Paradigmes Novembre 2000
Cagnottes, cigales et fourmis : la
politique budgétaire et fiscale à
l’heure des surplus
Article publié dans Sociétal, n°31, janvier 2001
Une bonne fortune inespérée des finances publiques
Depuis l’été 1999, les finances de l’Etat français s’inscrivent dans un contexte inhabituel : un
contexte de recettes plus abondantes et de dépenses moins importantes que prévu.
Cette bonne fortune inespérée des comptes de l’Etat n’est d’ailleurs pas propre à la France.
Aux Etats-Unis, l’exercice fiscal 1999-2000 s’est achevé sur un excédent dépassant toutes
les prévisions : d’un montant de 230 milliards de dollars, soit 2,4% du produit intérieur brut,
c’est le plus gros surplus jamais enregistré depuis 1948. Et chez nos principaux voisins
européens, comme chez nous, l’exécution budgétaire 1999 a systématiquement dégagé un
solde plus favorable qu’anticipé :
Déficit budgétaire 1999 en
% du P.I.B.
Prévision
Réalisation
France
-2,3
-1,8
Allemagne
-2,0
-1,2
Italie
-2,0
-1,9
Espagne
-1,6
-1,1
Pays-Bas
-1,3
+0,5
Royaume-Uni
+0,3
+1,2
Source : CCF, Questions d’actualité, mai 2000
Non seulement cette bonne fortune n’est pas propre à la France, mais elle n’est pas non plus
limitée à l’exercice 1999.
Aux Etats-Unis, la loi de finances pour l’exercice 2000-2001 prévoit un excédent de 184
milliards de dollars ; mais la plupart des experts estiment que l’hypothèse de croissance sur
laquelle est bâti le projet de budget (2,6%) est sousévaluée (le Fonds Monétaire
International table ainsi sur une croissance de 3,2%), et l’on s’attend à un nouveau
dépassement du solde annoncé.
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En Europe, et spécialement en France, les observateurs conservent des anticipations
positives, en dépit de divers coups de semonce enregistrés ces derniers mois : l’envolée des
prix du pétrole, ponctuée de manière spectaculaire par des protestations pan-européennes
début septembre ; une certaine retombée de l’engouement pour la « nouvelle économie »
(d’aucuns diront une plus grande lucidité sur ses fondamentaux économiques) avec, comme
conséquence directe sur les comptes publics, un déroulement plus critique qu’auparavant des
dernières ventes aux enchères de licences UMTS (Italie, Pologne) et des reports de
calendrier pour certaines privatisations en raison d’un contexte boursier chahuté ; ou encore,
concernant plus particulièrement la France, des « trous d’air » dans la consommation, en
juillet tout d’abord puis, sans doute, en novembre avec les nouveaux rebondissements de la
crise de la vache folle.
A vrai dire, on est encore loin d’avoir parfaitement compris toutes les raisons de cette
euphorie des finances publiques. Il y a bien sûr la croissance, plus soutenue et plus durable
que prévu, sans que l’on sache exactement dire pourquoi. Il y a surtout, en France
notamment, une élasticité des recettes publiques à la croissance historiquement élevée (1,9
en 2000, 1,4 en 2001 selon les estimations, contre moins de 0,7 jusqu’en 1997) qui témoigne
d’une profonde restructuration du tissu économique.
L’embellie est-elle durable ? Toujours est-il qu’elle a profondément modifié l’état d’esprit de
l’opinion et des décideurs publics, tout acquis à l’idée nouvelle et confortable d’une manne à
distribuer. L’exemple le plus symptomatique sur ce point est celui du débat entre les deux
candidats à l’élection présidentielle américaine sur l’utilisation des surplus budgétaires et
sociaux : l’un et l’autre ont, pendant des mois, fait campagne avec des propositions fondées
sur l’affectation de sommes purement hypothétiques, puisque les 4.600 milliards de dollars
en jeu n’étaient que l’anticipation de recettes à venir sur les dix prochaines années.
