Balises et processus d’adaptation 1 Titre : Balises et processus d’adaptation pour l’utilisation des TIC et pour l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives Auteurs : LANGEVIN, Jacques et ROCQUE, Sylvie (du Groupe DÉFI Apprentissage). Résumé : Les technologies ont contribué à faciliter l’accessibilité à l’information aux personnes qui ont des incapacités motrices ou sensorielles. Mais les personnes qui ont des limitations cognitives demeurent négligées en matière d’accessibilité. Ce texte présente six balises pour guider l’utilisation des TIC, ainsi qu’un processus d’adaptation ergonomique favorisant l’accessibilité à l’information pour les personnes qui ont des limitations cognitives. Avec un taux de prévalence d’au moins 1,58 % (Larson et al., 2000), soit au moins 110 000 personnes au Québec et 520 000 au Canada, les incapacités intellectuelles1 forment le type d’incapacités le plus fréquent. La majorité des personnes qui ont des incapacités intellectuelles légères et pratiquement toutes celles qui ont des incapacités moyennes à sévères demeurent analphabètes après 16 ans d’école, devenant des adultes dépendants et isolés socialement (Bouchard et Dumont, 1996). Mais les incapacités intellectuelles constituent une forme extrême d’un phénomène beaucoup plus répandu de limitations causées par l’interaction entre des caractéristiques personnelles et des tâches de nature cognitive. On estime en effet qu’environ 30 % des citoyens auraient des limitations cognitives (Trudeau, 2003). Ces personnes ont peu ou n’ont pas accès à l’information écrite parce qu’elles ont du mal à lire pour différentes raisons (analphabétisme, dyslexie, maîtrise insuffisante de la langue de la majorité, incapacités intellectuelles, etc.). Durant leur vie scolaire, elles éprouvent de grandes difficultés et plusieurs d’entre elles ne terminent pas leurs études secondaires. À l’âge adulte, ces personnes sont d’autant plus susceptibles de vivre des expériences d’exclusion dans une société du savoir qu’elles demeurent les plus négligées en matière d’accessibilité (Imrie et Hall, 1998; ONU, 1995). C’est notamment le cas dans le domaine de l’accessibilité à l’information facilitée par la technologie (˝accessible information technology˝) où les efforts portent généralement sur le design d’interfaces conviviales pour des incapacités motrices, visuelles ou auditives (Gouvernement du Canada, 2000; 2003). À ce jour dans ce domaine, peu de moyens ont été proposés pour pallier des limitations cognitives et donner accès à l’information pour ces personnes qui ont du mal à lire, soit au plan du décodage ou à celui de la compréhension. À l’exclusion scolaire et sociale s’ajouterait maintenant l’exclusion technologique (Buhler, 1999; Brodin, 2003; Rocque et Desbiens, 2007). Depuis 1985, notre équipe consacre ses efforts de recherche et d’innovation à l’éducation des élèves qui ont des incapacités intellectuelles. Nos travaux ont nécessité l’identification de balises et l’élaboration d’un processus d’adaptation pour la conception de produits ou de procédés d’intervention. Nous proposons que ces balises et ce processus soient considérés pour l’utilisation des TIC et pour l’accessibilité à l’information non seulement à l’égard d’incapacités intellectuelles, mais aussi, dans une perspective plus large, de limitations cognitives. Ce sont ces 1 Incapacités intellectuelles : Nouvelle désignation pour « retard mental », « déficience intellectuelle », « handicap mental », etc., c’est-à-dire un fonctionnement intellectuel général significativement sous la moyenne (QI inférieur à 70) accompagné de limitations au plan du comportement adaptatif (AAMR, 2002; DSM-IV, 199?). On distingue généralement trois niveaux de sévérité : les incapacités intellectuelles légères (QI de 55 à 70), moyennes (QI de 40 à 55) et sévères (QI < 40). Balises et processus d’adaptation 2 balises et ce processus qui ont servi de guide à la conception des modalités d’adaptation de textes, présentées aux deux chapitres suivants, en vue d’applications pour l’éditique (ex. manuels scolaires, livres de lecture), pour l’utilisation des TIC en soutien à l’apprentissage, ainsi que pour la culture et l’informatique (ex. contenus Web). 1. Balises Les fondements de l’éducation des élèves qui ont des incapacités intellectuelles sont constitués de lois, de politiques, ainsi que de savoirs tirés de différentes disciplines (orthopédagogie, psychologie, ergonomie, orthophonie, psychoéducation, etc.). Sur la base de ces fondements, notre équipe utilise six balises pour concevoir des produits ou procédés d’intervention auprès de ces élèves : - le droit à des adaptations; - le contexte d’inclusion; - une approche écosystémique et un postulat écologique; - les caractéristiques cognitives associées aux incapacités intellectuelles; - les finalités de leur éducation; - le choix d’objectifs pertinents. Nous proposons que ces balises servent aussi de guide à l’utilisation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives. Comme en navigation maritime, ces balises indiquent la route à suivre ou signalent les dangers à éviter. 1.1 Le droit à des adaptations Selon le principe de normalisation (Nirje, 196?), toute personne devrait avoir la possibilité de se développer et de vivre dans les conditions les plus normales possibles. En conséquence, les chartes, les lois et les politiques en vigueur au Canada et dans plusieurs pays font la promotion de l’inclusion scolaire et sociale des personnes handicapées. Et qui dit inclusion, dit adaptations. C’est le principe même de l’obligation d’accommodement selon lequel la personne handicapée a droit à des adaptations pour pallier ses incapacités afin de réaliser des activités en contexte d’inclusion. Le droit à des adaptations n’est pas assuré, surtout dans le cas de limitations invisibles comme celles de nature cognitive. Dans les expériences d’adaptation de textes que nous menons, en milieu scolaire ou sur un site internet, pour des élèves ou des citoyens qui ont des incapacités intellectuelles, il n’est pas rare que ce droit soit nié. Pour certains, l’adaptation est perçue comme un privilège accordé à un individu qui ne le mérite pas. Pour d’autres, elle est injuste parce qu’elle réduit les exigences que l’individu a à satisfaire. Pour d’autres encore, le recours à des adaptations va à l’encontre d’un principe de normalisation faussement interprété comme étant l’obligation, pour l’individu qui a des incapacités intellectuelles, d’atteindre les mêmes objectifs, au même rythme et de la même manière que