Balises et processus d’adaptation 1
Titre : Balises et processus d’adaptation pour l’utilisation des TIC et pour
l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives
Auteur (-s-es) : LANGEVIN, Jacques et ROCQUE, Sylvie (du Groupe DÉFI Apprentissage).
Résumé : Les technologies ont contribué à faciliter l’accessibilié à l’information aux personnes qui ont des
incapacités motrices ou sensorielles. Mais les personnes qui ont des limitations cognitives demeurent les plus
oubliées en matière d’accessibilité. Ce texte présente cinq balises et un processus d’adaptation ergonomique pour
guider l’utilisation des TIC et pour concevoir des adaptations favorisant l’accessibilité à l’information pour les
personnes qui ont des limitations cognitives.
Avec un taux de prévalence d’au moins 1,58% (Larson et al., 2000), soit environ 110 000
personnes au Québec et 500 000 au Canada, les incapacités intellectuelles
1
constituent le type
d’incapacités le plus fréquent. La majorité des personnes qui ont des incapacités intellectuelles
légères et pratiquement toutes celles qui ont des incapacités moyennes à sévères demeurent
analphabètes après 15 ans d’école, devenant des adultes dépendants et isolés socialement
(Bouchard et Dumont, 1996). Et l’avènement d’une «société du savoir» basées sur des habiletés
alphabètes et sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) ne
peut qu’accentuer leur exclusion. Cette inquiétude est d’autant plus justifiée que les incapacités
intellectuelles sont associées aux plus grandes limitations cognitives et que c’est ce type de
limitations qui a été le plus oublié en matière d’accessibilité.
On estime qu’environ 30% des citoyens auraient des limitations cognitives (Trudeau, 2003). Ces
personnes ont peu ou n’ont pas accès à l’information écrite parce qu’elles ont du mal à lire pour
différentes raisons (analphabétisme, dyslexie, maîtrise insuffisante de langue, incapacités
intellectuelles, etc.). Durant leur vie scolaire, elles éprouvent de grandes difficultés et plusieurs
d’entre elles ne terminent pas leurs études secondaires. À l’âge adulte, ces personnes sont
d’autant plus susceptibles de vivre des expériences d’exclusion sociale dans une société du savoir
qu’elles demeurent les plus oubliées en matière d’accessibilité (Imrie et Hall, 1998; ONU, 1995).
C’est notamment le cas dans le domaine de l’accessibilité à l’information facilitée par la
technologie (˝accessible information technology˝) où les efforts portent généralement sur le
design d’interfaces conviviales pour des incapacités motrices, visuelles ou auditives
(Gouvernement du Canada, 2000; 2003). À ce jour dans ce domaine, peu de moyens ont été
proposés pour pallier des limitations cognitives et donner accès à l’information pour ces
personnes qui ont du mal à lire, soit au plan du décodage (lisibilité) ou à celui de la
compréhension (intelligibilité). À l’exclusion scolaire et sociale s’ajoute maintenant l’exclusion
technologique (Buhler, 1999; Brodin, 2003; Rocque et Desbiens, 2006).
Depuis 1985, notre équipe consacre ses efforts de recherche et d’innovation à l’éducation des
élèves qui ont de telles incapacités. Nos travaux ont nécessité l’identification de balises et
l’élaboration d’un processus d’adaptation pour la conception de produits ou de procédés
d’intervention. Nous proposons que ces balises et ce processus soient considérés non seulement
1
Incapacités intellectuelles : Nouvelle désignation pour «retard mental», «déficience intellectuelle», «handicap
mental», etc., c’est-à-dire un fonctionnement intellectuel général significativement sous la moyenne (QI inférieur à
70) accompagné de limitations au plan du comportement adaptatif (AAMR, 2002; DSM IV, 1996). On distingue
généralement trois niveaux de sévérités : les incapacités intellectuelles légères (QI de 55 à 70), moyennes (QI de 40 à
55) et sévères (QI < 40).
