QUAND LA CHIMIOTHERAPIE ADJUVANTE EST-ELLE UTILE EN CANCEROLOGIE DIGESTIVE ? Pascal HAMMEL Fédération Médico-Chirurgicale d’Hépato-Gastroentérologie Hôpital Beaujon 100, Bld du Général Leclerc 92118 CLICHY cedex [email protected] Les Journées EPU Paris VII - Journée de Gastroentérologie Paris, 7 janvier 2005 84 Introduction Le traitement chirurgical était le seul traitement potentiellement curatif des cancers digestifs jusque dans les années 70. Mais la survie médiocre des malades opérés, les progrès médicaux avec l’utilisation optimisée de molécules de chimiothérapie anciennes telles que le 5-fluorouracile (5-FU) et cisplatine, l’arrivée de nouveaux produits actifs (irinotécan, nouveaux sels de platine, taxanes, anti-EGFR, anti-angiogéniques…), et l’amélioration des techniques radiothérapie, ont incité à « encadrer » le geste chirurgical par un traitement médical pour augmenter les chances de guérison. On entend par chimiothérapie adjuvante, un traitement réalisé chez un malade dont la tumeur a été enlevée en totalité. Le terme impropre - mais communément utilisé - de chimiothérapie néo-adjuvante a trait aux traitements pré-opératoires ayant pour but d’améliorer l’efficacité de la chirurgie, par exemple en faisant diminuer une masse tumorale lorsque la résécabilité paraît « limite » (ex : métastases hépatiques d’un cancer colorectal). Cette synthèse sera volontairement limitée aux cancers digestifs les plus fréquents (côlon, estomac, pancréas) et pour lesquels les développements de chimiothérapie ou radiochimiothérapie adjuvante ont été les plus nombreux au cours des années passées. 1- Cancer du côlon Traitement adjuvant A- Stade III Depuis l’essai de Moertel et al. (1) publié en 1990, l’utilité d’une chimiothérapie adjuvante chez les malades opérés d’un cancer du côlon stade III n’est plus contestée. Ce travail montrait une diminution du risque de rechute (- 40 %) et de décès (- 33 %) avec une chimiothérapie adjuvante associant 5-FU et lévamisole. Le schéma LV5FU2, administré de façon bi-mensuelle pendant 6 mois, est devenu le traitement de référence en France (2). Le traitement adjuvant augmente les chances de guérison à 5 ans de 15 % par rapport à la chirurgie seule (3). Récemment, l’essai appelé MOSAIC, testant l’association de 5-FU, d’acide folinique et d’oxaliplatine (85 mg/m2) appelée FOLFOX 4, montrait une amélioration significative de la survie sans récidive tumorale à 3 ans (de 65,3 % à 72,2 %) par rapport au schéma LV5FU2 seul (4). Cela correspondait à une diminution de 24 % du risque de récidive tumorale au prix d’une toxicité acceptable : mortalité (toutes causes confondues) : 0,5 %, neutropénie avec fièvre : < 2 %, vomissements : 6 %, neuropathie : 12 % (qui persistait chez 1 % des malades après un an). L’A.M.M. pour ce traitement a été obtenu pour l’Europe au mois de septembre 2004. Malgré l’absence de données sur la survie à 5 ans, il fait partie des recommandations éditées en 2005 par la Fédération Française de Cancérologie Digestive (FFCD). Les Journées EPU Paris VII - Journée de Gastroentérologie Paris, 7 janvier 2005 85 Les précurseurs oraux du 5-FU (fluoropyrimidines) pourraient, dans un avenir proche, constituer une alternative au 5-FU administré par voie intra-veineuse. L’utilisation de la capécitabine ou de l’UFT en situation adjuvante s’est avérée aussi efficace que celle du 5FU intraveineux. Deux essais portant chacun sur plus de 1900 malades (X-ACT et NSABP) ont montré des taux de survie sans récidive (essai capécitabine) et de survie globale (essai avec UFT) identiques à ceux obtenus avec le 5-FU en perfusion (3). Le seul effet secondaire plus marqué avec la capécitabine qu’avec le 