Dépenser, désendetter ou détaxer
Fondé ou non, l’optimisme ambiant oblige en tous cas les gouvernements à prendre position
sur l’utilisation des « dividendes de la croissance ». Avec, pour l’essentiel, quatre options :
réduire le déficit budgétaire (ou, pour les pays qui sont d’ores et déjà en excédent, laisser
gonfler l’excédent) ; baisser les impôts ; rembourser la dette ou financer de nouvelles
dépenses. Si bien que, dans tous les pays, l’on voit se répéter le même débat entre les tenants
de l’une ou l’autre de ces quatre options.
On ne se risquera pas ici à ajouter une opinion de plus au concert de recommandations,
toutes plus argumentées les unes que les autres, expliquant le bon usage qu’il faudrait faire
de la cagnotte française. Toutes les causes ont déjà été plaidées, dans un sens ou dans l’autre.
L’objet de cet article est plutôt de montrer selon quelle logique les différents gouvernements,
confrontés à cette même question d’affectation des surplus budgétaires, ont formé leurs
décisions.
Ce qui frappe au premier abord, c’est l’affrontement de deux rationalités : une rationalité
économique qui, pour l’essentiel, examine l’opportunité des diverses options au regard du
cycle conjoncturel d’une part et de la soutenabilité à long terme des finances publiques
d’autre part ; et une rationalité politique, qui arbitre entre allégement de la fiscalité ou
réinvestissement dans les services publics en fonction des attentes de l’électorat (telles du
moins qu’elles sont perçues et interprétées par les décideurs politiques).
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A la recherche d’une rationalité économique
Une récente étude de l’Institut d’économie industrielle
1
apporte un éclairage intéressant sur
la rationalité économique des décisions d’affectation des surplus budgétaires. Elle montre en
substance :
Que la plupart des Etats européens, et spécialement la France, ont aujourd’hui atteint des
niveaux de dette publique qui ne sont pas soutenables à long terme. Ce qui importe dans
le diagnostic, c’est non seulement le volume actuel de la dette, déjà considérable, mais
encore le fait que cette dette est auto-alimentée dès lors que le taux d’intérêt réel est
supérieur au taux de croissance.
Qu’il est illusoire de penser que la croissance ou l’inflation suffiront à elles seules à
effacer cette dette. Il n’y a donc d’autre solution viable que de dégager un excédent
primaire (c’est-à-dire un excédent des recettes sur les dépenses hors charges de la dette),
discipline à laquelle se pliaient déjà tous les pays européens, sauf la France et
l’Allemagne, en 1997 (date la plus récente couverte par l’étude).
Que la réalisation d’un excédent budgétaire primaire, c’est-à-dire une politique
d’austérité budgétaire, n’a pas nécessairement un effet récessif. En cela, les auteurs
s’attachent à combattre à l’idée répandue selon laquelle l’économie serait keynésienne à
court terme et, par suite, souffrirait inévitablement d’un ajustement budgétaire.
Que l’analyse de quelque 187 épisodes d’ajustement budgétaire sur 20 pays de l’OCDE
entre 1965 et 1990 permet même de définir les conditions dans lesquels de tels
ajustements réussissent, c’est-à-dire réduisent significativement la dette sans peser sur la
croissance. Les ajustements qui réussissent sont ceux qui misent sur la réduction des
dépenses plutôt que sur l’augmentation des impôts. Plus précisément, si l’on analyse les
diverses composantes de la dépense publique, les ajustements qui réussissent sont ceux
qui réduisent les consommations de l’Etat en salaires et les dépenses de transferts, alors
qu’échouent les ajustements qui pèsent essentiellement sur l’investissement public.