Balises et processus d’adaptation 2
au regard des incapacités intellectuelles, mais aussi dans une perspective plus vaste au regard de
limitations cognitives pour l’utilisation des TIC et pour l’accessibilité à l’information. Ce sont ces
balises et ce processus qui ont servi de guide à la conception des modalités d’adaptation de textes,
présentées au chapitre suivant, en vue d’applications pour l’éditique (ex. manuels scolaires, livres
de lecture), pour l’utilisation des TIC en soutien à l’apprentissage, ainsi que pour la culture et
l’informatique (ex. contenus Web).
1. Balises
Les fondements de l’éducation des élèves qui ont des incapacités intellectuelles sont constitués de
lois, de politiques, ainsi que de savoirs tirés de différentes disciplines. Sur la base de ces
fondements, notre équipe utilise cinq balises pour concevoir des produits ou procédés
d’intervention auprès de ces élèves. Nous proposons que ces balises servent aussi à l’adaptation
des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitation cognitives. Comme en
navigation maritime, ces balises guident, indiquent la route à suivre ou signalent les dangers à
éviter. Il n’est pas recommandé d’ignorer une balise.
1.1 Contexte d’inclusion
Les chartes, les lois et les politiques en vigueur défendent les droits des personnes handicapées et
font la promotion de leur inclusion scolaire et sociale. Il serait donc normal de concevoir
l’adaptation des TIC en fonction du contexte d’inclusion. Or, ce contexte est plus exigeant que
celui de l’exclusion parce qu’il impose aux intervenants de nombreuses contraintes à respecter en
fonction des pairs sans incapacités, particulièrement en milieu scolaire (horaire à respecter,
programme à couvrir, etc.). Il suppose de plus que les adaptations conçues pour les personnes qui
ont des limitations ne nuiront pas à leurs pairs sans incapacités. En raison de ces contraintes, nous
proposons que le contexte d’inclusion serve de première balise à l’adaptation des TIC et à
l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives.
1.2 Approche écosystémique et postulat écologique
Les travaux en matière d’adaptation s’inscrivent généralement dans une approche écosystémique
centrée sur l’interaction Personne-Milieu (Bronfenbrenner, 1996; 1993). Au regard des personnes
handicapées, cette approche a été intégrée dans le processus de production de situations de
handicap. Selon ce modèle, des éléments de l’environnement, en interaction avec les déficiences
ou les incapacités d’une personne, peuvent constituer des obstacles à la réalisation d’activités et
placer la personne en situation de handicap (Fougeyrollas, 1996; SCCIDIH, 1996; Rocque,
Trépanier et coll., 1994). Par exemple, des éléments architecturaux, comme un escalier, peuvent
être facteurs d’obstacles pour une personne en fauteuil roulant. Dans un tel modèle, l’échec d’une
personne à réaliser une activité ou un apprentissage n’est pas imputable à ses seules incapacités.
Il découle plutôt d’une incompatibilité entre des éléments environnementaux et les
caractéristiques de la personne. Dans cette approche, l’identification des facteurs d’obstacles
spécifiques à des incapacités particulières devient une clé maîtresse pour la conception
d’adaptations ou d’aménagements qui élimineront ou réduiront ces obstacles, permettant à la
personne de réaliser l’activité malgré ses incapacités.
Balises et processus d’adaptation 3
Rocque (1999 : 116) a proposé de reconduire, pour l’éducation, un postulat fondamental
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de
l’écologie générale, soit que les limitations imposées par le milieu deviennent opérantes bien
avant que les limitations intrinsèques de la personne ne soient atteintes. Et plus les limitations de
l’élève seront sévères, plus les conditions défavorables à l’apprentissage agiront en force. Dans
cette perspective, l’échec n’est plus imputable à l’élève seul, mais plutôt à l’absence ou à
l’insuffisance des conditions environnementales très particulières dont cet élève aurait besoin
pour apprendre, compte tenu de ses caractéristiques. Nous proposons que cette approche
écosystémique et, en particulier, que ce postulat écologique servent de deuxième balise à
l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives.
