveillant. S’il est jugé malveillant, il sera la cause du désordre de l’ordre économique mondial. (Cette analyse est approfondie par Cox et les fondements sont ceux de Gramsci). 2.2 Sur la notion de pouvoir Ian Hurd a conclu dans son article de 1999 dans la revue International Organization ( n°2, vol.53) qu’il existait une légitimité internationale pour essentiellement trois raisons : - parce qu’elle passe par des règles internationales (présence d’un ordre sans gouvernement), - parce qu’il existe une analogie du système international avec le système domestique, - parce que la souveraineté au niveau international (à comprendre ici comme la puissance d’une institution internationale) peut être légitime comme une norme qu’on internalise. Pour en arriver à ces conclusions, l’auteur s’est posé la question de connaître les raisons pour lesquelles on obéissait. Son objectif dans l’article était de démontrer qu’il existe une légitimité internationale sans montrer comment une institution le devient ; ce qui ne l’oblige pas à définir la légitimité. Notre objectif est de donner une définition de la légitimité, fondée essentiellement sur la définition de Habermas, afin de vérifier la corrélation négative entre la puissance et la légitimité. Nous verrons d’abord en quoi les FMN et les Etats ont un pouvoir de nature différente, il est nécessaire pour ce faire d’expliquer ce que représente l’ Etat, et ensuite nous verrons que la légitimité qui fait la caractéristique d’un Etat existe au niveau international, alors que les FMN ne le sont pas, et que c’est là la raison du pouvoir limité pour l’ Etat et de l’augmentation de la puissance pour les FMN. Ainsi, traiterons-nous deux points rattachés à la notion de pouvoir : les natures du pouvoir de l’ Etat et des FMN et la légitimité comme outil de mesure de la puissance de l’ Etat et des FMN. 2.2.1 FMN et Etat : deux natures de pouvoir différents. Contrairement aux auteurs réalistes et néo-réalistes de l’EPI, nous mettons en évidence que l’hégémonie américaine est loin d’avoir disparu et plus que cela encore nous soulignons le fait que celle-ci s’est accentuée, renforcée et semble être devenue invincible. Simplement, elle s’appuie sur le pouvoir grandissant des acteurs privés. Pourquoi le pouvoir de l’ Etat n’est pas l’arme la plus redoutable pour former un pouvoir hégémonique ? Pourquoi la puissance des FMN semble-t-elle invincible ? Afin de répondre à ces questions, il est nécessaire d’étudier la manière dont se forme l’ Etat ; sa nature de classe. L’ Etat est garant des rapports de production de l’économie d’une nation. L‘ Etat est donc l’organisation de la nation dont les individus sont soumis à des lois communes. De ce fait, l’ Etat a une nature de classe qui est déterminée par le mode de production dominant dans l’économie nationale. Il est alors le reflet du mode de production qui caractérise l’économie nationale. La nature de l’ Etat actuelle dans les pays industrialisés est capitaliste. Ainsi l’ Etat est impliqué dans l’économie et il ne doit pas être considéré comme une entité extérieure (Salama et Mathias, 1983). Il est impliqué de deux manières par rapport au capital : parce que d’une part, l’ Etat instaure un cadre politique qui détermine l’évolution du capital, donc de l’économie, et d’autre part parce qu’ il est amené à intervenir dans les différents secteurs économiques de façon directe (l’ Etat produit lui-même) ou de façon indirecte (par les politiques économiques interventionnistes) et de manière plus ou moins intensive selon les pays. Ainsi, la classe dominante parmi les classes sociales qui composent la société détermine la nature de classe de l’ Etat. Chez Gramsci, l’ Etat existe de par sa puissance qu’il acquiert en se formant luimême. Il décrit la puissance étatique comme ayant deux caractéristiques : elle est coercitive (autrement dit l’ Etat peut se servir de sa force et de l’appareil judiciaire qu’il construit pour imposer sa volonté ) et est idéologique. La puissance idéologique se définit sur le plan national par le fait qu’une classe sociale associée à un certain processus de production se soit émancipée par rapport à une autre et la domine. Au plan international, la puissance idéologique se définit par le fait que des institutions dominantes soient reconnues comme légitimes