Balises à l`utilisation des TIC auprès d`élèves qui ont des

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Balises et processus d’adaptation
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Titre :
Balises et processus d’adaptation pour l’utilisation des TIC et pour
l’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives
Auteurs :
LANGEVIN, Jacques et ROCQUE, Sylvie (du Groupe DÉFI Apprentissage).
Résumé : Les technologies ont contribué à faciliter l’accessibilité à l’information aux personnes qui ont des
incapacités motrices ou sensorielles. Mais les personnes qui ont des limitations cognitives demeurent négligées en
matière d’accessibilité. Ce texte présente six balises pour guider l’utilisation des TIC, ainsi qu’un processus
d’adaptation ergonomique favorisant l’accessibilité à l’information pour les personnes qui ont des limitations
cognitives.
Avec un taux de prévalence d’au moins 1,58 % (Larson et al., 2000), soit au moins 110 000
personnes au Québec et 520 000 au Canada, les incapacités intellectuelles1 forment le type
d’incapacités le plus fréquent. La majorité des personnes qui ont des incapacités intellectuelles
légères et pratiquement toutes celles qui ont des incapacités moyennes à sévères demeurent
analphabètes après 16 ans d’école, devenant des adultes dépendants et isolés socialement
(Bouchard et Dumont, 1996).
Mais les incapacités intellectuelles constituent une forme extrême d’un phénomène beaucoup
plus répandu de limitations causées par l’interaction entre des caractéristiques personnelles et des
tâches de nature cognitive. On estime en effet qu’environ 30 % des citoyens auraient des
limitations cognitives (Trudeau, 2003). Ces personnes ont peu ou n’ont pas accès à
l’information écrite parce qu’elles ont du mal à lire pour différentes raisons (analphabétisme,
dyslexie, maîtrise insuffisante de la langue de la majorité, incapacités intellectuelles, etc.). Durant
leur vie scolaire, elles éprouvent de grandes difficultés et plusieurs d’entre elles ne terminent pas
leurs études secondaires. À l’âge adulte, ces personnes sont d’autant plus susceptibles de vivre
des expériences d’exclusion dans une société du savoir qu’elles demeurent les plus négligées en
matière d’accessibilité (Imrie et Hall, 1998; ONU, 1995). C’est notamment le cas dans le
domaine de l’accessibilité à l’information facilitée par la technologie (˝accessible information
technology˝) où les efforts portent généralement sur le design d’interfaces conviviales pour des
incapacités motrices, visuelles ou auditives (Gouvernement du Canada, 2000; 2003). À ce jour
dans ce domaine, peu de moyens ont été proposés pour pallier des limitations cognitives et
donner accès à l’information pour ces personnes qui ont du mal à lire, soit au plan du décodage
ou à celui de la compréhension. À l’exclusion scolaire et sociale s’ajouterait maintenant
l’exclusion technologique (Buhler, 1999; Brodin, 2003; Rocque et Desbiens, 2007).
Depuis 1985, notre équipe consacre ses efforts de recherche et d’innovation à l’éducation des
élèves qui ont des incapacités intellectuelles. Nos travaux ont nécessité l’identification de balises
et l’élaboration d’un processus d’adaptation pour la conception de produits ou de procédés
d’intervention. Nous proposons que ces balises et ce processus soient considérés pour l’utilisation
des TIC et pour l’accessibilité à l’information non seulement à l’égard d’incapacités
intellectuelles, mais aussi, dans une perspective plus large, de limitations cognitives. Ce sont ces
1
Incapacités intellectuelles : Nouvelle désignation pour « retard mental », « déficience intellectuelle », « handicap
mental », etc., c’est-à-dire un fonctionnement intellectuel général significativement sous la moyenne (QI inférieur à
70) accompagné de limitations au plan du comportement adaptatif (AAMR, 2002; DSM-IV, 199?). On distingue
généralement trois niveaux de sévérité : les incapacités intellectuelles légères (QI de 55 à 70), moyennes (QI de 40 à
55) et sévères (QI < 40).
Balises et processus d’adaptation
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balises et ce processus qui ont servi de guide à la conception des modalités d’adaptation de textes,
présentées aux deux chapitres suivants, en vue d’applications pour l’éditique (ex. manuels
scolaires, livres de lecture), pour l’utilisation des TIC en soutien à l’apprentissage, ainsi que pour
la culture et l’informatique (ex. contenus Web).
1. Balises
Les fondements de l’éducation des élèves qui ont des incapacités intellectuelles sont constitués de
lois, de politiques, ainsi que de savoirs tirés de différentes disciplines (orthopédagogie,
psychologie, ergonomie, orthophonie, psychoéducation, etc.). Sur la base de ces fondements,
notre équipe utilise six balises pour concevoir des produits ou procédés d’intervention auprès de
ces élèves :
- le droit à des adaptations;
- le contexte d’inclusion;
- une approche écosystémique et un postulat écologique;
- les caractéristiques cognitives associées aux incapacités intellectuelles;
- les finalités de leur éducation;
- le choix d’objectifs pertinents.
Nous proposons que ces balises servent aussi de guide à l’utilisation des TIC et à l’accessibilité à
l’information au regard de limitations cognitives. Comme en navigation maritime, ces balises
indiquent la route à suivre ou signalent les dangers à éviter.
1.1 Le droit à des adaptations
Selon le principe de normalisation (Nirje, 196?), toute personne devrait avoir la possibilité de se
développer et de vivre dans les conditions les plus normales possibles. En conséquence, les
chartes, les lois et les politiques en vigueur au Canada et dans plusieurs pays font la promotion de
l’inclusion scolaire et sociale des personnes handicapées. Et qui dit inclusion, dit adaptations.
C’est le principe même de l’obligation d’accommodement selon lequel la personne handicapée a
droit à des adaptations pour pallier ses incapacités afin de réaliser des activités en contexte
d’inclusion.