Toutefois, l’hétérogénéité des limitations cognitives pose problème. Dans la dynamique
interactive de l’approche écosystémique, une connaissance précise des caractéristiques propres à
un type d’incapacités est en effet indispensable à l’identification des facteurs d’obstacles et à la
conception d’aménagements pour les éliminer ou les contourner. Or, le concept de limitations
cognitives recouvre une trop grande diversité de causes et d’effets pour se prêter à ce genre
d’exercice. On peut tout au plus dégager une caractéristique générale, soit des difficultés de
traitement de l’information, en particulier de l’information écrite. Soulignons par ailleurs qu’il
s’agit de limitations «invisibles» et difficilement simulables, ce qui rend beaucoup plus difficile
l’identification des éléments environnementaux qui, en interaction avec elles, seraient
susceptibles d’être des facteurs d’obstacles. D’autant plus que les personnes qui présentent ces
limitations sont «mal équipées» pour identifier et dénoncer elles-mêmes les obstacles qu’elles
rencontrent.
De ce point de vue, les caractéristiques associées aux incapacités intellectuelles présentent deux
avantages majeurs. D’abord, elles sont bien définies et donc relativement faciles à utiliser à des
fins de simulation. De plus, même dans le cas d’incapacités intellectuelles légères, elles donnent
lieu à d’importantes limitations cognitives. Un processus de simulation qui intègrerait de telles
caractéristiques serait donc très sensible à tout élément environnemental défavorable à
l’apprentissage ou à la réalisation de tâches de nature cognitive.
1.3 Caractéristiques cognitives associées aux incapacités intellectuelles
Le concept d’incapacités intellectuelles correspond chez un individu a) à une moindre efficience
intellectuelle généralisée en référence à un groupe de même âge chronologique, et b) à une
inadaptation sociale (d’autant plus précoce que les incapacités sont importantes). Plusieurs
caractéristiques cognitives et non cognitives sont associées à ces deux constats. Paour (1991) a
recensé 24 caractéristiques cognitives, puis Dionne, Langevin, Paour et Rocque (200?) ont
proposé un regroupement en cinq caractéristiques majeures. Ce sont ces caractéristiques qui
prédisposent l’élève à vivre des situations d’échec currentes et généralisées. Ces
caractéristiques ont trait au développement et au fonctionnement intellectuel. La mise en
évidence de ces caractéristiques prend généralement appui sur l’une ou l’autre des deux
comparaisons suivantes :
À âge mental égal : La personne est comparée à des individus sans incapacités
intellectuelles du même âge mental.
2
Postulat de l’écologie générale : Les limitations imposées par le milieu agissent bien avant celles de l’organisme
vivant (Rocque, 1999 : 63).
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À âge chronologique égal : La personne est comparée à ses pairs sans incapacités
intellectuelles du même âge réel.
1.3.1 Lenteur et retard du développement
Le développement de l’enfant sera d’autant plus lent que les incapacités intellectuelles seront
importantes. Le retard de développement, mesuré par l’écart entre l’âge mental et l’âge
chronologique, est probablement la caractéristique la plus solidement documentée. Ce retard est
également la caractéristique la plus considérée en éducation, au point les autres
caractéristiques sont souvent négligées, voire ignorées.
1.3.2 Ralentissement et arrêt prématuré du développement
Chez l’enfant qui présente des incapacités intellectuelles, le retard s’accentue avec l’âge. En fait,
le développement de ses structures de pensée ralentit progressivement puis s’arrête à
l’adolescence et demeure inachevé. Chez les personnes qui ont des incapacités intellectuelles
légères, le développement s’arrête généralement au début de la période opératoire concrète;
placées devant un problème trop complexe, elles auront même tendance à revenir à un mode de
pensée pré-opératoire. Chez les personnes présentant des incapacités plus importantes, le
développement des structures cognitives demeurera à un stade pré-opératoire.
1.3.3 Moindre efficience du fonctionnement intellectuel
Cette moindre efficience serait due à des ficits spécifiques du fonctionnement intellectuel.
Même si le consensus est difficile à faire dans ce domaine, on s'entend généralement sur les
caractéristiques suivantes liées à la moindre efficience de fonctionnement :
Moindre efficience des processus de traitement de base de l’information des «déficits»
spécifiques ont été identifiés. Les plus connus sont :
a) Déficit de l’attention sélective. La personne a du mal à porter attention aux informations
pertinentes, surtout si celles-ci sont abstraites et symboliques. Son attention sera plutôt
attirée par les dimensions les plus «saillantes» (concrètes et attirantes) des stimuli.