ses pairs sans incapacités. C’est comme si on offrait à un élève qui a des incapacités visuelles de fréquenter une classe ordinaire, en lui interdisant toutefois l’usage de manuels en braille parce que les autres élèves utilisent des manuels « en noir ». En fait, le principe de normalisation accepte et même exige des adaptations, comme l’affirme au Québec la loi 56 « assurant l’exercice des droits des personnes handicapées » (Gouvernement du Québec, 2004). Balises et processus d’adaptation 3 Si des résistances à offrir des adaptations se manifestent dans le cas des personnes qui ont des incapacités intellectuelles et qui sont donc officiellement reconnues comme handicapées, on peut facilement imaginer que les résistances seront au moins aussi importantes pour des personnes qui ont « seulement » des limitations cognitives et qui ne sont, par conséquent, pas protégées par les lois. Certaines réactions suscitées par le site adapté AccèsSimple de la Ville de Montréal (2005) semblent confirmer ces appréhensions2. C’est pourquoi, aussi trivial que cela puisse paraître, nous suggérons que les personnes qui ont des limitations cognitives aient droit à des adaptations, et que ce droit serve de première balise à l’utilisation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives. 1.2 Le contexte d’inclusion Le contexte d’inclusion est plus exigeant que celui d’exclusion parce qu’il impose de nombreuses contraintes à respecter en fonction des pairs sans incapacités, particulièrement en milieu scolaire (horaire à respecter, programme à couvrir, etc.). Le concept d’inclusion peut également s’appliquer à un espace virtuel comme un site internet destiné au grand public. Reconnaître l’existence des contraintes liées au contexte d’inclusion n’est pas une prise de position en faveur de l’exclusion. Bien au contraire, nous affirmons que la prise en compte de ces contraintes dans le processus de conception d’une adaptation est absolument essentielle pour en assurer l’efficacité. C’est pourquoi nous proposons que le contexte d’inclusion serve de deuxième balise à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information quand sont considérées des limitations cognitives. Dans cette optique, on peut envisager trois cas de figure : a) L’adaptation est à l’usage exclusif de la personne, et elle est si discrète que ses pairs en ignorent l’existence. Par exemple, sur l’ordinateur de l’élève, des modifications sont apportées aux textes pour en accroître la lisibilité (police de caractères, taille des caractères, espace entre les mots, etc.). b) L’adaptation est utile uniquement à la personne, mais elle est cette fois bien visible dans l’environnement, d’où l’importance qu’elle soit « neutre » pour les pairs ou, à tout le moins, que des précautions soient prises pour éviter qu’elle ne leur soit nuisible. Nous considérons que l’option « ortograf altêrnativ » sur le site AccèsSimple de la Ville de Montréal constitue un exemple de ce cas de figure. Bien en vue sur le site, un bouton permet à l’internaute d’activer la présentation des textes dans ce mode alternatif de communication. Un avertissement, qui précède l’apparition des textes, l’informe cependant que ce mode de communication est destiné exclusivement aux citoyens qui ont des incapacités intellectuelles importantes et l’invite à prendre connaissance des raisons qui justifient cette adaptation dans la section « Pourquoi ce site? ». c) L’adaptation est non seulement bien visible dans l’environnement et indispensable à la personne, mais elle est de plus utile à ses pairs sans limitations. L’option « texte simplifié » sur le même site AccèsSimple correspond à ce cas de figure. Conçus pour aider les citoyens qui ont des limitations cognitives à accéder à des informations de base sur les services de la Voir plus loin dans cet ouvrage, Rocque, Rioux et Langevin, Accessibilité à l’information et incapacités intellectuelles… 2 Balises et processus d’adaptation 4 Ville, les textes présentés dans cette version simplifiée peuvent aussi être appréciés par des internautes sans limitations justement parce qu’il est plus facile d’y repérer l’information essentielle. Dans ces trois cas de figure, l’adaptation doit satisfaire deux exigences de base. Elle doit d’abord répondre aux besoins de la personne qui a des limitations cognitives en termes d’accessibilité à l’information. Elle doit aussi éviter de nuire aux pairs sans limitations. 1.3 Une approche écosystémique et un postulat écologique Les travaux en matière d’adaptation s’inscrivent généralement dans une approche écosystémique centrée sur l’interaction Personne-Milieu (Bronfenbrenner, 1996; 1993). Pour les personnes handicapées, cette approche a été intégrée dans le processus de production de situations de handicap. Selon ce processus, des éléments de l’environnement, en interaction avec les déficiences ou les incapacités d’une personne, peuvent constituer des obstacles à la réalisation d’activités et placer la personne en situation de handicap (Fougeyrollas, 1996; SCCIDIH, 1996; Rocque, Trépanier et coll., 1994). Par exemple, des éléments architecturaux, comme un escalier, peuvent être facteurs d’obstacle pour une personne en fauteuil roulant. Selon ce modèle, l’échec d’une personne à réaliser une activité ou un apprentissage n’est pas imputable à ses seules incapacités. Cet échec découle plutôt d’une inadéquation des éléments environnementaux avec les caractéristiques de la personne. Dans cette approche, l’identification des facteurs d’obstacle spécifiques à des incapacités particulières devient une clé maîtresse pour la conception d’adaptations ou d’aménagements qui élimineront ou réduiront ces obstacles, permettant à la personne de réaliser l’activité malgré ses incapacités. Rocque (1999 : 116) a proposé de transposer, à l’éducation, un postulat fondamental3 de l’écologie générale, soit que « les limitations imposées par le milieu deviennent opérantes bien avant que les limitations intrinsèques de la personne ne soient atteintes ». Plus les limitations de l’élève seront sévères, plus les conditions défavorables à l’apprentissage agiront en force. Dans cette perspective, l’échec n’est plus imputable à l’élève seul, mais plutôt à l’absence ou à l’insuffisance des conditions environnementales très particulières dont cet élève aurait besoin pour apprendre ou réaliser une activité, compte tenu de ses caractéristiques. Nous proposons que cette approche écosystémique et, en particulier, que ce postulat écologique servent de troisième balise à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives. 1.4 Les caractéristiques cognitives associées aux incapacités intellectuelles Dans une perspective écosystémique axée sur l’interaction entre des limitations cognitives et des éléments environnementaux qui présentent de l’information écrite, il y deux raisons majeures de s’intéresser aux caractéristiques associées aux incapacités intellectuelles. D’abord, comme elles sont bien définies, il est relativement facile d’en simuler les effets dans la réalisation d’une tâche de nature cognitive. Deuxièmement, en l’absence d’adaptations appropriées, leurs effets donnent lieu à d’importantes limitations en ce qui concerne l’accès à l’information écrite. En effet, la Postulat de l’écologie générale : Les limitations imposées par le milieu agissent bien avant celles de l’organisme vivant (Rocque, 1999 : 63). 