Le droit à des adaptations n’est pas assuré, surtout dans le cas de limitations invisibles comme
celles de nature cognitive. Dans les expériences d’adaptation de textes que nous menons, en
milieu scolaire ou sur un site internet, pour des élèves ou des citoyens qui ont des incapacités
intellectuelles, il n’est pas rare que ce droit soit nié. Pour certains, l’adaptation est perçue comme
un privilège accordé à un individu qui ne le mérite pas. Pour d’autres, elle est injuste parce
qu’elle réduit les exigences que l’individu a à satisfaire. Pour d’autres encore, le recours à des
adaptations va à l’encontre d’un principe de normalisation faussement interprété comme étant
l’obligation, pour l’individu qui a des incapacités intellectuelles, d’atteindre les mêmes objectifs,
au même rythme et de la même manière que ses pairs sans incapacités. C’est comme si on offrait
à un élève qui a des incapacités visuelles de fréquenter une classe ordinaire, en lui interdisant
toutefois l’usage de manuels en braille parce que les autres élèves utilisent des manuels « en
noir ». En fait, le principe de normalisation accepte et même exige des adaptations, comme
l’affirme au Québec la loi 56 « assurant l’exercice des droits des personnes handicapées »
(Gouvernement du Québec, 2004).
Balises et processus d’adaptation
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Si des résistances à offrir des adaptations se manifestent dans le cas des personnes qui ont des
incapacités intellectuelles et qui sont donc officiellement reconnues comme handicapées, on peut
facilement imaginer que les résistances seront au moins aussi importantes pour des personnes qui
ont « seulement » des limitations cognitives et qui ne sont, par conséquent, pas protégées par les
lois. Certaines réactions suscitées par le site adapté AccèsSimple de la Ville de Montréal (2005)
semblent confirmer ces appréhensions2. C’est pourquoi, aussi trivial que cela puisse paraître,
nous suggérons que les personnes qui ont des limitations cognitives aient droit à des adaptations,
et que ce droit serve de première balise à l’utilisation des TIC et à l’accessibilité à l’information
au regard de limitations cognitives.
1.2 Le contexte d’inclusion
Le contexte d’inclusion est plus exigeant que celui d’exclusion parce qu’il impose de nombreuses
contraintes à respecter en fonction des pairs sans incapacités, particulièrement en milieu scolaire
(horaire à respecter, programme à couvrir, etc.). Le concept d’inclusion peut également
s’appliquer à un espace virtuel comme un site internet destiné au grand public. Reconnaître
l’existence des contraintes liées au contexte d’inclusion n’est pas une prise de position en faveur
de l’exclusion. Bien au contraire, nous affirmons que la prise en compte de ces contraintes dans
le processus de conception d’une adaptation est absolument essentielle pour en assurer
l’efficacité. C’est pourquoi nous proposons que le contexte d’inclusion serve de deuxième balise
à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information quand sont considérées des limitations
cognitives. Dans cette optique, on peut envisager trois cas de figure :
a) L’adaptation est à l’usage exclusif de la personne, et elle est si discrète que ses pairs en
ignorent l’existence. Par exemple, sur l’ordinateur de l’élève, des modifications sont
apportées aux textes pour en accroître la lisibilité (police de caractères, taille des caractères,
espace entre les mots, etc.).
b) L’adaptation est utile uniquement à la personne, mais elle est cette fois bien visible dans
l’environnement, d’où l’importance qu’elle soit « neutre » pour les pairs ou, à tout le moins,
que des précautions soient prises pour éviter qu’elle ne leur soit nuisible. Nous considérons
que l’option « ortograf altêrnativ » sur le site AccèsSimple de la Ville de Montréal constitue
un exemple de ce cas de figure. Bien en vue sur le site, un bouton permet à l’internaute
d’activer la présentation des textes dans ce mode alternatif de communication. Un
avertissement, qui précède l’apparition des textes, l’informe cependant que ce mode de
communication est destiné exclusivement aux citoyens qui ont des incapacités intellectuelles
importantes et l’invite à prendre connaissance des raisons qui justifient cette adaptation dans
la section « Pourquoi ce site? ».
c) L’adaptation est non seulement bien visible dans l’environnement et indispensable à la
personne, mais elle est de plus utile à ses pairs sans limitations. L’option « texte simplifié »
sur le même site AccèsSimple correspond à ce cas de figure. Conçus pour aider les citoyens
qui ont des limitations cognitives à accéder à des informations de base sur les services de la
Voir plus loin dans cet ouvrage, Rocque, Rioux et Langevin, Accessibilité à l’information et incapacités
intellectuelles…
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Balises et processus d’adaptation
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Ville, les textes présentés dans cette version simplifiée peuvent aussi être appréciés par des
internautes sans limitations justement parce qu’il est plus facile d’y repérer l’information
essentielle.
Dans ces trois cas de figure, l’adaptation doit satisfaire deux exigences de base. Elle doit d’abord
répondre aux besoins de la personne qui a des limitations cognitives en termes d’accessibilité à
l’information. Elle doit aussi éviter de nuire aux pairs sans limitations.
1.3 Une approche écosystémique et un postulat écologique
Les travaux en matière d’adaptation s’inscrivent généralement dans une approche écosystémique
centrée sur l’interaction Personne-Milieu (Bronfenbrenner, 1996; 1993). Pour les personnes
handicapées, cette approche a été intégrée dans le processus de production de situations de
handicap. Selon ce processus, des éléments de l’environnement, en interaction avec les
déficiences ou les incapacités d’une personne, peuvent constituer des obstacles à la réalisation
d’activités et placer la personne en situation de handicap (Fougeyrollas, 1996; SCCIDIH, 1996;
Rocque, Trépanier et coll., 1994). Par exemple, des éléments architecturaux, comme un escalier,
peuvent être facteurs d’obstacle pour une personne en fauteuil roulant. Selon ce modèle, l’échec
d’une personne à réaliser une activité ou un apprentissage n’est pas imputable à ses seules
incapacités. Cet échec découle plutôt d’une inadéquation des éléments environnementaux avec
les caractéristiques de la personne. Dans cette approche, l’identification des facteurs d’obstacle
spécifiques à des incapacités particulières devient une clé maîtresse pour la conception
d’adaptations ou d’aménagements qui élimineront ou réduiront ces obstacles, permettant à la
personne de réaliser l’activité malgré ses incapacités.
Rocque (1999 : 116) a proposé de transposer, à l’éducation, un postulat fondamental3 de
l’écologie générale, soit que « les limitations imposées par le milieu deviennent opérantes bien
avant que les limitations intrinsèques de la personne ne soient atteintes ». Plus les limitations de
l’élève seront sévères, plus les conditions défavorables à l’apprentissage agiront en force. Dans
cette perspective, l’échec n’est plus imputable à l’élève seul, mais plutôt à l’absence ou à
l’insuffisance des conditions environnementales très particulières dont cet élève aurait besoin
pour apprendre ou réaliser une activité, compte tenu de ses caractéristiques. Nous proposons que
cette approche écosystémique et, en particulier, que ce postulat écologique servent de troisième
balise à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations
cognitives.