par les « faibles », ce qui garantit leur obéissance. Ainsi, deux notions sont très liées : puissance et légitimité. La relation n’est pas évidente à faire entre les deux. Dans les pays industrialisés, l’ Etat est formé au sein de la société. En effet, il prend naissance parmi la population composée des différentes couches sociales. La classe sociale13 dominante détermine la nature de l’ Etat et les politiques qui en découlent. Pour Gramsci, une classe sociale devient dominante si elle est organisée pour prendre le dessus sur les autres et si elle a su et pu élaborer une stratégie pour y parvenir. « Chaque groupe voudrait sortir de la déchirante lutte de la concurrence en imposant son monopole. L’ Etat amène à composition, sur le plan juridique, les dissensions intérieures des classes, les désaccords entre intérêts opposés, il unifie les couches et modèle l’aspect de la classe tout entière. Avoir le gouvernement, le pouvoir, c’est sur ce point que s’affirme la concurrence entre couches diverses. Le gouvernement est le prix qui revient au parti, à la couche de la bourgeoisie qui se montre la plus forte, qui, avec cette force, conquiert le droit de régenter le pouvoir de l’ Etat, de l’orienter vers des objectifs déterminés, de le modeler essentiellement selon ses programmes économiques et politiques. » (Gramsci, p.151, Ecrits politiques, 1974). L’ Etat est devenu capitaliste dans l’histoire par la domination de ceux qui détenaient le capital sur la classe des ouvriers. La classe bourgeoise représente le capitalisme parce qu’elle est formée de groupes capitalistes toujours plus nombreux qui participent au développement économique. Ainsi la nature de classe de l’ Etat est la classe bourgeoise, les deux entités étant imbriquées l’une dans l’autre. L’ Etat est et restera bourgeois. En effet, la bourgeoisie est la classe intermédiaire ; elle se situe entre la classe prolétaire et la classe des aristocrates, c’est cette position sociale qui fera que la classe bourgeoise est la seule qui dans l’avenir a à la fois quelque chose à perdre et quelque chose à gagner. En outre elle représente la majeure partie de la population actuelle. Ainsi, elle aura toujours intérêt à en vouloir plus, et elle sera toujours la plus dynamique et la mieux organisée. On peut noter à ce propos que dans les pays non industrialisés, si la classe bourgeoise est inexistante, l’économie est instable, c’est le cas actuellement de la Russie. Une classe sociale réussira à devenir dominante uniquement si elle parvient à établir un large consensus au sein des couches anciennement dominées. Ainsi, l’ Etat est la classe la plus puissante. L’illustration qu’il fait de la définition de cette puissance14 concerne l’ex-Russie et l’Italie (entre autres), où seule la puissance idéologique, 13 Une classe sociale regroupe des individus ayant les mêmes intérêts. A la fois dans les cahiers de prison (1971, Gallimard, traduit de l’italien), et dans Ecrits politiques 1914-1920 et 1921-1926 (Gallimard). 14 grâce aux intellectuels, parviendrait à rassembler les couches prolétaires italiennes et russes contre la classe dominante bourgeoise. Ainsi, avant la phase terminale qui consiste à prendre le pouvoir par la force --si celle-ci a lieu d’exister15-- la classe bourgeoise dominante est neutralisée. Ainsi, le pouvoir de domination ne doit pas nécessairement être lié à la force. Les classes dominées acceptent l’assujettissement parce qu’elles ne peuvent agir contre cette domination, institutionnalisée légalement, faute d’organisation de leur part. La domination apparaît ainsi comme légitime donc acceptée ; comme l’exploitation du travailleur par le capitaliste l’est dans la théorie de Marx. Cette question de légitimité signifie que certains individus de la classe dominante ont le droit de gouverner les autres. Si l’ Etat n’utilise pas la force pour se faire entendre, elle utilise forcément un autre moyen que Gramsci nomme : l’idéologie. Il s’agit là de légitimer la domination d’une classe sociale que représente l’ Etat par l’idéologie. La classe bourgeoise aura pris le pouvoir grâce au consensus des intellectuels des couches bourgeoises, et deviendra dominante. La prise de pouvoir est légitime et la classe dominée est consentante et dite faible parce qu’elle n’a pas « su » s’organiser et ne peut