3 Balises et processus d’adaptation 5 majorité des élèves qui ont des incapacités intellectuelles légères et pratiquement tous ceux qui ont des incapacités moyennes à sévères demeurent analphabètes après 16 ans d’école. Un processus d’adaptation qui prendrait compte de telles caractéristiques serait donc très sensible à tout élément environnemental défavorable à l’apprentissage ou à la réalisation de tâches de nature cognitive, notamment celles qui impliquent le traitement de l’information écrite et l’utilisation des TIC. Le concept d’incapacités intellectuelles correspond chez un individu à : a) une moindre efficience intellectuelle généralisée en référence à un groupe de même âge chronologique, ce qui se traduit par un quotient intellectuel inférieur à 70, et b) une inadaptation sociale d’autant plus précoce que les incapacités sont importantes. Paour (1991) a recensé 24 caractéristiques cognitives associées à ces deux constats. Dionne, Langevin, Paour et Rocque (1999) ont proposé un regroupement en cinq caractéristiques majeures. Ces caractéristiques prédisposent la personne à vivre des situations d’échec récurrentes et généralisées dans un monde conçu par et pour des gens intelligents. Ces caractéristiques ont trait au développement et au fonctionnement intellectuel. La mise en évidence de ces caractéristiques prend généralement appui sur l’une ou l’autre des deux comparaisons suivantes : À âge mental égal : La personne est comparée à des individus plus jeunes mais sans incapacités intellectuelles et du même âge mental qu’elle. À âge chronologique égal : La personne est comparée à ses pairs sans incapacités intellectuelles du même âge réel. Pour chaque caractéristique nous présenterons une courte description de son impact possible sur l’éducation ou sur la réalisation d’une tâche cognitive. 1.4.1 Lenteur et retard du développement Le retard de développement correspond à un écart significatif entre l’âge mental et l’âge chronologique d’un individu, avec un quotient intellectuel égal ou inférieur à 70. Si, au début de l’école primaire, les objectifs et les moyens d’intervention correspondent à l’âge chronologique de l’élève qui a des incapacités intellectuelles, ce dernier est placé systématiquement en situation d’échec. Après deux ou trois ans, on invoquera cet échec et l’âge mental de l’enfant pour justifier son placement en classe spéciale. Si, au contraire, les objectifs et procédés d’intervention sont choisis en fonction de son âge mental, l’élève est non seulement exclu des activités proposées à ses pairs sans incapacités, mais il subit de plus un processus d’infantilisation. L’écart entre l’âge mental et l’âge chronologique pose un dilemme pédagogique, apparemment sans solution, parce qu’il confronte continuellement l’individu à des tâches qui exigent de lui des habiletés qu’il ne maîtrise pas. Ce dilemme n’est que la version extrême d’un problème auquel sont régulièrement confrontées les personnes qui ont des limitations cognitives dans leurs rapports avec l’information écrite. Ainsi, si vous choisissez des textes conformes aux intérêts d’adultes analphabètes, ils n’arriveront pas à les lire et se décourageront. Si vous sélectionnez plutôt des textes correspondant à leurs habiletés de débutants, ils perdront tout intérêt à les lire puisque ces textes sont normalement destinés à des enfants de 6 ans (voir 1.6 et 1.7). Balises et processus d’adaptation 6 1.4.2 Ralentissement et arrêt prématuré du développement Chez l’enfant qui présente des incapacités intellectuelles, le retard s’accentue avec l’âge. En fait, le développement de ses structures de pensée ralentit progressivement puis s’arrête à l’adolescence et demeure inachevé. Chez les personnes qui ont des incapacités intellectuelles légères, le développement s’arrête généralement au début du stade opératoire concret. Placées devant un problème trop complexe, ces personnes auront tendance à revenir à un mode de pensée préopératoire. Chez les personnes présentant des incapacités plus importantes, le développement des structures cognitives demeurera à un stade préopératoire où la pensée est esclave des perceptions, des apparences (ex. X est plus âgé que Y parce qu’il est plus grand), et a du mal à tenir compte de plus d’un critère à la fois. Cette forme de pensée fonctionne avec des absolus (on est jeune ou vieux, grand ou petit) et n’arrive pas à saisir le caractère relatif des choses que l’on compare. L’arrêt prématuré du développement augmente l’impact de la caractéristique précédente. En effet, si le développement était « seulement » en retard, le recours à l’âge mental comme balise au choix des objectifs d’intervention pourrait se justifier puisque, lentement mais sûrement, le développement finirait bien par arriver à terme. Cette deuxième caractéristique prescrit au contraire que l’intervention prévoit l’inachèvement des structures de pensée en proposant à l’élève une façon de réaliser une tâche qui n’exigera pas une pensée opératoire. Cette deuxième caractéristique force à adopter des mesures à long terme pour pallier des limitations permanentes. Tout comme il est faux de croire que les incapacités intellectuelles d’un individu s’atténueront avec le temps, il est tout aussi illusoire d’espérer que le taux de prévalence des limitations cognitives diminuera rapidement au cours des prochaines décennies. Une véritable société du savoir devrait accepter qu’une partie importante de la population aura toujours des limitations cognitives et, en conséquence, prendre des mesures spéciales pour ouvrir à ces citoyens l’accès à l’information écrite. 