1.4 Les caractéristiques cognitives associées aux incapacités intellectuelles
Dans une perspective écosystémique axée sur l’interaction entre des limitations cognitives et des
éléments environnementaux qui présentent de l’information écrite, il y deux raisons majeures de
s’intéresser aux caractéristiques associées aux incapacités intellectuelles. D’abord, comme elles
sont bien définies, il est relativement facile d’en simuler les effets dans la réalisation d’une tâche
de nature cognitive. Deuxièmement, en l’absence d’adaptations appropriées, leurs effets donnent
lieu à d’importantes limitations en ce qui concerne l’accès à l’information écrite. En effet, la
Postulat de l’écologie générale : Les limitations imposées par le milieu agissent bien avant celles de l’organisme
vivant (Rocque, 1999 : 63).
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Balises et processus d’adaptation
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majorité des élèves qui ont des incapacités intellectuelles légères et pratiquement tous ceux qui
ont des incapacités moyennes à sévères demeurent analphabètes après 16 ans d’école. Un
processus d’adaptation qui prendrait compte de telles caractéristiques serait donc très sensible à
tout élément environnemental défavorable à l’apprentissage ou à la réalisation de tâches de nature
cognitive, notamment celles qui impliquent le traitement de l’information écrite et l’utilisation
des TIC.
Le concept d’incapacités intellectuelles correspond chez un individu à : a) une moindre efficience
intellectuelle généralisée en référence à un groupe de même âge chronologique, ce qui se traduit
par un quotient intellectuel inférieur à 70, et b) une inadaptation sociale d’autant plus précoce que
les incapacités sont importantes. Paour (1991) a recensé 24 caractéristiques cognitives associées à
ces deux constats. Dionne, Langevin, Paour et Rocque (1999) ont proposé un regroupement en
cinq caractéristiques majeures. Ces caractéristiques prédisposent la personne à vivre des
situations d’échec récurrentes et généralisées dans un monde conçu par et pour des gens
intelligents. Ces caractéristiques ont trait au développement et au fonctionnement intellectuel. La
mise en évidence de ces caractéristiques prend généralement appui sur l’une ou l’autre des deux
comparaisons suivantes :
À âge mental égal :
La personne est comparée à des individus plus jeunes mais sans
incapacités intellectuelles et du même âge mental qu’elle.
À âge chronologique égal :
La personne est comparée à ses pairs sans incapacités
intellectuelles du même âge réel.
Pour chaque caractéristique nous présenterons une courte description de son impact possible sur
l’éducation ou sur la réalisation d’une tâche cognitive.
1.4.1 Lenteur et retard du développement
Le retard de développement correspond à un écart significatif entre l’âge mental et l’âge
chronologique d’un individu, avec un quotient intellectuel égal ou inférieur à 70.
Si, au début de l’école primaire, les objectifs et les moyens d’intervention correspondent à l’âge
chronologique de l’élève qui a des incapacités intellectuelles, ce dernier est placé
systématiquement en situation d’échec. Après deux ou trois ans, on invoquera cet échec et l’âge
mental de l’enfant pour justifier son placement en classe spéciale. Si, au contraire, les objectifs et
procédés d’intervention sont choisis en fonction de son âge mental, l’élève est non seulement
exclu des activités proposées à ses pairs sans incapacités, mais il subit de plus un processus
d’infantilisation. L’écart entre l’âge mental et l’âge chronologique pose un dilemme pédagogique,
apparemment sans solution, parce qu’il confronte continuellement l’individu à des tâches qui
exigent de lui des habiletés qu’il ne maîtrise pas.
Ce dilemme n’est que la version extrême d’un problème auquel sont régulièrement confrontées
les personnes qui ont des limitations cognitives dans leurs rapports avec l’information écrite.
Ainsi, si vous choisissez des textes conformes aux intérêts d’adultes analphabètes, ils n’arriveront
pas à les lire et se décourageront. Si vous sélectionnez plutôt des textes correspondant à leurs
habiletés de débutants, ils perdront tout intérêt à les lire puisque ces textes sont normalement
destinés à des enfants de 6 ans (voir 1.6 et 1.7).
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1.4.2 Ralentissement et arrêt prématuré du développement
Chez l’enfant qui présente des incapacités intellectuelles, le retard s’accentue avec l’âge. En fait,
le développement de ses structures de pensée ralentit progressivement puis s’arrête à
l’adolescence et demeure inachevé.
Chez les personnes qui ont des incapacités intellectuelles légères, le développement s’arrête
généralement au début du stade opératoire concret. Placées devant un problème trop complexe,
ces personnes auront tendance à revenir à un mode de pensée préopératoire. Chez les personnes
présentant des incapacités plus importantes, le développement des structures cognitives
demeurera à un stade préopératoire où la pensée est esclave des perceptions, des apparences (ex.
X est plus âgé que Y parce qu’il est plus grand), et a du mal à tenir compte de plus d’un critère à
la fois. Cette forme de pensée fonctionne avec des absolus (on est jeune ou vieux, grand ou petit)
et n’arrive pas à saisir le caractère relatif des choses que l’on compare. L’arrêt prématuré du
développement augmente l’impact de la caractéristique précédente. En effet, si le développement
était « seulement » en retard, le recours à l’âge mental comme balise au choix des objectifs
d’intervention pourrait se justifier puisque, lentement mais sûrement, le développement finirait
bien par arriver à terme. Cette deuxième caractéristique prescrit au contraire que l’intervention
prévoit l’inachèvement des structures de pensée en proposant à l’élève une façon de réaliser une
tâche qui n’exigera pas une pensée opératoire.
Cette deuxième caractéristique force à adopter des mesures à long terme pour pallier des
limitations permanentes. Tout comme il est faux de croire que les incapacités intellectuelles d’un
individu s’atténueront avec le temps, il est tout aussi illusoire d’espérer que le taux de prévalence
des limitations cognitives diminuera rapidement au cours des prochaines décennies. Une véritable
société du savoir devrait accepter qu’une partie importante de la population aura toujours des
limitations cognitives et, en conséquence, prendre des mesures spéciales pour ouvrir à ces
citoyens l’accès à l’information écrite.
1.4.3 Moindre efficience du fonctionnement intellectuel
Cette moindre efficience serait due à des déficits spécifiques du fonctionnement intellectuel.