pas se « révolter ». L’hégémonie publique est stable. La classe sociale dominante instituera une culture, la sienne, par différentes institutions : l’ Eglise, l’éducation, l’information, le syndicalisme, etc. et formera alors le « bloc historique » (Gramsci, 1974). C’est ainsi que la puissance de l’ Etat devient hégémonique, parce qu’ il s’instaure une espèce de suprématie de l’idéologie de la classe dominante s’exerçant à travers les fonctions de l’ Etat directement (par l’éducation nationale pour la fonction éducative, par les tribunaux pour la fonction répressive) et à travers « une multitude d’autres initiatives et activités dites privées qui forment l ‘appareil d’hégémonie politique et culturelle des classes dominantes » et qui « tendent vers le même but » (Gramsci, Cahiers de prison, p.360, 1975). Ceci fait dire à Gramsci que chaque Etat est éthique. L’analyse gramscienne du pouvoir hégémonique de l’ Etat a trois caractéristiques : - elle est nationale (il s’agit de l’hégémonie de l’ Etat sur la société civile nationale), - elle est décrite en termes de lutte entre les différentes classes sociales formant la société civile, elle s’inscrit alors dans un processus de matérialisme historique et - est idéologique avant d’être coercitive (il met au premier plan l’importance de l’ action des intellectuels pour constituer la classe dominante pour diffuser l’hégémonie). Ceci permet d’expliquer comment la société politique (c’est à dire d’ Etat) se forme à partir de la société civile (formée par les institutions et les individus) et comment elle influencera celle-ci en retour. Et de montrer que les transformations de la Société civile et politique sont avant tout des transformations sociales. Ainsi, l’ Etat coercitif n’est pas au centre de son analyse. Pour Gramsci, la puissance de l’ Etat passe aussi par l’influence idéologique de divers acteurs (qu’il nomme institutions) tels que les individus, les syndicats, les journalistes, l’éducation, l’ Eglise, les tribunaux etc. Pour Gramsci, Salama et Mathias, la société civile est mise en avant pour expliquer : - la détermination de la nature de classe de l’ Etat chez Salama et Mathias et - la détermination de la puissance de l’ Etat chez Gramsci. Ces deux analyses se basent sur la théorie de Marx pour définir l’ Etat et ce qu’il représente. Notre objectif est de conceptualiser l’ Etat, sa nature et les conditions de sa formation afin de montrer que l’ Etat est le seul acteur de la scène économique et 15 Chez Gramsci, la force est latente mais non obligatoire. politique internationale qui se doit d’être légitime. Et ceci constitue les limites du pouvoir de l’ Etat. Gramsci reprend le terme « société civile » pour nommer le peuple formé de différentes classes sociales et « société politique » pour l’ Etat. Pour Marx et Engels la société civile représente la forme d’échange et les forces productives d’une nation (Idéologie allemande, p. 59, 1946). Pour Salama et Mathias, il en est de même : l’ Etat des pays industrialisés et précisément sa nature naissent des entrailles de la société, du fait des contradictions internes de celle-ci. En ce qui concerne les FMN, reprenons les trois sources de pouvoir existantes, à savoir la le pouvoir coercitif, favoriser les intérêts privés et la légitimité. Les FMN ne possèdent pas de pouvoir coercitif, et l’on a vu précédemment que les Etats (surtout d’accueil) pouvaient se soumettre aux volontés des FMN alors que les intérêts des Etats à être soumis aux FMN étaient particulièrement minces. Par conséquent, seule la légitimité constitue un juste critère pour mesurer leur pouvoir. 2.2.2 La légitimité comme outil de mesure de la puissance16 de l’ Etat et des FMN. Pourquoi voit-on une institution comme légitime ? Pour Habermas, seul un ordre politique peut être légitime. De cette façon il relie le concept de légitimité avec la légalité : Il est moins évident de circonscrire l’extension du concept de légitimité, car seuls des ordres politiques possèdent ou perdent leur légitimité, eux seuls ont véritablement besoin de légitimation. Des entreprises multinationales ou le marché mondial ne sont pas susceptibles d’être légitimés. (Habermas p.251, Après Marx, 1985). Après avoir vu comment se forme l’ Etat, la détermination de la nature de son pouvoir et celle du pouvoir des