Des équations différentielles `a coefficients algébriques - IMJ-PRG

Des ´equations diff´erentielles `a coefficients
alg´ebriques aux vari´et´es arithm´etiques
N. Bergeron
“La g´eom´etrie hyperbolique, fond´ee sur l’hypoth`ese que la somme des angles
d’un triangle est plus petite que deux droits, ne semble d’abord qu’un simple
jeu de l’esprit qui n’a d’inerˆet que pour le philosophe, sans pouvoir ˆetre d’au-
cune utilit´e au math´ematicien. Il n’en est rien. [...] Je me trouvais donc en
pr´esence de toute une th´eorie, imagin´ee, il est vrai, dans un but m´etaphysique,
mais dont chaque proposition convenablement interpr´et´ee, me fournissait un
th´eor`eme applicable `a la G´eom´etrie ordinaire. Il se trouva qu’en combinant tous
ces th´eor`emes, j’obtins ais´ement la solution de la difficult´e dont j’ai parl´e plus
haut.”[6, Tome I pp. X-XI, Analyse des travaux scientifiques de Henri Poincar´e
faite par lui-mˆeme]
1 Introduction
Avant Poincar´e, les g´eom´etries “non-euclidiennes” n’existaient que comme
des possibilit´es, des curiosit´es sans n´ecessit´e. Avec Poincar´e, ces g´eom´etries de-
viennent des n´ecessit´es, elles interviennent dans les math´ematiques “normales”.
Cette question de l’existence en math´ematiques est bien ´evidemment trop
riche pour y p´en´etrer plus que superficiellement dans cette introduction. Pr´ecisons
n´eanmoins, en suivant le commentaire de la pens´ee de Lautman 1, tir´e de [5]
(de Jo¨el Merker), qu’il y a deux sens au mot exister, plus exactement `a la
question d’existence, appliqu´ee aux math´ematiques. Il y a tout d’abord un sens
m´etath´eorique (m´etaphorique) qui se ram`ene `a la possibilit´e d’une d´efinition de
l’objet en liaison avec des th´eories anerieures. L’existence de la g´eom´etrie hy-
perbolique (due `a Lobatchevsky et Beltrami, du moins pour la construction d’un
mod`ele) en est un exemple typique. Comme Merker le souligne “la pens´ee de
cette liaison est redevable d’une philosophie du possible en g´en´eral”. Mais il y a
´egalement un sens infrath´eorique : d´efini `a l’inerieur d’une th´eorie, il s’applique
aux objets de cette th´eorie. La th`ese de Merker est que le sens infrath´eorique
de l’existence d’entit´es math´ematiques n’est pas r´eductible `a la notion de pos-
sible. C’est une premi`ere gradation d’un passage `a l’explicite assimilable `a
une prise de conscience de l’ordre du concept que l’on voit se dessiner
dans les scemas de gen`ese lautmaniens. Alors que le passage impensable de
l’essence `a l’existence est une difficult´e philosophique essentielle sur laquelle
ont but´ee les m´etaphysiciens, Lautman le pose comme un passage qui ne pose
pas v´eritablement de probl`eme. Pour Lautman, ce passage est redevable de la
1Albert Lautman, philosophe (1908-1944). “Essai sur les notions de structure et d’existence
en math´ematiques” (1937).
1
compr´ehension, laquelle devient la source de la en`ese des th´eories r´eelles.
Cette g´en`ese, Lautman l’illustre de mani`ere explicite : son intention est de mon-
trer que l’ach`evement d’un ˆetre s’affirme dans son pouvoir cr´eateur. L’un des
aspects de cette th`ese plus intimement reli´e aux th´eories math´ematiques stan-
dard est le suivant : l’essence d’une mati`ere faisant naˆıtre les formes que sa
structure dessine. Comme exemple Lautman aborde notamment la th´eorie des
fonctions alg´ebriques de Riemann : l’essence des fonctions alg´ebriques d’une
variable contraint d’une certaine fa¸con Riemann `a leur associer un objet radi-
calement nouveau, que nous appelons aujourd’hui la “surface de Riemann” de
la fonction.