Même si le consensus est difficile à faire dans ce domaine, on s'entend généralement sur les sous
caractéristiques suivantes liées à la moindre efficience de fonctionnement :

Moindre efficience des processus de traitement de base de l’information où des
« déficits » spécifiques ont été identifiés. Les plus connus sont :
a) Déficit de l’attention sélective. La personne a du mal à porter attention aux
informations pertinentes, surtout si celles-ci sont abstraites et symboliques. Son
attention sera plutôt dirigée vers les dimensions les plus « saillantes » (concrètes et
attirantes) des stimuli. Comme la personne ne sélectionne pas les « bonnes »
informations, c’est tout son processus de traitement de l'information qui s’en trouve
faussé. Des mesures spéciales devront donc être prises pour « canaliser » l’attention
de l’individu sur ce qui est pertinent.
+
Balises et processus d’adaptation
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b) Déficit de la mémoire de travail. Chez l’adulte normal, la mémoire de travail peut
maintenir temporairement actives (une dizaine de secondes) de 5 à 9 informations
pour leur traitement. Les personnes qui ont des incapacités intellectuelles auraient
un déficit spécifique à ce niveau, les rendant particulièrement vulnérables à la
rapidité ainsi qu'à la quantité des informations qui leur sont soumises.

Moindre efficience systématique en situation de résolution de problèmes. Même à âge
mental égal, on constate chez les personnes qui ont des incapacités intellectuelles une
difficulté générale en situation de résolution de problèmes, surtout lorsqu’elles doivent
définir par elles-mêmes la nature du problème. Les situations de résolutions de problème
sont donc peu propices à l’apprentissage pour ces personnes. Elles bénéficieront
davantage de situations d’enseignement structuré.

Manque de stratégies cognitives et métacognitives et difficulté à les mettre en œuvre
spontanément. Ces personnes traitent l’information moins activement et moins
efficacement, soit parce qu’elles ne disposent pas de stratégies efficaces de mémorisation
et d’apprentissage, soit parce qu’elles ne savent pas les mettre en œuvre spontanément. En
vue de la réalisation d’une tâche cognitive, il faudra donc proposer à la personne une
stratégie facile à maîtriser parce que (notamment) compatible avec une pensée
préopératoire. Il faudra sans doute aussi prévoir une mnémotechnique ou un indice
quelconque qui rappellera à la personne de mettre en œuvre cette stratégie au moment
opportun.

La différence d’efficience augmente en fonction de la complexité de la tâche. Plus la
tâche est complexe, plus la différence d’efficience augmente à âge chronologique égal et
même à âge mental égal.
La moindre efficience du fonctionnement intellectuel prescrit comme principale adaptation la
réduction de la complexité de ce qui sera présenté à la personne. Que ce soit pour des incapacités
intellectuelles ou des limitations cognitives moindres, la réduction de la complexité sera au cœur
du processus d’adaptation (voir notamment 2.1 et 2.2).
1.4.4 Base de connaissance pauvre et mal organisée
Une information ne peut pas être comprise si les connaissances nécessaires à son traitement ne
sont pas disponibles en mémoire à long terme. Or, on constate chez les personnes qui ont des
incapacités intellectuelles que leur base de connaissances est pauvre, c'est-à-dire qu'elle contient
peu de connaissances, et que celles-ci sont mal organisées, reflet d’une pensée préopératoire.
Cette caractéristique implique plusieurs contraintes pour l’intervention : fournir explicitement
tout ce dont la personne a besoin pour comprendre au lieu de présumer qu’elle possède déjà les
connaissances nécessaires, choisir des mots simples tirés du vocabulaire courant, éviter l’emploi
de synonymes, etc.
Au lieu de présumer des connaissances chez la personne qui a des limitations cognitives, cette
caractéristique incite au contraire à lui présenter l’information dans des mots simples et en lui
fournissant tout ce dont elle aura besoin pour comprendre.
Balises et processus d’adaptation
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1.4.5 Difficultés de transfert et de généralisation
Non seulement les personnes qui ont des incapacités intellectuelles ont-elles du mal à apprendre,
mais elles éprouvent en plus des difficultés à utiliser dans un autre contexte, même en apparence
semblable, une connaissance ou une habileté apprise dans un contexte précis (difficulté de
transfert), ou encore, elles ont du mal à utiliser dans différents contextes, une stratégie maîtrisée
dans un contexte (difficulté de généralisation). Pour contrer cette caractéristique, il faudra fournir
à la personne un soutien au transfert ou à la généralisation.
Au lieu de présumer que la personne qui a des limitations cognitives effectuera elle-même le
transfert d’une nouvelle connaissance ou habileté dans un autre contexte, cette caractéristique
exige plutôt de prévoir des soutiens au transfert (à discuter avec Hajer).
L’expérience de l’échec associée à ces grandes caractéristiques cognitives favorise par ailleurs le
développement de caractéristiques non cognitives qui auront aussi un impact négatif sur
l’apprentissage (faible motivation, faible estime de soi, certitude anticipée de l’échec, faiblesse du
degré d’exigence face à une tâche et pauvreté des investissements dans la tâche, système
d’attribution des échecs inadapté4, absence ou inadéquation du scénario de vie).
Nous proposons que ces caractéristiques cognitives et les contraintes qu’elles génèrent servent de
quatrième balise à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations
cognitives. Le recours à cette balise dans la conception d’une adaptation aura pour objectifs : a)
de contourner ou d’exploiter ces caractéristiques cognitives au profit de l’apprentissage ou de la
réalisation de tâches, et b) de contrer le développement des caractéristiques non cognitives en
faisant vivre à la personne des situations de réussite.
1.5 Les finalités de leur éducation
Il va de soi que l’adaptation souhaitée des TIC au regard de limitations cognitives s’inscrit ici
dans un cadre éducationnel, ce qui signifie que l’utilisation des TIC sera au service des finalités
de l’éducation des personnes qui ont de telles limitations. Comme pour les caractéristiques, nous
proposons de baser la réflexion sur les finalités de l’éducation des personnes qui ont des
incapacités intellectuelles, soit le développement de l’autonomie et l’atteinte d’une véritable
participation sociale. Ces finalités présentent l’avantage de faire consensus. Comme les buts et les
objectifs d’intervention découleront de ces finalités, il est indispensable d’en avoir une vision
aussi précise que possible. Nous présentons ici un résumé de travaux de clarification menés sur
ces concepts.