Qu’enfin lorsqu’un gouvernement dispose d’une « cagnotte » fiscale, définie comme un
surcroît de recettes permettant de financer soit une réduction d’impôts soit un surcroît de
dépenses sans dégrader sensiblement le solde budgétaire primaire (34 épisodes recensés
dans les 20 pays de l’OCDE sur la période 1965-1990), il est préférable de l’utiliser pour
réduire les impôts. Le tableau suivant capitule les enseignements de l’étude sur ce
point :
Si l’on utilise la cagnotte pour
baisser les impôts
Si l’on utilise la cagnotte pour
augmenter les dépenses
On réussit à réduire la dette
publique dans … des cas
75%
25%
On réussit à stimuler la croissance
dans … des cas
60%
40%
On réussit à réduire la chômage
dans … des cas
60%
40%
Source : Op. cit. Tableau 55, p. 51
1
« Les réductions des déficits publics sont-elles vraiment récessionistes à court terme et expansionnistes à long
terme ? », Catherine Bruno et Franck Portier, Institut d’économie industrielle, juin 2000
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Les ministres des finances des quinze Etats membres de l’Union européenne ont pour leur
part, sur le papier du moins, adopté un cadre d’analyse économique quelque peu différent
des conclusions de cette étude pour nourrir leurs décisions d’affectation des surplus
budgétaires. Ils ont en effet approuvé, le 28 février dernier, un document de la Commission
énonçant quatre critères pour apprécier si un gouvernement peut réduire les impôts sans
mettre en danger les engagements de discipline budgétaire inhérents au Pacte de stabilité.
Ces quatre critères sont les suivants :
1. Les Etats membres ne peuvent envisager des réductions d’impôts non compensées
(c’est-à-dire non gagées par des réductions équivalentes de la dépense publique) que
s’ils respectent les règles du Pacte de stabilité relatives à l’équilibre des finances
publiques. En d’autres termes : priorité à la réduction du déficit.
2. Les réductions d’impôt ne doivent pas être pro-cycliques. Réduire les impôts sans
réduire la dépense durant les phases de bonne conjoncture risquerait de créer, dans le
pays concerné, une pression inflationniste dommageable à la cohésion de la zone
euro.
3. Les gouvernements doivent prendre en compte la soutenabilité à long terme des
finances publiques. Cette notion recouvre non seulement la dette publique existante,
mais également les engagements non provisionnés liés aux retraites. A cet égard, les
pays dont la population vieillit rapidement et dont les régimes de retraite ne sont pas
financés par capitalisation sont invités à ne pas se contenter d’un simple équilibre de
court terme des finances publiques ; ils doivent s’attacher à produire des excédents
afin de constituer des réserves pour faire face aux dépenses qui se présenteront
inéluctablement à moyen et long terme.
4. Les réductions d’impôts doivent être conçues comme un instrument concourant à des
réformes structurelles, visant à stimuler la production et l’emploi. Autrement dit, les
décisions fiscales devraient être encadrées non seulement par les critères quantitatifs
du déficit et de la dette publics, mais aussi par des critères qualitatifs d’impact
économique des mesures envisagées.
Les deux approches ne poursuivent manifestement pas le même objectif : l’une se place sur
le strict plan de la recherche économique ; l’autre a vocation à fournir un cadre institutionnel
pour piloter et évaluer les politiques budgétaires et fiscales des Etats membres de l’Union
européenne, et ce dans un contexte où la monnaie unique est soumise à de fortes pressions. Il
ne serait donc pas pertinent de les comparer terme à terme. Toutefois, on voit clairement
apparaître une divergence de vues sur la hiérarchie des priorités : la Commission
européenne, plus orthodoxe, laisse peu de place à une stratégie de baisse des impôts qui
augmenterait, fût-ce temporairement, le déficit ; l’étude de l’IDEI souligne au contraire que
ce pari peut être gagnant.
L’exemple type en serait l’expérience Reagan aux Etats-Unis dans les années 1980, avec des
baisses d’impôt qui, ciblées sur l’offre, ont eu un fort effet dynamisant sur l’économie en
même temps qu’elles ont créé, certes avec un léger décalage dans le temps, une puissante
incitation à la baisse des dépenses. Il est vrai que dans l’intervalle, les Etats-Unis ont connu
des déficits publics d’une ampleur que l’Union européenne ne pourrait vraisemblablement
pas se permettre aujourd’hui sauf à mettre en danger la crédibilité de l’euro.