1.4.3 Moindre efficience du fonctionnement intellectuel Cette moindre efficience serait due à des déficits spécifiques du fonctionnement intellectuel. Même si le consensus est difficile à faire dans ce domaine, on s'entend généralement sur les sous caractéristiques suivantes liées à la moindre efficience de fonctionnement : Moindre efficience des processus de traitement de base de l’information où des « déficits » spécifiques ont été identifiés. Les plus connus sont : a) Déficit de l’attention sélective. La personne a du mal à porter attention aux informations pertinentes, surtout si celles-ci sont abstraites et symboliques. Son attention sera plutôt dirigée vers les dimensions les plus « saillantes » (concrètes et attirantes) des stimuli. Comme la personne ne sélectionne pas les « bonnes » informations, c’est tout son processus de traitement de l'information qui s’en trouve faussé. Des mesures spéciales devront donc être prises pour « canaliser » l’attention de l’individu sur ce qui est pertinent. + Balises et processus d’adaptation 7 b) Déficit de la mémoire de travail. Chez l’adulte normal, la mémoire de travail peut maintenir temporairement actives (une dizaine de secondes) de 5 à 9 informations pour leur traitement. Les personnes qui ont des incapacités intellectuelles auraient un déficit spécifique à ce niveau, les rendant particulièrement vulnérables à la rapidité ainsi qu'à la quantité des informations qui leur sont soumises. Moindre efficience systématique en situation de résolution de problèmes. Même à âge mental égal, on constate chez les personnes qui ont des incapacités intellectuelles une difficulté générale en situation de résolution de problèmes, surtout lorsqu’elles doivent définir par elles-mêmes la nature du problème. Les situations de résolutions de problème sont donc peu propices à l’apprentissage pour ces personnes. Elles bénéficieront davantage de situations d’enseignement structuré. Manque de stratégies cognitives et métacognitives et difficulté à les mettre en œuvre spontanément. Ces personnes traitent l’information moins activement et moins efficacement, soit parce qu’elles ne disposent pas de stratégies efficaces de mémorisation et d’apprentissage, soit parce qu’elles ne savent pas les mettre en œuvre spontanément. En vue de la réalisation d’une tâche cognitive, il faudra donc proposer à la personne une stratégie facile à maîtriser parce que (notamment) compatible avec une pensée préopératoire. Il faudra sans doute aussi prévoir une mnémotechnique ou un indice quelconque qui rappellera à la personne de mettre en œuvre cette stratégie au moment opportun. La différence d’efficience augmente en fonction de la complexité de la tâche. Plus la tâche est complexe, plus la différence d’efficience augmente à âge chronologique égal et même à âge mental égal. La moindre efficience du fonctionnement intellectuel prescrit comme principale adaptation la réduction de la complexité de ce qui sera présenté à la personne. Que ce soit pour des incapacités intellectuelles ou des limitations cognitives moindres, la réduction de la complexité sera au cœur du processus d’adaptation (voir notamment 2.1 et 2.2). 1.4.4 Base de connaissance pauvre et mal organisée Une information ne peut pas être comprise si les connaissances nécessaires à son traitement ne sont pas disponibles en mémoire à long terme. Or, on constate chez les personnes qui ont des incapacités intellectuelles que leur base de connaissances est pauvre, c'est-à-dire qu'elle contient peu de connaissances, et que celles-ci sont mal organisées, reflet d’une pensée préopératoire. Cette caractéristique implique plusieurs contraintes pour l’intervention : fournir explicitement tout ce dont la personne a besoin pour comprendre au lieu de présumer qu’elle possède déjà les connaissances nécessaires, choisir des mots simples tirés du vocabulaire courant, éviter l’emploi de synonymes, etc. Au lieu de présumer des connaissances chez la personne qui a des limitations cognitives, cette caractéristique incite au contraire à lui présenter l’information dans des mots simples et en lui fournissant tout ce dont elle aura besoin pour comprendre. Balises et processus d’adaptation 8 1.4.5 Difficultés de transfert et de généralisation Non seulement les personnes qui ont des incapacités intellectuelles ont-elles du mal à apprendre, mais elles éprouvent en plus des difficultés à utiliser dans un autre contexte, même en apparence semblable, une connaissance ou une habileté apprise dans un contexte précis (difficulté de transfert), ou encore, elles ont du mal à utiliser dans différents contextes, une stratégie maîtrisée dans un contexte (difficulté de généralisation). Pour contrer cette caractéristique, il faudra fournir à la personne un soutien au transfert ou à la généralisation. Au lieu de présumer que la personne qui a des limitations cognitives effectuera elle-même le transfert d’une nouvelle connaissance ou habileté dans un autre contexte, cette caractéristique exige plutôt de prévoir des soutiens au transfert (à discuter avec Hajer). L’expérience de l’échec associée à ces grandes caractéristiques cognitives favorise par ailleurs le développement de caractéristiques non cognitives qui auront aussi un impact négatif sur l’apprentissage (faible motivation, faible estime de soi, certitude anticipée de l’échec, faiblesse du degré d’exigence face à une tâche et pauvreté des investissements dans la tâche, système d’attribution des échecs inadapté4, absence ou inadéquation du scénario de vie). Nous proposons que ces caractéristiques cognitives et les contraintes qu’elles génèrent servent de quatrième balise à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives. Le recours à cette balise dans la conception d’une adaptation aura pour objectifs : a) de contourner ou d’exploiter ces caractéristiques cognitives au profit de l’apprentissage ou de la réalisation de tâches, et b) de contrer le développement des caractéristiques non cognitives en faisant vivre à la personne des situations de réussite. 1.5 Les finalités de leur éducation Il va de soi que l’adaptation souhaitée des TIC au regard de limitations cognitives s’inscrit ici dans un cadre éducationnel, ce qui signifie que l’utilisation des TIC sera au service des finalités de l’éducation des personnes qui ont de telles limitations. Comme pour les caractéristiques, nous proposons de baser la réflexion sur les finalités de l’éducation des personnes qui ont des incapacités intellectuelles, soit le développement de l’autonomie et l’atteinte d’une véritable participation sociale. Ces finalités présentent l’avantage de faire consensus. Comme les buts et les objectifs d’intervention découleront de ces finalités, il est indispensable d’en avoir une vision aussi précise que possible. Nous présentons ici un résumé de travaux de clarification menés sur ces concepts. 