FMN, examinons maintenant en quoi il existe une corrélation négative entre pouvoir et légitimité. La puissance de l’ Etat et celle des FMN doivent pouvoir se mesurer. En ce qui concerne l’ Etat au niveau national, il est habituel d’étudier des différentes caractéristiques de son pouvoir selon le régime politique dans lequel il s’inscrit. On note qu’en régime démocratique, les représentants de l’ Etat ; le président de la république et le chef du gouvernement ; n’ont pas les pleins pouvoirs, à savoir le pouvoir législatif et judiciaire en plus de l’ exécutif. Ceci est dû au fait qu’il existe au sein de l’ Etat une séparation entre le Pouvoir (l’exécutif) et la Justice17 même si l’interdépendance subsiste entre les trois pouvoirs (le législatif, l’exécutif et le judiciaire). La puissance de l’ Etat est contenue dans ses fonctions et ses actions politiques : la puissance de l’ Etat représente la marge de manœuvre qu’a l’ Etat à exercer ses fonctions, ses politiques. 17 Il faut comprendre ici la justice comme représentant le droit au sens de Georges Burdeau.. Autrement dit, servir la justice ou le droit c’est servir l’intérêt général. Avec l’ Etat, « ils (les gouvernants) n’ont qualité pour agir que dans la mesure où ils servent l’institution… Avant l’institutionnalisation, ils pouvaient encore, dans leur activité, mêler ce qui était l’accomplissement de l’idée de droit et ce qui était service de leurs intérêts personnels… leur titre de chef recouvrait tout. Avec l’existence de l’ Etat, il cesse d’en être ainsi… Les gouvernements ne peuvent plus que servir l’idée de droit qui s’est incarnée dans l’institution, car ils n’ont compétence- donc autorité- qu’à cet effet. Détachés de cette idée, leurs ordres et leurs actes perdent non seulement toute légitimité, mais encore toute qualité juridique. Il n’y a plus que prétention vaine ou manifestation de force. » (Burdeau, L’Etat, 1970, p.73-74). 16 Si l’on accepte encore une fois de déterminer le pouvoir de l’ Etat selon le type de régime politique qui le représente, on est enclin à dire qu’ en régime non démocratique, l’ Etat aurait tous les pouvoirs, parce que le ou les gouvernants les incarnent tous les trois, et il n’y a pas de séparation entre le judiciaire, le législatif et l’exécutif ; alors qu’ en régime démocratique, l’ Etat a un pouvoir limité étant donnée la séparation entre les trois pouvoirs cités précédemment. Cependant, la séparation entre les pouvoirs ne peut seule mesurer le pouvoir de l’ Etat. A l’intérieur du système démocratique, les différents Etats démocratiques n’ont pas la même fonction gouvernementale18 pour reprendre le terme de G. Burdeau. Ce terme regroupe le pouvoir de faire des lois, d’édicter des règlements autonomes et la conduite des relations extérieures. Prendre la fonction gouvernementale comme critère permettant l’étude pouvoir de l’ Etat est plus précise. Ainsi, au sein des démocraties, même s’il y a séparation des pouvoirs, on note que la maîtrise de la fonction gouvernementale se fait différemment et donc que le pouvoir de l’ Etat peut être plus ou moins fort. La démocratie est purement idéologique ou normative et ne peut être qu’idéologique puisqu’elle exprime la volonté de rendre les hommes libres et non assujettis à une autorité supérieure. Les démocraties au sens de la définition précédente ne peuvent exister. La démocratie est alors irréaliste. C’est pourquoi, comme le pense Habermas, on ne peut mélanger les notions de démocratie et de légitimité. Rappelons que pour les marxistes, afin d’engendrer une démocratie authentique, il est nécessaire de dissiper le capitalisme. Ainsi, les pays socialistes entrent dans la définition idéologique de la démocratie, alors qu’en système socialiste le pouvoir de l’ Etat est plus important qu’en système libéral parce que le premier jouit d’une certaine indépendance vis à vis du peuple même si le peuple l’a voulu 19. Ainsi, nous n’avons pas automatiquement démocratie et affaiblissement du pouvoir de l’ Etat. Dans le cas des économies socialistes, la puissance de l’ Etat est telle que Marx dit que l’ Etat représente la « dictature révolutionnaire du prolétariat ». Mais idéologiquement, ce pouvoir n’étant pas jugé néfaste pour le peuple, il n’était pas nécessaire de le casser pour le partager. Le régime politique ou