1.5.1 Autonomie
L’autonomie est la capacité d’une personne à décider, à mettre en œuvre ses décisions et à
satisfaire ses besoins particuliers sans sujétion5 à autrui (Rocque, Langevin, Drouin et Faille,
1999, p. 39). On distingue deux sphères, l’autonomie de décision et l’autonomie d’exécution.
Chacune de ces sphères est applicable à trois types d’autonomie, soit l’autonomie de base,
C’est-à-dire que la personne a tendance à attribuer les échecs à ses propres incapacités et non à des conditions
d’apprentissage ou de réalisation défavorables.
5
Être assujetti à autrui signifie être soumis à ce tiers, être sous sa domination ou encore être contraint par sa volonté
ou par son pouvoir (Rocque et coll., 1999 : 43)
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Balises et processus d’adaptation
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l’autonomie fonctionnelle et l’autonomie générale. Pour les personnes qui ont des limitations
cognitives, on donnera priorité aux deux premiers types. L’autonomie de base est limitée aux
actions et aux décisions essentielles au maintien de la vie (idem, p. 71). On pense ici à des
conduites peu influencées par le code social ou culturel et qui ont trait à l’alimentation,
l’habillement, l’hygiène corporelle, la mobilité et le sommeil. L’autonomie fonctionnelle permet
de prendre des décisions et d’exercer les activités nécessaires au déroulement adéquat de sa vie
au sein d’un groupe ou d’une collectivité (idem, p. 59). Les enjeux de l’adaptation des TIC et de
l’accessibilité à l’information ont surtout trait à l’autonomie fonctionnelle.
Dans chaque sphère et pour chaque type, on peut aussi considérer trois formes d’expression de
l’autonomie :
 Autonomie directe : Forme d’autonomie qui s’exprime sans intermédiaire, de nature
humaine ou matérielle (idem, p. 78). On notera que l’autonomie directe inclut les
habiletés standard et les habiletés alternatives (idem, p. 92). Une habileté alternative est
définie comme étant une habileté mise en œuvre de façon différente de celle qui prévaut
généralement dans une socioculture spécifique pour la réalisation d’une tâche donnée.

Autonomie assistée : Forme d’autonomie qui s’exprime à l’aide d’un dispositif ou
d’aménagements du milieu destinés à augmenter, amplifier, élargir, réguler ou répartir
l’effort consenti par une personne (idem, p. 79). Le recours aux TIC peut évidemment
jouer un rôle majeur à ce niveau pour réduire les dépendances d’une personne.

Autonomie déléguée : Forme d’autonomie qui s’exprime en confiant librement à autrui
les actions et les décisions (idem, p. 81). La sujétion à autrui est ici librement consentie,
voire recherchée (ex. confier l’entretien ménager de la maison à quelqu’un).
En combinant les deux sphères, les deux types prioritaires et les trois modes d’expression, on
obtient douze façons de réduire les dépendances d’une personne face à une tâche. À ce propos,
une autre façon de cerner ce qu’est l’autonomie est d’identifier avec précision tout ce qu’un
individu (adulte) autonome devrait être en mesure de décider et d’exécuter. C’est ce que Dever
(1988, 1997) a proposé dans une taxinomie des habiletés nécessaires à la vie communautaire qui
a fait l’objet d’une importante validation. Elle comprend 77 buts et 1070 objectifs répartis en cinq
domaines : S (soins personnels et développement), V (vie résidentielle et communautaire), P (vie
professionnelle), L (loisirs) et D (déplacements). Cette taxinomie n’indique toutefois pas le
chemin à suivre pour préparer une personne à devenir autonome. Dever la présente non pas
comme un trajet à suivre, mais plutôt comme une destination à atteindre. Cette taxinomie peut
notamment servir à l’identification de tâches qui exigent des habiletés alphabètes et pour
lesquelles des aides technologiques seraient utiles (ex. préparation de la liste des achats à faire à
l’épicerie).
ICI
1.5.2 Participation sociale
La participation sociale est un processus par lequel un individu ou un groupe d’individus
s’associe et prend part aux décisions et aux actions d’une entité ou d’un regroupement de niveau
plus global, relativement à un projet de plus ou moins grande envergure. Elle peut aussi référer
au résultat de ce processus (Rocque et coll., 2002, p. ??). La participation sociale impliquant
Balises et processus d’adaptation
10
également les sphères de décisions et d’exécution, on peut difficilement concevoir l’atteinte
d’une véritable participation sociale sans un minimum d’autonomie. Soulignons par ailleurs que
les grands organismes et services publics sont particulièrement la participation sociale
Nous proposons que les finalités d’autonomie et de participation sociale servent de cinquième
balise à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à l’information au regard de limitations
cognitives. L’autonomie fonctionnelle, tant pour la décision que pour l’exécution, le recours à
des habiletés alternatives (autonomie directe) ou à des aides techniques ou technologiques
(autonomie assistée), ainsi que le soutien d’un membre de l’entourage choisi par la personne
(autonomie déléguée) sont autant de pistes intéressantes pour que l’utilisation des TIC contribue
pleinement à l’atteinte de ces finalités.
1.6 Le choix d’objectifs pertinents
Les finalités doivent être transposées en buts et objectifs pour former un curriculum de formation,
de 5 ans à l’âge adulte. Cela constitue un défi majeur considérant que les incapacités
intellectuelles se caractérisent par un écart important entre l’âge chronologique d’un individu et
son âge mental. Depuis que les élèves qui ont des incapacités intellectuelles ont droit à
l’éducation, cet écart confronte les pédagogues à un dilemme quant au choix des objectifs
d’apprentissage. Des objectifs choisis en fonction de l’âge mental infantilisent l’élève et
l’éloignent des finalités poursuivies, alors que des objectifs choisis selon l’âge chronologique
placent systématiquement l’élève en situation d’échec.
Depuis que les élèves qui ont des incapacités intellectuelles ont droit à l’éducation, cet écart entre
l’âge mental et l’âge réel confronte les pédagogues à un dilemme quant au choix des objectifs
d’apprentissage. Des objectifs choisis en fonction de l’âge mental infantilisent l’élève, alors que
des objectifs choisis selon l’âge chronologique placent systématiquement l’élève en situation
d’échec. Les pédagogues qui oeuvrent en alphabétisation d’adultes connaissent un dilemme
semblable. Alors que leurs élèves ont des intérêts d’adultes, leur niveau d’habileté en lecture
ressemble à celui d’un enfant de 6 ans. Conséquemment, des textes conçus pour des adultes leur
seront inaccessibles, alors que des textes correspondant à leur niveau de compétence seront
infantilisants et démotivants.