1.5.1 Autonomie L’autonomie est la capacité d’une personne à décider, à mettre en œuvre ses décisions et à satisfaire ses besoins particuliers sans sujétion5 à autrui (Rocque, Langevin, Drouin et Faille, 1999, p. 39). On distingue deux sphères, l’autonomie de décision et l’autonomie d’exécution. Chacune de ces sphères est applicable à trois types d’autonomie, soit l’autonomie de base, C’est-à-dire que la personne a tendance à attribuer les échecs à ses propres incapacités et non à des conditions d’apprentissage ou de réalisation défavorables. 5 Être assujetti à autrui signifie être soumis à ce tiers, être sous sa domination ou encore être contraint par sa volonté ou par son pouvoir (Rocque et coll., 1999 : 43) 4 Balises et processus d’adaptation 9 l’autonomie fonctionnelle et l’autonomie générale. Pour les personnes qui ont des limitations cognitives, on donnera priorité aux deux premiers types. L’autonomie de base est limitée aux actions et aux décisions essentielles au maintien de la vie (idem, p. 71). On pense ici à des conduites peu influencées par le code social ou culturel et qui ont trait à l’alimentation, l’habillement, l’hygiène corporelle, la mobilité et le sommeil. L’autonomie fonctionnelle permet de prendre des décisions et d’exercer les activités nécessaires au déroulement adéquat de sa vie au sein d’un groupe ou d’une collectivité (idem, p. 59). Les enjeux de l’adaptation des TIC et de l’accessibilité à l’information ont surtout trait à l’autonomie fonctionnelle. Dans chaque sphère et pour chaque type, on peut aussi considérer trois formes d’expression de l’autonomie : Autonomie directe : Forme d’autonomie qui s’exprime sans intermédiaire, de nature humaine ou matérielle (idem, p. 78). On notera que l’autonomie directe inclut les habiletés standard et les habiletés alternatives (idem, p. 92). Une habileté alternative est définie comme étant une habileté mise en œuvre de façon différente de celle qui prévaut généralement dans une socioculture spécifique pour la réalisation d’une tâche donnée. Autonomie assistée : Forme d’autonomie qui s’exprime à l’aide d’un dispositif ou d’aménagements du milieu destinés à augmenter, amplifier, élargir, réguler ou répartir l’effort consenti par une personne (idem, p. 79). Le recours aux TIC peut évidemment jouer un rôle majeur à ce niveau pour réduire les dépendances d’une personne. Autonomie déléguée : Forme d’autonomie qui s’exprime en confiant librement à autrui les actions et les décisions (idem, p. 81). La sujétion à autrui est ici librement consentie, voire recherchée (ex. confier l’entretien ménager de la maison à quelqu’un). En combinant les deux sphères, les deux types prioritaires et les trois modes d’expression, on obtient douze façons de réduire les dépendances d’une personne face à une tâche. À ce propos, une autre façon de cerner ce qu’est l’autonomie est d’identifier avec précision tout ce qu’un individu (adulte) autonome devrait être en mesure de décider et d’exécuter. C’est ce que Dever (1988, 1997) a proposé dans une taxinomie des habiletés nécessaires à la vie communautaire qui a fait l’objet d’une importante validation. Elle comprend 77 buts et 1070 objectifs répartis en cinq domaines : S (soins personnels et développement), V (vie résidentielle et communautaire), P (vie professionnelle), L (loisirs) et D (déplacements). Cette taxinomie n’indique toutefois pas le chemin à suivre pour préparer une personne à devenir autonome. Dever la présente non pas comme un trajet à suivre, mais plutôt comme une destination à atteindre. Cette taxinomie peut notamment servir à l’identification de tâches qui exigent des habiletés alphabètes et pour lesquelles des aides technologiques seraient utiles (ex. préparation de la liste des achats à faire à l’épicerie). ICI 1.5.2 Participation sociale La participation sociale est un processus par lequel un individu ou un groupe d’individus s’associe et prend part aux décisions et aux actions d’une entité ou d’un regroupement de niveau plus global, relativement à un projet de plus ou moins grande envergure. Elle peut aussi référer au résultat de ce processus (Rocque et coll., 2002, p. ??). La participation sociale impliquant Balises et processus d’adaptation 10 également les sphères de décisions et d’exécution, on peut difficilement concevoir l’atteinte d’une véritable participation sociale sans un minimum d’autonomie. Soulignons par ailleurs que les grands organismes et services publics sont particulièrement la participation sociale Nous proposons que les finalités d’autonomie et de participation sociale servent de cinquième balise à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives. L’autonomie fonctionnelle, tant pour la décision que pour l’exécution, le recours à des habiletés alternatives (autonomie directe) ou à des aides techniques ou technologiques (autonomie assistée), ainsi que le soutien d’un membre de l’entourage choisi par la personne (autonomie déléguée) sont autant de pistes intéressantes pour que l’utilisation des TIC contribue pleinement à l’atteinte de ces finalités. 1.6 Le choix d’objectifs pertinents Les finalités doivent être transposées en buts et objectifs pour former un curriculum de formation, de 5 ans à l’âge adulte. Cela constitue un défi majeur considérant que les incapacités intellectuelles se caractérisent par un écart important entre l’âge chronologique d’un individu et son âge mental. Depuis que les élèves qui ont des incapacités intellectuelles ont droit à l’éducation, cet écart confronte les pédagogues à un dilemme quant au choix des objectifs d’apprentissage. Des objectifs choisis en fonction de l’âge mental infantilisent l’élève et l’éloignent des finalités poursuivies, alors que des objectifs choisis selon l’âge chronologique placent systématiquement l’élève en situation d’échec. Depuis que les élèves qui ont des incapacités intellectuelles ont droit à l’éducation, cet écart entre l’âge mental et l’âge réel confronte les pédagogues à un dilemme quant au choix des objectifs d’apprentissage. Des objectifs choisis en fonction de l’âge mental infantilisent l’élève, alors que des objectifs choisis selon l’âge chronologique placent systématiquement l’élève en situation d’échec. Les pédagogues qui oeuvrent en alphabétisation d’adultes connaissent un dilemme semblable. Alors que leurs élèves ont des intérêts d’adultes, leur niveau d’habileté en lecture ressemble