5-FU en perfusion est le syndrome main-pied. L’essai AVANT des Laboratoires Roche testera prochainement l’efficacité de la combinaison 5-FU + oxaliplatine seule ou associée au bevacizumab (Avastin®). Deux modalités d’administration du 5-FU seront testées (perfusion ou voie orale avec capécitabine). B- Stade II Les malades opérés pour un cancer sans atteinte ganglionnaire (stade II) doivent-ils recevoir une chimiothérapie adjuvante ? Peu d’études sont disponibles sur le sujet. En effet, il faut des effectifs très importants de malades pour montrer un gain de survie des malades ayant une tumeur stade II avec une nouvelle chimiothérapie du fait du pronostic spontanément favorable de ce cancer (75-80 % de survie à 5 ans). Les méta-analyses du NSABP (National Surgical Adjuvant Breast and Bowel Project) et IMPACT (International Multicenter Pooled Analysis of Colon Cancer Trials) portant sur 9 études montraient des résultats contradictoires (3, 5, 6). Dans une autre méta-analyse récente (7), des auteurs japonais concluaient à l’efficacité des fluoropyrimidines en situation adjuvante avec un gain de survie à 5 ans de 10 %. Le bénéfice était identique pour des cancers stade I, II ou III (7). Dans l’essai MOSAIC, le gain de survie sans récidive à 3 ans n’était de 2,7 % pour les malades stade II traités par FOLFOX 4, sachant que les malades de l’autre bras recevaient une chimiothérapie déjà potentiellement efficace (LV5FU2)(4). Des résultats identiques ont été rapportés dans l’étude anglaise QUASAR présentée lors du congrès de l’ASCO en 2004 sous forme de résumé (8) : 3 % d’amélioration en valeur absolue pour la survie globale, 4 % pour la survie sans récidive. Les tests d’interaction des essais LIMAP, QUASAR et NSABP ont montré que malades ayant un cancer stade II avaient, grâce au traitement adjuvant, une diminution relative de mortalité identique à celle des malades stade III (9). Dans l’étude MOSAIC, un gain sur la survie appréciable (+ 28 %) existait en cas de cancer stade II dit de « haut risque » (stade T4, perforation, tumeur peu différenciée, invasion veineuse ou lymphatique, ou nombre de ganglions examinés < 10) (4). Au total, les malades ayant un stade II « haut risque » pourraient être traités en adjuvant, selon les recommandations de l’ASCO 2004 (American Society of Clinical Oncology)(10), après avoir été informés du rapport risque/bénéfice. Dans les autres cas, l’inclusion dans un Les Journées EPU Paris VII - Journée de Gastroentérologie Paris, 7 janvier 2005 86 essai paraît souhaitable (par exemple : essai FFCD-PETACC 4 : après chirurgie surveillance vs FOLFIRI 6 mois, associé à étude biologique des facteurs de pronostic et de réponse à la chimiothérapie). C- Métastases hépatiques En situation adjuvante après résection de métastases hépatiques, deux essais portant sur près de 300 malades, ont comparé une chimiothérapie avec 5-FU-acide folinique vs surveillance. Il existait une tendance à l’amélioration de la durée de survie sans récidive chez les malades traités. Le bénéfice de cette attitude est probable mais non clairement démontré (RPC pour le traitement des métastases hépatiques 2003). Traitement néadjuvant Dans l’étude d’Adam et al. (11), l’administration d’une chimiothérapie (bi-thérapie) à des malades ayant des métastases hépatiques initialement irrésécables permettait de proposer secondairement un traitement chirurgical à 12,5 % d’entre eux. Malgré un taux élevé de récidives post-opératoires, la survie à 5 ans de était de 33 %. En analyse multivariée, quatre facteurs pré-opératoires indépendants étaient associés à un mauvais pronostic : tumeur primitive rectale, présence de plus de 3 métastases