Le manque de fiabilité des labels

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LE MANQUE D’INDEPENDANCE
DES LABELS DU COMMERCE EQUITABLE
Le manque de fiabilité des labels2
On relève un nombre croissant de labels visant à garantir le respect des chartes du
commerce équitable. Or, ils ne sont pas toujours fiables en réalité, même si on ne
peut tirer de conclusion généralisable, quand à l’ensemble des labels, en l’absence
d’étude statistique indépendante. La coopérative UCIRI (Mexique) est labellisée par
Max Havelaar, pourtant les producteurs, travaillant au sein d'UCIRI, sont payés
2$/jour en dessous du salaire minimum en vigueur à Mexico qui est de 3,3$/jour (VD
Hoff, 2002). On peut donc supposer que les salariés des producteurs sont encore
moins bien payés. La coopérative COAGROSOL (Brésil) est certifiée par Flo-cert
(Max Havelaar), alors que les salariés ne sont pas payés plus que ceux de la région
(Jacquiau, 2006 : 370). FEDECOCAGUA (Guatemala) est aussi labellisée Max
Havelaar, mais comme l'explique Mauro Garcia, coordinateur national du projet
International Coffee Partners (ICP), les prix ne sont pas équitables, il n'y a pas d'aide
aux producteurs, ces derniers se retrouvent très endettés et ceux qui désirent sortir de
la coopérative sont menacés de procès (Jacquiau, 2006 : 359). COSURCAS
(Colombie) a été labellisée Max Havelaar, bien que 75 millions de pesos (28 000
euros environ) aient été détournés et que cette coopérative ne disposait pas de cahier
de comptabilité (Jacquiau, 2006 : 342).
Le manque d’indépendance économique des auditeurs
La concurrence entre distributeurs peut pousser ceux-ci à abaisser les coûts, donc
aussi le rapport qualité/prix (durée de l'audit/prix de l'audit) et donc sa qualité. Il en
est déjà ainsi pour les différents auditeurs de Max Havelaar, de Step, ou de la Socam
de C&A, qui sont déjà poussés à réaliser des audits trop rapidement et qui deviennent
très peu fiables, lorsqu'ils existent, comme nous l'avons mis en évidence
précédemment.
Par exemple au Pays-Bas, le café Ahold labellisé Utz Kapeh (Certification du
café) a conquis 12% des parts de marché et a supplanté Max Havelaar, qui plafonne
à 3%, d'après Alternatives Internationales (novembre, 2004) (Jacquiau, 2006 : 174176).
En fait en 2006, Flo-Cert disposait de 50 certificateurs, au plan international, pour
un million de producteurs. Cela correspond donc, à 20 000 producteurs par
certificateurs, soit 54 producteurs à auditer, par jour, chaque année, comme s'engage
à le faire Flo-cert (sans compter les jours de congé et les temps de déplacement des
auditeurs), ce qui est réellement insuffisant. Le Mexique, par exemple, ne dispose
que 2 auditeurs (Jacquiau, 2006 : 340). Or, dans son référentiel, c’est annuellement
que Flo-cert s'engage à visiter les coopératives. Effectivement, cela s'avère un
minimum pour une certification sérieuse. A la lumière de ces éléments, on comprend
1
Docteur en sociologie, Largotec, auteur du livre Les mouvements sociaux face au commerce éthique,
Hermès/Lavoisier, 2007.
2
Dans ce texte nous utiliserons le terme label, sans le différencier du logo.
mieux, pourquoi la certification Flo-Cert a été remise en cause, à plusieurs reprises,
concernant des coopératives exportant des produits labellisés Max Havelaar.
Quel que soit le mode de vérification et de sanction qui sera mis en oeuvre, sa
privatisation comporte le risque de laisser aux seuls acteurs économiques privés (les
sociétés d'audit) la charge de la vérification, voire de la sanction des questions liées
au travail. Or, les sociétés d’audit manquent d'indépendance au plan économique
puisqu'elles sont rémunérées par ceux qu'elles jugent. Cela représente donc un
obstacle majeur à une vérification indépendante.
Par conséquent, seul, un système de vérification financé ou mis en œuvre par un
organisme public peut posséder potentiellement deux conditions qui sont
indépendance et action à large échelle. Cependant, actuellement, les pouvoirs publics
manquent parfois d’indépendance, lorsqu’ils sont inféodés aux acteurs économiques
dominants ou plus ou moins corrompus. Les ONG et les syndicats s’approchent
quelque peu des critères d’indépendance minimum, mais ils ne peuvent exercer une
vérification indépendante réelle sur une large échelle, en l’absence de financement
conséquent.
Dans le cadre des projets pilotes de commerce éthique, la campagne Clean
Clothes Campain, des sociétés d'audit sont financées par les pouvoirs publics et
contrôlé par des ONG. Ce dispositif tripartite pourrait remédier aux limites des
dispositifs de la seule régulation privée.
Finalement il existe d’un côté des labels qui affirment être rigoureux (Max
Havelaar, Step), mais qui ne le sont pas véritablement, par manque de vérification
vraiment indépendante et d’un nombre d’audits insuffisants.
Ainsi pour tenter de pallier à ces différents obstacles, la Fédération internationale du
commerce Equitable (IFAT) et Minga. Cependant, l’indépendance, n’est pas complète
non, plus dans ce système de contrôle fondée sur l’auto-évaluation, le contrôle croisé et
le contrôle externe à la filière, par tirage au sort ou lorsqu’un problème apparaît. En
effet, tous les acteurs sont membres d’un même filière. Si trop de produits ou de
producteurs ne recevaient plus « la garantie », tous seraient en péril économiquement.
