ORGANISATION DES ÉTATS AMÉRICAINS Conseil interaméricain pour le développement intégré (CIDI) DIX-SEPTIÈME CONFÉRENCE INTERAMÉRICAINE DES MINISTRES DU TRAVAIL (CIMT) 31 octobre – 1er novembre 2011 San Salvador, El Salvador OEA/Ser.K/XII.17.1 CIDI/TRABAJO/doc.24/11 31 octobre 2011 Original : espagnol DÉCLARATION Forum syndical de la Dix-septième Conférence interaméricaine des ministres du travail “Liberté syndicale et négociation collective. Des sorties de crise pour un développement social et durable sur le plan environnemental” Le mouvement syndical des Amériques, représenté par son organisation continentale la Confédération syndicale des travailleurs des Amériques (CSA) et le Conseil syndical de consultation technique (COSATE), s'est réuni à Salvador (El Salvador) le 30 octobre 2011 pour discuter de la situation des hommes et femmes travailleurs des Amériques ; il a adopté la présente Déclaration en marge de la Dix-septième Conférence interaméricaine des ministres du travail. Les Amériques ont connu à des degrés divers les effets de la crise mondiale qui a commencé en 2007 avec les premiers signes de la crise alimentaire et énergétique, la crise sociale et de l'emploi ainsi que les incidences directes de la crise climatique dont souffre notre planète. Ensuite, la crise financière et économique a achevé le cadre de crise systémique du modèle néolibéral de production, d'exploitation des ressources naturelles, d'endettement et de consommation. L'Amérique latine s'est maintenue à un niveau d'activité économique raisonnable grâce à une période de prospérité pour l'exportation des matières premières et d'autres marchandises de faible valeur ajoutée, à sa distance par rapport aux places financières internationales et, souvent, grâce aux grands efforts des États pour protéger leurs économies ; cependant, au plan général, la répartition des revenus ne s'est pas améliorée, ce qui a limité l'effet de la croissance économique sur l'amélioration des conditions de vie et de travail de la majorité de la population. Pour sa part, le poids des salaires dans la répartition de la croissance n'a pas connu d'amélioration en conséquence de l'affaiblissement systématique de la négociation collective et de la liberté syndicale. En Amérique du Nord toutefois, la situation n'a pas été la même, soit parce que cette région est à l'origine et au centre du séisme financier, soit parce que les pays qui la composent sont étroitement liés à ce centre, comme c'est le cas du Mexique et du Canada. L'impact économique et social y demeure très fort et s'est traduit par une augmentation de la pauvreté, du chômage et de la précarité des conditions sociales au sein de la population ; à cet égard, la situation mexicaine est particulièrement grave. La crise actuelle se prolonge et menace même de devenir structurelle et, par conséquent, d'empirer les conditions sociales et économiques de tous les travailleurs de la région, même dans les pays qui en déjà ont subi les effets profondément. Ses nouvelles manifestations ressenties à travers les crises de la dette souveraine européenne et la spéculation financière internationale sur les devises et sur les cours des produits alimentaires et matières premières, sans aucun contrôle de la part des États, signalent que l'économie mondiale demeure tributaire de décisions qui échappent à la souveraineté des peuples, au détriment de leurs besoins et priorités, ce qui les expose donc à des troubles nouveaux et d'une certaine gravité. Notre crainte est que, cette fois-ci, vu l'imbrication à l'échelle mondiale de la production, du commerce, de la consommation et de l'endettement, ses effets seront plus importants en Amérique latine et que la récession dans les pays plus fortunés engendrera récession et pauvreté dans nos pays, étant donné que le degré de vulnérabilité sociale y est supérieur à celui des pays riches puisque les systèmes de protection sociale intégraux en sont absents ; ceux-ci sont également menacés dans les pays européens. De même, et surtout en Amérique latine et dans les Caraïbes, les effets du modèle néolibéral marqué par la dérégulation et par l'ouverture, la concentration et l'extraction à outrance ont laissé dans leur sillage une marque sociale et économique très profonde qui, encore aujourd'hui, occasionne à nos peuples de grandes souffrances et, en particulier, à nos femmes et hommes travailleurs. Parmi cellesci l'on distingue la déstructuration des économies traditionnelles, le déficit des systèmes intégraux de protection et sécurité sociale, la précarité de l'emploi et des droits individuels et collectifs au travail, dont l'ensemble constitue les composantes