Dans un registre semblable nous allons voir que l’un des grands m´erites de
Poincar´e est d’avoir permis `a la g´eom´etrie hyperbolique d’exister en ce sens
infrath´eorique dont nous venons de parler. La citation en exergue montre clai-
rement que, malgr´e toute sa modestie, Poincar´e en est pleinement conscient.
L’existence de la g´eom´etrie hyperbolique, Poincar´e la d´erive (au sens de d´eriver
= fournir une preuve, d´emontrer) de la th´eorie des ´equations diff´erentielles
alg´ebriques.
Commen¸cons donc par quelques rappels concernant les int´egrales de fonc-
tions alg´ebriques. Lorsque l’on tourne autour d’un point singulier les inegrales
des fonctions alg´ebriques augmentent d’une constante (par exemple log x, qui
est l’inegrale de 1/x, augmente de 2πquand on tourne une fois autour du
point singulier 0) : c’est la raison de la p´eriodicit´e de l’exponentielle complexe
(fonction inverse du logarithme). Mais si l’inegrale de 1/x ou encore l’inegrale
Z1
0
(1 x2)1/2dx =Zπ/2
0
(1 sin2θ)1/2cos θ=π/2
sont ´el´ementaires, l’int´egrale d’apparence ´egalement innocente
Z1
0
(1 x4)1/2dx
(longueur de la lemniscate) ne l’est pas. Cette derni`ere est une inegrale ellip-
tique (compl`ete). N´eanmoins et comme dans le cas de log x=R1/ydy, il peut
ˆetre fructueux de consid´erer les fonctions inverses des inegrales (incompl`etes)
Zx
0
(1 y2)1/2dy et Zx
0
(1 y4)1/2dy.
L’inegrale ´el´ementaire
arcsin x=Zx
0
(1 y2)1/2
applique injectivement le demi-plan sup´erieur sur la bande ombrag´ee de la fi-
gure 1 ; en fait, par r´eflexion dans le plan ´epoint´e C− {±1}, on obtient un
pavage du plan complexe au but par des images ne se recouvrant pas des demi-
plans inf´erieur (-) et sup´erieur (+). On retrouve ainsi que la fonction d´efinie
par l’inegrale est invers´ee par une fonction sinus = sin xqui est une fonction
uniforme de xCde p´eriode
2π= 4 ×l’int´egrale compl`ete Z1
0
dy
p1y2,
2
sin1
1 0 1
π/2 0 π/2
+
++
Fig. 1 – L’application arcsin.
que l’on peut donc voir comme une fonction d´efinie sur le cylindre complexe
X=C/L, avec L= 2πZ:
x=Zsin x
0
(1 y2)1/2dy aux p´eriodes pr`es.
Il est remarquable que bien que l’inegrale R(1 y4)1/2dy ne soit pas
´el´ementaire, un ph´enom`ene similaire (d´ecouvert par Gauss et Abel) subsiste
pour les int´egrales elliptiques (incompl`etes)
x7→ Zx
0
[(1 y2)(1 k2y2)]1/2dy avec 0 < k < 1 fix´e.
Ici la racine carr´ee intervenant dans l’int´egrale est choisie positive pour 1<
x < 1 et ´etendue par prolongement analytique `a tout le demi-plan sup´erieur
ferm´e en ´evitant les point singuliers (de branchement) ±1,±1/k par des demi-
cercles infinit´esimaux comme montr´e figure 2. L’expression sous l’inegrale est
3
1/k 1 0 1 1/k
K1K0K+1K0
K K
Fig. 2 – L’application y= sn1(x, k).