l’opposition démocratie -autoritarisme est trop restrictif d’une part et trop idéologique d’autre part pour être un juste élément de mesure du pouvoir de l’ Etat. Le véritable critère qui puisse nous éclairer sur les limites du pouvoir de l’ Etat quelque soit le cadre du système politique dans lequel il s’inscrit est le concept de légitimité. Le pouvoir de l’ Etat est partagé entre lui-même et le peuple de la nation correspondante dès lors que deux éléments sont réunis : - quand les individus formant la société civile ont la possibilité de participer à l’élection du chef de l’ Etat : il peut alors y avoir sanction par le vote, et qu’en parallèle il y a généralisation des rapports de production20, c’est à dire que la classe dominante de la société civile déterminera la nature de classe de l’ Etat et apparaîtra comme légitime, - et quand les politiques exercées par l’ Etat répondent aux exigences qui forment l’intérêt général de la société civile. Par ce principe, l’ Etat maintient la cohésion sociale de la société civile. Qu’il faut comprendre comme étant la forme du gouvernement. Dans un régime socialiste, on considère que l’ Etat représente le peuple ouvrier en masse et répond à ses volontés par les moyens de la planification. 20 Pierre Salama et Gilberto Mathias, L’ Etat sous-développé, La Découverte, 1983. 18 19 Ces deux éléments composent le concept de légitimité. Le premier représente ce que nous appellerons la légitimité d’origine et le deuxième la légitimité d’exercice. (Ainsi, le socialisme peut réunir la seconde condition uniquement, pourtant on l’a vu il peut être considéré comme démocratique). La légitimité apparaissant plus précise pour mesurer le pouvoir de l’ Etat que les régimes politiques nous montre qu’il existe une corrélation négative entre le degré de puissance de l’ Etat ou sa souveraineté et le degré de sa légitimité. Etudier la légitimité de l’ Etat c’est voir les rapports entre les sociétés civile et politique car dans le principe de légitimité, c’est la société civile ou au moins une partie de celle-ci qui consent l’exercice durable de l’ Etat. Il y a, selon nous, trois façons de concevoir les rapports entre société civile et société politique. La première assure les deux types de légitimité, la deuxième n’assure que la légitimité idéologique, la troisième n’assure aucune légitimité. (Voir les schémas correspondants). La première façon de concevoir les rapports entre la société civile et la société politique : (1)’ Société civile Lutte desdes classes Lutte classe Société politique (1) Nature de classe De l’ Etat Etat Politiques économiques et sociales (2) (1) et (1)’ La définition de la nature de classe de l’ Etat passe par la généralisation des rapports de production. Si en outre le représentant de l’ Etat formé est élu par la participation du peuple directement (France) ou indirectement (Etats-Unis), on dit qu’il y a légitimité d’origine. (2) Quand il y a réponse de l’ Etat par des politiques qui correspondent à l’intérêt général de la société civile, on dit qu’il y a légitimité d’exercice. La plupart des pays industrialisés correspondent à ce cas. La deuxième façon de concevoir les rapports entre la société civile et la société politique : Société civile Lutte desdes classes Lutte classe Société politique (1) Nature de classe De l’ Etat Politiques économiques et sociales (2) Etat (1) On note ici que la légitimité d’origine n’est pas entièrement réalisée (1)’, il peut en effet avoir généralisation des rapports de production c’est à dire que la classe dominante de la société civile déterminera intrinsèquement à la société la nature de classe de l’ Etat mais le peuple ne participera pas à l’élection du représentant de l’ Etat. (3) Cependant même sans la légitimité d’origine, l’ Etat peut assurer la légitimité d’exercice dans le sens où la volonté du peuple est satisfaite. L’exemple du Maroc correspond à ce cas. La troisième façon de concevoir les rapports entre la société civile et la société politique : Société civile ? Société politique Nature de classe De l’ Etat Etat (1) et (1)’ Dans ce cas il n’y a pas de légitimité d’origine étant donné que la nature de classe de l’ Etat n’est pas déterminée de manière intrinsèque à la société, elle est alors imposée par les pays étrangers et industrialisés. La généralisation