Construction et déconstruction de la figure divine
dans les œuvres d'Edmond Jabès et Giorgio Caproni.
À première vue, il peut paraître incongru d'envisager un doctorat sur ces deux auteurs, que rien ne semble
lier. Peu de points communs apparemment, si ce n'est la poésie et l'époque. Tous deux sont nés aux alentours de
1910 et ont donc vécu les mêmes bouleversements sociaux et culturels du XXème siècle. Vécus oui, mais de
manière bien différente. L'un, juif, a dû faire face à la montée de l'antisémitisme, en Égypte puis en France ; l'autre,
même s'il a eu une éducation catholique, se revendique athée. Pourtant, à y regarder de plus près, leur évolution
littéraire suit un même chemin : la rupture radicale à un instant précis, à savoir l'après-guerre. Jabès passe de la
poésie en vers à la poésie en prose ; Caproni, adepte de la forme fixe, notamment du sonnet, n'écrit plus que des
poèmes à la forme éclatée. Le vers persiste certes, mais c'est un vers plus que jamais boiteux, proche du silence le
plus total, où chaque mot semble vouloir n’être que cri. Alors même que Dieu est « Verbe », au fil de l’œuvre, nous
assistons à la quête d'un langage à jamais perdu, autant qu'à la quête d'un Dieu qui semble n'avoir jamais existé.
Pourquoi se revendiquer athée, nier Dieu dans sa forme la plus totale et lui donner pourtant une telle présence dans
l’œuvre ?
Les points communs entre les deux écrivains ne sont peut-être pas si anecdotiques puisqu'on sait que les
deux auteurs se sont lus. On peut, en effet, avoir accès, dans la bibliothèque de Caproni, aux livres de Jabès qu’il a
annotés (comme d’autres auteurs français, tels que Pierre Jean Jouve) et les thèmes qu'il met en avant sont toujours
les mêmes : Dieu, le silence, le cri, le néant, le désert. Le postulat de départ est donc le suivant : Dieu est le Verbe,
mais le Verbe n'est plus. Comment donc ces deux auteurs tentent-ils de donner vie, grâce au langage, à un Dieu
dont « l'absence » est à jamais « présente » ? Il s'agira d'interroger deux religions différentes, d'interroger le rapport
de ces deux auteurs à la religion et ce faisant, comprendre cette même évolution chez tous deux.
Pour Jabès, l'étude se fera par le biais de trois œuvres : Le Livre des Questions (tome I), Le Livre des
Questions (tome II), Le Livre des ressemblances. Trois œuvres dans lesquelles il est possible d'observer, entre autre,
un pessimisme grandissant ; le doute, principe fondamental chez Jabès, disparaît petit à petit et laisse place à une
certitude anxiogène où l'image de l'enfant mort-né prend le nom de Dieu. La quête, face à cette notion, devient,
semble-t-il, insupportable. Chez Caproni, nous étudierons ces mêmes diverses thématiques à travers les recueils
suivants : Il Muro della terra, Il Franco cacciatore, Il Conte di Kevenhüller, Versicoli del controcaproni et Res
amissa. Recueils dans lesquels plus l'absence de Dieu s'affirme, plus, paradoxalement, le mot de « Dieu » apparaît.
La proie serait-elle insaisissable ? L'enjeu est donc de comprendre le cheminement des deux poètes qui tentent de