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Et la rationalité politique ?
En somme, s’il faut résumer la ligne de conduite qui se dégage d’une appréciation purement
économique de la situation, notamment dans le cas français, ce serait : tout d’abord un
consensus sur la priorité accordée à la maîtrise de la dépense ; ensuite, s’agissant de
l’affectation des surplus de recettes, un débat entre d’une part une orthodoxie qui pousse à
réduire - dans l’ordre - le déficit, puis la dette et enfin la fiscalité, d’autre part une stratégie
plus audacieuse qui préconise d’allouer d’emblée une part des marges de manœuvre à
l’allégement de la fiscalité. Ce faisant, l’on voit d’ores et déjà deux voies assez différentes se
dessiner quant à l’utilisation de la cagnotte, preuve s’il en était besoin que la rationalité
économique n’est pas absolument univoque.
A cela s’ajoute le fait que les décideurs qui sont appelés à trancher les questions d’allocation
des finances publiques sont avant tout des élus, et que la rationalité économique n’est pas le
seul aliment de leurs décisions. Tout aussi prégnante est la rationalité politique, qui suggère
parfois des orientations bien différentes.
De fait, là l’économiste peut privilégier la réduction du ficit, puis la réduction de la
dette, l’homme politique préférera miser soit sur la réduction de la fiscalité, soit sur
l’augmentation de la dépense. Car ce sont ces deux propositions, et non la promesse de
soutenabilité à moyen terme des finances publiques, qui constituent pour l’électeur un
bénéfice tangible et immédiat de la bonne conjoncture des comptes de l’Etat.
Prenons l’exemple de la fiscalité. Un économiste peut juger un allégement de la fiscalité
inopportun en phase de haute conjoncture, car susceptible d’alimenter des tensions
inflationnistes et, ce faisant, d’accélérer le retournement du cycle. Un homme politique, pour
sa part, serait bien en peine de tenir un tel discours. Pour lui, et surtout pour ses électeurs,
toute baisse d’impôts est toujours bonne à prendre et il n’y a jamais de mauvais moment
pour cela. Si l’on ne baisse pas les impôts en période vaches grasses, alors quand le fera-t-
on puisque, lorsque vient la période des vaches maigres, l’on explique qu’il faut augmenter
les prélèvements pour faire face aux dépenses supplémentaires qui viennent grever les
budgets publics à ces moments- ?
Le même raisonnement s’applique, en miroir, à la dépense publique. Face aux mille et unes
sollicitations qui lui sont adressées, un décideur public peut expliquer, en période de basse
conjoncture, qu’il faut faire preuve de parcimonie, car les recettes sont insuffisantes pour
financer toutes les dépenses envisagées. Mais comment tenir ce discours de frugalité lorsque
les recettes sont abondantes ?
Pour peu que la dominante du discours politique alterne selon les phases de la conjoncture,
on en arrive facilement à se trouver dans la spirale infernale du « plus de prélèvements »
lorsque la conjoncture est mauvaise et « plus de dépenses » lorsque la conjoncture est bonne,
avec un effet de cliquet ravageur. C’est ce genre de dynamique qu’a connu la France depuis
le milieu des années 1960, conduisant à une augmentation constante du poids des
prélèvements obligatoires et de la dépense publique dans le produit intérieur brut.
Cette rationalité politique asymétrique se retrouve à d’autres niveaux, plus fins, d’allocation
des hausses et des baisses d’impôts. Ainsi est-il toujours tentant politiquement, lorsqu’il faut
accroître les impôts, de faire peser les hausses de prélèvements plus que proportionnellement
sur les entreprises ; et à l’inverse, lorsque l’on peut décider des allégements, de les affecter
prioritairement aux ménages.
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