Comme la personne ne sélectionne pas les «bonnes» informations, c’est tout son
processus de traitement de l'information qui s’en trouve faussé.
b) Déficit de la mémoire de travail (ou moire à court terme). Chez l’adulte normal, la
mémoire de travail peut maintenir temporairement actives (une dizaine de secondes) de
5 à 9 informations pour leur traitement. Les personnes qui ont des incapacités
intellectuelles auraient un déficit spécifique à ce niveau, les rendant particulièrement
vulnérables à la rapidité ainsi qu'à la quantité des informations qui leur sont soumises.
Moindre efficience systématique en situation de résolution de problèmes : Même à âge
mental égal, on constate chez les personnes qui ont des incapacités intellectuelles une
difficulté générale en situation de résolution de problèmes, surtout lorsqu’elles doivent
définir par elles-mêmes la nature du problème.
Balises et processus d’adaptation 5
Manque de stratégies cognitives et métacognitives et difficulté à les mettre en œuvre
spontanément : Ces personnes traitent l’information moins activement et moins
efficacement, soit parce qu’elles ne disposent pas de stratégies efficaces de mémorisation
et d’apprentissage, soit parce qu’elles ne savent pas les mettre en œuvre spontanément.
La différence d’efficience augmente en fonction de la complexité de la tâche : Plus la
tâche est complexe, plus la différence d’efficience augmente à âge chronologique égal et
même à âge mental égal.
1.3.4 Base de connaissance pauvre et mal organisée
Le traitement de l'information ne peut se faire si les connaissances nécessaires ne sont pas
disponibles en mémoire à long terme. Or, on constate chez les personnes qui ont des incapacités
intellectuelles que leur base de connaissances est pauvre, c'est-à-dire qu'elle contient peu de
connaissances, et que celles-ci sont mal organisées, reflet d’une pensée pré-opératoire.
1.3.5 Difficultés de transfert et de généralisation
Non seulement ont-elles du mal à apprendre, mais elles éprouvent en plus des difficultés à utiliser
dans un autre contexte, même en apparence semblable, une connaissance ou une habileté apprise
dans un contexte précis (difficulté de transfert), ou encore, elles ont du mal à utiliser dans
différents contextes, une stratégie apprise et maîtrisée dans un contexte particulier (difficulté de
généralisation).
L’expérience de l’échec associée à de telles caractéristiques favorise par ailleurs le
développement de caractéristiques non cognitives qui auront aussi un impact négatif sur
l’apprentissage (faible motivation, faible estime de soi, certitude anticipée de l’échec, faiblesse du
degré d’exigence au regard d’une tâche et pauvreté des investissements dans la tâche, système
d’attribution des échecs inadapté
3
, absence ou inadéquation du scénario de vie).
Nous proposons que les caractéristiques cognitives servent de troisième balise à l’adaptation des
TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives. Ajoutons qu’un des
objectifs des adaptations sera de contrer le développement des caractéristiques non cognitives.
1.4 Finalités poursuivies
Même si le titre de ce chapitre ne l’indique pas, il va de soi que l’adaptation souhaitée des TIC au
regard de limitations cognitives s’inscrit ici dans un cadre éducationnel, ce qui signifie que
l’utilisation des TIC sera au service des finalités de l’éducation des personnes qui ont de telles
limitations. Comme pour les caractéristiques, nous proposons de baser la réflexion sur les
finalités de l’éducation des personnes qui ont des incapacités intellectuelles, soit le
développement de l’autonomie et l’atteinte d’une véritable participation sociale. Ces finalités
présentent l’avantage de faire consensus. Comme les buts et les objectifs d’intervention
découleront de ces finalités, il est indispensable d’en avoir une vision aussi précise que possible.
Nous présentons ici un très court résumé des travaux de clarification que notre équipe a menés
sur ces concepts.
3
C’est-à-dire que la personne a tendance à attribuer les échecs à ses propres incapacités et non à des conditions
d’apprentissage défavorables.
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