hépatiques, métastase de taille >10 cm, et CA 19-9 >100 U/mL. La survie ajustée à 5 ans était de 59 %, 30 %, 7 % et 0 selon qu’il existait 0, 1, 2, 3 ou 4 des ces facteurs, respectivement (11). Valeur pronostique des altérations génétiques Statut MSI Environ 15 % des cancers coliques sporadiques présentent une forte instabilité des microsatellites. Le pronostic spontané de ces cancers MSI + est meilleur que celui des cancers sans instabilité (MSI -). En revanche, la chimiothérapie adjuvante semble plus efficace en cas de phénotype avec faible instabilité des microsatellites (12). Perte d’hétérozygotie 18 q Deux études ont montré un gain de survie de 25 % à 40% chez les malades dont la tumeur gardait une copie du bras long du chromosome 18 par rapport à ceux qui perdaient les deux copies par délétion. Le meilleur pronostic s’observait qu’il y ait eu ou non une chimiothérapie adjuvante (13). Les Journées EPU Paris VII - Journée de Gastroentérologie Paris, 7 janvier 2005 87 2- Cancer de l’estomac Traitement adjuvant Les cancers gastriques sont chimio-sensibles mais l'efficacité de la chimiothérapie seule est seulement démontrée en situation métastatique ou d'inextirpabilité. En situation adjuvante, les essais de chimiothérapie seule n’ont pas, jusqu’à présent, fait la preuve de leur utilité (3). Aux Etats-Unis, le traitement adjuvant standard est une radio-chimiothérapie selon le protocole de MacDonald (14). L’essai éponyme comparait, chez les malades ayant été opérés pour un adénocarcinome gastrique, une radio-chimiothérapie adjuvante (association 5-FU + acide folinique et radiothérapie 45 Gy) à une simple surveillance. Les effets secondaires de ce traitement n’étaient pas négligeables (toxicité hématologique de grade III : 41 % et de grade IV : 32 %, décès : 1 %). Le délai avant récidive tumorale (30 mois vs 19 mois, p<0,0001) et la survie médiane (35 mois vs 28 mois, p=0,01) étaient en faveur de la radio-chimiothérapie. Cette étude était critiquée en raison du taux élevé (54 %) de malades ayant eu un curage ganglionnaire standard (D1) incomplet, le traitement adjuvant ayant pu contribuer à « rattraper » une chirurgie insuffisante. Une analyse multivariée n’a pas retrouvé d’interaction entre l’effet favorable du traitement adjuvant et le type de curage ganglionnaire. Cependant, la puissance statistique était faible, notamment en raison du petit effectif de malades ayant eu un curage de type D2. Ce traitement ne constitue pas un standard en France. Dans les recommandations de la FFCD, il est proposé qu’en dehors d’un essai, la radio-chimiothérapie post-opératoire soit discutée chez un sujet jeune, bien informé et non dénutri lorsque le curage ganglionnaire a été insuffisant (< 15 ganglions examinés) ou en cas d’envahissement ganglionnaire important (N2 ou N3). Le radiothérapeute doit être conscient de la toxicité potentielle du traitement. La surveillance nutritionnelle doit être rigoureuse. Le schéma FUFOL utilisé dans l’essai de MacDonald peut être remplacé par le LV5FU2. Un projet de phase III européen (PETACC) va comparer chirurgie seule vs radio-chimiothérapie post-opératoire avec association dite DCF (docétaxel, cisplatine, 5-FU). Traitement néo-adjuvant Les malades ayant un cancer résécable doivent actuellement être opérés sans chimiothérapie pré-opératoire. En effet, l'utilité d’un traitement néo-adjuvant n'est pas prouvée. On attend les résultats définitifs de l’essai MAGIC et de l’essai FFCD–FNCLCC 9703. La FFCD construit actuellement un essai de phase II-III inter-groupes randomisé : traitement pré-opératoire par chimiothérapie puis radio-chimiothérapie vs radio- chimiothérapie post-opératoire seule. Les Journées