du travail décent et, par conséquent, d'un emploi à caractère officiel. Dans ce contexte, nous sommes particulièrement préoccupés par la situation très vulnérable des jeunes, des femmes qui travaillent ainsi que des migrants. Le chômage chez les jeunes constitue un thème d'intérêt capital pour tous les travailleurs des Amériques. Les États doivent encourager l'adoption de réformes de politique générale pour protéger le droit des jeunes à des conditions de travail justes et favorables, y compris des rémunérations justes et un mécanisme de sécurité sociale, ainsi que la liberté syndicale. De plus, adopter des mesures pour combattre l'exploitation en conformité avec les instruments internationaux y relatifs. Les jeunes doivent avoir accès à l’emploi décent et cela doit être une priorité de développement national et de politique en matière d'emploi. Il est nécessaire d'accorder un traitement particulier aux millions de jeunes qui ne poursuivent pas d'études et ne travaillent pas de sorte à créer de nouveau et renforcer la culture du travail en tant que mécanisme efficace d'appartenance sociale. La précarité, aussi bien que la marginalisation et l'exclusion sociale qui en résultent, conjointement avec l'exercice autoritaire du pouvoir, se reflètent dans le manque de respect des droits de la personne -3- et le recours à la violence, une violence dont le mouvement syndical est également victime, tant dans les campagnes que dans les villes. L'une des manifestations les plus dramatiques de tout cela est la violence sociale, l'augmentation du trafic des drogues, les cartels, le phénomène des "maras'', le féminicide et la militarisation du conflit, qui se traduit par davantage de violence et de pertes en vies humaines. D'autre part, nous sommes préoccupés du fait que, sauf exceptions, et malgré les enseignements tirés des crises, la réflexion sur la nature du modèle de développement n'apparait pas distinctement dans les politiques concrètes visant la création d'emplois décents et la promotion d'un nouveau modèle de développement humain durable, respectueux de l'environnement et, par conséquent, des conditions de vie et de travail de notre population. L'essor de l'"extractivisme", l'insertion principalement exportatrice de nos économies dans l'économie mondiale, la promotion d'un développement à outrance et irréfléchi et, par conséquent, souvent irresponsable, ainsi que des pratiques d'endettement et de consommation à répétition qui se sont avérées impossibles à soutenir dans les pays riches où elles ont eu cours, sont aujourd'hui un débat profond qu'il est urgent d'entretenir entre la société et les gouvernements, de sorte à décider communément de la voie à suivre vers un développement social et écologiquement durable qui, à notre avis, doit avoir en son centre le travail décent. Il est également nécessaire d'adopter une réforme fiscale progressive de sorte que ceux qui possèdent et gagnent plus paient plus, de sorte que l'État renforce sa capacité de produire des règles publiques d'inclusion et de développement. De même, de l'avis du mouvement syndical, il faut établir une régulation précise de l'économie financière et réelle pour que celle-ci devienne un instrument au service du développement et, par conséquent, de l'ensemble de la société ; cette régulation devrait comprendre : Une interdiction des opérations financières spéculatives de court terme sur les dettes publiques des pays. Une interdiction internationale de la spéculation financière sur les produits alimentaires, les sources d'énergie, l'eau et les ressources naturelles. Un renforcement du système de sanctions civiles et pénales contre la gestion frauduleuse des investissements financiers, en partant d'une nouvelle définition sociale de la "fraude financière". Une répartition de la croissance au moyen des salaires et modèles intégraux de sécurité sociale en tant qu'instruments de construction de la citoyenneté selon une approche fondée sur les droits. Du point de vue des travailleurs des Amériques, une dimension essentielle pour progresser vers l'issue de ces crises et vers un développement solidaire de nos peuples est le renforcement de la démocratie et des mécanismes d'expression des divers secteurs de la société. À l'heure actuelle, l'une des questions qui nous préoccupe le plus dans tout le continent américain, et qui fait partie du débat sur la qualité de la démocratie, est constituée par les revers infligés à la liberté syndicale et la négociation collective. En effet, certains pays dotés de forces sociales et syndicales insuffisantes sont à la merci de leurs gouvernements et ces pays et gouvernements sont