1. Herméneutique : la non compréhension
L’herméneutique au sens restreint est donc définie comme art de comprendre et
d’interpréter les discours, textes ou paroles, étrangers. Sont étrangers les discours que l’on ne
saurait assimiler directement : il gardent en eux une part irréductible qui ne fait pas sens pour
nous. Sont donc étrangers les discours que l’on ne comprend pas immédiatement, dont on se
demande ce qu’ils signifient ou veulent dire. Pour dégager le sens ou la signification, il faut
alors s’arrêter sur le discours ou le texte, repérer en lui ce qui se soustrait à notre
compréhension ou qui lui fait obstacle, c'est-à-dire ce qui pose problème. Ce qui pose
problème est ce à quoi on se heurte, ce qui nous empêche de continuer. Dans le cas de la
compréhension d’un discours, par exemple, c’est ce qui nous interdit de poursuivre la lecture
ou le dialogue avec autrui. L’herméneutique est alors la méthode qui élabore des règles
permettant de surmonter la non-compréhension en reconstruisant un sens attendu comme
étant celui de l’auteur du texte ou du discours. Pour cela, au cœur même de la non-
compréhension, il faut supposer que le discours est sensé, qu’il est habité par une intention
signifiante et que le texte, dans son agencement et au moyen de ses ressources linguistiques,
cherche à dire quelque chose. C’est ainsi que des règles doivent permettre de reconstruire, à
même les déterminations du texte qu’elles soient prises dans un contexte immédiat ou dans un
contexte élargi, le sens en retrouvant la cohérence signifiante du discours. On compare ainsi la
partie et le tout, l’œuvre singulière et le genre, le style et notre connaissance de la langue. On
établit des dictionnaires qui collectent des occurrences, des passages parallèles etc. Tout cela
permet de construire le sens à partir d’éléments que l’on complète progressivement. Pour les
compléter, l’interprète est obligé d’élaborer des hypothèses interprétatives à partir des
connaissances partielles et situées qui sont les siennes, à partir des différents
conditionnements du lecteur ou auditeur, qui appelle « sens » ce qu’il comprend et qui,
rétabli, lui permet de poursuivre l’intelligence du discours.
On sait que de méthode réservée aux textes, l’herméneutique a été étendue à la
problématique générale du sens. Elle s’attache alors à la situation de l’homme dans le monde
à partir de son rapport compréhensif à ce dernier. Ici aussi le problème herméneutique se
manifeste dans l’expérience de la non-compréhension, qui doit être explicitée. Lorsque nous
éprouvons ne pas comprendre, nous prenons conscience de notre attente de sens. En fait, nous
ne comprenons plus : la totalité ou la cohérence que nous présentait la compréhension
ordinaire ou jusque là acceptée est brisée, le sens ne va plus de soi. Peu importe qu’il s’agisse,
comme on le croit le plus souvent, d’une absence de sens ou, ce qui désoriente tout autant,
d’une surabondance de sens offerts : dans la non-compréhension une attente de sens reste
insatisfaite. Cette expérience peut ainsi être très variée, notamment suivant les moments
historiques, et si une époque a pu ressentir l’absurde ou la carence du sens, la prolifération des
interprétations, c'est-à-dire la multiplication du sens dans nos sociétés à l’ère de la
mondialisation peut tout autant susciter l’appel herméneutique. Le sens est alors ce dont on
attend qu’il nous oriente, l’étrangeté étant sentiment de désorientation. Comprendre est en
effet toujours saisie d’une totalité, ou la possibilité d’intégrer, notamment par la traduction ou
la transposition, dans un ensemble. Comprendre se manifeste par un sentiment de cohérence.
L’expérience de la non-compréhension au contraire est l’expérience d’une totalité brisée : on
ne peut plus continuer, on est désorienté. On ne s’y retrouve plus dans le monde, on ne peut
poursuivre le dialogue avec autrui, la lecture d’un texte, on ne sait plus comment faire etc.
La notion de sens est donc intimement liée à l’acte de comprendre qui doit, lui aussi,
être analysé et éclairci. Car nous ne savons rien du sens en dehors du fait de le comprendre.
La conséquence d’une telle définition du sens est qu’il peut, ramené à l’acte de comprendre,
paraître simplement subjectif : il est ce qu’un sujet comprend et ne serait donc pas
intrinsèquement attaché à l’objet. Une telle approche peut sembler trop constructiviste en ce