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Paradigmes – Novembre 2000
Et la rationalité politique ?
En somme, s’il faut résumer la ligne de conduite qui se dégage d’une appréciation purement
économique de la situation, notamment dans le cas français, ce serait : tout d’abord un
consensus sur la priorité accordée à la maîtrise de la dépense ; ensuite, s’agissant de
l’affectation des surplus de recettes, un débat entre d’une part une orthodoxie qui pousse à
réduire - dans l’ordre - le déficit, puis la dette et enfin la fiscalité, d’autre part une stratégie
plus audacieuse qui préconise d’allouer d’emblée une part des marges de manœuvre à
l’allégement de la fiscalité. Ce faisant, l’on voit d’ores et déjà deux voies assez différentes se
dessiner quant à l’utilisation de la cagnotte, preuve s’il en était besoin que la rationalité
économique n’est pas absolument univoque.
A cela s’ajoute le fait que les décideurs qui sont appelés à trancher les questions d’allocation
des finances publiques sont avant tout des élus, et que la rationalité économique n’est pas le
seul aliment de leurs décisions. Tout aussi prégnante est la rationalité politique, qui suggère
parfois des orientations bien différentes.
De fait, là où l’économiste peut privilégier la réduction du déficit, puis la réduction de la
dette, l’homme politique préférera miser soit sur la réduction de la fiscalité, soit sur
l’augmentation de la dépense. Car ce sont ces deux propositions, et non la promesse de
soutenabilité à moyen terme des finances publiques, qui constituent pour l’électeur un
bénéfice tangible et immédiat de la bonne conjoncture des comptes de l’Etat.
Prenons l’exemple de la fiscalité. Un économiste peut juger un allégement de la fiscalité
inopportun en phase de haute conjoncture, car susceptible d’alimenter des tensions
inflationnistes et, ce faisant, d’accélérer le retournement du cycle. Un homme politique, pour
sa part, serait bien en peine de tenir un tel discours. Pour lui, et surtout pour ses électeurs,
toute baisse d’impôts est toujours bonne à prendre et il n’y a jamais de mauvais moment
pour cela. Si l’on ne baisse pas les impôts en période vaches grasses, alors quand le fera-t-
on puisque, lorsque vient la période des vaches maigres, l’on explique qu’il faut augmenter
les prélèvements pour faire face aux dépenses supplémentaires qui viennent grever les
budgets publics à ces moments-là ?
Le même raisonnement s’applique, en miroir, à la dépense publique. Face aux mille et unes
sollicitations qui lui sont adressées, un décideur public peut expliquer, en période de basse
conjoncture, qu’il faut faire preuve de parcimonie, car les recettes sont insuffisantes pour
financer toutes les dépenses envisagées. Mais comment tenir ce discours de frugalité lorsque
les recettes sont abondantes ?
Pour peu que la dominante du discours politique alterne selon les phases de la conjoncture,
on en arrive facilement à se trouver dans la spirale infernale du « plus de prélèvements »
lorsque la conjoncture est mauvaise et « plus de dépenses » lorsque la conjoncture est bonne,
avec un effet de cliquet ravageur. C’est ce genre de dynamique qu’a connu la France depuis
le milieu des années 1960, conduisant à une augmentation constante du poids des
prélèvements obligatoires et de la dépense publique dans le produit intérieur brut.
Cette rationalité politique asymétrique se retrouve à d’autres niveaux, plus fins, d’allocation
des hausses et des baisses d’impôts. Ainsi est-il toujours tentant politiquement, lorsqu’il faut
accroître les impôts, de faire peser les hausses de prélèvements plus que proportionnellement
sur les entreprises ; et à l’inverse, lorsque l’on peut décider des allégements, de les affecter
prioritairement aux ménages.