Par exemple, il est souvent recommandé de « respecter le rythme d’apprentissage de l’élève ».
Malgré ses apparences louables, une telle recommandation…
Une solution a été proposée à ce dilemme (Langevin, Dionne et Rocque, 2003). Elle consiste à
choisir les objectifs selon l’âge chronologique et à adapter l’intervention selon l’âge mental et les
caractéristiques associées aux incapacités. Cette solution permet d’envisager un curriculum de
formation où chaque habileté essentielle à l’autonomie est enseignée à l’âge approprié. À partir
de différentes études sur les habiletés nécessaires pour être autonome (notamment Leland et
Shoaee, 1981; Dever, 1988; El Shourbagi, 2007), nous avons élaboré une première proposition de
curriculum de formation. Ce curriculum comprend cinq sphères d’habiletés à maîtriser à l’âge
approprié (habiletés numériques, habiletés de lecture et d’écriture, habiletés de gestion du temps,
habiletés de gestion de l’argent et habiletés d’orientation-déplacement). La répartition des
habiletés présentée à la figure 2 couvre la petite enfance (0 à 5 ans), la maternelle (5-6 ans), le
primaire (6 à 12 ans), le secondaire et la période de transition école/travail (13 à 21 ans), ainsi
que le début de l’âge adulte. L’emplacement de chaque habileté dans la figure correspond à l’âge
Balises et processus d’adaptation
11
approprié à sa maîtrise, c’est-à-dire l’âge auquel les pairs sans incapacités maîtrisent l’habileté
standard correspondante. Il est important de souligner que ce curriculum est manifestement
incomplet. Il est en effet centré sur des habiletés alphabètes et les activités qui exigent de telles
habiletés. Les élèves qui ont limitations cognitives ont aussi droit à des activités d’arts plastiques,
de musique, de langue seconde, de sciences, de sport, etc. Mais nous estimons que la situation
actuelle de ces élèves, caractérisée par l’analphabétisme et la dépendance au terme de 16 années
d’école, exige que les habiletés alphabètes essentielles à l’autonomie soient clairement identifiées
et considérées prioritaires dans les plans d’intervention. C’est l’objectif premier de cette
opération.
1.7 L’adaptation de l’intervention
(ATTENTION : ce point 1.7 sera nouveau. Il découlera d’une révision – à venir – du point 1.6
qui scindera la « solution au dilemme » en deux parties, une appliquée aux choix des objectifs,
l’autre appliquée aux procédés d’intervention)
Balises et processus d’adaptation
12
S’ORIENTER (ESPACE)
Dans la maison*, l’école P*, le quartier*, l’école S*, la ville*
Avant/après*
Transport scolaire*
Transports publics*
S’ORIENTER (TEMPS)
Avant/après*, horaire,
heure, agenda Utiliser appareils (réveil)
calendrier
Estimer le temps
H
A
B
I
L
E
T
É
S
Mesurer des
quantités (recettes)
UTILISER des appareils
ordinateur
automatique
A
L
P
H
A
B
È
T
E
S
guichet
app. ménagers
UTILISER L’ARGENT
Reconnaître les pièces et billets
Payer
factures
Distinguer les 1$*, les 10$*
Préparer- faire
les courses*
Payer* Payer* S’initier à l’épargne*
(<10$) (>10$) Utiliser un livret
Conscience phonologique*
Planifier
revenus/
dépenses
Correspondances
graphème/phonème
LIRE
Mots, phrases, textes,
documents
ÉCRIRE
Mots,
phrases
UTILISER LES NOMBRES
HNI*
Nombres < 100,
nombres > 100
(0 à 9) Écrire des chiffres, utiliser une calculatrice*
Comprendre des symboles
0
5-6
petite enfance maternelle
13
primaire
secondaire
18
21
transition adulte
école/travail
âge chronologique et périodes de vie
Fig. 2 Répartition des habiletés alphabètes essentielles à l’autonomie dans un curriculum de formation.
NOTE : vérifier les effets de style, de taille et de couleur dans cette figure?
Balises et processus d’adaptation
13
Nous suggérons que ce curriculum de formation, basé sur l’âge approprié à la maîtrise de chaque
habileté essentielle, serve de sixième balise à l’adaptation des TIC et à l’accessibilité à
l’information au regard de limitations cognitives.
2. Processus d’adaptation ergonomique
L’adoption de telles balises suppose des adaptations massives pour aider les enfants et les
adolescents à maîtriser chaque habileté essentielle à l’âge approprié et ce, malgré leurs limitations
cognitives. Ce qui nous ramène au cœur du processus de production de situations de handicap, et
donc à l’identification des facteurs d’obstacle qui seraient spécifiques à l’interaction d’éléments
environnementaux avec des limitations cognitives. Pour arriver à comprendre cette dynamique
interactive, nous considérons les caractéristiques associées à des incapacités intellectuelles dans
l’analyse ergonomique de tout ce qui est présenté-proposé-imposé à une personne pour réaliser
une tâche.
2.1 Facteurs spécifiques d’obstacle
Les facteurs d’obstacle spécifiques aux incapacités intellectuelles sont mal connus. Nous avons
mené plusieurs études totalisant plus de 500 situations d’intervention analysées qui ont mis en
évidence que le facteur No 1 d’obstacle serait la complexité de la méthode de travail (ou
d’apprentissage) prescrite, c’est-à-dire la complexité de tout ce qui est fourni-proposé-imposé à
la personne pour réaliser une tâche ou pour apprendre à maîtriser une habileté. L’analyse de la
complexité utilise les concepts ergonomiques de tâche, réalisation, méthode de travail (ou
d’apprentissage) prescrite et mode opératoire (Leplat, 1980; Monod et Kapitaniak, 1999;
Rasmussen, 1986; Vincente, 1999) :
-
Tâche : Ce qui est à faire.
-
Réalisation : Façon(s) de s'acquitter d’une tâche.
-
Méthode de travail prescrite : Façon particulière de réaliser une tâche, telle que proposée,
suggérée ou imposée à un sujet. Celle-ci inclut les consignes données, le matériel mis à
disposition, les procédures ou étapes à suivre, etc., bref, tout ce qui est prescrit et fourni
au sujet pour réaliser la tâche.
-
Mode opératoire : Façon précise (au sens de ce qu’il exige de l’opérateur) selon laquelle
un sujet réalise une tâche.