des rapports de production est ici défaillante. Etant donné que la classe dominante est et sera toujours la classe bourgeoise, comme nous l’avons dit précédemment, et étant donné que celle-ci manque dans ce cas où l’économie n’est que précapitaliste, l’ Etat se substitue à cette classe. Ainsi, l’ Etat ne peut paraître légitime face à la société civile étant donné que le peuple n’a participé d’aucune façon à la formation de l’ Etat et à la détermination de sa nature de classe. (2) En outre, la légitimité d’exercice n’est pas assurée non plus. Il s’en suit une instabilité du système. On peut citer beaucoup de pays en développement dans ce cas tels que l’ Indonésie. Le système d’organisation indonésien repose sur un système de parenté qu’on appelle le népotisme, par conséquent, il ne nécessite pas de légitimité pour exercer son pouvoir. Prendre en considération les distinctions parmi les trois sortes de liens entre la société civile et la société moderne permet de voir que même des Etats qu’on ne considère pas démocratiques au sens classique du terme (c’est à dire démocratie opposée à autoritarisme), peuvent apparaître en partie légitimes aux yeux du peuple. En effet, dans les économies les moins avancées ou pré- capitalistes les chefs du gouvernement peuvent être désignés par la religion. Au Maroc par exemple, le roi Mohammed VI est avant tout vu comme le descendant du prophète, il représente alors une certaine autorité divine de fait. De même dans plusieurs pays d’Afrique noire, le système politique repose sur un système de parenté où le chef de l’ Etat fera partie de la famille la plus riche et la plus instruite du pays, il est alors tout à fait légitime qu’il dirige le peuple et qu’il place des membres de sa famille au pouvoir. Il peut aussi paraître légitime qu’il demande en échange de bienfaisances des avances ou des cadeaux, pour la simple raison que cela fait partie de la culture du pays : que l’on accepte jamais un cadeau sans en offrir un et réciproquement. En effet, Habermas considère que les légitimations peuvent être « convaincantes » ou « crues » (Habermas, Après Marx, 1985, p.257). C’est pourquoi un système politique comme celui du Maroc peut apparaître comme légitime au Maroc et non légitime dans une autre pays. Il en est de même pour le système politique de nature népotique. Mais actuellement, le concept de légitimité, ou ce que l’on peut appeler la légitimité moderne, est rattaché au principe de la légalité, il alors construit à partir de l’idée que le droit est formé par le peuple et que celui-ci ne se contente pas de croire en des récits. Ainsi, la première façon de voir les liens entre la société civile et la société politique, correspondant au premier schéma précédent, illustre la légitimité que nous désignons comme étant moderne, et qu’Habermas définirait comme celle concernant l’ Etat moderne. Habermas indique les causes d’une baisse de légitimité de l’ Etat, susceptibles d’engendrer une sanction par le vote de la société civile. Pour Habermas, il existe quatre types de crise : Lieu de naissance de la crise Système économique Système politique Système socio - culturel Crise du système Crise économique Crise de rationalité Crise d’identité Crise de légitimation Crise de motivation Tableau pris dans Habermas, Raison et légitimité, 1978, p.69. Les quatre types de crises sont extrêmement liés entre elles, puisque les systèmes économique, politique et socio- culturel le sont également entre eux. Ainsi, une crise économique est essentiellement due à l’inefficacité des politiques économiques de l’ Etat qui ne dépense pas de façon rationnelle les ressources fiscales prélevées (crise de rationalité), il y a donc remise en question des compétences de l’ Etat (crise de légitimation) : ce qui affaiblit la motivation des citoyens à croire en l’ Etat tel qu’il est (crise de motivation). Le concept de légitimité nationale prend racine dans l’histoire. Au temps de la monarchie en Allemagne et en France, ce sont les bourgeois qui avaient créé un pouvoir parallèle et contre la monarchie. Le pouvoir des bourgeois consistait à juger celui de la monarchie, ce qui rendait légitime le pouvoir monarchique. Si l’on transpose cette notion de légitimité nationale sur le plan international, on s’aperçoit qu’il existe un « espace public