multipli´ee par 1 lorsque l’on passe 1 ou 1/k de la gauche vers la droite,
lorsque xparcourt l’axe r´eel de 0 `a l’infini, son image commence par croˆıtre de
0 `a
K=K(k) = Z1
0
[(1 x2)(1 k2x2)]1/2dx;
puis tourne de l’angle +π/2 pour monter jusqu’au point K+1K0avec
K0=K0(k) = Z1/k
1
[(x21)(1 k2x2)]1/2dx;
finalement, l’image de xtourne encore de l’angle +π/2 et revient vers la gauche
jusqu’au point 1K0comme indiqu´e sur la figure 2. L’image de l’axe r´eel
n´egatif est obtenu par sym´etrie orthogonale de l’image de [0,+[ dans l’axe
imaginaire. Le ph´enom`ene remarquable est que ces deux images se referment
en x=±∞, de telle mani`ere que l’image de l’axe r´eel forme exactement le
p´erim`etre d’un rectangle. L’inegrale applique alors injectivement le demi-plan
sup´erieur (ouvert) sur l’int´erieur de ce rectangle. Par r´eflexion dans le plan
´epoine C− {±1,±1/k}, on obtient un pavage du plan complexe au but par
des rectangles (isom´etriques et ne se recouvrant pas) images des demi-plans
inf´erieur (-) et sup´erieur (+), cf. figure 3. Consid´erons maintenant la fonction
inverse que Jacobi appelle sinus amplitudinus et que nous notons sn(x, k). Aux
p´eriodes pr`es, on a donc
x=Zsn(x,k)
0
[(1 y2)(1 k2y2)]1/2dy.
Quatres exemplaires du rectangle original de la figure 2 sont r´eunis et om-
brag´es sur la figure 3, ces grands rectangles forment un pavage du plan com-
plexe. La fonction sinus amplitudinus applique de la mˆeme mani`ere chacun de
ces grands rectangles sur la plan projectif complexe P1=C∪ {∞}. La fonc-
tion sn(x, k) admet donc deux p´eriodes complexes ind´ependantes ω1= 4K(k)
et ω2= 21K0(k) ; elle d´efinie une fonction uniforme `a valeurs dans P1sur le
4
1/k 1/k ∞ −1/k
1
0 0
1
1/k 1/k ∞ −1/k
+
1
+
Fig. 3 – Les quatres rectangles.
tore X=C/L, avec L=Zω1+Zω2, c’est une fonction elliptique. Cette fonction
est un revˆetement de degr´e 2 ramifi´e au-dessus des points ±1,±1/k.
Encadr´e no. 1 : Fonctions elliptiques. Nous avons rappel´e en introduc-
tion qu’inverser les inegrales elliptiques incompl`etes de premi`ere esp`ece
x7→ Zx
0
[(1 y2)(1 k2y2)]1/2dy avec 0 < k < 1 fix´e,
conduit `a consid´erer des fonctions m´eromorphes doublement p´eriodiques. Ainsi la
fonction sinus amplitudinus d´efinit-elle une fonction doublement p´eriodique dont le
rapport des p´eriodes est ´egal `a 1K0/2K, o`u nous notons toujours
K=K(k) = Z1
0
[(1 x2)(1 k2x2)]1/2dx
et
K0=K0(k) = Z1/k
1
[(x21)(1 k2x2)]1/2dx
les int´egrales elliptiques compl`etes de premi`ere esp`ece. Il n’est a priori pas ´evident que
n’importe quel rapport puisse ˆetre ainsi obtenu par un choix convenable du module
k2C− {0,1}. On peut montrer que c’est pourtant bien le cas. Rappelons, plus
simplement, comment Weierstrass construit une fonction m´eromorphe doublement
eriodique, de r´eseau des p´eriodes L=ω1Z+ω2Z(avec ω1et ω2ind´ependants), et
qui modulo les p´eriodes poss`ede un unique pˆole double. L’id´ee est simple : il s’agit
de placer le pˆole en z´ero en consid´erant la fonction x2et de la rendre p´eriodique en
sommant ses translat´es par le r´eseau des p´eriodes. L’id´ee est trop na¨ıve car une telle
somme diverge, on peut n´eanmoins la sauver en prenant
(x) = x2+X
ωL−{0}
[(xω)2ω2].
Le sujet des fonctions elliptiques est truff´e d’identit´es merveilleuses, d´elicates `a
emontrer, L’exemple le plus simple est peut-ˆetre l’´equation diff´erentielle v´erifi´ee
par le fonction :
(0)2= 4(e1)(e2)(e3),
o`u e1=(ω1/2), e2=(ω1/2 + ω2/2) et e3=(ω2/2). La fonction inverse donc
l’int´egrale 1
2Zx
[(ye1)(ye2)(ye3)]1/2dy.
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