Le black-out des investissements publics locaux est-il

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Le black-out des investissements publics locaux est-il inéluctable ?
Par Geert Gielens, Chief economist (à droite),
et Arnaud Dessoy, Responsable des Etudes
Public Finance et Social Profit (à gauche).
Six ans après l’éclatement de la crise
financière, l’économie européenne n’a toujours
pas renoué avec une croissance soutenue et
la plupart des observateurs estiment qu’il est
peu probable que ceci se produise à brève
échéance. Les remèdes utilisés jusqu’à
présent par l’Europe pour faire face à la
faiblesse de la conjoncture ont été et sont
encore axés sur des facteurs monétaires, tels
que le maintien des taux à un niveau bas et
l’injection des liquidités dans le système
économique. Depuis quelques mois, toutefois,
les plus hautes instances européennes tentent
de changer quelque peu leur fusil d’épaule et
tant la Commission que la BCE plaident en
faveur d’une politique qui stimulerait les
investissements publics.
En ce qui concerne la Belgique, les pouvoirs
locaux sont clairement en première ligne, les
communes représentant en effet plus de la
moitié des investissements publics dans notre
pays. Malgré leur rôle déterminant sur ce plan,
la dette du secteur local ne représente que
5,3% de l’ensemble de la dette publique belge,
ce qui démontre qu’un effort d’investissement
structurel peut être durable et soutenable
financièrement.
Pourtant, depuis déjà plusieurs années, les
pouvoirs locaux réduisent drastiquement leurs
investissements. Pourquoi ? Il y a deux raisons
à cela. D’une part, les projets d’investissement
constituent traditionnellement une variable
d’ajustement dans un contexte budgétaire
tendu.
Reporter
ou
supprimer
des
investissements dans des périodes de faible
conjoncture
est
la
première
mesure
d’économie indolore à court terme aussi bien
pour la population que pour le propre
fonctionnement de l’administration. D’autre
part, les normes budgétaires européennes
toujours plus strictes et s’appliquant à un
périmètre d’acteurs toujours plus large limitent
de façon structurelle l’espace budgétaire
disponible à consacrer aux investissements
publics, ce qui n’est pas sans conséquences
sur le dynamisme de notre économie et le
cadre de vie des citoyens.
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Normes budgétaires européennes : contraignantes mais peu
pertinentes
D’un point de vue conceptuel, ces normes
reposent sur le système européen des
comptes (SEC 2010), c’est-à-dire un outil
statistique
de comptabilité nationale.
L’utilisation exclusive de ce cadre de référence
européen pour mesurer l’équilibre des comptes
des pouvoirs publics occulte selon nous
certains domaines importants de la gestion
publique et s’avère clairement insuffisante pour
procéder à son évaluation. Ceci pour plusieurs
raisons.
Tout d’abord, et cela a déjà été régulièrement
dénoncé, les normes européennes n’opèrent
pas de distinction entre un déficit provenant de
la gestion journalière et un besoin de
financement
résultant
de
projets
d’investissements.
Ensuite, les règles s’appliquent à chaque
niveau de pouvoir séparément et de surcroit de
façon strictement annuelle. En passant
progressivement d’un critère d’équilibre
macroéconomique
(c-à-d
applicable
globalement à l’ensemble du secteur public) à
une contrainte d’équilibre s’appliquant à des
entités
individuelles,
certains
projets
d’investissements ne sont tout simplement plus
réalisables.
L’approche strictement annuelle constitue une
source de complication supplémentaire et un
frein
encore
plus
important
aux
investissements.
Les
dépenses
d’investissement doivent en effet être imputées
selon ces normes en une seule foi au cours de
l’exercice de réalisation, grevant donc
intégralement le résultat de cet exercice, et ce
indépendamment de leur durée de vie
économique. De plus, les réserves qui ont été
constituées au cours des exercices antérieurs
dans un souci de saine gestion publique, sont
sans impact sur le solde de l’exercice. Cette
approche rigide, annuelle et purement
comptable va clairement à l’encontre des
nouvelles obligations imposées par les règles
de gouvernance européennes imposant une
programmation budgétaire pluriannuelle.
Troisièmement, le critère budgétaire retenu
néglige également toute vision patrimoniale,
les actifs constitués grâce aux investissements
n’étant absolument pas pris en considération.
Bien entendu, d’aucuns rétorqueront que ces
derniers ne sont pas nécessairement
valorisables et transmissibles à des tiers. A
contrario, il est indéniable qu’un sousinvestissement structurel crée une dette
cachée. Comme le mentionnait récemment le
Professeur De Grauwe dans Le Soir, « les
générations futures héritent de dettes mais
aussi des actifs ».
Or, si le sousinvestissement chronique se poursuit, les
pouvoirs publics transmettront aux générations
futures des actifs complètement amortis,
obsolètes et qui nécessiteront des efforts
d’investissements souvent plus importants que
s’ils avaient été réalisés à temps.
Last but not least, il est bien connu que les
projets d’investissements publics ont un impact
direct sur la croissance économique par leurs
effets induits sur les commandes de matériaux,
de transport, le recours aux entreprises de
construction et pour les commerçants locaux.
C’est plus spécifiquement le cas des
investissements publics locaux qui sont
géographiquement dispersés sur le territoire et
qui ont davantage recours à une main d’œuvre
locale. L’effet multiplicateur et ce rôle contracyclique des investissements publics n’est pas
à sous-estimer dans le contexte de faible
croissance actuel.
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Une véritable règle d’or au lieu d’une règle de plomb ?
Tout ceci signifie-t-il que des objectifs
d’équilibre des finances publiques ne sont pas
nécessaires ? Certainement pas, bien sûr.
Mais,
les
multiples
interactions
des
investissements pour l’ensemble de l’économie
justifient un traitement particulier dans les
comptes publics, tout en sachant que tout
investissement n’est pas a priori légitime et
nécessairement vertueux. Plus que jamais,
une sélectivité des projets d’investissement
reposant sur des critères pertinents de
faisabilité, de valeur ajoutée pour la collectivité
et de soutenabilité financière s’impose.
En résumé, ce n’est pas tant le choix de la
méthodologie européenne qui pose problème
que le critère d’équilibre qui a été retenu. D’où
l’importance, au niveau européen, d’une
redéfinition « intelligente » du critère d’équilibre
des comptes publics, reposant sur une réelle
réflexion quant à la qualité de la gestion
publique et sur ses implications pour
l’ensemble de l’économie. Or, le cadre
conceptuel de la comptabilité SEC permet dès
à présent, à la fois d’isoler le volume des
investissements et de les intégrer dans une
vision patrimoniale. Une véritable règle d’or
consisterait à imposer aux administrations
publiques un excédent d’exploitation suffisant
pour procéder au remboursement annuel de la
dette et à limiter exclusivement le recours aux
nouveaux emprunts pour le financement des
investissements dont l’utilité collective est
démontrée.
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