à celui d’un enfant de 6 ans. Conséquemment, des textes conçus pour des adultes leur seront inaccessibles, alors que des textes correspondant à leur niveau de compétence seront infantilisants et démotivants. Par exemple, il est souvent recommandé de « respecter le rythme d’apprentissage de l’élève ». Malgré ses apparences louables, une telle recommandation… Une solution a été proposée à ce dilemme (Langevin, Dionne et Rocque, 2003). Elle consiste à choisir les objectifs selon l’âge chronologique et à adapter l’intervention selon l’âge mental et les caractéristiques associées aux incapacités. Cette solution permet d’envisager un curriculum de formation où chaque habileté essentielle à l’autonomie est enseignée à l’âge approprié. À partir de différentes études sur les habiletés nécessaires pour être autonome (notamment Leland et Shoaee, 1981; Dever, 1988; El Shourbagi, 2007), nous avons élaboré une première proposition de curriculum de formation. Ce curriculum comprend cinq sphères d’habiletés à maîtriser à l’âge approprié (habiletés numériques, habiletés de lecture et d’écriture, habiletés de gestion du temps, habiletés de gestion de l’argent et habiletés d’orientation-déplacement). La répartition des habiletés présentée à la figure 2 couvre la petite enfance (0 à 5 ans), la maternelle (5-6 ans), le primaire (6 à 12 ans), le secondaire et la période de transition école/travail (13 à 21 ans), ainsi que le début de l’âge adulte. L’emplacement de chaque habileté dans la figure correspond à l’âge Balises et processus d’adaptation 11 approprié à sa maîtrise, c’est-à-dire l’âge auquel les pairs sans incapacités maîtrisent l’habileté standard correspondante. Il est important de souligner que ce curriculum est manifestement incomplet. Il est en effet centré sur des habiletés alphabètes et les activités qui exigent de telles habiletés. Les élèves qui ont limitations cognitives ont aussi droit à des activités d’arts plastiques, de musique, de langue seconde, de sciences, de sport, etc. Mais nous estimons que la situation actuelle de ces élèves, caractérisée par l’analphabétisme et la dépendance au terme de 16 années d’école, exige que les habiletés alphabètes essentielles à l’autonomie soient clairement identifiées et considérées prioritaires dans les plans d’intervention. C’est l’objectif premier de cette opération. 1.7 L’adaptation de l’intervention (ATTENTION : ce point 1.7 sera nouveau. Il découlera d’une révision – à venir – du point 1.6 qui scindera la « solution au dilemme » en deux parties, une appliquée aux choix des objectifs, l’autre appliquée aux procédés d’intervention) Balises et processus d’adaptation 12 S’ORIENTER (ESPACE) Dans la maison*, l’école P*, le quartier*, l’école S*, la ville* Avant/après* Transport scolaire* Transports publics* S’ORIENTER (TEMPS) Avant/après*, horaire, heure, agenda Utiliser appareils (réveil) calendrier Estimer le temps H A B I L E T É S Mesurer des quantités (recettes) UTILISER des appareils ordinateur automatique A L P H A B È T E S guichet app. ménagers UTILISER L’ARGENT Reconnaître les pièces et billets Payer factures Distinguer les 1$*, les 10$* Préparer- faire les courses* Payer* Payer* S’initier à l’épargne* (<10$) (>10$) Utiliser un livret Conscience phonologique* Planifier revenus/ dépenses Correspondances graphème/phonème LIRE Mots, phrases, textes, documents ÉCRIRE Mots, phrases UTILISER LES NOMBRES HNI* Nombres < 100, nombres > 100 (0 à 9) Écrire des chiffres, utiliser une calculatrice* Comprendre des symboles 0 5-6 petite enfance maternelle 13 primaire secondaire 18 21 transition adulte école/travail âge chronologique et périodes de vie Fig. 2 Répartition des habiletés alphabètes essentielles à l’autonomie dans un curriculum de formation. NOTE : vérifier les effets de style, de taille et de couleur dans cette figure? Balises et processus d’adaptation 13 Nous suggérons que ce curriculum de formation, basé sur l’âge approprié à la maîtrise de chaque habileté essentielle, serve de sixième balise à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives. 2. Processus d’adaptation ergonomique L’adoption de telles balises suppose des adaptations massives pour aider les enfants et les adolescents à maîtriser chaque habileté essentielle à l’âge approprié et ce, malgré leurs limitations cognitives. Ce qui nous ramène au cœur du processus de production de situations de handicap, et donc à l’identification des facteurs d’obstacle qui seraient spécifiques à l’interaction d’éléments environnementaux avec des limitations cognitives. Pour arriver à comprendre cette dynamique interactive, nous considérons les caractéristiques associées à des incapacités intellectuelles dans l’analyse ergonomique de tout ce qui est présenté-proposé-imposé à une personne pour réaliser une tâche. 2.1 Facteurs spécifiques d’obstacle Les facteurs d’obstacle spécifiques aux incapacités intellectuelles sont mal connus. Nous avons mené plusieurs études totalisant plus de 500 situations d’intervention analysées qui ont mis en évidence que le facteur No 1 d’obstacle serait la complexité de la méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite, c’est-à-dire la complexité de tout ce qui est fourni-proposé-imposé à la personne pour réaliser une tâche ou pour apprendre à maîtriser une habileté. L’analyse de la complexité utilise les concepts ergonomiques de tâche, réalisation, méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite et mode opératoire (Leplat, 1980; Monod et Kapitaniak, 1999; Rasmussen, 1986; Vincente, 1999) : - Tâche : Ce qui est à faire. - Réalisation : Façon(s) de s'acquitter d’une tâche. - Méthode de travail prescrite : Façon particulière de réaliser une tâche, telle que proposée, suggérée ou imposée à un sujet. Celle-ci inclut les consignes données, le matériel mis à disposition, les procédures ou étapes à suivre, etc., bref, tout ce qui est prescrit et fourni au sujet pour réaliser la tâche. - Mode opératoire : Façon précise (au sens de ce qu’il exige de l’opérateur) selon laquelle un sujet réalise une tâche. En principe, la tâche est incontournable puisque c’est ce qui doit être fait. Par contre, il peut y avoir plusieurs façons de s’acquitter convenablement d’une tâche et la méthode de travail prescrite est celle suggérée ou imposée au sujet (ou opérateur). Si la méthode de travail prescrite n’est pas adaptée au sujet (et à ses caractéristiques), ce dernier aura du mal à se l’approprier pour en faire son mode opératoire. Dans une telle situation, il est prévisible que le mode opératoire qu’il utilisera s’avèrera