international » (Badie, 2000) composé de différents acteurs du SEM (les ONG, les OI, et même les Etats-Unis etc.) qui juge les actions des Etats. Par exemple, l’opinion publique internationale considère la déforestation brésilienne comme la destruction d’un bien commun. Ainsi, les Etats se verraient attribuer une légitimité internationale. Ainsi, avec la mondialisation des échanges et la modification, parfois la disparition des frontières, l’interdépendance des actions des acteurs au sein du SEM, les Etats voient leur pouvoir diminuer parce qu’il se doit être légitimé au niveau international. Au temps où la mondialisation n’en était qu’à ses balbutiements, les Etats avaient un pouvoir beaucoup plus important qu’actuellement. La raison tient au fait que leur légitimité n’avait qu’une dimension nationale. En ce qui concerne les FMN, celles-ci ne peuvent pas être légitimes d’après la définition que nous lui avons donnée. C’est la raison pour laquelle, ne craignant pas d’être sanctionnées directement21 par la société civile, leur pouvoir est quasi-total dans le SEM actuel. Les FMN, étant des acteurs privés du SEM, ils ne se doivent pas d’être légitimés, ils ont alors actuellement le pouvoir le plus fort au sein du SEM. Conclusion Nous avons essayé de montrer l’importance de la dimension politique dans le débat sur les effets de la mondialisation sur les rôles que jouaient les multinationales et les Etats. Pour cela nous avons fait appel aux théories de l’ Economie Politique Internationale. La nouvelle distribution du pouvoir au sein de l’économie mondiale entre les différents acteurs rend l’ Etat moins puissant, alors que les FMN y gagnent. L’explication du passage d’un système économique mondial à un système économique complexe et interdépendant, tient en deux points : - dans une économie mondialisée, la légitimité nationale de l’ Etat prend une dimension internationale : l’ Etat- nation se voit « jugé » par les autres acteurs étant donnée l’interdépendance entre eux. Cette légitimité que nous avons définie dans un premier temps au niveau national constitue la propre limitation de la puissance de l’ Etat- nation dans le SEM. - Les acteurs autres que les Etats voient alors leur puissance augmenter, et essentiellement les FMN parce que, étant des acteurs totalement privés, ne nécessitent pas d’être légitimes. Le danger de l’autonomisation des acteurs non légitimes et privés (les FMN) tient au fait que le pouvoir qu’ils développent ne se contente pas de créer une sorte d’opinion internationale qui juge les institutions publiques légitimes (les Etats), mais peut luimême s’autonomiser pour devenir un pouvoir parallèle et peut ainsi s’octroyer un pouvoir de régulation propre à lui-même. L’exemple du procès contre Microsoft provoqué par la société civile aux Etats-Unis est rare. Il doit être impulsé par un nombre assez grand de consommateurs pour que le gouvernement se sente menacé de sanctions si toutefois il ne répondait pas aux accusations portées par les consommateurs à Microsoft. Par conséquent dans cette affaire, le gouvernement n’aurait pas répondu favorablement à la société civile, si le pouvoir de celui-ci n’était pas légitime. Le gouvernement américain n’a fait qu’assurer, dans cette affaire, sa légitimité d’exercice. Ainsi, l’ Etat (que représente le gouvernement) est l’intermédiaire entre la société civile et les FMN. 21 Bibliographie : BURDEAU G., HAMON F., TROPER M., 1999, Droit constitutionnel, Manuel Librairie générale de droit et de jurisprudence (26ème édition). CABLE V., 1995, The diminished nation state, Daedalus, vol. 124, n°27, spring. CHANTEBOUT B., 1993, Le pouvoir et l’ Etat dans l’œuvre de Georges Burdeau, Economica (Collection droit public positif), 97p. CHAVAGNEUX C., 1999, La diplomatie économique : plus seulement une affaire d’Etat, Pouvoirs, n°88, p33-42. CHAVAGNEUX C., 1998, Peut-on maîtriser la mondialisation ? Une introduction aux approches d’économie politique internationale, Economies et Sociétés, n°34, p25-69. GILL S., 1993, Gramsci, Historical Materialism and International Relation, Cambridge Studies in International Relations, Cambridge University Press, 320p. GILPIN R., 1975, US power and the multinational Corporations, Basic Books, Inc. Publisners, 291p, N.Y. 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