En principe, la tâche est incontournable puisque c’est ce qui doit être fait. Par contre, il peut y
avoir plusieurs façons de s’acquitter convenablement d’une tâche et la méthode de travail
prescrite est celle suggérée ou imposée au sujet (ou opérateur). Si la méthode de travail prescrite
n’est pas adaptée au sujet (et à ses caractéristiques), ce dernier aura du mal à se l’approprier pour
en faire son mode opératoire. Dans une telle situation, il est prévisible que le mode opératoire
qu’il utilisera s’avèrera inadéquat.
Balises et processus d’adaptation
14
Ces concepts ergonomiques n’ont de sens en éducation que s’ils sont adaptés à la spécificité de
notre domaine. Pour ce faire, nous aurons recours à des composantes du « Cycle de l’éducation »
et du « Modèle général de la situation pédagogique » (Legendre, 1983; 1993; 2005) :
a) Les finalités sont des idéaux poursuivis par le système éducationnel.
b) Ces finalités doivent être transposées en Buts/Objectifs observables et mesurables.
c) L’objet d’apprentissage d’une situation pédagogique découle des Buts/Objectifs.
d) L’objet d’apprentissage donnera lieu à des tâches à réaliser par l’élève.
e) L’enseignant fournit à l’élève une méthode d’apprentissage prescrite, soit la transposition
à l’éducation du concept ergonomique de méthode de travail prescrite. Donc, la méthode
d’apprentissage prescrite est une façon particulière qui est proposée, suggérée ou
imposée à l’élève pour réaliser une tâche dans une perspective d’apprentissage au
regard d’un objectif pédagogique.
f) Cette méthode d’apprentissage prescrite inclut plusieurs éléments de la situation
pédagogique (ex. : matériel fourni à l’élève, procédure à suivre par l’élève, consignes de
l’enseignant à l’élève, etc.).
g) L’élève sera fortement influencé par la méthode d’apprentissage qui lui est prescrite pour
mettre au point son mode opératoire, c’est-à-dire sa façon de réaliser la tâche.
C’est la complexité de la méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite qui, en interaction
avec les limitations cognitives d’une personne, placerait celle-ci en situation d’échec (Langevin,
Dionne et Rocque, 2004). Par exemple, au regard de l’accessibilité à l’information en mode texte,
la complexité peut s’observer aux plans de la lisibilité et de l’intelligibilité (Trudeau, 2003). Au
plan de la lisibilité, il y a en français quelques 4400 correspondances entre les phonèmes (sons
prononcés) et les graphèmes, soit les façons de les écrire (ex. : le phonème [o] = o, os, ot, op, oh,
ho, au, aut, ault, eau, ho, hau, etc.). Ainsi, compte tenu de la possibilité d’une consonne double
(tt) et des différents marqueurs de pluriel, nous avons calculé qu’il y aurait au moins 576 façons
plausibles d’écrire le simple mot « auto ». D’autres sources de complexité induisent une
instabilité morphologique des lettres : majuscules ou minuscules (A a), écriture manuscrite ou
imprimée (a a), polices de caractères (a a), style (a a), taille (a a), etc.
Au plan de l’intelligibilité, il y a tous les facteurs de complexité liés à l’expression écrite qui
peuvent rendre un texte plus ou moins difficile à comprendre : mots choisis, constructions
syntaxiques, structure de texte, détails plus ou moins superflus, etc.
2.2 Réduction de la complexité
Le but de l’ergonomie au regard des élèves (ou personnes) qui ont des limitations cognitives est
de favoriser l’accessibilité à l’information, aux technologies, aux connaissances et aux habiletés
indispensables au développement de l’autonomie et à l’atteinte d’une véritable participation
sociale. Une veille sur les travaux en ergonomie ainsi que plusieurs mises en application ont
Balises et processus d’adaptation
15
mené à l’élaboration d’un processus d’adaptation ergonomique centré sur la réduction
systématique de la complexité de la méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite (Langevin,
1996; Langevin, Dionne et Rocque, 2004). En plus des principes généraux d’ergonomie, ce
processus distingue trois cas de figure pour concevoir des adaptations et inclut des principes
particuliers et des règles d’aménagement au regard de limitations cognitives.
2.2.1 Trois cas de figure
Pour la conception d’une adaptation ou d’un aménagement, il est utile de distinguer trois cas de
figure :
a) Discrète et pour la personne seulement
L’adaptation, très discrète, est à l’usage exclusif d’une personne qui a des limitations cognitives
(ex. : Un manuel scolaire adapté qui, en apparence, est identique à celui utilisé par les pairs :
même page couverture, même thèmes et mêmes illustrations aux mêmes pages, mais les textes
sont adaptés).
b) Visible, mais pour la personne seulement
L’adaptation, quoique bien visible dans l’environnement, est à l’usage exclusif d’une (ou de)
personne(s) qui a (ont) des limitations cognitives (ex. : Pour pallier des difficultés de calligraphie
et d’orthographe, l’élève a à sa disposition un ordinateur avec plusieurs modalités de soutien à
l’écriture, un clavier adapté et une imprimante).
c) Utile à tous
L’adaptation est non seulement indispensable à la personne, mais elle est aussi utile à tous (ex. :
La simplification de pages Web présentant différents services aux citoyens).
(ATTENTION : Redondance, ces troiscas de figure ont été présentés plus haut).
2.2.2 Principes particuliers
Le premier principe particulier du processus d’adaptation au regard de limitations cognitives est
la recherche d’un compromis optimal entre un idéal apparemment impossible à atteindre et une
situation actuelle inacceptable (ex. : analphabétisme). Le compromis optimal est le moyen terme
le plus favorable entre l’atteinte des finalités et les procédés disponibles, et qui constitue un réel
progrès par rapport à la situation actuelle ou à une situation appréhendée d’échec et de handicap.
Les deux autres principes particuliers sont au service du premier :
 Remplacer au besoin une habileté standard par une habileté alternative (autonomie directe).
L’habileté alternative repose sur des schémas élémentaires de connaissances adaptés à l’âge
mental de l’élève ou à ses connaissances.
 Soutenir au besoin la réalisation d’une tâche par un dispositif technique ou technologique
(autonomie assistée).