De plus, cela demande du temps, et ni les producteurs, ni les vendeurs ne disposent de
suffisamment de temps pour effectuer un contrôle annuel.
Dans ces conditions les consommateurs risquent à terme de rejeter le commerce
équitable, s'ils estiment que les labels ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. En
l'absence d'un dispositif de vérification vraiment indépendant, le développement des
labels paraît donc condamné à l'échec. Sauf si les consommateurs ne sont pas trop
regardants.
C’est pourquoi à moyen terme le commerce éthique et équitable (en tout cas
comme action de démocratie économique participative) risque de perdre sa
crédibilité, donc sa force principale qui se fonde sur la confiance, la transparence, la
croyance en l'indépendance et l'impartialité des labels.
Logique d'interpellation contre logique humanitaire ou économique
Sans y prêter attention, une organisation (une association) peut changer de rôle à
son insu. Perlas s’inspire de Gramsci (1929) pour définir ce qu’est la société civile.
Ainsi, selon Perlas (2001), le premier pouvoir des associations elles celui des idées.
Dans la perspective de N. Perlas elles devraient donc se limiter à un rôle
d'interpellation ou de propositions d'idées nouvelles avec les acteurs économiques et
publics. Car un acteur économique (de la certification), a pour priorité première est
la production, la rentabilité et la perrenité économique. Devenir un acteur
économique, c’est donc courir le risque de perdre sa capacité d'interpellation (acteurs
appuyant leur pouvoir sur les idées et la dimension socioculturelle).
Dans un premier temps, le collectif de l’éthique sur l’étiquette (ESE) a choisi de
mettre en oeuvre un système opérationnel de vérification, de certification et de
labellisation. D'une part parce qu'aucun n'existait, mais ensuite, parce qu'il voulait
aussi se former par la pratique concrète. Cependant, ce dispositif de labellisation, n'a
jamais véritablement abouti, car le collectif ESE est resté vigilant et a conservé son
rôle d'interpellation (régulation par l'orientation) sans se laisser absorber
complètement par ses actions d'ONG de développement (régulation opératoire ou
par la vérification).
Lorsqu'une association telle Max Havelaar, consacre la grande majorité de son
temps à des activités de nature développementaliste ou opératoire, tel que l'audit,
qu'elle se finance très largement par des taxes sur produits labellisés, la recherche de
nouveaux débouchés pour ces produit, l'accréditation (FLO-Max Havelaar), la
certification (FLO-cert), alors elle change de nature. Elle devient essentiellement un
acteur économique privé. Or, elle perd ainsi une de ses ressources: la légitimité
morale et l'indépendance qui caractérisent une association citoyenne ou un syndicat.
Or, les associations qui souhaitent conserver leur légitimité par l'indépendance
économique et leur légitimité morale sont contraintes à se limiter à un rôle
d'interpellation et à laisser aux organismes privés et publics la charge de la régulation
par la vérification. Sinon elles changent tout simplement de nature. Les associations
citoyennes, qui souhaitent conserver cette capacité, limitent à dénoncer le non
respect des labels et des codes de conduite, à travers des campagnes d'opinion :
d’autant plus que labelliser l'ensemble des produits d'une ETN s'avère quasiimpossible pour une ONG qui souhaite rester indépendante économiquement et
politiquement.
Cependant, des dispositifs tripartites, sont déjà expérimentés dans le secteur du
commerce éthique par les membres de la campagne européenne pour des vêtements
propres. Cette démarche tripartite, peut remédier en partie, aux limites des dispositifs
de la seule régulation privée (ONG et entreprise). Lorsque les sociétés d'audit sont
financées par les pouvoirs publics, elles ne sont plus dépendantes du producteur
qu’elle contrôle. Au sein de cet organe tripartite les ONG restent présentent, mais
comme acteur de proposition, de surveillance et de critique. Les pouvoirs publics
sont quant à eux financés par le paiement des impôts ou/et pourrait l’être par le
paiement du coût de l’audit. Ainsi, le système gagne en indépendance et en
démocratie.
Conclusion
D’une certaine façon, les labels ne peuvent disposer d’une réelle crédibilité, que
dans les secteurs de la micro-production plus facilement contrôlable, ou dans le cadre
d’une production imporante, mais avec un financement suffisant et indépendant
économiquement (donc public).
En matière de fiabilité des labels, on observe une série de conflit de régulation
entre les mouvements sociaux et les acteurs économiques privés :
- La logique du marketing et du partenariat / contre la logique de la
revendication
- La communication marketing (l’industrie des relations publiques) / contre la
communication dénonciatrice
- La logique technico-juridique (la prolifération des labels et course en avant
du pouvoir procédural) / contre la communication dénonciatrice.
Concernant les dispositifs de régulation privée (certification, labels...), la
communication marketing et la prolifération de la régulation procédurale (non
indépendante) l'emporteront probablement sur la capacité de communication
dénonciatrice des mouvements sociaux.
Ainsi le pouvoir procédural (technico-juridique) tend à dominer le pouvoir
communicationnel des mouvements sociaux, tandis que le pouvoir de la
communication marketing tend lui même, à dominer ces deux autres pouvoirs.
Par contre si la voie de la régulation tripartite se développe, les auditeurs privés
pourront gagner en indépendance économique grâce au financement des pouvoirs
publics et les associations citoyennes pourront continuer à exercer leur actions
dénonciatrices afin d'y exercer un contrôle démocratique.
Bibliographie
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Une alternative à la mondialisation capitaliste par les fondateurs de Max
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