inadéquat. Balises et processus d’adaptation 14 Ces concepts ergonomiques n’ont de sens en éducation que s’ils sont adaptés à la spécificité de notre domaine. Pour ce faire, nous aurons recours à des composantes du « Cycle de l’éducation » et du « Modèle général de la situation pédagogique » (Legendre, 1983; 1993; 2005) : a) Les finalités sont des idéaux poursuivis par le système éducationnel. b) Ces finalités doivent être transposées en Buts/Objectifs observables et mesurables. c) L’objet d’apprentissage d’une situation pédagogique découle des Buts/Objectifs. d) L’objet d’apprentissage donnera lieu à des tâches à réaliser par l’élève. e) L’enseignant fournit à l’élève une méthode d’apprentissage prescrite, soit la transposition à l’éducation du concept ergonomique de méthode de travail prescrite. Donc, la méthode d’apprentissage prescrite est une façon particulière qui est proposée, suggérée ou imposée à l’élève pour réaliser une tâche dans une perspective d’apprentissage au regard d’un objectif pédagogique. f) Cette méthode d’apprentissage prescrite inclut plusieurs éléments de la situation pédagogique (ex. : matériel fourni à l’élève, procédure à suivre par l’élève, consignes de l’enseignant à l’élève, etc.). g) L’élève sera fortement influencé par la méthode d’apprentissage qui lui est prescrite pour mettre au point son mode opératoire, c’est-à-dire sa façon de réaliser la tâche. C’est la complexité de la méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite qui, en interaction avec les limitations cognitives d’une personne, placerait celle-ci en situation d’échec (Langevin, Dionne et Rocque, 2004). Par exemple, au regard de l’accessibilité à l’information en mode texte, la complexité peut s’observer aux plans de la lisibilité et de l’intelligibilité (Trudeau, 2003). Au plan de la lisibilité, il y a en français quelques 4400 correspondances entre les phonèmes (sons prononcés) et les graphèmes, soit les façons de les écrire (ex. : le phonème [o] = o, os, ot, op, oh, ho, au, aut, ault, eau, ho, hau, etc.). Ainsi, compte tenu de la possibilité d’une consonne double (tt) et des différents marqueurs de pluriel, nous avons calculé qu’il y aurait au moins 576 façons plausibles d’écrire le simple mot « auto ». D’autres sources de complexité induisent une instabilité morphologique des lettres : majuscules ou minuscules (A a), écriture manuscrite ou imprimée (a a), polices de caractères (a a), style (a a), taille (a a), etc. Au plan de l’intelligibilité, il y a tous les facteurs de complexité liés à l’expression écrite qui peuvent rendre un texte plus ou moins difficile à comprendre : mots choisis, constructions syntaxiques, structure de texte, détails plus ou moins superflus, etc. 2.2 Réduction de la complexité Le but de l’ergonomie au regard des élèves (ou personnes) qui ont des limitations cognitives est de favoriser l’accessibilité à l’information, aux technologies, aux connaissances et aux habiletés indispensables au développement de l’autonomie et à l’atteinte d’une véritable participation sociale. Une veille sur les travaux en ergonomie ainsi que plusieurs mises en application ont Balises et processus d’adaptation 15 mené à l’élaboration d’un processus d’adaptation ergonomique centré sur la réduction systématique de la complexité de la méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite (Langevin, 1996; Langevin, Dionne et Rocque, 2004). En plus des principes généraux d’ergonomie, ce processus distingue trois cas de figure pour concevoir des adaptations et inclut des principes particuliers et des règles d’aménagement au regard de limitations cognitives. 2.2.1 Trois cas de figure Pour la conception d’une adaptation ou d’un aménagement, il est utile de distinguer trois cas de figure : a) Discrète et pour la personne seulement L’adaptation, très discrète, est à l’usage exclusif d’une personne qui a des limitations cognitives (ex. : Un manuel scolaire adapté qui, en apparence, est identique à celui utilisé par les pairs : même page couverture, même thèmes et mêmes illustrations aux mêmes pages, mais les textes sont adaptés). b) Visible, mais pour la personne seulement L’adaptation, quoique bien visible dans l’environnement, est à l’usage exclusif d’une (ou de) personne(s) qui a (ont) des limitations cognitives (ex. : Pour pallier des difficultés de calligraphie et d’orthographe, l’élève a à sa disposition un ordinateur avec plusieurs modalités de soutien à l’écriture, un clavier adapté et une imprimante). c) Utile à tous L’adaptation est non seulement indispensable à la personne, mais elle est aussi utile à tous (ex. : La simplification de pages Web présentant différents services aux citoyens). (ATTENTION : Redondance, ces troiscas de figure ont été présentés plus haut). 2.2.2 Principes particuliers Le premier principe particulier du processus d’adaptation au regard de limitations cognitives est la recherche d’un compromis optimal entre un idéal apparemment impossible à atteindre et une situation actuelle inacceptable (ex. : analphabétisme). Le compromis optimal est le moyen terme le plus favorable entre l’atteinte des finalités et les procédés disponibles, et qui constitue un réel progrès par rapport à la situation actuelle ou à une situation appréhendée d’échec et de handicap. Les deux autres principes particuliers sont au service du premier : Remplacer au besoin une habileté standard par une habileté alternative (autonomie directe). L’habileté alternative repose sur des schémas élémentaires de connaissances adaptés à l’âge mental de l’élève ou à ses connaissances. Soutenir au besoin la réalisation d’une tâche par un dispositif technique ou technologique (autonomie assistée). Toutes les adaptations conçues pour pallier des incapacités visuelles, auditives ou motrices s’inscrivent dans cette idée de compromis optimal. Ainsi, le braille a été pendant longtemps un compromis optimal d’accès à la communication écrite pour les aveugles. Ce n’était pas l’idéal, loin de là, mais c’était infiniment mieux que l’analphabétisme. La nouveauté ici n’est pas le Balises et processus d’adaptation 16 concept de compromis optimal, mais plutôt son application auprès des personnes qui ont des limitations cognitives. - Vaut-il mieux ne pas savoir compter ou être capable de réunir sur demande un nombre d’objets grâce à une « astuce », un « gabarit mental », sans sujétion à autrui? - Vaut-il mieux ne pas savoir utiliser l’argent et être totalement assujetti à son entourage ou maîtriser une stratégie alternative de paiement qui passe inaperçue et qui est tout à fait acceptable socialement? - Vaut-il mieux être continuellement dépendant de son entourage pour tout ce qui concerne la gestion du temps ou pouvoir se situer dans le temps grâce à des outils adaptés? - Vaut-il mieux être analphabète ou maîtriser un code écrit différent de l’orthographe conventionnelle et qui permet de lire des messages, de suivre des consignes écrites, d’écrire des messages et d’être compris de tous, quitte à ne pas avoir accès à l’ensemble du monde écrit? 