Toutes les adaptations conçues pour pallier des incapacités visuelles, auditives ou motrices
s’inscrivent dans cette idée de compromis optimal. Ainsi, le braille a été pendant longtemps un
compromis optimal d’accès à la communication écrite pour les aveugles. Ce n’était pas l’idéal,
loin de là, mais c’était infiniment mieux que l’analphabétisme. La nouveauté ici n’est pas le
Balises et processus d’adaptation
16
concept de compromis optimal, mais plutôt son application auprès des personnes qui ont des
limitations cognitives.
-
Vaut-il mieux ne pas savoir compter ou être capable de réunir sur demande un nombre
d’objets grâce à une « astuce », un « gabarit mental », sans sujétion à autrui?
-
Vaut-il mieux ne pas savoir utiliser l’argent et être totalement assujetti à son entourage ou
maîtriser une stratégie alternative de paiement qui passe inaperçue et qui est tout à fait
acceptable socialement?
-
Vaut-il mieux être continuellement dépendant de son entourage pour tout ce qui concerne la
gestion du temps ou pouvoir se situer dans le temps grâce à des outils adaptés?
-
Vaut-il mieux être analphabète ou maîtriser un code écrit différent de l’orthographe
conventionnelle et qui permet de lire des messages, de suivre des consignes écrites, d’écrire
des messages et d’être compris de tous, quitte à ne pas avoir accès à l’ensemble du monde
écrit?
2.2.3 Règles d’aménagement
Quatre règles d’aménagement viennent appuyer ces principes particuliers du processus
d’adaptation.
Règle 1 : Réduire la complexité de la méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite selon la
sévérité des limitations cognitives d’une personne. Cette première règle prescrit le
développement de plusieurs niveaux d’adaptation. Des limitations cognitives minimes
demanderont des adaptations si légères qu’elles passeront probablement inaperçues, alors que des
incapacités intellectuelles importantes exigeront des adaptations si spectaculaires qu’elles
risquent de déclencher des débats publics (voir Évaluation du site adapté AccèsSimple dans le
présent ouvrage).
(ATTENTION : Une série de mesures s’ajouteront ici pour contourner ou mettre à profit
les caractéristiques cognitives associées aux incapacités intellectuelles)
Règle 2 : Réduire la différence entre ce qui est explicitement présenté et ce que la personne doit
comprendre. Voilà bien une règle toute simple en apparence. Mais appliquée à l’ensemble d’une
méthode de travail (ou d’apprentissage) prescrite, elle peut donner des maux de tête. Pensons à la
présence de pronoms, au recours à des symboles abstraits, à un texte dont la compréhension
repose davantage sur des connaissances attendues chez le lecteur que sur les renseignements
explicitement fournis, etc.
Règle 3 : Respecter les connaissances et les habiletés déjà enseignées à la personne. Les
informations nouvelles ne devraient pas les contredire, mais plutôt s’y greffer de façon
harmonieuse. Ce respect des enseignements antérieurs passe par une stabilisation morphologique
et sémantique des informations. Cette règle ne semble-elle pas aller de soi? Et pourtant, c’est la
plus difficile à suivre puisque nos outils de communication, d’échange et de mesures, passés ou
actuels, la contredisent constamment :
Balises et processus d’adaptation
-
17
Le « 4 » d’un cadran analogique qui, pointé par la grande aiguille, signifie
20 (4 = 20!);
Un mot masculin qui s’écrit avec un « e » muet (ex. : musée);
Les équivalences entre des pièces de monnaie (ex. : 2 GROS [5¢] = 1 petit [10¢]);
L’orthographe de la langue française, par l’extrême instabilité des correspondances
phonèmes-graphèmes, est la contradiction même de cette règle.
Pour éteindre l’ordinateur que j’utilise actuellement, il me faut activer un bouton
intitulé « Démarrer ».
Règle 4 : Consolider une connaissance ou une habileté nouvelle par son utilisation immédiate et
répétée. Cette règle est sans doute applicable à tout apprenant. Elle devient cependant impérative
quand il s’agit d’une personne qui a des limitations cognitives. Il faut prévoir, créer, provoquer
des occasions d’utilisation du nouvel apprentissage. Les TIC se prêtent particulièrement bien à ce
besoin de répétition.
Règle 5 : S’assurer que des aménagements conçus pour une personne qui a des limitations
cognitives ne nuiront pas à ses pairs sans limitations et, si possible, les aideront. Cette règle
n’exclut pas le recours à une adaptation potentiellement nuisible pour les pairs sans limitations.
Elle exige simplement qu’ils n’y soient pas exposés.
Ces règles sont si simples qu’elles paraissent anodines. Elles sont formulées de façon si générale
qu’elles peuvent s’appliquer à tout, notamment à l’utilisation des TIC et à l’accessibilité à
l’information. Elles sont si contraignantes qu’elles forcent à envisager les problèmes sous un
angle nouveau. Et certaines sont si radicales, qu’il est impossible de les appliquer à la lettre. En
fait, le degré d’application des règles 2, 3 et 4 sera déterminé par la sévérité des limitations
cognitives prises en compte.
Discussion
Cette approche s’inscrit dans une perspective d’accessibilité universelle (Preiser et Ostroff, 2001)
et dans l’esprit de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées (Gouv.
Québec, 2004). D’abord utilisé à l’égard des incapacités motrices et appliqué à l’architecture, le
concept d’accessibilité s’est peu à peu étendu à d’autres incapacités et pour d’autres domaines
d’application. L’accessibilité à l’information au regard de limitations cognitives constitue la
dernière frontière à franchir. Les balises et le processus présentés ici peuvent être combinés à
d’autres propositions dans cette perspective comme le « W3C », un ensemble de directives pour
concevoir des sites Web plus accessibles (World Wide Web Consortium, 1999), et le « SavoirSimplifier », un ensemble de règles à suivre pour simplifier un texte (Inclusion Europe - ILSMH,
1998).
Le chapitre suivant présente des modalités de présentation en mode texte qui ont été conçues dans
le cadre de ces balises et en appliquant le processus d’adaptation.
Balises et processus d’adaptation
18
(sans
incapacités
intellectuelles )
14
Â
g
e
m
e
n
t
a
l
12
arrêt
prématuré
10
ralentissement
prématuré
8
moindre
efficience
6
(avec
incapacités
intellectuelles)
retard
accentué
4
retard
2
fixation anormalement longue
2
4
6
8
10
12
14
Âge chronologique
Fig. 1 Caractéristiques cognitives mises en évidence par deux courbes de développement
(Reproduction d’une source à inscrire ici).
Balises et processus d’adaptation
19
AAMR, 2002;
Bouchard et Dumont, 1996;
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