EPU Paris VII - Journée de Gastroentérologie Paris, 7 janvier 2005 88 3- Cancer du pancréas Traitement adjuvant Pour essayer d’améliorer le pronostic médiocre des malades opérés pour un cancer du pancréas, plusieurs essais de chimiothérapie sans ou avec radiothérapie ont été réalisés. Le premier essai positif a été effectué il y a 20 ans par le Gastrointestinal Tumor Study Group (GITSG). Dans cette petite série (42 malades), le taux de survie à 2 ans était supérieur chez les malades traités par 5-FU et une irradiation de 40 Gy (42 % vs 18 %, p<0,03) (15). L’essai européen ESPAC1 portait sur plus de 500 malades traités selon un plan factoriel par chirurgie seule, ou suivi de chimiothérapie, radiothérapie ou chimio-radiothérapie (16). La chimiothérapie par 5-FU apportait un bénéfice en terme de survie (15,3 mois vs 9 mois, 21 % vs 8 % de survie à 5 ans) par rapport au bras sans chimiothérapie. La radiothérapie n’avait pas d’effet bénéfique. Cet essai a fait couler beaucoup d’encre, notamment en raison des modalités critiquables de la radiothérapie. L’essai suivant (AURC-ESPAC 3) comparera deux types de chimiothérapie adjuvante (gemcitabine vs 5-FU + acide folinique). Ainsi, l’administration d’une chimiothérapie post-opératoire est devenue difficilement contournable (En France : accord d’experts). Hors essai, on peut utiliser le 5-FU ou la gemcitabine. Cependant, la place d’une radiothérapie moderne associée à la gemcitabine sera à nouveau évaluée dans l’essai EORTC-FFCD qui comparera l’administration post-opératoire de gemcitabine seule vs 6 cycles de gemcitabine suivis d’une radiothérapie sensibilisée par la même molécule. Traitement néo-adjuvant Le traitement néo-adjuvant du cancer du pancréas est à l’étude. Le principe en est d’essayer de détruire les cellules tumorales situées dans les ganglions péri-pancréatiques ou l’espace rétro-péritonéal pour diminuer le taux de récidive après exérèse tumorale. Les arguments pour une telle stratégie sont 1) de traiter des cellules tumorales mieux oxygénées en pré- qu’en post-opératoire et 2) d’éviter aux malades ayant une diffusion tumorale rapide, avec apparition de métastases pendant la radio-chimiothérapie, une chirurgie inutile (environ 1/3 des cas). Dans une étude marseillaise portant sur 19 malades traités par 5-FU, cisplatine et radiothérapie préopératoire, une réponse histologique majeure sur la pièce opératoire était notée dans 25 % des cas, et une stérilisation tumorale complète 10 % des cas (17). Deux présentations aux Journées Francophones de Pathologie Digestive de 2004 (Mornex et al., données non publiées) allaient dans le même sens. Il faut distinguer cette approche néo-adjuvante stricto sensu de l’administration d’une radiochimiothérapie visant à rendre opérable les malades ayant, lors du bilan initial, une tumeur localement évoluée à l’évidence non extirpable d’emblée (ex : envahissement artériel). Cette Les Journées EPU Paris VII - Journée de Gastroentérologie Paris, 7 janvier 2005 89 distinction est parfois subtile qui fait intervenir la qualité du bilan d’imagerie du bilan préopératoire et les limites que fixe habituellement l’équipe médico-chiurgicale pour considérer qu’une tumeur pancréatique est résécable. Conclusions Les indications d’une chimiothérapie adjuvante dans les cancers digestifs, associée ou non à une radiothérapie, augmentent et se précisent. L’avènement de nouvelles molécules actives devrait en renforcer l’efficacité dans les années à venir. Les Journées EPU Paris VII - Journée de Gastroentérologie Paris, 7 janvier 2005 90 Bibliographie 1. Moertel CG, Fleming TR, Macdonald JS, et al. 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