2.2.3 Règles d’aménagement Quatre règles d’aménagement viennent appuyer ces principes particuliers du processus d’adaptation. Règle 1 : Réduire la complexité de la méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite selon la sévérité des limitations cognitives d’une personne. Cette première règle prescrit le développement de plusieurs niveaux d’adaptation. Des limitations cognitives minimes demanderont des adaptations si légères qu’elles passeront probablement inaperçues, alors que des incapacités intellectuelles importantes exigeront des adaptations si spectaculaires qu’elles risquent de déclencher des débats publics (voir Évaluation du site adapté AccèsSimple dans le présent ouvrage). (ATTENTION : Une série de mesures s’ajouteront ici pour contourner ou mettre à profit les caractéristiques cognitives associées aux incapacités intellectuelles) Règle 2 : Réduire la différence entre ce qui est explicitement présenté et ce que la personne doit comprendre. Voilà bien une règle toute simple en apparence. Mais appliquée à l’ensemble d’une méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite, elle peut donner des maux de tête. Pensons à la présence de pronoms, au recours à des symboles abstraits, à un texte dont la compréhension repose davantage sur des connaissances attendues chez le lecteur que sur les renseignements explicitement fournis, etc. Règle 3 : Respecter les connaissances et les habiletés déjà enseignées à la personne. Les informations nouvelles ne devraient pas les contredire, mais plutôt s’y greffer de façon harmonieuse. Ce respect des enseignements antérieurs passe par une stabilisation morphologique et sémantique des informations. Cette règle ne semble-elle pas aller de soi? Et pourtant, c’est la plus difficile à suivre puisque nos outils de communication, d’échange et de mesures, passés ou actuels, la contredisent constamment : Balises et processus d’adaptation - 17 Le « 4 » d’un cadran analogique qui, pointé par la grande aiguille, signifie 20 (4 = 20!); Un mot masculin qui s’écrit avec un « e » muet (ex. : musée); Les équivalences entre des pièces de monnaie (ex. : 2 GROS [5¢] = 1 petit [10¢]); L’orthographe de la langue française, par l’extrême instabilité des correspondances phonèmes-graphèmes, est la contradiction même de cette règle. Pour éteindre l’ordinateur que j’utilise actuellement, il me faut activer un bouton intitulé « Démarrer ». Règle 4 : Consolider une connaissance ou une habileté nouvelle par son utilisation immédiate et répétée. Cette règle est sans doute applicable à tout apprenant. Elle devient cependant impérative quand il s’agit d’une personne qui a des limitations cognitives. Il faut prévoir, créer, provoquer des occasions d’utilisation du nouvel apprentissage. Les TIC se prêtent particulièrement bien à ce besoin de répétition. Règle 5 : S’assurer que des aménagements conçus pour une personne qui a des limitations cognitives ne nuiront pas à ses pairs sans limitations et, si possible, les aideront. Cette règle n’exclut pas le recours à une adaptation potentiellement nuisible pour les pairs sans limitations. Elle exige simplement qu’ils n’y soient pas exposés. Ces règles sont si simples qu’elles paraissent anodines. Elles sont formulées de façon si générale qu’elles peuvent s’appliquer à tout, notamment à l’utilisation des TIC et à l’accessibilité à l’information. Elles sont si contraignantes qu’elles forcent à envisager les problèmes sous un angle nouveau. Et certaines sont si radicales, qu’il est impossible de les appliquer à la lettre. En fait, le degré d’application des règles 2, 3 et 4 sera déterminé par la sévérité des limitations cognitives prises en compte. Discussion Cette approche s’inscrit dans une perspective d’accessibilité universelle (Preiser et Ostroff, 2001) et dans l’esprit de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées (Gouv. Québec, 2004). D’abord utilisé à l’égard des incapacités motrices et appliqué à l’architecture, le concept d’accessibilité s’est peu à peu étendu à d’autres incapacités et pour d’autres domaines d’application. L’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives constitue la dernière frontière à franchir. Les balises et le processus présentés ici peuvent être combinés à d’autres propositions dans cette perspective comme le « W3C », un ensemble de directives pour concevoir des sites Web plus accessibles (World Wide Web Consortium, 1999), et le « SavoirSimplifier », un ensemble de règles à suivre pour simplifier un texte (Inclusion Europe - ILSMH, 1998). Le chapitre suivant présente des modalités de présentation en mode texte qui ont été conçues dans le cadre de ces balises et en appliquant le processus d’adaptation. Balises et processus d’adaptation 18 (sans incapacités intellectuelles ) 14 Â g e m e n t a l 12 arrêt prématuré 10 ralentissement prématuré 8 moindre efficience 6 (avec incapacités intellectuelles) retard accentué 4 retard 2 fixation anormalement longue 2 4 6 8 10 12 14 Âge chronologique Fig. 1 Caractéristiques cognitives mises en évidence par deux courbes de développement (Reproduction d’une source à inscrire ici). Balises et processus d’adaptation 19 AAMR, 2002; Bouchard et Dumont, 1996; Brodin, 2003; Bronfenbrenner, 1996; 1993; Buhler, 1999; Dever (1988, 1997) Dionne, Langevin, Paour et Rocque (1999) DSM-IV, 1994?; El Shourbagi, 2007 Fougeyrollas, 1996; Gouvernement du Canada, 2000; 2003; Gouvernement du Québec (2004). Loi assurant l’exercice des droits aux personnes handicapées. Imrie et Hall, 1998; Inclusion Europe - ILSMH, 1998 LELAND, H. et SHOAEE, M. (1981). Adaptive behavior children’s scale development. Ohio State University. Leplat, 1980; Langevin, 1996; Langevin, Dionne et Rocque, 2003 Langevin, Dionne et Rocque, 2004) LARSON, S.A .; ANDERSON, L.L.; LAKIN, K.C.; KWAK, N. (2000). Prevalence of mental retardation and/or developmental disabilities : analysis of the 1994/1995 NHIS-D. MR/DD Data Brief, Research and Training Center on Community Linving, Institute on Community Integration (UAP), 2 (1) : 1-11. 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