à leur tour à la merci des intérêts économiques qui, comme nous le savons, ne sont pas orientés vers le bien commun mais vers l'intérêt et le gain, ce qui contribue parfois au bien commun mais pas obligatoirement. La liberté syndicale et la négociation collective sont des droits essentiels pour toute organisation syndicale ; ce sont des droits qui doivent être protégés et respectés, et toute action menée par des acteurs privés ou des gouvernements et qui leur porte atteinte directement ou indirectement doit être considérée comme une violation grave des droits de la personne et les auteurs doivent être sanctionnés. Malheureusement, dans le continent américain, les décennies néolibérales et récemment la crise financière et économique ont donné lieu à des mécanismes, normes et mesures qui portent atteinte à ces droits et ont diminué la capacité qualitative et quantitative du syndicalisme à défendre les droits des travailleurs des Amériques. Nous dénonçons devant les ministres du travail des Amériques les "contrats de protection patronale" au Mexique, les "contrats syndicaux" en Colombie, le "solidarisme" au Costa Rica et dans d'autres pays d'Amérique centrale, les formes promotionnelles de coopératives (qui ouvrent le champ à une mauvaise utilisation de ces formules dans plusieurs pays, à commencer par la Colombie), les assassinats et la violence perpétrés contre les dirigeants syndicaux au Guatemala, au Honduras, en Colombie et dans d'autres pays. Il en est de même des lois contre la négociation par secteur au Chili, l'externalisation et la sous-traitance endémique à travers la région ainsi que les mesures directes contre les syndicats qui sont encouragées au Panama, au Canada et dans certains États des États-Unis. Il existe actuellement une hypocrisie constante et persistante : dans les discours, on dit une chose et, dans les mesures prises par les États, on en fait une autre : dans tous les cas de figure, il existe une absence constante de dialogue social réel dans la région. C'est la raison pour laquelle nous demandons non pas un dialogue social quelconque mais un dialogue social qui encourage la réalisation de nos droits, le respect de nos textes constitutifs et la négociation collective assortie de liberté syndicale, ce qui nous servira de feuille de route vers le respect du patrimoine que constituent les droits des travailleurs. Au vu de tout ce qui précède, le mouvement syndical des Amériques appelle les ministres du travail des Amériques à entamer à partir de la présente CIMT les trois processus essentiels ci-après : 1- Un débat profond avec la participation du syndicalisme des Amériques sur les sorties de crise et leurs mesures concrètes ainsi que sur le caractère du modèle de développement que nous souhaitons pour nos pays. Dans ce débat, l'un des axes principaux sera la Conférence Rio+20, durant laquelle le mouvement syndical sera présent et actif ; le mouvement invite les -5- ministres du travail à s'y joindre et tous les gouvernements à encourager l'adoption de mesures qui ciblent le développement écologique et socialement viable dans la région, et à ne pas attendre la conclusion d'accords et de consensus internationaux. 2- La préparation d'une analyse objective et conjointe de la situation de la liberté syndicale et de la négociation collective dans les Amériques qui nous permette de bâtir un programme de travail dans lequel les gouvernements, les chefs d'entreprise, les syndicats et d'autres membres de la société civile s'engagent à lutter contre la violation de ces droits fondamentaux. 3- Consentir des efforts communs pour régler avec urgence la situation des trois secteurs les plus vulnérables de nos sociétés, à savoir, les jeunes, les femmes et les migrants, et garantir en particulier des mécanismes qui les protègent des situations de violence sociale auxquelles ils sont exposés, essentiellement au moyen de mesures d'inclusion sociale et de prévention de la violence. Enfin, nous souhaitons réaffirmer nos revendications spécifiques qui exigent un rôle actif de la part des ministères du travail et de vos gouvernements, de sorte à assurer : 1. 2. 3. 4. La pleine garantie de l'exercice de la liberté syndicale dans nos pays. La reconnaissance et la promotion du droit à la négociation collective pour tous les travailleurs, hommes et femmes. La fin de la violence antisyndicale et de l'impunité pour les crimes contre les syndicalistes. La lutte contre toutes les pratiques qui dissimulent la précarisation de l'emploi, notamment l'externalisation, les contrats de protection du travail, les coopératives de travail associé et le solidarisme, entre autres. CIDI03406F05